Article de M. Alain Madelin, ministre des entreprises et du développement économique chargé des PME et du commerce et de l'artisanat, dans "Le Figaro" le 28 avril 1995, sur la critique du programme économique de Lionel Jospin, candidat du PS à l'élection présidentielle, intitulé "Alain Madelin : le projet Jospin au crible".

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  • Alain Madelin - Ministre des entreprises et du développement économique, chargé des PME et du commerce et de l'artisanat

Média : Le Figaro

Texte intégral

Première proposition : la baisse des charges sociales sur les bas salaires.

En apparence, une bonne idée, partagée par tous : il est en effet évident que certains emplois à faible valeur ajoutée sont empêchés de naître, car ils coûtent plus cher qu'ils ne rapportent.

Mais pour résoudre ce problème, les propositions de Lionel Jospin relèvent de la politique de Gribouille.

De quoi s'agit-il ? D'un abattement de 5 000 francs sur l'assiette de la cotisation patronale d'assurance maladie, financée par les salaires supérieurs et une augmentation de l'impôt sur les sociétés. Résultat : un allègement dégressif du coût du travail jusqu'à 11 200 francs de salaire net, avec un maximum de 640 francs par mois pour un smic et, au-delà de ce seuil, un accroissement des charges sociales.

Mieux vaudrait donc, dans ce cas, ne pas parler d'un "allègement des charges", mais d'un "transfert" des bas salaires vers les hauts salaires, de certaines entreprises vers d'autres. 
Une chose est sûre, ce transfert ne créera pas d'emplois nouveaux. Car aucun chef d'entreprise n'embauchera une personne en plus parce qu'elle coûte 500 ou 600 francs de moins chaque mois.

Au surplus, ce transfert comporte plusieurs effets pervers. D'abord, on disperse l'effort de baisse des charges sur l'ensemble des entreprises, sur celles qui créent des emplois et sur celles qui n'en créent aucun. En d'autres temps, les socialistes auraient dit qu'il s'agissait de cadeaux aux patrons !

Ensuite, en augmentant l'impôt sur les sociétés, à contre-courant de l'Europe, on taxe la performance et la rémunération de l'épargne investie dans la création de richesses et d'emplois.

Enfin, et c'est sans doute le plus important, ce tour de passe-passe pénalise tous les salariés à partir de 11 200 francs de salaire net. Ainsi, par exemple, les salariés qui gagnent plus de 17 000 francs nets, soit 3,3 Smic, devront supporter 15 milliards de francs de charges nouvelles.

Il s'agit là d'un matraquage fiscal et social des cadres totalement absurde. Car il faut savoir que si le travail peu qualifié est trop taxé, nous avons aussi, en ce qui concerne le travail très qualifié, un prélèvement marginal impôts plus charges sociales de 70 % qui constitue le record parmi les pays industrialisés.

Autrement dit, la proposition Jospin consiste à surtaxer encore davantage les salariés les plus performants de l'économie française, ingénieurs, chercheurs, commerciaux de haut niveau, cadres supérieurs. Il s'agit donc d'une taxe sur l'innovation, une taxe sur la recherche, une taxe sur l'exportation. En fin de compte, une taxe sur la création d'emplois.

Deuxième proposition : étendre la CSG et élargir le prélèvement des revenus des capitaux.

Il est sûr que deux septennats socialistes ont abouti à cette situation absurde que dénonce souvent Jacques Chirac : le revenu du travail est pénalisé par rapport à celui du capital. Et l'investissement dans l'entreprise, créateur de croissance et d'emplois, est pénalisé par rapport au placement financier sans risques.

Face à une telle situation les socialistes, au lieu de chercher à mieux récompenser le travail ou à favoriser l'investissement à risque, comme le propose Jacques Chirac, préfèrent lever des impôts nouveaux sur l'épargne.

Seulement, à étendre l'assiette de la CSG à tous les revenus du capital, on frappe indifféremment toutes les formes d'épargne. C'est là une mesure aveugle, qui frappe aussi l'épargne utile, créatrice d'emplois, investie dans l'entreprise. À l'inverse de ce qu'il faut.

Quant à dire que l'ensemble des revenus des capitaux doit "supporter le prélèvement libératoire de 17 %", encore faudrait-il préciser, puisque le prélèvement libératoire est aujourd'hui de 15 %, avec deux points additionnels, s'il s'agit d'une généralisation ou d'une augmentation.

Et s'il s'agit seulement d'une généralisation, encore faudrait-il dire clairement qu'elle frappera principalement l'épargne aujourd'hui exonérée, c'est-à-dire l'épargne-logement et l'assurance-vie. Sans préciser d'ailleurs si ce nouvel impôt s'appliquera rétroactivement aux contrats en cours.

À ces propositions, Lionel Jospin ajoute l'idée d'une taxe de "un pour mille" frappant les mouvements financiers dits spéculatifs.

