Interview de M. Alain Madelin, ministre des entreprises et du développement économique chargé des PME et du commerce et de l'artisanat et vice-président du PR, à France-Inter le 25 avril 1995, sur la campagne électorale et son soutien à Jacques Chirac, candidat à l'élection présidentielle, à la veille du 2ème tour.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Alain Madelin - Ministre des entreprises et du développement économique chargé des PME et du commerce et de l'artisanat et vice-président du PR ;
  • Annette Ardisson - Journaliste

Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Vous avez fait le bon choix dès le premier tour puisque que vous avez été « le » membre du PR à choisir J. Chirac dès le départ.

A. Madelin : J'ai fait le choix de J. Chirac mais ce n'était pas un choix contre E. Balladur. J'ai veillé à ce que cette campagne soit un débat loyal entre des hommes qui ont des qualités différentes et des projets différents pour le pays. Si E. Balladur avait été en tête, tout à fait normalement je l'aurais aussitôt soutenu. Il en a été de même pour mes amis du PR qui avaient soutenu E. Balladur et qui vont faire campagne pour le rassemblement le plus large au second tour, derrière J. Chirac et son projet pour la France.

A. Ardisson : Y a-t-il encore une famille PR au sens culturel ?

A. Madelin : La réponse est oui mais sincèrement, aujourd'hui, je m'intéresse plus mon pays qu'aux problèmes de mon parti.

A. Ardisson : Ce qui veut dire ?

A. Madelin : Que très sincèrement, je n'ai pas tellement envie de parler des problèmes des appareils politiques, ce n'est pas à l'ordre du jour. Ce qui l'est c'est d'essayer de constituer autour de J. Chirac le rassemblement le plus large, le débat le plus clair, les options les plus nettes, pour faire bouger la France.

A. Ardisson : Parfois les notions d'appareils et de projets se croisent, je pense à la réflexion de C. Pasqua, hier, qui disait que pour élargir précisément son audience, J. Chirac ferait bien de songer à – il n'a pas employé le terme, c'est moi qui l'emploie – « à instiller » un peu de proportionnelle dans ses idées concernant les institutions.

A. Madelin : Je crois que J. Chirac a un projet et que les conseils de C. Pasqua sont sûrement sérieux, ils l'ont été pour E. Balladur mais nous pouvons nous en passer pour le second tour. Je dis ça sans aucune animosité. Simplement, le premier tour marque, je crois, la pertinence du diagnostic de J. Chirac sur la société française ; une société éclatée, avec des gens qui sont malheureux, pour des questions matérielles trop souvent, avec l'exclusion, qui parfois se sentent malheureux car ils ne sentent pas très bien ce que c'est que d'être Français aujourd'hui, qui aimeraient être à nouveau fiers de la France. Une partie d'entre eux s'expriment dans ce qu'on appelle le vote protestataire et c'est un peu de notre faute. C'est parce qu'ils ont le sentiment de ne pas être représentés par nous, de ne pas être bien écoutés par nous. Que faut-il faire ? Il faut mettre l'accent sur la partie du programme de J. Chirac qui apporte des réponses à ce malaise. Il y a un problème très grave : celui des banlieues. Dans le brouillard du premier tour, peut-être n'a-t-on pas réussi à parler assez de ces quartiers difficiles où il y a le choc de plusieurs pauvretés, où un certain nombre de Français ont le sentiment de ne plus être dans le quartier où ils sont nés, c'est un vrai problème. Il faut aussi davantage parler de la France. Là encore, dans le premier tour, on n'a pas pu parler de tout. Il faut montrer que le projet de J. Chirac c'est de créer un modèle français et ce que l'on aimerait faire les uns et les autres, c'est pour cela que l'on fait de la politique. C'est pour laisser derrière nous une France où l'on soit un peu plus fier d'être français.

A. Ardisson : Faut-il infléchir le discours ou le garder tel qu'il est et simplement l'approfondir ?

A. Madelin : Je crois qu'il faut l'approfondir. On ne va pas courir derrière tel ou tel électeur qui nous aurait manqué au premier tour en essayant de changer le message. Ce serait un exercice impossible puisque ça va parfois dans des directions tout à fait contradictoires. Donc je ne conseillerais pas à J. Chirac de faire cela. J'ai Je sentiment que les réponses aux problèmes que se sont posés les Français et notamment à l'occasion du premier tour, sont dans le discours et le message de J. Chirac. Cela étant, le premier tour c'est assez cacophonique et il y a beaucoup de choses qui ne sont pas apparues nettement. Donc dans le brouillard du premier tour dissipé, dans le dualisme du second tour, je crois que les deux messages vont apparaître plus clairement.

A. Ardisson : S'agissant du vote protestataire, à 15 et quelques % on ne peut plus dire que le vote Le Pen est un vote protestataire peut-être ? Faut-il donc le prendre en compte ?

A. Madelin : Quand je dis vote protestataire, c'est dire qu'il y a des votes qui sont des votes pour des solutions de gouvernement. Je ne pense pas que les solutions de J.-M. Le Pen soient de telles solutions. Ce sont des solutions de tempéraments, de réactions. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas les prendre en compte mais ça veut dire que ça ne fait pas une politique de gouvernement, il y a un minimum de réalisme à un moment donné, et cela n'est pas dans ces propositions. Je note sur les problèmes de l'immigration qu'il y a eu quand même un progrès qui a été fait. Je crois qu'il y a u n consensus beaucoup plus large sur une action forte en faveur de l'intégration.

A. Ardisson : On a très peu parlé de politique étrangère lors du premier tour. Il y a eu des tentatives de la part des candidats, en matière européenne, internationale, mais ça n'a pas mordu.

A. Madelin : Ça prouve qu'il y a peut-être un assez grand consensus en matière de politique étrangère. Je crois qu'il y a beaucoup de choses qui sont un dénominateur commun, beaucoup de formations politiques et c'est bien, dans une démocratie, que tout ne soit pas affrontement.

A. Ardisson : Est-ce que pour élargir son audience, J. Chirac ne va pas être tenté, encore une fois, d'infléchir son discours européen ?

A. Madelin : Il me semble qu'il n'y a pas de discours européen plus rassembleur que celui de J. Chirac : réconcilier les Français avec l'Europe, les réconcilier sur l'Europe. Prenez l'exemple d'une question qui me tient très à cœur car je suis très européen et très partisan d'aller de l'avant dans la construction européenne : l'affaire de la monnaie européenne. Quand J. Chirac dit que l'on ne pourrait pas sans doute tenir l'échéance de 1997, ça ne dépend pas seulement de nous mais des autres partenaires européens, ce n'est pas réaliste. Essayons de tenir l'échéance de 99 je note que les plus européens, à gauche comme à droite, J. Delors, V. Giscard d'Estaing, ont dit : finalement J. Chirac a raison. Donc s'il y a bien un message, aujourd'hui, qui rassemble sur l'Europe et un bon discours qui correspond au dénominateur commun pour nous les Français, c'est bien le discours de J. Chirac. Donc ça ne sera pas à mon avis un sujet d'affrontement et je m'en réjouis. Cela prouve que J. Chirac aura gagné, en réconciliant les Français avec l'Europe, sur l'Europe.

A. Ardisson : Y a-t-il une différence entre les chiraquiens de la première heure et ceux de la deuxième ?

A. Madelin : Il est évident qu'un rassemblement, c'est un rassemblement de tout le monde, donc pas de chiraquiens de la première ni de la deuxième heure. Simplement, pour la conduite des affaires de la France, il faut, sans distinction, faire en sorte que les gens soient unis dans la même volonté de réformes pour faire bouger la France.