Interview de M. Édouard Balladur, Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle de 1995, à France 3 le 5 avril 1995, sur ses propositions en matière de réforme économique et sociale ainsi que l'action de la France à l'occasion de la présidence de l'Union européenne.

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Média : France 3

Texte intégral

M. Cavada : Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue dans "La Marche du Siècle" qui sera, d'ailleurs, la dernière consacrée aux candidats à l'élection présidentielle. Nous sommes deux semaines et demie avant le premier tour. Nous sommes trois jours avant l'ouverture de la campagne officielle. Et notre invité, ce soir, est le Premier ministre sortant, monsieur Édouard Balladur. C'est d'ailleurs davantage le candidat que le Premier ministre que nous allons recevoir. Je vous souhaite la bienvenue.

M. Balladur : Merci et bonsoir.

M. Cavada : Monsieur Balladur, vous avez vécu un premier trimestre 95 assez étonnant et assez riche en émotion. Je m'explique Il y a trois mois, vous étiez le leader. Il y a un mois, vos amis faisaient grise mine, vos sondages étaient mauvais pour vous. Et puis vous voici, depuis quelques semaines, à nouveau en train de galoper, de regagner du terrain au point d'être tantôt en deuxième place derrière Monsieur Chirac, dans les sondages actuels, tantôt au coude à coude avec monsieur Jospin. Je voudrais vous poser une question et vous demander naturellement sur ce sujet beaucoup de franchise : Vous attendiez-vous à ce que les Français, le peuple français, ceux que vous êtes allé voir sur le terrain, vous fassent payer aussi cher le baptême du feu, si je puis dire, c'est-à-dire la campagne présidentielle pour gagner le cœur de ceux qui vont voter pour vous ?

M. Balladur : Pourquoi dites-vous "payer aussi cher" ? C'est normal de se donner du mal.

M. Cavada : C'est donc qu'il faut se donner beaucoup de mal ?

M. Balladur : Il faut se donner du mal. C'est une grande chose qu'une élection présidentielle au suffrage universel. Il faut convaincre et je pense qu'il faut aussi convaincre qu'on a envie de gagner. Et, comme j'ai envie de gagner, j'essaie de convaincre que j'en ai envie.

M. Cavada : Il y a quelques semaines, vos sondages n'étaient pas bons du tout. Est-ce que cela a changé, – je suppose que vous allez me répondre que "non", mais à la façon dont vous allez le faire, cela va être intéressant –, votre mental de "vainqueur" ?

M. Balladur : Qu'appelez-vous mon "mental de vainqueur" ?

M. Cavada : C'est ce que les sportifs ont quand la partie n'est pas bonne et qu'ils jouent leur balle de match.

M. Balladur : Non, j'ai pensé que c'était parfaitement correctible et réversible et que, si ça se passait comme cela, c'est que je ne m'étais pas donné suffisamment. L'élection présidentielle est un échange. On demande leurs voix aux Françaises et aux Français…

M. Cavada : … Donc, il faut se jeter dedans.

M. Balladur : Et il faut qu'on leur donne quelque chose en retour : une part de soi-même, de sincérité, d'implication personnelle, de mobilisation personnelle plus forte. Je ne l'avais sans doute pas compris, en tout cas pas suffisamment au départ. Cela m'a servi de leçon, si je puis dire.

M. Cavada : Pourtant, vous avez assisté à beaucoup de campagnes présidentielles, Pompidou…

M. Balladur : Oui, mais ce n'était pas la mienne. Vous savez, il y a une grande différence entre spectateur et acteur et entre savoir les choses intellectuellement, abstraitement, et les vérifier concrètement pour soi-même.

M. Cavada : En 69, monsieur Balladur, vous avez fait partie des personnes qui ont conseillé Georges Pompidou dans sa campagne. Qu'avez-vous trouvé de différent entre la position de celui qui conseille et la position de celui qui est candidat ? Vous méfiez-vous de tout ce qu'on vous dit ? Voulez-vous être vous-même ? Vous jetez-vous dedans ?

M. Balladur : Je n'ai pas un tempérament méfiant, j'ai plutôt un tempérament confiant.

M. Cavada : C'est vrai, ça ?

M. Balladur : Oui, oui. En tout cas, au départ.

M. Cavada : Après, ça se détériore.

M. Balladur : En tout cas, au départ. Quand on donne un conseil, il faut toujours se dire : "Ferais-je moi-même ce que je conseille ?". Et quand on reçoit un conseil, je pense qu'il faut toujours se dire également : "Le conseil que l'on me donne, est-ce que je le donnerais moi-même ? ». Je ne sais pas si c'est un peu compliqué ce que je dis ?

M. Cavada : Non, non, pas du tout.

M. Balladur : Mais je crois que c'est assez clair.

M. Cavada : Est-ce que je vais faire ce qu'on me dit de faire ? Ou ai-je une autre vision des choses ? C'est cela.

M. Balladur : J'ai l'esprit assez indépendant, ne soyez pas inquiet.

M. Cavada : Vous n'êtes pas abreuvé de conseils qui ne soient insurmontables ?

M. Balladur : J'ai beaucoup de conseils mais je fais le tri.

M. Cavada : Monsieur Balladur, sincèrement, on suppose que vous connaissez bien la France, le pays, ses rouages, son organisation, son gouvernement, ses forces politiques. Connaissiez-vous les Français avant cette campagne ? Ou les connaissez-vous mieux maintenant ?

M. Balladur : Pas de la même manière, certainement pas. Il y a une chose très différente, c'est parler à la télévision, comme nous le faisons ce soir, et Dieu sait que c'est agréable…

M. Cavada : … La télévision ?

M. Balladur : Oui, vous parler et aller à la rencontre des Français. Ce sont deux expériences qui ont quelque chose d'incommunicable l'une avec l'autre, d'une certaine manière. Quand on parle à la télévision, on parle et on n'écoute pas en fait. Et quand on va dans des réunions dans les départements, dans les communes, on va surtout, moi, en tout cas, j'y vais surtout pour écouter, pour comprendre mieux. Il y a beaucoup de choses que j'ai beaucoup mieux comprises depuis quelques mois.

M. Cavada : En préparant cette émission, notre équipe se demandait si vous pourriez nous donner des exemples de choses que les Français vous ont apprises et que vous ignoriez, qui sont importantes, ou même d'émotions fortes que vous auriez prises en plein visage et tout à fait inattendues ? Parce que ce sont des moments uniques.

M. Balladur : J'ai été très impressionné par tout ce que j'ai vu sur le travail de toutes les associations bénévoles en matière sociale, d'aide aux handicapés, d'aide pour les malades du Sida. Cela m'a beaucoup impressionné. Le mouvement de générosité qu'il y a dans notre pays. On ne le sait pas assez, on ne le dit pas assez. On a toujours tendance à parler de l'État, de ce que doit faire l'État. Dieu sait que l'État doit faire des choses, bien entendu ! Mais ce qui me frappe le plus, c'est la mobilisation des Français sur le terrain, dans un mouvement d'entraide et de fraternité spontané, – que les départements, les communes, l'État aident, mais même quand ils n'aident pas beaucoup –, c'est cela qui m'a le plus frappé. Et cela m'a beaucoup réconforté sur l'état moral de notre pays et sur la santé morale de notre pays.

M. Cavada : Vous avez trouvé là des forces pour l'avenir de ce pays que vous ne soupçonniez pas ?

M. Balladur : Je savais que cela existait mais je ne l'avais pas constaté comme je l'ai constaté lorsque l'on va dans une association. Je suis allé dans l'Yonne voir des handicapés, des handicapés profonds, des jeunes dont on s'occupe. Les personnes qui s'en occupent sont admirables et les associations qui se sont constituées pour s'en occuper sont également admirables. Vous trouvez cela dans tous les secteurs où il y a des hommes et des femmes malheureux et qui ont besoin de l'aide des autres. C'est peut-être le sentiment le plus fort que j'ai retiré de tous mes voyages dans les régions ou dans les départements depuis deux ou trois mois. Je le savais, bien sûr, avant mais je l'ai constaté beaucoup plus cette fois.

M. Cavada : Monsieur Balladur, le scrutin dira si vous êtes au deuxième tour d'abord et si vous êtes élu ensuite. Mais est-ce que sincèrement cette campagne présidentielle n'a pas modifié la personne que vous vous êtes faite, de réserve, d'une certaine méfiance vis-à-vis de vous-même ? Vous ne vous en laissez pas compter …

M. Balladur : J'ai dit le contraire, j'ai dit que je n'étais pas méfiant. Je vous demande pardon.

M. Cavada : Oui, mais, au deuxième tour, vous m'avez fait comprendre que cela se fermait tout de suite si…

M. Balladur : … Non, pas du tout. Quand on m'en donne les motifs, c'est différent. Mais je ne suis pas instinctivement méfiant.

M. Cavada : N'avez-vous pas pris goût au terrain, là ?

M. Balladur : Oui, mais j'ai surtout compris quelque chose que je n'avais pas bien compris, c'est que l'élection présidentielle est un échange entre les candidats et les Françaises et les Français, un échange. Ils veulent les voir, ils veulent leur parler, ils veulent se faire leur opinion autrement que dans des débats un peu lointains. Il y a une sorte de désir de proximité et de rencontre, et c'est très bien ainsi, parce que c'est ça qui justifie l'élection au suffrage universel.

Autrefois, ça se passait…

M. Cavada : … Dans des cénacles fermés.

M. Balladur : Dans des cénacles fermés, c'était le Parlement ou c'était même les grands élus. Cette fois-ci, c'est autre chose. Et je crois que c'est beaucoup mieux ainsi, beaucoup mieux.

M. Cavada : Monsieur Balladur, je dirais, comme j'ai eu l'occasion de l'exposer à monsieur Jospin et à monsieur Chirac, la semaine dernière, que l'élection présidentielle, – ce n'est pas à vous que je l'apprendrai –, est une histoire au moins affective, au moins autant qu'un projet pour le pays. Je voudrais rester encore un peu sur l'histoire d'amour ou affective éventuelle entre vous et le pays. Il y a ceux qui pensent et qui écrivent que, après avoir théorisé la cohabitation en 83, vous avez songé à briguer l'Élysée probablement après 88. Puis, il y en a d'autres qui pensent, au contraire, que cette idée s'est forgée en vous petit à petit, seulement après Matignon, c'est-à-dire après 93. Permettez-moi de vous demander : quelle est la vérité ? Quand cette idée s'est-elle imposée à vous ? Pourquoi ? Et peut-être grâce à qui ?

