Interview de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'insertion professionnelle, dans "Le Monde" du 23 juin 1995, sur le baccalauréat 1995, le budget de l'enseignement supérieur, la lutte contre l'échec dans les premiers cycles, la recherche et la méthode de "réforme continue" pour l'éducation.

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Média : Le Monde

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Le Monde : Le déroulement du nouveau bac 1995 a donné lieu à quelques incidents. Doit-il être amendé et que proposez-vous pour l'améliorer dès 1996 ?

François Bayrou : La réforme a connu une grande réussite : le rééquilibrage du choix des lycéens entre les filières. Il y a eu quelques incidents d'organisation purement accidentels. Je ferai en sorte qu'ils deviennent impossible. Mais le principal problème réside dans la durée de l'examen qui paralyse toute la fin de l'année scolaire. C'est pour retrouver un vrai troisième trimestre, disparu depuis longtemps, qu'il faut revoir l'organisation matérielle de l'épreuve et la simplifier sans rien perdre de son caractère anonyme et national. Quant aux sujets, nous avons fait des progrès dans beaucoup de disciplines, la philosophie par exemple. Les sujets ont été, comme je le souhaite, clairs et lisibles.

Le Monde : Il y a pourtant eu des protestations, en mathématiques par exemple.

François Bayrou : Je donne raison à ceux qui ont protesté. Un sujet ne doit pas être un piège, il doit au contraire rassurer les élèves et leur donner la certitude qu'ils pourront faire la preuve de leur véritable niveau. Les élèves ne seront pas lésés : les barèmes ont été adaptés à la difficulté réelle de l'épreuve. Je vous garantis que cela ne se reproduira pas.

Le Monde : La rentrée s'annonce difficile dans l'enseignement supérieur. Quelles mesures envisagez-vous pour répondre aux demandes des universitaires ?

François Bayrou : Depuis de longues années, la situation budgétaire est difficile. Cela ne se corrige pas d'un coup de baguette magique. C'est pourquoi je défends l'idée de programmation qui permet à la nation, une fois définis les besoins et les possibilités, de dire comment elle envisage de répartir son effort sur le long terme.

Le Monde : Dans l'enseignement supérieur, la politique contractuelle est une programmation. Mais elle a été vidée de son contenu depuis la suppression de l'engagement de création des postes…

François Bayrou : La politique des contrats est pour moi une des pierres d'angle des relations avec les universités. Il faut s'en servir davantage, pour respecter les engagements, ce qui est particulièrement difficile en cette période. J'ajoute que, parlant de programmation, j'ai aussi à l'esprit la programmation des recrutements.

Le Monde : Alain Juppé a annoncé que la lutte contre les taux d'échec dans les premiers cycles serait une priorité du gouvernement.  Faut-il continuer d'ouvrir les universités ou pratiquer une certaine forme de sélection ?

François Bayrou : La répartition de l'échec est inégale selon les filières et la formation initiale des étudiants, comme l'a fort bien démontré la rapport Lavroff. L'échec est beaucoup plus important dans les Deug généraux, où se réfugient des étudiants dont la formation initiale ne leur donne pas les armes nécessaires et qui n'ont pas pu trouver leur place en BTS ou en IUT. Mais je n'ai pas l'intention de construire des murailles. Il faut leur donner assez tôt les moyens d'une orientation réussie, leur proposer des voies nouvelles, et pour ceux qui cherchent vraiment une formation générale, inventer des passerelles pédagogiques efficaces. Car je ne partage pas l'idée selon laquelle il y a trop d'étudiants en France. Je crois au contraire que l'élévation du niveau général de formation est une vraie chance de la nation. Encore faut-il que l'on n'escroque pas certains d'entre eux en les envoyant à l'échec quasi assuré.

Le Monde : Comment réagissez-vous à l'idée de collèges universitaires ?

