Texte intégral
M. Cotta : Il n'y a pas eu de scission à l'UDF, hier, mais il n'y a pas eu de rénovation ?
C. Millon : On ne va pas rénover le lendemain d'une campagne électorale et d'une élection. On a simplement pris acte de la nécessité, dans la majorité présidentielle, des deux piliers souhaitables. Un pilier RPR, on le connaît et il est dirigé actuellement par A. Juppé comme président intérimaire. Et un pilier UDF qui, il est vrai, devra se rénover pendant les semaines et les mois qui viennent. Il faut que l'UDF quitte cette structure confédérale pour une structure de véritable formation c'est-à-dire unitaire.
M. Cotta : Le meilleur moyen pour le faire n'était-il pas dans la suite de l'arrivée du nouveau Président ?
C. Millon : On peut le faire avant la fin du mois de juin ou avant la fin du mois de juillet.
M. Cotta : Vous attendez les municipales avant de rénover quoi que ce soit ?
C. Millon : Pour le moment, on en est à la satisfaction de la victoire, à voir quelles sont les premières initiatives du président de la République, à la rentrée parlementaire. Ensuite, il y aura une réflexion de fond sur nos structures partisanes.
M. Cotta : Vous aviez opté être le candidat de l'UDF, ensuite pour vous rallier à J. Chirac. Vous sentez-vous moins seul ? Avez-vous été entouré de la chaude sollicitude de vos amis ?
C. Millon : Il y a eu, après le premier tour, un second tour qui a rassemblé toute la majorité parlementaire et même au-delà. Il est bien évident aujourd'hui, il est plus facile d'avoir d‘abord défendu la candidature UDF et ensuite celle de J. Chirac que de ne pas l'avoir fait.
M. Cotta : Que serait-il arrivé si J. Chirac n'avait pas été élu ?
C. Millon : Je ne sais pas. Certains m'avaient promis l'enfer. Maintenant, je suis au paradis.
M. Cotta : Est-ce que V. Giscard d'Estaing a repris en mains l'UDF ?
C. Millon : V. Giscard d'Estaing a simplement affirmé d'une manière claire que l'UDF était une formation politique en gestation, qu'il était actuellement imprudent de la déstabiliser ou de la fragiliser. À côté du RPR, il est nécessaire qu'il y ait une grande force de centre, centre-droit. J'ose espérer que les petites ambitions qui ont trop souvent embarrassé l'UDF cesseront totalement et que l'on pourra construire cette grande CDU, ou cette force politique du type parti populaire européen dont la France a besoin.
M. Cotta : F. Bayrou avait développé le projet de faire une grande union centriste à côté de l'UDF ; qu'est-ce qu'il en reste ?
C. Millon : Il y a deux thèses. Il y a celle de V. Giscard d'Estaing, que je fais mienne, qui dit, il existe l'UDF, organisons-la et nous aurons à côté du RPR une formation libérale sociale européenne. Il y a la thèse de F. Bayrou qui dit, faisons grossir le CDS et le CDS sera cette force-là. Il vaut mieux s'incliner devant la réalité : l'UDF est là, elle est là. On ne va pas, chaque année, chaque mois, recommencer à réfléchir à de nouvelles structures, à de nouvelles méthodes, de nouvelles approches. C'est pourquoi je crois que hier, V. Giscard d'Estaing a eu raison, d'une matière calme et sereine, de rappeler qu'à côté du RPR, il était nécessaire d'avoir l'UDF, et que l'UDF devait prendre toute sa place dans l'œuvre de redressement de notre pays que va provoquer l'élection de J. Chirac.
M. Cotta : A. Madelin, rallié à J. Chirac de la première heure, ne va-t-il pas contester la suprématie du F. Léotard dont on pense qu'il souhaite être président du PR ?
C. Millon : Le PR a décidé de reporter le renouvellement de ses instances après les élections municipales. Mais ce qui est important aujourd'hui dans la majorité, c'est certainement ce qui se passe à l'UDF et entre ses composantes. Je ne dis pas que ce qui se passe au PR est second, mais je suis sûr que ça aura moins de répercussions que la nouvelle réflexion qu'un certain nombre de députés sont en train de mener pour permettre à l'UDF d'être cette grande force d'équilibre et de proposition dans la majorité.
M. Cotta : Que devient le groupe UDF si vous êtes appelé au gouvernement ?
C. Millon : D'abord, le groupe UDF, aujourd'hui, reste le groupe UDF. Non seulement la plupart mais la totalité des composantes souhaite que le groupe soit uni. C'est quand même une innovation. On a connu le contraire il y a un an. Aujourd'hui, après l'élection présidentielle, il n'y a pas une composante qui cherche à faire un groupe autonome. Donc il y aura, à côté du groupe RPR, un groupe UDF qui va rester uni. Aujourd'hui, j'en suis le président. Je ne sais ce que me réserve l'avenir. À ce moment-là, le groupe décidera de choisir un autre président, si tant est que j'ai une autre destinée.