M. Balladur : Ce n'est pas une idée que j'avais dès le départ, pas du tout.

M. Cavada : Vous voulez dire que vous ne l'aviez pas en arrivant à Matignon ?

M. Balladur : Exactement. Je n'y suis pas venu pour ça. Si j'avais eu cette idée au départ, j'aurais fait comme d'autres, je ne serais pas aillé à Matignon.

M. Cavada : Vous auriez envoyé quelqu'un ?

M. Balladur : Parce que c'est tout de même un poste fort difficile.

M. Cavada : C'est probablement le poste le plus difficile de la Nation ?

M. Balladur : C'est ce qu'on dit. Mais je n'ai jamais été encore Président de la République, je vous répondrai quand j'aurai l'expérience des deux. Ce n'est pas encore le cas. C'est une décision que j'ai prise il y a quelques mois, c'était dans le courant de l'hiver…

M. Cavada : … Pas avant ?

M. Balladur : Non, je n'avais pas décidé avant, absolument pas.

M. Cavada : Mais quand y avez-vous songé ?

M. Balladur : J'y ai songé, – nous sommes en avril –, depuis juin-juillet dernier.

M. Cavada : L'été dernier.

M. Balladur : L'été dernier. Mais ma décision n'a été prise qu'à la fin de l'année. Si je l'ai prise, c'est parce qu'il m'a semblé que, d'abord, j'avais tenu mon engagement. J'avais dit aux Français, arrivant à Matignon, que je ferais tout pour que le pays aille mieux, sans faire de promesses plus précises d'ailleurs. Et chacun le reconnaît aujourd'hui, notre pays commence à aller mieux. Il m'a semblé qu'aussi bien la vision que j'avais de l'avenir de la France et de la Société française que la méthode qui est la mienne, qui est d'associer le plus possible les Français à l'action, pour susciter l'adhésion, étaient la méthode la plus moderne et la plus adaptée. Autrement dit, ce que j'ai dans l'esprit, c'est que la France a besoin de profonds changements. Nous en avons fait déjà un certain nombre mais maintenant que la croissance est revenue, et à condition qu'on ne la casse pas, on peut aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite. Et, en même temps, il faut y associer le plus possible tous les Français. Il faut les y associer en leur parlant de la France aussi et pas uniquement, de leurs intérêts individuels mais également de leur intérêt national.

Je crois que les Français ont un très grand désir, une très grande soif de désintéressement.

M. Cavada : Vous avez commencé une sorte non pas d'autocritique mais disons que vous reconnaissez que, au début, ne serait-ce que dans l'exercice de la campagne présidentielle, vous n'aviez pas mesuré les choses. C'est difficile de sonder les cœurs et les reins mais j'ai encore besoin de savoir quelque chose. Seriez-vous capable, monsieur Balladur, de dire aux Français trois de vos qualités et trois de vos défauts ?

M. Balladur : Pour mes défauts, je préfère m'en remettre aux autres. Ils en trouveront beaucoup plus que trois d'ailleurs.

M. Cavada : D'ailleurs, abondamment tous les jours.

M. Balladur : Abondamment tous les jours. Trois de mes qualités, je ne suis pas le mieux placé. Je suis certain d'avoir beaucoup d'acharnement et de convictions, de force de conviction. C'est plutôt une qualité. Je pense que je suis également courageux. Enfin, c'est comme ça que je me vois.

M. Cavada : C'est-à-dire constant ?

M. Balladur : C'est-à-dire constant et cohérent. Cela me gêne un peu de vous dire que ça car, comme je n'ai pas voulu parler de mes défauts, parler de mes qualités déséquilibre notre dialogue. Vous devriez me parler de mes défauts…

M. Cavada : … Je vais y venir. Dans les défauts qui vous ont été reprochés dans l'exercice de votre fonction, on peut l'interpréter comme vous venez de le dire, il y a une méthode, – vous en avez fait d'ailleurs une sorte de comportement global du Gouvernement – …

M. Balladur : … Oui.

M. Cavada : Mais on vous reproche aussi, si on n'adopte pas votre phrase, on se dit : "Voilà, un chef de Gouvernement qui avance un projet, ça bute, il recule". Je ne vous l'apprends pas, vous l'avez lu 52 fois dans la presse. Êtes-vous quelqu'un d'hésitant qui recule devant l'adversité ? Au chapitre des défauts.

M. Balladur : Non, je ne suis pas hésitant, au contraire, je décide plutôt vite. Je change difficilement d'avis sauf lorsque la réalité me montre que je me suis trompé. Je me permets de vous dire que, s'agissant de reculer ou pas devant le but, nous avons obtenu des résultats que personne n'avait obtenus auparavant, et pour réduire le chômage, et pour réduire l'insécurité, et pour remédier à une série de maux de notre Société. Mais lorsqu'on s'est manifestement trompé dans l'appréciation d'une situation, il vaut mieux le reconnaître. Pourquoi l'État aurait-il toujours raison, monsieur Cavada ? Et pourquoi ceux qui gouvernent l'État ne se tromperaient-ils jamais ?

M. Cavada : l'Histoire montre que cela en est plein, d'ailleurs.

M. Balladur : Cela en est plein. Et quelle est cette idée selon laquelle la formule consacrée est "Le Pouvoir ne recule pas" ? Mais le Pouvoir, c'est fait pour les citoyens, ce n'est pas une fin en soi. Le Pouvoir, c'est d'être au service des autres. Si on s'est trompé dans l'opinion qu'on avait de ce qui était le mieux pour eux et s'ils sont d'un avis différent, va-t-on s'acharner de leur imposer ? Alors, il n'y a plus qu'à instituer la dictature, ce sera plus simple. Il ne faut jamais confondre l'entêtement et le courage. Le courage, c'est très différent de l'entêtement.

M. Cavada : Monsieur Balladur, pour terminer sur ce chapitre personnel. Rituellement, dans cette émission, voici un sondage réalisé par BVA pour Radio Monte Carlo, InfoMatin et « La Marche du Siècle", auprès de 1 026 personnes, entre le jeudi 30 mars et le samedi 1er avril. Il est divisé en deux parties. Questions posées aux Français. Quelles sont les qualités de monsieur Balladur, selon vous ? Quels sont les défauts de monsieur Balladur, selon vous ?

M. Balladur : Quels sont les instituts qui ont fait cette étude ?

M. Cavada : BVA.

M. Balladur : Ah bon !

M. Cavada : Traditionnellement pour tout le monde.

M. Balladur : Très bien.

M. Cavada : Je peux comprendre quelque chose …

M. Balladur : … Non, non, ne comprenez rien du tout ! Je vais les regarder avec beaucoup d'intérêt.

M. Cavada : Cela me permettra de vous demander un commentaire. Je le sens déjà d'ici.

M. Balladur : Non, non, pas du tout.

M. Cavada : Commentaire de Jean-Pierre Bertrand.

M. Bertrand : L'image d'Édouard Balladur.

Quand vous demandez à 1 026 personnes si Édouard Balladur est élu Président de la République, lui faites-vous confiance pour réformer la Société française en profondeur ?

53 % des personnes ainsi interrogées répondent "non" contre 44 % qui, au contraire, lui font confiance.

À la même question, la semaine dernière, Jacques Chirac recueillait 50 et 42 %.

Mais contrairement à Jacques Chirac, c'est chez les plus âgés qu'Édouard Balladur recueille le plus d'assentiment.

53 % parmi les 50-65 ans et jusqu'à plus de 65 % chez les plus de 65 ans.

Là, s'arrêtera la comparaison avec Jacques Chirac.

Défauts :

En premier lieu, les Français reprochent à Édouard Balladur d'être distant. C'est, en tout cas, le défaut qu'ils placent en tête, avec 36 %.

Suivi d'un manque de fermeté ou mollesse : 34 %.

Enfin, l'homme est sans idées nouvelles : 25 %.

À noter que l'immobilisme dont ses adversaires lui font souvent grief n'arrive qu'en dernière position.

Qualités :

C'est l'honnêteté de monsieur Balladur que les Français privilégient à 48 %.

Suivi de son expérience : 27 %.

Et, enfin, il apparaît, en troisième position, qu'Édouard Balladur inspire confiance : 25 %.

M. Cavada : Honnêteté, confiance au chapitre des qualités. Puis, au chapitres des défauts, ce que vous avez expliqué tout à l'heure. Voulez-vous un commentaire dans ce que vous avez entendu ?

M. Balladur : Non.

M. Cavada : Vous glissez ?

M. Balladur : Je ne glisse pas du tout. Je ne me vois pas comme ça, mais enfin, bon !…

M. Cavada : Il y a juste un point sur lequel je souhaiterais revenir comment se fait-il que les gens jugent que vous êtes distant ?

M. Balladur : Je ne le sais pas. C'est peut-être parce que je suis réservé …

M. Cavada : … L'éducation ?

M. Balladur : Non, peut-être timidité naturelle aussi. Je n'aime pas m'imposer.

M. Cavada : Si vous le permettez, monsieur Balladur, maintenant, entamons votre projet. On va le détailler. Et puis, dans la deuxième partie de l'émission, comment vous entendez exercer la Présidence de la République car, si vous êtes élu, vous serez le Président de l'an 2000. Votre projet d'abord : si vous êtes élu Président le 7 mai, qu'est-ce qui aura changé 7 mois plus tard ? Et qu'est-ce qui aura profondément changé dans le pays 7 ans plus tard ?

M. Balladur : Je vais être un peu long, peut-être ? …

M. Cavada : Je vous en prie, allons-y.

M. Balladur : Ce qui devra changer dans les mois qui suivront, je l'ai dit et je voudrais le répéter, il s'agit tout d'abord de l'emploi. C'est l'objectif prioritaire. Dès les premiers mois, des mesures seront prises pour abaisser davantage encore les charges sur les entreprises, notamment sur les bas salaires, et pour aider è l'emploi des chômeurs en fin de droits, qui sont ceux qui restent le plus longtemps au chômage. Vous savez que j'ai fixé un objectif, c'est que le chômage diminue d'au moins 200 000 par an pendant 5 ans, c'est-à-dire au moins d'un million pendant 5 ans.