François Bayrou : Je n'y suis pas favorable. Ce serait une erreur de couper les premiers cycles des universités et les étudiants de la démarche universitaire. Il me semble, au contraire, qu'il faut que les universitaires et les chercheurs de haut niveau rencontrent le premier cycle, ce qui ne signifie pas qu'il faille éluder la question de l'encadrement de ces étudiants qui doivent être mieux accueillis et guidés.

Le Monde : Votre prédécesseur a laissé en chantier une réforme de la filière technologique. Comptez-vous la reprendre ?

François Bayrou : Pour moi, la réflexion sur les filières technologiques et professionnelles est globale. Elle va de la formation la plus élémentaire, CAP ou BEP, au diplôme d'ingénieur. Pour que cette filière intéresse les jeunes, qu'elle abandonne son image de filière de l'échec, elle doit offrir des parcours de formation facilement lisibles, crédibles, qui conduisent à des diplômes et à des situations sociales équivalentes aux formations plus abstraites.

C'est une révolution qui n'intéresse pas seulement l'université mais aussi l'entreprise et toute la société. Nous avons vécu depuis des siècles avec l'équation : savoir = pouvoir. Il faut y ajouter désormais une équation nouvelle : savoir-faire = pouvoir.

Le Monde : L'élaboration d'un statut de l'étudiant a fait l'objet d'une promesse du Président de la République. Qu'y a-t-il sous ce statut ?

François Bayrou : Plus grande justice dans les aides et considération nouvelle des besoins de l'étudiant dans l'université. Les « nouveaux étudiants » sont issus de milieux sociaux qui ignorent l'université et ses méthodes de fonctionnement. Il faut prendre en compte leurs attentes pour qu'ils se trouvent bien à l'université. Cela impose de les reconnaître comme des partenaires à part entière de la réforme.

Le Monde : En matière de recherche, comment comptez-vous régler les problèmes budgétaires, notamment ceux du CNRS pour lequel on évoque un déficit de 500 à plus de 800 millions de francs ?

François Bayrou : Le sinistre budgétaire dont souffre la recherche est bien une réalité et ne date pas, hélas ! de cette année. L'assainissement budgétaire est une priorité. Pour le CNRS, je reprends à mon compte l'objectif affiché par François Fillon : assainir les finances en cinq ans, tant en ce qui concerne le gouffre entre autorisations de programme et crédits de paiement que pour les dépenses de personnel.

Le Monde : L'éducation a été un des thèmes de la campagne présidentielle, mais uniquement sous l'angle du referendum, une idée que vous aviez combattue et que vous soutenez depuis que vous êtes au gouvernement. Quel est pour vous le sens de ce referendum et quelle sera la méthode retenue ?

François Bayrou : la bonne réforme est celle qui conduit au progrès et pas à ces affrontements stériles dont l'école ou l'université sortent déchirées et qui chaque fois fait reculer la question, décourageant les réformateurs les plus ambitieux et les convainquant que décidément, rien n'est possible à l'Éducation nationale. Ma conviction est qu'il convient de sortir du fantasme d'un grand soir de la réforme qui résoudrait d'un seul coup et pour toujours tous les problèmes, si mal identifiés, de l'Éducation nationale. La bonne méthode, c'est la « réforme continue » Cela impose en particulier de ne jamais hésiter à reconnaître que quelque chose ne marche pas : beaucoup de transparence, donc, d'écoute et de souci de vérité.

Le Monde : Cette « réforme continue », c'est à peu près le contraire du referendum…

François Bayrou : Les deux peuvent être conduits de front si le referendum n'est pas conçu comme un affrontement. Le Premier ministre a assuré dans son discours de politique générale qu'il voulait le consensus. En arrière-plan de la volonté de consultation populaire du Président de la République, il y a une idée vraie et profonde : la plupart des Français ont l'impression que les débats sur l'école sont organisés entre professionnels, et parfois ils n'ont pas tort. Il faut sortir de cette impression. Pardonnez-moi de rappeler que mon effort depuis plus de deux ans. C'est pourquoi je suis heureux d'avoir à organiser la grande consultation qui doit permettre à la nation de mettre ses idées et ses attentes au clair, de se donner à elle-même un bilan indiscutable.