M. Cotta : Lorsque H. De Charrette réclame la parité pour le futur gouvernement entre ministres RPR et ministres UDF, est-ce que vous ne trouvez pas que ça manque un peu d'envergure pour un grand dessein ?
C. Millon : Le problème, ce n'est pas le calcul de la parité. Il faut avoir une majorité équilibrée, c'est-à-dire qu'il ne faut pas qu'il y ait une formation ou un groupe qui domine J. Chirac l'a confirmé tout au long de sa campagne, il veut un État impartial, il veut un équilibre dans la majorité, il veut le respect de l'autre. Je suis convaincu que dans sa démarche, que ce soit pour animer le pays, que ce soit pour les nominations, il respectera cette approche.
M. Cotta : Est-ce que vous envisagez une ouverture, tout de même ?
C. Millon : La principale ouverture, c'est l'ouverture au niveau des idées. Je crois que J. Chirac l'a faite. Il a fait une ouverture assez extraordinaire puisque même certaines personnes lui ont dit qu'on ne voyait plus le clivage droite-gauche. C'est vrai. Il a fait une ouverture vers la rénovation de la République. Je suis à peu près convaincu que, demain, grâce à un certain nombre de mesures, on verra l'ouverture non pas se faire à partir d'états-majors, de ralliements, mais à travers l'électorat qui viendra soutenir l'action du nouveau gouvernement mis en place.
M. Cotta : Dans les premières mesures annoncées sur le chômage, pensez-vous qu'il y aura l'essentiel de ce qu'avait préconisé V. Giscard d'Estaing, à savoir la baisse des charges sociales pour les bas salaires ?
C. Millon : Je pense que J. Chirac demandera au gouvernement de mettre en œuvre le contrat initiative-emploi qui s'inspire à 80 % des propositions de V. Giscard d'Estaing.
M. Cotta : Et les 20 % restants ?
C. Millon : Il y avait deux méthodes. Celle de V. Giscard d'Estaing était massive et simple. Il y avait celle de J. Chirac. Je crois qu'il a pris un engagement qui est le premier engagement de sa campagne électorale, il l'a d'ailleurs rappelé dans son discours de remerciement. Je suis à peu près persuadé que, avant la fin du mois de juin, ce contrat initiative-emploi pourra être mis en place quand la législation aura été votée.
Lundi 15 mai 1995
Europe 1
F.-O. Giesbert : Il y a une affaire Alphandéry : la presse ce matin relate une lettre confidentielle adressée il y a plus d'1 an par le ministre de l'Économie à E. Balladur. Dans ce texte, E. Alphandéry tirait la sonnette d'alarme : la dette de l'État va passer disait-il "de 2 000 milliards en 1993 à près de 3 000 milliards fin 1994" c'est fait. Ça vous inquiète ?
C. Millon : Bien sûr et c'est l'une des grandes préoccupations du futur gouvernement. Il va falloir en réalité rembourser les dettes pour donner une marge d'action au gouvernement s'il veut agir dans le domaine de l'emploi, dans le domaine de la lutte contre l'exclusion. Cette montée de la dette exceptionnelle, on le constate, on l'a constaté depuis 1981, aura sans doute été la caractéristique de ces deux septennats socialistes. C'est-à-dire qu'on a en fait géré la France à crédit. Géré la France avec parcimonie, intelligence et en tenant compte de l'épargne des Français.
F.-O. Giesbert : Ça s'est accéléré ces dernières années ?
C. Millon : Non, ça s'est continué. La seule question qui se pose c'est de savoir maintenant comment la rembourser, la diminuer. Chirac a fait des propositions très claires.
F.-O. Giesbert : En se serrant la ceinture…
C. Millon : Non pas tout de suite, pas encore. Chirac a fait des propositions très claires pendant sa campagne. Il souhaite qu'il y ait la chasse aux dépenses inutiles, au gaspillage et c'est pourquoi il se tournera vers le Parlement, vers l'Assemblée et le Sénat, pour qu'il y ait un audit des dépenses publiques. À partir de ce moment-là chaque ministère, chaque administration, s'engage dans des économies qui sont des économies importantes pour rétablir les finances de la France.
F.-O. Giesbert : Ne croyez-vous pas que le nouveau gouvernement devrait mettre sur pied une commission du bilan pour faire un état des lieux après deux ans de gouvernement Balladur ?
C. Millon : Je ne suis pas très favorable au développent de ces commissions, de ces experts, de ces comités, de toutes sortes et de tous genres.
F.-O. Giesbert : On y voit plus clair.
C. Millon : Oui mais il existe en fait des instances démocratiques qui sont l'Assemblée nationale, le Sénat, des commission parlementaires comme la commission des Finances et je souhaite effectivement, comme l'a confirmé hier P. Séguin, c'est que les commissions de l'Assemblée se saisissent du budget de l'État, révisent ce qu'on appelle "les services votés", ces dépenses qu'on renouvelle chaque année sans même en discuter, voient celles qu'on peut éliminer et celles qu'on peut diminuer. À partir de ce moment-là, les représentants du peuple feront leur travail.