M. Cavada : Vous avez même dit, je crois aujourd'hui, qu'il faudrait probablement aller plus loin ?

M. Balladur : Si on le peut, il le faudra. Mais je répugne à faire des promesses en la matière. Ce que je sais, c'est que si on maintient la croissance, et nous avons rétabli la croissance … quelle est la réforme la plus importante, entre nous, un pays à l'arrêt ou un pays qui se remet en marche ? Y a-t-il une autre réforme qui vaille davantage ? … si nous maintenons la croissance, nous pourrons aller plus vite. Premier point. Deuxième point, l'égalité des chances. Notre pays est un pays dans lequel les citoyens ont le sentiment d'une certaine inégalité des chances, pas "d'une certaine", d'une inégalité des chances. Et ils ont largement raison. Cela ne résulte pas uniquement du chômage, cela résulte de toute une série d'autres facteurs. Ce que je voudrais, par exemple, c'est offrir une deuxième chance à tous ceux qui ont mal démarré dans la vie, pour des raisons diverses on ne leur a pas appris la profession qu'il fallait ou cette profession s'est révélée n'avoir pas d'avenir. Je souhaiterais qu'on puisse leur offrir, avec un revenu et en restant lié à leur entreprise, une année, deux années, voire trois années de formation nouvelle et complémentaire pour leur permettre d'accéder à une nouvelle formation qui leur redonnerait une chance.

M. Cavada : Et ceci dans une limite d'âge ?

M. Balladur : Disons entre 35-45 ans. Exposé comme ça, cela a l'air simple, c'est une véritable révolution, si on le fait, qui peut changer notre Société véritablement. Car une Société dans laquelle on se dirait que "tout n'est pas joué au départ et qu'on peut, si vous me passez l'expression, se récupérer quand on n'a pas eu de chance" est une Société qui est plus humaine, plus souple et plus moderne qu'une autre. En ce qui concerne toujours l'égalité des chances, je souhaiterais également que l'on institue une aide de 60 000 francs pour tout achat de logement, premier achat de logement. Un peu comme on l'a fait pour les voitures.

M. Cavada : Jeunes couples, donc.

M. Balladur : Jeunes couples, mais le premier achat de logement. Enfin, c'est plutôt pour les jeunes. Et je souhaiterais aussi que l'on étende l'allocation parentale d'éducation dès le premier enfant pour permettre aux parents, et spécialement aux femmes, de mieux choisir entre leur vie professionnelle et leur vie familiale et personnelle. Tout cela peut se faire dans les trois premiers mois. Troisième objectif : davantage de liberté, davantage d'adhésion des Français. Je dirais "de prise de décision par les Français de ce qui les concerne eux-mêmes".

M. Cavada : Comment ça ?

M. Balladur : En étendant le champ du référendum. Il faut que les Français décident eux-mêmes directement davantage des questions essentielles et en instituant, en faveur des femmes, une règle qui prévoirait que, dans tous les scrutins de liste, les femmes devraient occuper le tiers des postes de candidats.

M. Cavada : Quand vous dites : "le tiers", ce n'est pas limitatif. Cela veut dire : "au moins, le tiers" ?

M. Balladur : Bien entendu, cela ne veut pas dire "au plus".

M. Cavada : Je reviens sur le référendum parce qu'on sent renaitre beaucoup d'envie de référendum ces dernières années. Probablement, la population est-elle assez éloignée d'un certain nombre de décisions. Sur quoi voudriez-vous un référendum et quand ?

M. Balladur : Je viens de vous le dire. Par exemple, on pourrait, dès l'automne, faire un référendum pour modifier notre Constitution, permettre que les femmes aient au moins le tiers des postes de candidats au scrutin de liste et permettre également que le référendum puisse être utilisé plus largement. Quels sujets ? Par exemple, si nous arrivons, et il faudra qu'on y arrive, à normaliser les rapports entre la Justice et le Pouvoir politique qui sont actuellement toujours empreints d'une certaine nervosité, malgré tous les efforts que nous avons faits… je vous signale que le Gouvernement que j'ai dirigé est le premier à n'être jamais intervenu dans les affaires de Justice, jamais !

M. Cavada : Tantôt, d'ailleurs, cela vous a été reproché, tantôt on ne vous a pas cru. C'est une position inconfortable.

M. Balladur : On a eu tort dans les deux cas : et de ne pas me le reprocher et de ne pas me croire. Je pense que cela peut faire l'objet, une fois qu'on aura discuté devant le Parlement, écouté, – c'est ma conception de la réforme, comme vous le savez, surtout sur des sujets aussi délicats : la présomption d'innocence, le secret de l'instruction, les garanties que l'on doit offrir à chacun, l'indépendance des juges qui est indispensable –, d'un référendum. Voilà un exemple.

M. Cavada : Sur deux points précis, monsieur le Premier ministre, je voudrais compléter l'information que vous nous apportez l'indépendance de la Justice ; ne doit-on pas aller jusqu'à couper une fois pour toute forme de lien ombilical avec le Gouvernement ? Ou, au contraire, faut-il maintenir avec l'État un minimum de lien ? Ce n'est pas le même niveau.

M. Balladur : Je crois qu'il faut maintenir avec l'État un minimum de lien. La Justice, c'est une fonction de l'État, après tout ! C'est même sa fonction la plus éminente. Que ceux qui jugent soient totalement indépendants, c'est évident, ils doivent l'être. Nous avons fait une réforme constitutionnelle pour mieux affirmer leur indépendance. Reste, – cela devient très technique tout ça –, le Parquet, c'est-à-dire ceux qui sont chargés de l'accusation. Il est normal qu'ils reçoivent des instructions, mais il faut que ces instructions figurent au dossier et qu'elles soient écrites. C'est la règle que j'ai instituée pour qu'il n'y ait pas de pression secrète et que tout se fasse au grand jour. Finalement, lorsque vous écoutez les magistrats, vous constatez qu'ils disent, eux-mêmes, dans leur très grande majorité, que, depuis deux ans, rarement ils ont exercé leur métier, leur rôle aussi librement qu'aujourd'hui.

M. Cavada : Encore un point très précis qui pourrait concerner le référendum après tout. Ce qui se passe en matière de développement de bioéthique, c'est-à-dire tout l'univers de la génétique et tout ce qui est en train de modifier considérablement, aujourd'hui, le sort des citoyens de ce pays, ne serait-ce que la procréation. Pensez-vous que cela doit faire l'objet d'un débat national, puis d'un référendum ? Débat pour comprendre, référendum pour essayer d'esquisser les limites.

M. Balladur : Il y a eu un débat à l'Assemblée, au Sénat, qui a été un débat qui a duré plusieurs années, qui a commencé quand nous étions dans l'Opposition, qui s'est terminé quand nous sommes devenus la Majorité.

M. Cavada : D'assez grande qualité…

M. Balladur : … C'est un débat de grande qualité qui a duré, je crois, en tout deux ans et qui a permis d'aboutir à un texte sur la bioéthique. Dieu sait que ce sont des problèmes très compliqués qui mettent en cause les convictions morales de chacun. Il a permis d'aboutir à un texte qui est un texte équilibré. Actuellement, il paraît donner satisfaction. Moi, je verrais plutôt le référendum comme concluant toute une procédure permettant de consacrer une étape nouvelle dans la vie du pays : Par exemple, si on va plus loin dans la décentralisation, ce que je souhaite, notamment en matière sociale, en matière d'environnement, en matière culturelle, cela pourrait donner lieu à un référendum qui permettrait aux Français, tous ensemble, de dire : "Voilà, nous voulons être plus directement et plus largement responsables de nos propres affaires". Cela pourrait être un sujet de référendum.

M. Cavada : Qu'est-ce que cela veut dire, monsieur Balladur, "aller plus loin en matière sociale" ?

M. Balladur : Pour les régions ?

M. Cavada : Oui. Décentralisation.

M. Balladur : Cela voudrait dire, par exemple, que l'on pourrait confier, en matière d'allocation dépendance un rôle plus grand aux départements. On pourrait également, à condition de leur transférer les fonds nécessaires, bien entendu, leur donner un rôle plus grand en matière de gestion du RMI, par exemple. Enfin, il y a beaucoup d'exemples dans lesquels on constate que des élus locaux qui sont les plus proches des citoyens sont finalement bien plus à même de juger les choses et de les gérer bien.

M. Cavada : D'apprécier les besoins.

M. Balladur : Absolument.

M. Cavada : Êtes-vous prêt à aller plus loin aussi en matière de décentralisation, en matière d'éducation ?

M. Balladur : Oui. D'ailleurs, c'est ce que nous avons fait, je me permets de le rappeler, en matière de formation professionnelle. Pour le reste, il faut faire attention. Il faut faire attention parce que les Français et le corps enseignant sont très attachés à l'unité de l'enseignement dans notre pays, qui est un facteur d'intégration, et ne souhaitent pas du tout qu'il y ait une politique d'enseignement par région et a fortiori par département. Ce que nous avons fait jusqu'à présent, nous avons décentralisé beaucoup en matière de construction de locaux …

M. Cavada : … De moyens.

M. Balladur : Et de moyens. On a également prévu la présence des départements ou des régions dans les conseils d'administration des universités ou des lycées. Je pense que, s'agissant des programmes, cela doit rester une compétence nationale.

M. Cavada : Nous allons faire non pas une pause mais une petite pause dans l'interview. Je vous propose justement de regarder un reportage qui touche à ceci :

En 1989, l'Éducation Nationale a créé les fameux IUFM, Institut Universitaire de Formation des Maîtres. En fait, c'est le remplacement des anciennes Écoles Normales.

La profession d'instituteur, qu'on appelle maintenant professeur des écoles, a été revalorisée, en matière de salaire, en matière de perspectives de carrière. Et elle est redevenue, depuis un ou deux ans, soudainement attractive. On peut y voir l'effet de la crise. C'est un emploi, en effet, qui est attractif, mais il y a probablement là-dedans quelque chose d'autre : le retour de la valeur "Éducation".

Le succès, en tout cas, est tel que, en 1994, sur 170 000 personnes qui voulaient s'inscrire dans les 29 IUFM, moins de la moitié ont été admis à suivre les cours en première année.

Exemple : L'IUFM de Lille. La plupart des étudiants sortent directement des universités, mais il commence à y avoir de plus en plus de personnes qui viennent de circuit, de terrain, à condition qu'elles aient acquis naturellement le niveau ou les équivalents universitaires.

Reportage

Journaliste : Plus qu'une demi-heure de cours avant le week-end, l'attention se relâche un peu. Pour réactiver la concentration, l'instituteur a autorisé les enfants à quitter leur place. L'instituteur ou plutôt le professeur des écoles, comme on l'appelle désormais.

Stagiaire, il a réussi son concours l'an dernier. Jean Gayral se retrouve, pour la première fois, seul pour faire la classe. Un véritable aboutissement pour cet homme de 31 ans, marié, deux enfants, qui a dû attendre longtemps pour vivre ces moment-là. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir eu la vocation.