Là encore, la proposition manque de sérieux. Peut-on instituer une telle taxe tout seul ? À l'évidence non, ce serait pénaliser la France en dissuadant les capitaux de s'y investir.

Peut-on le faire avec d'autres ? Pas davantage, car la plupart des pays sont hostiles et souvent pour des raisons de fond qui tiennent à la nature des marchés financiers mondiaux et à l'impossibilité de distinguer dans les mouvements de capitaux ce qui relève de la spéculation.

Hans Tietmeyer estimait d'ailleurs récemment qu'elle aurait probablement l'effet inverse de celui recherché. Ceci n'est pas sérieux.

Troisième proposition : l'arrêt des privatisations.

Là encore, la proposition de M. Jospin manque de sérieux. Autrefois, quand les socialistes défendaient les nationalisations, il y avait au moins un semblant de logique. Il s'agissait de monopoles, des grands services publics ou de la volonté de faire de quelques grands groupes le "fer de lance" de l'économie du pays.

Aujourd'hui, le seul critère pertinent pour déterminer ce qui relève du public ou de privé serait la date des élections.

Il est clair qu'aujourd'hui la privatisation n'est plus affaire d'idéologie, mais de bon sens.

Ce sont elles qui permettent aux entreprises de trouver sur les marchés financiers les moyens de leur développement et au bout du compte de mieux garantir l'avenir de ces entreprises et de leurs salariés et qui permettent aussi de mieux contrôler : Bull et le Crédit Lyonnais devraient servir de leçon.

Au surplus, les privatisations apportent des recettes essentielles tant pour recapitaliser d'autres entreprises publiques que pour désendetter l'État. Où M. Jospin trouvera-t-il les 50 milliards de francs annuels que les privatisations procurent à la collectivité ?

Quatrième proposition : un partage des revenus plus favorable aux salariés.

Le débat sur les salaires a été lancé par Jacques Chirac, quand celui-ci a clairement indiqué, dans son programme du 17 février, qu'il était opposé à toute idée de bloquer le pouvoir d'achat des salariés, comme le proposait alors la Commission du plan dirigée par Alain Minc.

Comme le proposait aussi à la même époque, il est bon de le rappeler, Jacques Delors lui-même. Celui-ci allait même plus loin en préconisant de geler le pouvoir d'achat des salariés pendant cinq ans pour "affecter tous les projets de productivité à la création d'emplois et à l'investissement" (L'Unité d'un homme, page 294).

Lionel Jospin a été plus sensible, sur ce point, au discours de Jacques Chirac qu'à celui de Jacques Delors et c'est tant mieux. Cependant, il se trompe toujours en prônant une hausse générale des salaires dans le cadre d'une politique globale – décidée par une conférence nationale au sommet – sans tenir compte des résultats et de la productivité des entreprises.

Cinquième proposition : la réduction de la durée légale du travail à 37 heures au 1er janvier 1997.

Il s'agit là d'une première étape, car Lionel Jospin propose d'aller ultérieurement vers les 35, les 32 et même les 30 heures. Plus fort que François Mitterrand en 1981 !

Et pour donner l'exemple, Lionel Jospin annonce qu'il commencera par la fonction publique, sans dire, bien sûr, que ceci entraînera des dépenses budgétaires supplémentaires. Sans dire non plus comment elles seront financées.

Travailler moins sans diminuer les salaires, c'est peut-être une recette électorale, ce n'est pas une recette économique.

L'expérience prouve qu'il est possible de réduire la durée du travail, entreprise par entreprise, en organisant autrement le travail afin d'améliorer la compétitivité (faire travailler davantage les machines), en développant le temps partiel et le temps choisi, comme le souhaitent de nombreux salariés. Cependant, l'expérience a prouvé aussi que toute réduction générale et autoritaire du travail est contre-productive et a des effets pervers évidents. Pour beaucoup d'entreprises, en effet, à salaires inchangés, la mesure ne peut qu'alourdir les coûts et réduire la compétitivité. Elle conduit non pas à la création mais à la destruction d'emplois.

Imagine-t-on un artisan avec deux salariés, recruter le huitième de salarié nécessaire pour compenser la réduction autoritaire de la durée du travail en produisant autant ?

Tout ceci montre à quel point les propositions de Lionel Jospin relèvent du conformisme de la pensée socialiste la plus traditionnelle. Ce qu'il nous propose, c'est de partager le travail, partager les salaires, répartir autrement les impôts et les charges, voire de les alourdir.

Ce qui oppose le projet de Jacques Chirac à celui de Lionel Jospin, ce n'est pas une différence de propositions, mais une différence de conception, sur la nature de l'économie, les conditions nécessaires à la création de richesses et d'emplois, le rôle des hommes, de leur motivation, la nécessité de récompenser le travail, le mérite et l'effort. Pour Jacques Chirac, il ne s'agit pas de partager les richesses existantes, mais de réunir les conditions permettant de multiplier les occasions de créations de richesses et d'emplois nouveaux.