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Cela ne peut plus durer ! La crise est là, il faut faire face. Le moment s'y prête, d'ailleurs : les Français sont sur le point d'élire un nouveau président de la République ; la responsabilité d'agir (vite et fort) lui revient.
Qui plus est, jusqu'en juillet, la France est présidente de l'Union européenne. En juin prochain, elle accueillera les chefs d'État et de gouvernement au conseil européen de Cannes. C'est là, à Cannes, qu'il faudra trancher le problème monétaire, remédier à ses conséquences.
Beaucoup de politiques feignent de l'ignorer – campagne électorale oblige –, mais c'est un fait : l'Europe est en pleine crise. Jugeons plutôt : sur les quinze pays membres de l'Union européenne, un tiers ne participent pas aux mécanismes de stabilisation des taux de change, les systèmes monétaires européen (SME). Et pour les dix autres, le SME tolère désormais des fluctuations de + 15 % et - 15 % autant dire, plus l'infini et moins l'infini !
Résultat : depuis que le SME s'est révélé épileptique il y a trois ans, les dépréciations des monnaies européennes face au franc français vont de 15 % pour l'escudo portugais, à 35 % pour la lire italienne. Du jamais vu depuis la création du SME.
L'Europe est en crise. Le futur président doit reprendre la situation en main. Les agriculteurs, inquiets, attendent
Cette crise monétaire a des répercussions économiques et commerciales gravissimes. Premières victimes : les petites entreprises, incapables de se protéger des fluctuations monétaires. Parmi celles-ci, les entreprises agricoles, bien sûr : pour un agriculteur, pas moyen de se prémunir en délocalisant sa production, avec deux usines en Espagne, une autre en Italie… Nos concurrents aux monnaies faibles tirent les cours à la baisse ; les prix chutent. À moins de consentir des baisses de prix de 15, 20 %, impossible de vendre. La viande bovine ? 15 % de baisse depuis l'an dernier. Et ainsi de suite pour les légumes, les fruits, le vin, l'horticulture, les autres viandes…
Pas besoin d'aller chercher ailleurs la raison du mécontentement agricole et des manifestations qui vont agrémenter les semaines à venir : tout est là, dans les soubresauts monétaires.
Quelle est la réaction des responsables politiques ? Ils détournent le regard, ni plus ni moins. Pourquoi ? Par crainte de voir remis en cause l'Union monétaire et le traité de Maastricht. C'est que l'Union monétaire est censée avancer dans la bonne voie ; pas question de dire le contraire ! Sans compter que, pour aller au fond des choses, il faudrait défier le dollar…
Mais on ne peut pas non plus ne rien dire du tout, quand on est responsable politique ! Alors, une voie de sortie, une seule, nous dit-on : la monnaie unique. C'est le remède, la solution à tous les maux.
Et pourquoi pas la monnaie unique, en effet ? Nous sommes d'accord. Mais que doivent faire nos entreprises entre-temps, qui nous le dira ? C'est maintenant que les problèmes se posent : maintenant qu'il faut les résoudre. Le ciel peut attendre, dit-on. Nos entreprises, elles, n'en ont pas les moyens.
Ce n'est d'ailleurs pas la seule responsabilité urgente du futur président de la République auprès de l'Union européenne : la politique commerciale de l'Europe est en pleine dérive. Sir Leon Brittan en tête, la Commission européenne prépare frénétiquement de grands accords de libre-échange inconditionnels. Europe de l'Est, Amérique du Nord, Bassin méditerranéen, Amérique latine, Afrique du Sud, tous y passent ! Avec tous, nous commercerons librement, comme la Corrèze avec la Haute-Garonne : voilà le projet de la Commission européenne.
Ce serait le plus grand désarmement unilatéral de l'histoire économique : en face de nous, prêts à nous faire concurrence, nous trouverions, et les États-Unis, grands spécialistes des subventions "commercialement correctes", et les pays pour lesquels la protection sociale est la dernière des préoccupations. Passer des accords de libre-échange avec de tels concurrents ? Autant faire tout de suite notre deuil de notre agriculture. Et ce qui vaut pour l'agriculture vaut aussi pour une foule d'autres secteurs, qu'on se le dise.
Qui commande en Europe ? Les ministres des États membres, ou les commissaires européens ? L'autorité politique, ou la machine administrative ? Les leçons des négociations du GATT n'ont pas suffi, manifestement. Il est plus que temps que l'autorité politique reprenne les choses en main.
En conséquence de quoi il revient au futur président de la République de préparer sans plus attendre l'échéance de Cannes. Un tel sommet se prépare de longue main : nous attendons déclarations et premiers messages dès le lendemain de l'élection. Avec un sommet franco-allemand extraordinaire par exemple, pourquoi pas ?
Tout cela, dans un seul but : que le sommet de Cannes marque, pour l'Europe, la reprise en main de son destin monétaire, économique et commercial.