M. Gayral : Pendant l'adolescence, je m'étais fixé de devenir instituteur à l'époque. Les événements familiaux que j'ai pu vivre et d'autres raisons, financières et autres, m'ont conduit à avoir un parcours un petit peu atypique, avec des expériences professionnelles avant de devenir professeur des écoles, avec des études qui ne correspondaient pas à un cursus rapide.

Journaliste : Mais toujours avec cet objectif …

M. Gayal : Toujours avec le même objectif, même si j'ai dû patienter pour atteindre cet objectif.

Journaliste : Insatisfait par son passage à la SNCF, Jean n'a pas pris goût non plus à la gendarmerie qu'il avait incorporée par idéalisme. Il a donc repris des études, obtenu une licence, indispensable pour être admis à l'IUFM, l'Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Lille.

La classe du professeur de géographie est studieuse, aucun risque de dissipation. Ces élèves ont choisi de retourner à l'école. Ils sont tous en 1re année préparatoire à l'IUFM de Lille. Dans moins de deux mois, ils passeront le concours de professeur des écoles.

Pour la grande majorité, ce sont des jeunes étudiants arrivés ici juste après leur bac et leur licence. Mais il y a aussi, parmi eux, des étudiants plus âgés, 10 % environ, déjà riches d'une expérience professionnelle. Mais c'est bien grâce à leurs études passées qu'ils ont été admis à l'Institut.

M. Soufflet : Il y en a de plus en plus par rapport à ce que nous connaissions auparavant. Des gens généralement plus âgés que les autres, qui ont été ingénieurs, qui ont été commerciaux, qui ont fait des études dans des écoles de commerce, qui ont été infirmières, qui ont été assistantes sociales. Beaucoup de gens qui ont été éducateurs de rue aussi, qui veulent peut-être un peu plus de stabilité dans leur profession. Bref, des gens qui veulent améliorer leur vie quotidienne.

Journaliste : 8 500 francs net par mois pour commencer. La sécurité de l'emploi, les vacances scolaires. Pas plus que les autres, Yves Lefalher ne fait pas la fine bouche sur les avantages d'un professeur des écoles. Mais si ce père de trois enfants a quitté son emploi de biologiste, c'est surtout parce qu'il croit en la profession de maître d'école, essentielle, selon lui, pour bien préparer les enfants.

M. Lefalher : La formation que je reçois ici, le contact dans les classes me permettront de transmettre, bien sûr, un certain nombre de connaissances mais surtout de transmettre des outils aux enfants pour qu'ils puissent avoir une démarche qui les amène vers une certaine autonomie, qu'ils arrivent à faire ce qu'ils veulent par leur propre démarche, par des outils qu'on leur aura transmis, pas seulement des connaissances. C'est cela qui m'intéresse dans le métier d'enseignant.

Journaliste : À l'heure de la pause, la cafétéria est pleine. De plus en plus d'étudiants veulent eux aussi devenir professeur des écoles.

En 1989, la profession a été revalorisée. Les IUFM ont remplacé les Écoles Normales et les maîtres ont désormais le même salaire d'entrée dans la carrière que les professeurs du secondaire. La profession de maître est donc devenue plus attirante et les Instituts de formation ont ainsi élargi leur champ de recrutement parmi les universitaires.

Mme Pechillon : Il y avait toute une population qui passait des licences, par exemple, de biologie, de mathématiques, de droit ou de sciences de l'éducation, qu'on ne voyait pas apparaître dans le profil des instituteurs des anciennes Écoles Normales. Choix plus tardif, plus ouvert sur une base de licence, avec un concours de recrutement qui amène une revalorisation du métier, une appétence et un public beaucoup plus ouvert.

Journaliste : Un concours draconien et difficile. Car, aujourd'hui, victime de son succès, l'Institut de Formation de Lille sélectionne. Il y a un numerus clausus, 530 postes d'enseignants sont à pourvoir mais ils sont 1 426 candidats en 1re année.

Séduite par la mise en valeur du métier de professeur des écoles, Corinne Peugnet, licenciée d'Histoire, était convaincue d'y trouver sa place. Aujourd'hui, comme les autres étudiants de la classe préparatoire, elle s'étonne et s'inquiète qu'on limite le nombre de postes à pourvoir.

Mlle Peugnet : Depuis que je suis à la Fac, cela fait au moins 4 ans, on me dit : "C'est un métier ouvert, il manque des gens. Allez-y, on attend que vous, vous et votre motivation, votre intérêt". On s'investit et puis, paf, on nous claque la porte au nez.

Journaliste : l'attrait pour le métier de professeur des écoles est si grand que d'autres candidats n'ont même pas pu accéder à la première année, faute de places sur les bancs de l'IUFM. Du coup, dans la région lilloise, ils seront 2 500, comme Virginie Debout, à préparer le concours en candidat libre. Elle a pourtant le niveau, une licence d'espagnol qui aurait dû lui ouvrir les portes de l'année de préparation.

Chaque samedi matin, Virginie s'entraîne au lancer du disque, car elle sait que son avenir passe aussi par là. Au concours, il faut faire 22 mètres pour avoir la moyenne. Pour l'instant, elle ne lance qu'à 18 mètres.

Mlle Debout : Cela fait partie de la sélection. Il faut être bon en sport.

Journaliste : Le 31 mai prochain, jour du concours, la perte du moindre point risque de coûter cher aux candidats. Il y avait une profession délaissée, il y a aujourd'hui trop de candidats. Cela va, à coup sûr, briser plus d'une vocation.

M. Cavada : La remontée de la valeur éducative dans la République, monsieur Balladur, vous surprend-t-elle ?

M. Balladur : Non, et elle me réjouit. Il n'y a rien de plus important. La France n'est pas un pays qui a d'immenses ressources naturelles, une très belle agriculture, grâce, d'ailleurs, au travail des agriculteurs, mais notre seule richesse, ce sont les hommes et les femmes, ce sont les jeunes, l'avenir. C'est pourquoi je considère que l'on doit faire, beaucoup plus encore, pour le développement de la formation. Nous avons 2 millions d'étudiants, nous allons en avoir 2,5 millions d'ici la fin du siècle, cela voudra dire des locaux, des professeurs. Cela voudra dire des techniques nouvelles, des créations d'instituts, d'écoles. Mais cela veut dire surtout que l'effort de formation de la jeunesse est vraiment prioritaire, c'est la richesse et c'est l'avenir de notre pays. C'est la raison pour laquelle je propose que l'on fasse une loi de programmation pour le développement de l'enseignement supérieur, pour faire face. Il ne faut pas se plaindre, dire : il y a trop d'étudiants. Il faut bien les aider pour qu'ils s'orientent vers les métiers de l'avenir, mais, à partir de là, il n'y en a pas trop.

M. Cavada : Qu'est-ce que cela vous inspire, en ce moment, par exemple, les mouvements dans certaines universités, tout cela parce qu'au fond il n'y a pas assez de locaux ou pas forcément assez de postes de professeurs d'université, alors que s'il y a un chiffre qui était quand même prévisible depuis plusieurs années, 8, 10, 12, 15 ans parfois, c'est bien celui de l'arrivée dans les universités des enfants qui sont nés ? Qu'est-ce que cela vous inspire ?

M. Balladur : C'est un effort que nous devrons faire pendant de longues années encore. C'est d'ailleurs un effort de répartition parce qu'il y a des universités où les choses vont bien et d'autres où elles vont moins bien dans des régions ou dans des départements, dans des communes où la création est plus récente et où il y a un afflux d'étudiants. C'est très difficile à programmer avec précision, d'où l'intérêt de la loi de programmation que je propose pour l'Enseignement Supérieur. Je voudrais dire une chose : l'Enseignement marche beaucoup mieux dans notre pays qu'on ne le dit souvent…

M. Cavada : … On s'en aperçoit bien quand on rentre des États-Unis, par exemple !

M. Balladur : … beaucoup mieux qu'on ne le dit souvent, et il faut rentre hommage au Corps enseignant, aussi bien du primaire, que du secondaire, que du supérieur, que du technique, qui remplit son rôle dans des conditions qui sont parfois difficiles et, en tous cas, qui sont méritoires. Et puis il n'y a pas d'alternative, ou bien nous formerons bien les jeunes de notre pays, et nous resterons un grand pays dans la course, et nous aurons une Société qui sera une Société plus juste, ou bien nous ne les formerons pas bien, et l'injustice se développera et se propagera dans notre pays. C'est, finalement, l'un des deux ou trois enjeux les plus importants des années qui viennent.

M. Cavada : Comment expliquez-vous que certaines mesures de votre Gouvernement, je pense au CIP par exemple, aient provoqué ou hostilité ou méfiance d'une partie des jeunes générations. Je regardais encore, en préparant cette émission, un sondage CSP­InfoMatin d'avant-hier, d'il y a 48 heures, qui disait que 63 % des jeunes étaient encore indécis entre vous et les deux autres principaux candidats, monsieur Chirac et monsieur Jospin. Y-a-t-il eu un malentendu, qu'avez-vous à leur dire ?

M. Balladur : Je vais vous dire ce qui s'est passé. Dans cette affaire, le projet que nous avons présenté, était un projet qui permettait d'offrir des emplois à des jeunes en complétant leur travail par une formation. Et dès lors on leur disait : puisque vous allez être formés à concurrence de 20 % de votre temps, il est légitime qu'il y ait, le temps de votre formation, un abattement de 20 % sur la rémunération que l'on vous donne. Mais, il y a eu, en fait, deux lacunes ou deux erreurs : – la première, c'est que les règles du tutorat, qui étaient exercées sur les jeunes pour leur apprendre quelque chose, n'étaient pas assez précises, et les jeunes ont eu le sentiment qu'en fait on voulait les payer moins cher uniquement parce qu'ils étaient jeunes et sans les former vraiment. Et puis, deuxièmement, c'était fait pour les non diplômés à l'origine. Et cela a été, à la suite de toute une série de discussions, et parfois de demandes d'ailleurs, étendu aux diplômés. C'est pourquoi les jeunes ont eu le sentiment, et leurs parents aussi qui font des efforts pour élever leurs enfants, pour leur payer leurs études qu'on leur ferait faire des études et qu'ensuite le diplôme ne donnait pas le droit que l'on croyait qu'il donnait. Voilà la cause de ce malentendu. Cela m'a beaucoup appris cette affaire. Beaucoup. Cela m'a appris, d'abord, qu'il fallait être encore beaucoup plus précis quand l'on essaie de monter un système nouveau, et cela m'a appris également combien la sensibilité des jeunes et des familles est vive sur ce sujet. On veut bien faire des efforts, on veut bien se priver pour que ses enfants aient peut-être plus de chance que l'on a eu soi-même, mais on veut au moins qu'il y ait un résultat. Et c'est la raison pour laquelle j'ai retiré…

M. Cavada : C'est l'illustration de ce que vous disiez tout à l'heure sur votre méthode ?

M. Balladur : Mais oui ! Mais il faut du courage, vous savez !

M. Cavada : Oui. Cela ne doit pas être agréable ?

M. Balladur : Non. Ce n'est pas agréable du tout, mais je l'ai fait parce qu'il le fallait. Et nous avons remplacé cela par une autre chose qui n'a pas mal marché, c'est-à-dire une aide de 1 000 frs par mois, pendant 9 mois, à toute entreprise qui offre à un jeune, qui n'a jamais travaillé, un emploi, à condition que cet emploi soit un emploi qui dure 18 mois. Et, d'ores et déjà, on a pu recruter 80 000 jeunes comme cela, depuis à peu près un an, pour ce motif-là. Mais, il ne faut pas pour autant se décourager. Je veux dire : le problème de la formation de la jeunesse est un problème qui va être toujours au premier plan dans notre Société. Les techniques évoluent de plus en plus vite, le besoin de formation des jeunes et des moins jeunes est de plus en plus grand. Et nous devons absolument nous doter d'un moyen de formation de la jeunesse qui la satisfasse et qui lui donne le sentiment que c'est juste et que c'est équitable.