F.-O. Giesbert : Au plan des grands équilibres économiques la rigueur s'impose mais croyez-vous qu'elle soit possible avec la poussée de fièvre sociale qu'on constate depuis plusieurs mois ?
C. Millon : Je n'aime pas que l'on construise des phénomènes artificiels. Il est évident qu'avec le débat présidentiel s'est posé le problème de la croissance, de l'augmentation des salaires, de la compatibilité entre augmentation des salaires et lutte contre le chômage. On a vu se développer une théorie complétement abracadabrante comme quoi il fallait choisir entre les salaires et la lutte contre le chômage. On oubliait du reste complétement de parler des intérêts des capitaux, du financement des capitalistes et c'était étonnant de voir qu'on enfermait le débat dans un choix qui paraît totalement manichéen. Je suis persuadé que l'on pourra avoir des augmentations de salaires et de revenus dans les entreprises qui ont dégagé de la compétitivité mais ça se verra entreprise par entreprise, secteur par secteur. D'autres, par contre, attendront parce que leur période de redressement ne sera pas terminée mais qu'il ne faut pas dès le départ désespérer les Français en leur disant qu'on va se serrer la ceinture, qu'on va augmenter les impôts, qu'on va baisser leur consommation. C'est faux ! Il faut à mon avis changer de méthode plutôt que de toujours trouver des méthodes drastiques qui, finalement, désespèrent les entrepreneurs.
F.-O. Giesbert : Hier sur France 2, V. Giscard d'Estaing a prôné "l'urgence et l'audace". Quelles sont les mesures prioritaires que devra prendre le prochain gouvernement, dont vous ferez vraisemblablement partie ?
C. Millon : Première mesure : lutte contre le chômage pour pouvoir lutter contre l'exclusion et redonner une espérance à la jeunesse. Cette lutte contre le chômage passe, évidemment, par une baisse des charges sociales notamment sur les bas salaires. Il faut qu'avant le 14 juillet, soit engagée pratiquement la mise en place du contrat initiative-emploi qui est inscrit en lettres d'or dans le programme de J. Chirac et qui prévoit la baisse, voire la suppression des charges sociales pour les chômeurs de longue durée car c'est devenu un impératif national.
F.-O. Giesbert : Giscard, toujours lui, hier, a déclaré que "la France devait donner une impulsion européenne lors du Sommet européen de Cannes fin juin". Vous êtes d'accord ?
C. Millon : Oui, je crois que la France doit retrouver toute sa place. Lorsqu'on regarde les septennats de F. Mitterrand, on voit peu à peu, dans la construction européenne, la France est effacée. On a eu droit à de très beaux discours, je ne dis pas qu'ils l'étaient sur le fond mais sous l'angle de la forme. Mitterrand a toujours été, dans ses intentions, très européen. Il n'empêche que la construction européenne n'a pas été menée, portée par la France. Aujourd'hui, il convient de relancer la construction européenne, à partir du couple franco-allemand. Toute la Conférence inter-gouvernementale de 96 qui doit prévoir l'évolution des institutions, devra être portée et animée par l'Allemagne et la France. Il faut mettre en place une Europe-espace, la grande Europe, et puis une Europe-puissance, le noyau, pour que la France et l'Allemagne puissent tirer ce continent vers le haut en lui permettant de rayonner à partir des valeurs qui ont toujours fait son prestige.
F.-O. Giesbert : Vous avez l'impression que le RPR sera d'accord ?
C. Millon : Une campagne électorale a au moins un intérêt : expliciter les intentions de chacun. Or J. Chirac a été très clair sur l'angle européen. Il s'est exprimé je crois le 15 ou le 16 mars, il a fait un très grand, très beau discours. Il veut réconcilier les Français par et pour l'Europe. Je crois donc aux engagements qu'il a pris.
F.-O. Giesbert : Après-demain Mitterrand va quitter l'Élysée comment jugez-vous son bilan ?
C. Millon : Sous l'angle négatif, je suis même un peu préoccupé car on voit qu'il va quitter la politique après en avoir jeté le discrédit par le développement des affaires, de la corruption, perte de la morale publique. Deuxième critique : c'est la dette publique, j'y ai fait référence. La troisième, c'est la montée du chômage, de l'exclusion et le développement de la fracture sociale.
F.-O. Giesbert : Un petit compliment quand même ?
C. Millon : D'avoir habitué les Français, c'est très important, à une démocratie paisible et apaisée, en faisant rentrer l'alternance dans les mœurs politiques.
F.-O. Giesbert : En souriant, comme au Parc des Princes ?
C. Millon : Ce n'est pas une question de sourire, aujourd'hui on n'est pas choqué qu'il y ait à une élection une alternance.
F.-O. Giesbert : Et des sourires entre le Président élu et le Président sortant ?
C. Millon : Heureusement, ce sont des hommes comme les autres.