M. Cavada : Monsieur le Premier ministre, tout à l'heure en parlant des gens que vous avez découvert sur le terrain, vous avez fait allusion aux bénévoles qui aident à soigner, qui accompagnent, qui aident à vivre ceux qui sont séropositifs et qui ont le Sida. Massivement, leurs associations – vous l'avez entendu, et là aussi la plainte s'accélère parce que c'est un sujet d'interpellation fondamentale à la veille d'une Présidentielle – réclament une politique de prévention beaucoup plus massive et plus audacieuse. Avez-vous des propositions à faire ou est-ce quelque chose sur lequel vous voulez réfléchir davantage, la lutte contre le Sida ?

M. Balladur : J'ai dirigé le Gouvernement qui en a fait le plus en la matière…

Cavada : … et du travail…

M. Balladur : Un travail considérable, notamment madame Simone Veil et monsieur Douste-Blazy s'y sont consacrés. Nous avons augmenté considérablement les places d'hôpital. Nous avons institué le préservatif à 1 franc. Nous avons développé la possibilité de l'usage de seringues qui offrent un minimum de garantie. Nous avons également développé toutes les places en post-hospitalier pour ceux qui, une fois qu'ils sont soignés, peuvent être suivis dans la vie. Alors que faut-il faire à l'avenir ? D'abord, je dois vous dire que c'est un sujet qui m'angoisse d'une certaine manière.

M. Cavada : Pourquoi ?

M. Balladur : Regardez la jeunesse de notre pays : elle entre dans la vie. Les études sont difficiles. Vous avez vu le reportage. Il n'y a pas toujours toutes les places qu'on voudrait…

M. Cavada : …l'emploi n'est pas garanti…

M. Balladur : … ensuite, l'emploi n'est pas garanti. Et, voilà que, à l'âge où l'on s'éveille aux émotions de la vie et du sentiment, pèse une menace terrible, qui est une menace de mort. Comment ne pas imaginer l'état d'esprit de la jeunesse d'aujourd'hui et son angoisse. Alors, Je prends un exemple : cette affaire de préservatif à 1 franc. Un homme de ma génération, cela ne fait pas partie des choses dont il parle facilement en public. Mais il faut surmonter ce genre d'habitude, c'est absurde ! En fait, aujourd'hui, 75 % des jeunes utilisent des préservatifs et ils ont tout à fait raison. Il faudrait les utiliser encore davantage. Et je ne comprends pas que l'on puisse encore avoir une réticence. Par exemple, je serais, dussé-je choqué, je serais parfaitement d'accord pour qu'il y ait des distributeurs de préservatifs dans les lycées. Ne sauverait-on que la vie d'un seul jeune, un jeune garçon, une jeune fille, que cela en vaudrait la peine, d'un seul ! Alors, pour l'avenir, je crois que l'on peut arriver à faire en sorte que la contamination par voie de transfusion sanguine soit un risque qui devienne pratiquement quasi nul. On peut y arriver. La contamination par voie sexuelle, c'est une affaire beaucoup plus difficile qui suppose un très grand effort de prévention, d'information, de précaution. Il faut que chacun sache qu'il y a des risques.

M. Cavada : Je voudrais vous poser deux questions : vous avez laissé échapper une phrase, tout à l'heure, qui était très intéressante. Vous avez dit sur votre propre mental de père de famille, puisque vous avez trois enfants, je crois ?

M. Balladur : Quatre.

M. Cavada : Quatre, pardonnez-moi. Et je me suis demandé instinctivement en vous écoutant : mais ce père de famille parle de cela avec ses enfants puisque vous en avez qui sont jeunes, qui sont en âge de former de jeune couple. En parlez-vous entre vous ? Que vous disent-ils ?

M. Balladur : Je leur en parle quand il m'en parle. J'ai, de façon générale…

M. Cavada : … comme beaucoup de familles, j'imagine ?

M. Balladur : … oui, comme beaucoup de familles, je pense ! Et, une fois que l'on a dit quelque chose qui est, en gros, ce que je viens de vous dire, tout est dit. Et le reste, c'est affaire de responsabilité individuelle et de prise en charge personnelle, individuelle, finalement.

M. Cavada : Justement à ce sujet, le Pape Jean-Paul II vous a-t-il heurté quand, dans son Encyclique qui s'appelle "L'Évangile de la Vie" qui est paru, il y a quelques jours, le 30 mars, il qualifie de "tyrannie" – le mot est quand même surprenant – les Sociétés démocratiques qui ont légalisé ou, comme c'est le cas en France, dépénalisé l'interruption Volontaire de Grossesse, l'IVG qui, en gros, existe en France, grâce à madame Veil, depuis 1974 ?

M. Balladur : Que vous dire ? Le Pape est dans son rôle en rappelant un certain nombre de principes qui sont ceux de l'Église catholique. Moi, qui suis Chef du Gouvernement et responsable, pour encore un peu plus d'un mois, de la marche de notre Société française, je suis dans le mien en disant qu'il faut prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter un certain nombre de maux à notre Société. Pour parler clair, j'aurais été député en 1974, j'aurais voté l'Interruption Volontaire de Grossesse. Je le dis sans l'ombre d'une précaution.

M. Cavada : L'avez-vous déjà dit cela ?

M. Balladur : Non. Je ne crois pas l'avoir jamais dit, mais je l'aurais votée parce qu'il faut quand même se souvenir de ce que c'était. Il y avait des centaines de milliers d'interruptions de grossesse pratiquées chaque année…

M. Cavada : … clandestinement…

M. Balladur : … de façon clandestine et dans des conditions qui menaçaient la sécurité physique, la santé, parfois la vie …

M. Cavada : Il y a eu des morts.

M. Balladur : … des femmes. De quoi s'est-il agi ? On l'a dépénalisée. On a dit que ce n'était plus un délit que de la pratiquer, c'est tout.

M. Cavada : Et l'on y a ajouté tout un volet "contraception".

M. Balladur : … Tout un volet "contraception". On a bien fait. Cela n'a rien d'obligatoire. C'est un exercice de la liberté individuelle. Je suis catholique pratiquant, mais je l'aurais votée. Je l'aurais votée pour sauver des vies, justement. Ce qui ne veut pas dire que j'aurais recommandé à quelqu'un qui serait venu me demande conseil de faire ceci ou de faire cela. Et, en matière de conseil, dans ce domaine, vous savez, Jean-Marie Cavada, il faut être très scrupuleux. Je ne l'aurais pas du tout recommandée, mais j'aurais dit simplement : c'est l'exercice de la liberté de chacun et si c'est le moyen de sauver quelqu'un qui est dans le besoin, qui est dans la détresse, qui risque sa vie en s'adressant à quelqu'un qui n'accomplira pas cet acte comme il faut, eh bien il valait bien mieux que ce soit le Corps médical qui en ait la responsabilité officiellement.

M. Cavada : Je voudrais vous poser une autre question sur un autre sujet : monsieur Adil Jazouli qui est sociologue et qui dirige une Association qui s'appelle "Banlieuscopie", demande à l'État d'engager une sorte de Plan Marshall, c'est son expression, cela veut dire un investissement massif pour les banlieues, c'est-à-dire y investir massivement sur – dit-il – une dizaine d'années.

Il propose que ce Plan prenne la forme d'une loi de programmation, dans un premier temps, sur 5 ans, renouvelable une deuxième fois éventuellement. Cette idée vous intéresse-t-elle ?

M. Balladur : Tout à fait. Je rappelle que nous avons doublé les crédits de la politique de la Ville, et nous avons doublé le nombre des contrats de Ville, d'ores et déjà. De quoi s'agit-il ? La politique de la Ville, vous savez, c'est le résumé de tous les maux de notre Société : pas de logement, pas de formation, pas d'emploi, pas de sécurité, parfois des communautés culturelles qui ont du mal à vivre les unes avec les autres. Tous les maux de notre Société y sont résumés. Nous avons entrepris un effort considérable en doublant les crédits, et, notamment, en prévoyant des aides et des primes aux fonctionnaires qui vont dans ces quartiers difficiles, notamment les membres du Corps enseignant…

M. Cavada : … pour y obtenir les plus méritoires et non pas les jeunes débutants, c'était bien cela l'idée ?

M. Balladur : Oui. Et, notamment les membres du Corps enseignant ou les membres des Forces de Police qui ont un métier très difficile dans ces quartiers. C'est un effort qu'il faut développer considérablement, mais c'est un effort je dirai pour une génération. Ce sera un effort de très longue haleine et qui demandera beaucoup de continuité, beaucoup de volonté, parce que l'objectif quel est-il ? L'objectif, c'est l'intégration, c'est-à-dire que tout le monde adhère aux lois de la République et aux valeurs de la République.

M. Cavada : Madame Geneviève Antonioz-de Gaulle qui préside l'Association ATD Quart Monde…

M. Balladur : … Oui, oui, je la connais …

M. Cavada : … que vous connaissez, qui s'occupe de la grande pauvreté, a demandé, a "interpellé", si je puis utiliser cette expression s'agissant de cette dame tout à fait remarquable, les candidats à la Présidentielle pour savoir s'ils étaient d'accord de faire de la lutte contre la pauvreté une priorité nationale. Et le 22 mars, vous avez annoncé votre intention de faire voter, si vous étiez élu, une loi d'ensemble de lutte contre l'exclusion. Qu'y aurait-il dans cette loi ?

M. Balladur : De lutte contre l'exclusion ?

M. Cavada : Oui.

M. Balladur : Oh, il y aurait toute une série de dispositifs concernant à la fois le logement, la formation, l'aide sociale, la réintégration dans l'emploi. Il y a une chose qui me frappe beaucoup. Je connais madame de Gaulle­-Antonioz. Je suis allé, notamment à Noisy, voir l'un des centres qu'elle anime. Lorsque quelqu'un est dans le malheur, cela commence par la perte de l'emploi. Ensuite, on a du mal à payer ses factures. On coupe l'électricité. On ne paie plus son loyer. On perd son logement. Enfin, bref, il y a une sorte de spirale où le malheur va s'aggravant sans cesse. Et, à la fin, s'agissant d'hommes et de femmes qui sont vraiment dans la détresse, ils ne savent même plus quels sont leurs droits et ils ne savent même plus à qui s'adresser. Lorsque, tout à l'heure, je rendais hommage aux associations, c'est notamment à ATD Quart Monde que je pensais, parce que voilà des associations qui remplissent un rôle admirable, elles commencent par informer. Et ce qui me frappe beaucoup, c'est le nombre de Françaises et de Français qui, finalement, ne savent pas à qui s'adresser, ne savent pas à quelle porte frapper pour qu'on les aide et qu'on les éclaire. C'est le propre d'une Société qui est une Société inhumaine, d'une certaine manière.

Et, là, ce n'est pas l'État qui peut tout régler l'État peut faire voter des lois, des aides, bien entendu… Il doit le faire. Mais, c'est la générosité de chacun qui doit y aider, c'est l'esprit de fraternité finalement. Esprit de fraternité.

M. Cavada : L'un de vos adversaires dans cette course à la Présidentielle, monsieur Chirac, disait la semaine dernière sur ce plateau qu'il pense qu'il faut simplifier, que l'État devrait simplifier le système des associations pour leur éviter d'aller quémander régulièrement de quoi vivre et faire leur action. Avez-vous, sur ce sujet, vous-même, une pensée différente ou la même ?

M. Balladur : Simplifier, oui, mais en quoi ? Je pense que chaque fois que l'on simplifie, on a raison, de façon générale.

M. Cavada : Il dit : par une sorte de contrat.

M. Balladur : Oui. Ce n'est pas une mauvaise idée. Par une sorte de contrat entre l'État et les Associations ou entre les collectivités locales et les Associations.

Mais, vous savez, le problème de notre pays, c'est qu'il y a des dons, mais il y en a davantage à l'étranger …

M. Cavada : Donc, c'est que la loi n'est pas très bien faite …

M. Balladur : …et la loi n'est pas très bien faite, notamment sur le plan des incitations fiscales à la générosité, parce que les hommes sont les hommes, ils donneront plus volontiers si cela comporte, malgré tout, une aide fiscale ou un avantage fiscal.

M. Cavada : Ce qui veut dire qu'il faut changer la loi ?

M. Balladur : J'avais fait, lorsque j'étais ministre des Finances, une loi pour aider, justement, aux dons. Elle était assez généreuse sur ce plan de l'aide fiscale aux dons, mais elle n'a pas été très bien appliquée. Il faudrait la revoir, je crois !

M. Cavada : Ou, alors, refaire de la pédagogie ?

M. Balladur : Ou, alors, refaire de la pédagogie.

M. Cavada : Tout à l'heure, j'ai prononcé le nom de monsieur Chirac, j'y viendrai tout à l'heure dans la dernière partie de cet entretien. Je voudrais savoir ce qui vous distingue de monsieur Chirac en matière de protection des assurés sociaux, en matière d'équilibre social, c'est-à-dire le domaine sur lequel vous suspectez qu'il fasse de la démagogie et il vous suspecte de ne pas en faire assez ?

M. Balladur : Vous choisirez lequel des deux soupçons est le plus mérité …

M. Cavada : … dans mon cas, il ne faut surtout pas choisir …

M. Balladur : … ou le plus méritoire.

Sur la protection sociale, les choses sont simples et claires. La protection sociale, nous l'avons trouvée en faillite en 93, EN FAILLITE, et nous l'avons sauvée. Nous avons sauvé l'Assurance-Vieillesse. Maintenant c'est la Caisse Vieillesse qui dit que c'est garanti jusque l'an 2015. Nous avons sauvé l'Assurance Chômage, et nous avons garanti les recettes de la protection familiale, reste le problème de la Maladie.

Dans tous les pays au monde, on s'en préoccupe, dans TOUS, parce que, partout, les dépenses de maladie augmentent et augmentent plus vite que la richesse nationale, mais c'est, en France, qu'elles augmentent le plus vite. Et, à terme, si on laisse les choses continuer comme cela, si sans cesse les dépenses de santé vont plus vite que l'ensemble de la richesse nationale, on doit sans cesse augmenter les impôts, les prélèvements et les cotisations. Alors, que se passe-t-il ? Vous constatez que, depuis 10 ou 15 ans, 80 % de la croissance du pouvoir d'achat des Français a été consacré à des prélèvements sociaux ou fiscaux supplémentaires pour financer les dépenses collectives.

Alors, je dis, que dire aux Français : vous pouvez continuer à dépenser, ne vous en faites pas, il y aura des recettes pour l'Assurance-Maladie, la croissance revient, cela va faire rentrer les cotisations, je dis que c'est dangereux. C'est dangereux parce qu'à terme cela menace l'Assurance-Maladie. Et qui souffrira le plus des menaces sur l'Assurance-Maladie ? Ce ne sont pas les gens aisés, ils se débrouilleront toujours avec les Compagnies d'Assurance, ce sont les gens les plus modestes.

Donc, je tiens, moi, un langage qui est un langage de responsabilité. Je dis : il faut garantir absolument les droits de chacun, mais il faut faire en sorte que l'on ne dépense pas beaucoup plus que l'on ne produit. Et nous avons, grâce au Corps Médical qui s'est associé à notre effort, et auquel je tiens à rendre hommage, mis en place une maîtrise que l'on appelle – c'est un mot technique – la maîtrise médicalisée des dépenses de médecine de ville. Reste à faire la même chose pour l'hôpital. Et je propose que l'on réunisse, aussitôt passé l'élection présidentielle, des États-Généraux de l'Hospitalisation pour, là aussi, selon la méthode qui m'est chère, consulter les médecins, les personnels soignants, les collectivités locales, les assurés sociaux, et je suis persuadé que l'on peut y arriver.

Je me suis rendu dans plusieurs hôpitaux, notamment de la Région Parisienne, et je pense que l'on peut y arriver, et que les Français seront aussi bien soignés qu'ils le sont aujourd'hui. Alors, voilà ma position.

M. Cavada : Quand on vous soupçonne donc de vouloir rationner, ne serait-ce que pour équilibrer les budgets sociaux, les dépenses de santé, que dites-vous ?

M. Balladur : Je dis que ce n'est pas un rationnement, c'est un contrôle par les médecins eux-mêmes, de ce qu'ils font eux-mêmes. Ils se fixent eux-mêmes des règles et ils les appliquent eux-mêmes. Et je dis que l'alternative, c'est d'augmenter les cotisations, c'est-à-dire développer le chômage. Il faut quand même parler clairement. Cela ne pourra pas continuer éternellement comme cela. Alors, on me dit : oui, mais ce n'est peut-être pas un langage à tenir pendant une campagne présidentielle. Écoutez, on verra bien, au résultat, quel était le langage qu'il fallait tenir et si les Français ne sont pas sensibles à un langage de responsabilité. On verra !

M. Cavada : Monsieur Balladur, il nous reste une demi-heure d'entretien, et nous avons deux sujets à aborder si vous le souhaitez.

D'abord, ce qui est la prérogative essentielle d'un Président de la République, même si ce n'est pas l'unique et loin de là, la politique extérieure au centre de laquelle il faut placer l'Europe.

Et, puis, ensuite, j'aimerais savoir quelle conception vous vous faites de l'exercice de la fonction de Président de la République, si vous êtes élu.

Alors, d'abord l'Europe : en 1988, monsieur Delors qui était Président de la Commission Européenne, a créé quelque chose dont on a parlé assez peu et qui est assez intéressant, qui s'appelle l'Unité de Coordinatiop et de Lutte Anti-Fraude – UCLAF pour simplifier – qui est un organisme rattaché directement à la Commission.

Il est composé, à ce jour, de 134 fonctionnaires des Douanes, de la Police et du Fisc, de tous les pays de l'Union. Ce service traque quoi ? La fraude sous toutes ses formes à l'intérieur de l'Union Européenne.

Reportage, puis je voudrais vous demander vos conceptions et les urgences sur l'Europe ?

Reportage

Journaliste : Francfort sur Oder, frontière germano-polonaise, la nouvelle frontière de l'espace Schengen.

Chaque jour des milliers de camions attendent sur 5 kilomètres l'entrée dans l'Union Européenne. Cet embouteillage permanent est l'illustration parfaite de ce qu'est l'Europe : un extraordinaire lieu d'échanges pour le commerce mondial.

Les transporteurs attendent parfois deux jours pour pouvoir passer la frontière, deux jours nécessaires pour les fonctionnaires européens. Il faut tout vérifier, traquer la fraude, la fausse déclaration, le faux, car l'Europe, c'est aussi un formidable réservoir de fraudes en tous genres, une tentation permanente.

La Commission Européenne a créé en 1988 un organisme spécifique de lutte contre la fraude, pour le trouver, il faut aller dans la banlieue de Bruxelles, dans cet immeuble de bureaux, dans une zone résidentielle, banale.

Et après ce SAS, derrière cette porte, les limiers de l'Europe. Pour des raisons de sécurité, il est impossible de filmer les personnes.

Siegfried Reinke, lui, peut être filmer normalement. C'est le n° 2 de ce groupe un peu particulier au sein de la Commission Européenne, l'Unité de Coordination de Lutte Anti-Fraude – l'UCLAF –.

M. Reinke : Nous travaillons ensemble avec les Services nationaux. Nous avons un rôle de coordonner leurs actions lorsqu'ils ne sont plus capables eux-mêmes de gouverner l'affaire.

Journaliste : Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Reinke : Vous voyez en France, une affaire qui ne concerne que la France, le Service en France peut le faire. Mais lorsqu'il s'agit de réunir des actions d'investigation en Belgique, en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne, en même temps, pour une fraude organisée – c'est un phénomène que nous rencontrons de plus en plus – un État-membre, seul, ne peut plus maîtriser une telle chose.

Journaliste : Nous sommes au port de Rotterdam. La Douane accomplit ici son travail quotidien, c'est le partenaire obligé de l'UCLAF. En Europe, 127 000 douaniers, dont 25 000 enquêteurs, font la majeure partie du travail sur le terrain.

En 1994, la Commission Européenne a recensé plus de 2 500 cas de fraude pour un montant d'environ 3 milliards de francs.

Trois ans auparavant, il ne s'agissait, si l'on peut dire, que de la moitié des fraudes, pour un montant quatre fois inférieur.

Une augmentation due en grande partie à l'arrivée du crime organise sur ce terrain. En cas d'intervention sur place, l'UCLAF envoie un enquêteur, comme celui-ci, aider les équipes locales qui gardent l'Autorité judiciaire et policière. Fausses déclarations sur des produits en transit, non-paiement des droits de douane à l'entrée dans l'Union, importation clandestine, tout un éventail de fraudes.

Mais la plus grande partie concerne évidemment les entreprises agro­alimentaires et l'ensemble des subventions liées à la politique agricole commune. On a encore en mémoire, ici, les faux troupeaux subventionnés de vaches corses.

Pour prévenir les fausses déclarations de ce genre, la Commission s'est dotée en 1990 d'un instrument de recherche satellite, via spot-images à Toulouse. Une fraude massive ainsi a été découverte dans le sud de l'Italie : des hectares de culture subventionnés à hauteur de 295 millions de francs se sont révélés être des terrains en friche.

Pour débusquer ces fraudes et leurs énormes complicités locales, les enquêteurs de l'UCLAF ont d'importants pouvoirs d'enquête et d'investigation. Mais jusqu'à quel point ?

Journaliste : Avez-vous le droit, par exemple, de consulter les dossiers fiscaux ? Avez-vous le droit de procéder à des écoutes téléphoniques ?

M. Reinke : Nous n'avons pas le droit d'écouter dans le téléphone, mais nous avons le droit de voir toute documentation, la correspondance, les contrats, les stocks disponibles de marchandises dans les entreprises. Ce que vous mentionnez là relève plutôt de la poursuite policière et judiciaire, et c'est exactement la limite où nous nous arrêtons. Nous appelons le Procureur et la police dans un tel cas.

Journaliste : L'UCLAF s'autorise pourtant certaines méthodes. La dénonciation en est une.

"Le propos de cette machine est de garder un enregistrement de tous les messages que nous recevons. Nous pouvons dire, à partir de cette liste, la durée exacte de leur message. Les plus sérieux, que nous recevons, sont ceux provenant de gens qui laissent réellement leur nom et leur adresse sur la bande. Ceux-là, nous les rappelons. Cela n'arrive pas souvent, mais cela arrive. Et quand cela arrive, nous le prenons très au sérieux. Et les messages sont strictement confidentiels. Personne ne les écoute, excepté les membres de l'UCLAF."

Journaliste : Un budget existe désormais pour rémunérer ce type d'information. Dans un genre plus classique, 130 enquêteurs, venus de toute l'Europe, composent l'UCLAF. Celui-ci est un ancien fonctionnaire du Fisc français, il en est membre depuis deux ans. Comme tous ses collègues, il doit rester anonyme.

Se considère-t-il comme une sorte de "flic" au service d'une Europe toute puissante ?

Témoignage : le terme de "flic" ne me dérange pas, si l'on précise que c'est l'aspect "enquête" des policiers. Si c'est une connotation de pouvoir, voire d'abus de pouvoir, comme on le laisse supposer parfois, non.

Mais ce qui est remarquable, c'est d'observer que les Administrations nationales ou les bénéficiaires de financements communautaires nous prêtent le pouvoir européen que vous évoquiez.

M. Reinke : Nous faisons ce qu'un État, seul, ne peut pas faire… mais nous laissons la masse de travail de chaque jour à chaque État-membre, c'est clair. Nous ne pouvons pas remplacer les 127 000 douaniers ou les 25 000 enquêteurs en douane. Ce n'est pas notre rôle.

Journaliste : Ici, se trouve l'autre personnage que l'on peut filmer librement : l'archiviste.

Il règne sur un tas considérable de dossiers d'enquêtes. Pourtant cette masse ne doit pas faire illusion, beaucoup n'aboutissent jamais à une procédure judiciaire. Car, ici, si l'on se félicite de la collaboration entre Services de Police et de Douane, on se plaint amèrement de la justice dans les différents pays.

M. Reinke : Elle ne fonctionne pas d'une façon acceptable à notre vue, parce que souvent les Procureurs, lorsqu'ils ont besoin de l'aide d'un homologue d'un autre État, doivent s'adresser à leur ministère de Justice, ministère des Affaires étrangères. Une demande faite en mars, la réponse arrive peut-être à Noël dans un cas extrême.

Journaliste : La Commission de Bruxelles va donc demander aux pays membres de voter un texte de loi qui, en créant la notion nouvelle de "fraude au budget communautaire", permettra de donner de nouvelles armes judiciaires à l'UCLAF, et donc d'accroître son pouvoir déjà fort grand.

M. Cavada : Le candidat à l'élection à la Présidence de la République aura pour charge de participer au nom de la France, dont le tour de présidence ne nous reviendra pas de sitôt d'ailleurs, à la construction européenne. Je voudrais savoir si vous considérez qu'au cœur de cette construction le couple franco-allemand doit être rénové et si vous êtes prêt en effet à reconsidérer le Traité de l'Élysée et le modifier, pourquoi ?

M. Balladur : J'y suis tellement prêt que c'est ce que j'ai proposé à la fin de l'année dernière. Je pense que l'Europe ne progressera pas si la France et l'Allemagne ne sont pas étroitement associées et, comme je pense que l'Europe doit progresser, j'espère que j'aurai l'occasion de vous expliquer pourquoi, il est indispensable que l'on redonne davantage de vie et de vigueur, et de prolongement nouveau, au traité entre la France et l'Allemagne, traité de réconciliation signé maintenant il y a plus de 30 ans.

M. Cavada : Vous savez déjà dans quels domaines ou cela fait partie des choses que vous souhaitez garder je dirai pour la négociation, si éventuellement c'est le cas ?

M. Balladur : Je pense qu'il faudrait notamment accroître la coopération entre les parlements, accroître la coopération culturelle, accroître les actions communes en matière de sécurité entre la France et l'Allemagne, de telle sorte que véritablement elles jouent ensemble un rôle d'entrainement pour les autres pays. Je voudrais revenir à une question que vous m'avez posée tout à l'heure et à laquelle je n'ai pas répondu. Vous m'avez dit : "si vous êtes élu Président de la République, qu'est-ce qui sera changé dans les mois qui viennent et ensuite qu'est-ce qui sera changé pour la France dans les 5 ou les 7 ans" ?

M. Cavada : Dans les 7 ans, oui.

M. Balladur : Dans les 7 ans.

M. Cavada : Dans 7 mois, dans 7 ans. Les 7 mois, vous m'avez répondu ; dans les 7 ans, on peut en effet y revenir.

M. Balladur : Je souhaiterais y revenir. Ce qui devrait être changé à mon avis pour la France, à l'horizon de l'an 2000, c'est d'abord qu'il faudrait que la société française fût plus fraternelle, plus libre et plus juste, c'est-à-dire qu'il y ait beaucoup moins de chômage, beaucoup plus de sécurité, que la protection sociale soit sauvée et sauvegardée et que la formation de la jeunesse soit mieux assurée. Voilà ce que je voudrais comme objectif. Sur le plan extérieur, je pense que les Français ont gardé la nostalgie et le désir d'être les citoyens d'un grand pays et que la France doit reprendre un rôle de leader en Europe et dans le monde. Ce que dit et ce que fait la France, personne d'autre ne peut le faire à sa place.

M. Cavada : Vous pensez que cela s'est affaissé ?

M. Balladur : Un petit peu à cause de la crise tout de même. Cela fait bientôt 20 ans que la France vit dans un état de crise économique. Maintenant nous sommes en train d'en sortir. Surtout par pitié, ne cassons pas la reprise ! Car si nous cassons la reprise, plus rien ne sera possible.

M. Cavada : Parenthèse française dans cet univers international qu'est-ce qui pourrait casser la reprise ?

M. Balladur : Laissez-moi d'abord terminer et j'y reviendrai très volontiers. Ce qui importe, c'est que les Françaises et les Français se rendent compte qu'ils ont avantage et intérêt à ce que la France soit un membre je dirai à part entière de l'Europe, et d'une Europe qui soit mieux organisée et plus ambitieuse. L'emploi des Français passe par une meilleure organisation de l'Europe…

M. Cavada : Par plus d'Europe et pas par moins d'Europe ?

M. Balladur : Absolument. La sécurité des Français passe par plus d'Europe et non pas par moins d'Europe. Et la présence de la France dans le monde aussi passe, d'une certaine manière, par plus d'Europe et non pas par moins d'Europe.

Je reviens à votre question sur la croissance et sur ce qui pourrait la casser.

M. Cavada : Qu'est-ce qui pourrait la casser ?

M. Balladur : Ce qui pourrait casser la croissance, ce serait l'instabilité monétaire, et c'est la raison pour laquelle nous avons un intérêt vital à la monnaie européenne. Il y a une chose qui me frappe beaucoup : on en a beaucoup débattu il y a 2 ou 3 ans, et aujourd'hui – je tenais ce matin une réunion avec des ministres français sur les problèmes justement monétaires de l'Europe – on s'aperçoit que l'avenir de nos industriels, l'avenir de nos agriculteurs, dépend d'un minimum de stabilité monétaire et que quand certains dévaluent leur monnaie, cela nous gêne et cela nous entrave dans notre action. Nous avons donc besoin de la stabilité monétaire et nous avons besoin de lutter contre les déficits. Donc je dis que toute politique qui n'est pas résolument déterminée à lutter contre les déficits et à assurer la stabilité monétaire, est une politique dangereuse pour la croissance et qu'elle remet en cause les progrès de notre pays. C'est donc absolument indispensable. Je me résume : la France de l'an 2000 devra être plus forte dans une Europe mieux organisée…

M. Cavada : Pourquoi faut-il mieux l'organiser ?

M. Balladur : D'abord pour des raisons morales : nous sommes 350 millions d'Européens, presque 400, nous n'avons pas à dépendre d'un protecteur aussi puissant et amical fût-il.

M. Cavada : Vous parlez des États-Unis ?

M. Balladur : Je parle des États-Unis. Nous devons sur le plan monétaire, sur le plan militaire, sur le plan économique et sur le plan social, faire plus par nous-mêmes et dépendre davantage de nous-mêmes. Je pense que la France doit également, à l'horizon de l'an 2000, avoir une société qui soit plus fraternelle, plus souple, plus ouverte, en somme plus humaine.

M. Cavada : Quelles sont les étapes que vous voulez franchir rapidement en matière d'organisation de l'Europe ? Il y a l'an prochain une conférence inter-gouvernementale, vous êtes Président de la République par supposition : qu'allez-vous jeter dans cette discussion pour accélérer ? Car on vous sent beaucoup plus pressé qu'un certain nombre d'autres candidats à l'Élysée sur la monnaie, sur la construction européenne, sur l'armée européenne…

M. Balladur : Sur la sécurité européenne …

M. Cavada : Sur la sécurité européenne.

M. Balladur : Je pense que très vite, notamment lors du Sommet de Cannes qui doit se tenir en juin, la France doit préparer, doit présenter à ses partenaires un ordre du jour des discussions à avoir l'année prochaine. Nous avons des idées là-dessus, en tout cas moi j'en ai, et de fort précises.

M. Cavada : Par exemple.

M. Balladur : C'est-à-dire qu'il faut affirmer mieux le pouvoir politique au sein de l'Europe. Il faut que l'Europe ne donne pas le sentiment d'être une sorte de machine. On ne sait plus très bien qui commande finalement et qui fait quoi.

M. Cavada : Comment affirmer ce pouvoir ?

M. Balladur : Notamment en renforçant les pouvoirs du Conseil Européen et en définissant plus clairement les pouvoirs du Parlement Européen et en associant mieux les parlements nationaux au contrôle, de telle sorte que l'on vérifie bien que l'Europe n'intervient pas dans tous les domaines de façon inconsidérée.

M. Cavada : Notamment par des débats préalables ?

M. Balladur : Éventuellement par des débats préalables ; c'est d'ailleurs ce que j'ai institué moi-même. Je voulais dire autre chose pour la monnaie et je termine là-dessus. J'entends un débat parfois ; on dit : "La monnaie européenne, on ne sera pas prêt en 97, il vaudrait mieux retarder…". Plus vite on le fera, mieux cela vaudra, parce qu'actuellement ce qui me frappe, c'est que les agriculteurs, les industriels … Tenez, je suis allé chez un industriel du textile l'autre jour et ils m'ont tous dit : "Nous faisons les 3/4 de nos exportations en Europe, donc nous avons besoin de la stabilité monétaire en Europe et nous voulons que la monnaie européenne existe le plus vite possible".

Il ne faut donc pas traîner les pieds. C'est l'intérêt de la France et il ne faut pas avoir peur : la France ne sera ni moins souveraine, ni moins indépendante, ni moins maîtresse d'elle-même, tout au contraire.

M. Cavada : Vous avez parlé de l'organisation politique de l'Europe. Est-ce que vous êtes favorable à l'idée qu'a proposée monsieur Chirac d'un Président de l'Union Européenne, ou est-ce que cela vous semble secondaire ?

M. Balladur : Je l'avais proposé moi-même en 1989, je crois, dans un rapport que j'avais fait à l'époque, avant les élections européennes de 89 ; à l'époque, il n'y avait pas encore le Traité de Maastricht. Maintenant que ce traité existe, je me demande si avoir un Président de l'Union Européenne pour plusieurs années, avec un Président de la Commission pour 5 ans, cela ne réduit pas à l'excès les pouvoirs et l'autorité des États nationaux.

M. Cavada : C'est-à-dire du Conseil des ministres ?

M. Balladur : C'est-à-dire du Conseil des ministres et du Conseil Européen. Si bien que, bien que ce soit une proposition que j'ai faite il y a donc 6 ans, comme entre temps il y a eu le Traité de Maastricht, je suis beaucoup plus réservé.

M. Cavada : Vous ne fermez pas la porte, mais vous semblez suggérer qu'il peut y avoir un conflit ?

M. Balladur : Cela ne me paraît pas une urgence, franchement.

M. Cavada : L'armée européenne, par quelle procédure et pour quand ? Concernant qui d'ailleurs ?

M. Balladur : Regardons d'abord la situation : la France est en Bosnie, l'Angleterre aussi, l'Italie à un moindre degré, l'Espagne aussi.

M. Cavada : l'Allemagne n'y est pas.

M. Balladur : l'Allemagne n'y est pas. La France est allée au Rwanda, elle y est allée seule. Elle est allée en Somalie, d'autres pays européens n'y sont pas allés. Elle est allée en Haïti. Bien. Nous avons un intérêt vital à ce que notre sécurité à nous Européens dépende davantage de nous, c'est-à-dire que nous devons nous organiser entre nous. Il ne s'agit pas de faire des actes d'hostilité envers les Américains, ce n'est pas cela du tout ; ce sont nos alliés et nous devons compter sur eux comme ils comptent sur nous. Mais nous sommes de grands peuples, de vieux peuples, avec de grandes traditions politiques et militaires. Nous devons retrouver ces traditions ; c'est une question, d'une certaine manière, de dignité nationale pour ces vieilles nations d'Europe. Il faut nous organiser rapidement au sein de l'Union de l'Europe Occidentale, il faut que l'ensemble des pays membres de l'Union Européenne entrent dans cette organisation militaire et il faut que nous développions des infrastructures communes, des instruments militaires communs, des plans communs…

M. Cavada : Et un commandement commun ?

M. Balladur : Et à terme un commandement commun.

M. Cavada : Je vous ai bien compris, monsieur Balladur, dans votre formulation qui m'a l'air très précise : c'est jusques et y compris des éléments de l'armée allemande dans l'année européenne ?

M. Balladur : Il y en a actuellement dans le corps franco-allemand qui comporte également l'Espagne, la Belgique et le Luxembourg.

M. Cavada : Oui, mais c'est un peu homéopathique.

M. Balladur : Non, il y a quand même 50 000 soldats, c'est un peu plus que de l'homéopathie ; 50 000 soldats, cela commence à compter…

M. Cavada : Est-ce que vous avez été choqué, et je m'adresse là cette fois autant au Premier ministre, lorsque nous avons assisté à la dislocation de l'ancienne République fédérative yougoslave et qu'on a vu les Allemands se précipiter pour reconnaître la Croatie ? D'autres nations, nous y compris, ont fait différemment, c'est-à-dire qu'il y a eu un vaste désordre qui génère, et autorise moralement surtout, un certain nombre de choses qu'on a vu ensuite se passer.

M. Balladur : Cela prouve, Jean-Marie Cavada, que, malgré tous les discours, l'Europe n'existe pas assez. Si l'un reconnaît telle république, l'autre telle autre, et qu'il en résulte l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, qu'est-ce que nous y avons gagné sinon d'y avoir, nous Français, presque 5 000 soldats depuis maintenant plusieurs années ? Nous avons besoin de davantage d'Europe pour davantage de progrès économique, davantage de progrès social et davantage de sécurité. Surtout n'ayons pas peur : nous sommes quand même le Peuple Français, c'est-à-dire un grand peuple, et personne ne va venir faire la loi chez nous. Nous avons tout intérêt à coopérer avec les autres. Ne soyons pas rétractés, n'ayons pas peur de notre ombre ! Personne ne nous fera de mal, je vous assure, personne…

M. Cavada : Vous avez toujours été un grand Européen, ou bien est-ce que vous aviez les réserves je dirai qu'avait le Général de Gaulle sur l'Europe ?

M. Balladur : Si on avait fait ce que proposait le Général de Gaulle dans les années 60 : il proposait, je vous le rappelle, l'union politique de l'Europe, on n'en serait peut-être pas là aujourd'hui. Le Général de Gaulle a prononcé sur l'Europe des propos et a fait des propositions extraordinairement novatrices et qu'à l'époque on n'a pas retenues.

M. Cavada : Je voudrais maintenant que nous parlions de la façon dont vous concevez la Présidence de la République. C'est vraiment très important parce qu'en effet on entend dire parfois que la classe politique est asphyxiée, qu'il faut changer la société politique, que le Président gouverne trop directement. Comment concevez-vous l'exercice de la Présidence de la République ? Parallèlement, y a-t-il des réformes institutionnelles que vous souhaitez faire ?

M. Balladur : Jean-Marie Cavada, en matière de conception de la Présidence de la République, comme en toute autre matière, je m'efforce d'être cohérent. Quand on va trouver les Français pour leur dire : "Je suis candidat, je vous demande à vous, des dizaines et des dizaines de millions de Français, de m'élire" on ne leur demande pas de vous élire pour ne rien faire, ou pour faire peu de choses.

M. Cavada : Pour couper les chrysanthèmes, vous voulez dire ?

M. Balladur : Exactement. On le leur demande parce qu'on se sent, à tort ou à raison, capable d'assumer le destin du pays et de lui montrer une voie, et qu'on dit aux Françaises et aux Français : "voilà la voie que je vous propose de prendre avec moi". Il serait à mes yeux inconcevable qu'un Président élu au suffrage universel ne fût pas celui qui prend les décisions les plus importantes ; et d'ailleurs je pense que personne ne le propose. Cela ne veut pas dire qu'il doit se mêler de tout, interférer en tout, vérifier toutes les nominations, intervenir dans la vie du Gouvernement et dans celle du Parlement sans arrêt. Mais cela veut dire que chaque fois qu'il y a quelque chose d'important, c'est le Président de la République qui est responsable aux yeux des Français. Je vais prendre un exemple. Le Général de Gaulle, dans toute sa gloire, à la fin de 1962, a remporté triomphe sur triomphe sur le plan politique : referendum, élections législatives après une dissolution. Deux mois après, il y a une grève des mineurs : le Gouvernement a réquisitionné les mineurs, cela a duré 5 semaines et le Gouvernement a reculé. Vous voyez que cela arrive à toutes les époques…

M. Cavada : Que vous n'avez pas inauguré le système politique, vous voulez dire ? Je vois l'allusion…

M. Balladur : Absolument. … Que cela arrive à toutes les époques et les Français en ont tenu rigueur au Général de Gaulle lui-même, Président de la République, en estimant qu'il aurait dû veiller à ce que les choses se passent différemment, je suppose.

M. Cavada : Et non pas à son Premier ministre de l'époque, qui était monsieur Georges Pompidou ?

M. Balladur : À son Premier ministre également ; le peuple français les a associés dans la même critique. Comment voulez-vous qu'étant élu par l'ensemble des Français, un homme, ou une femme parce qu'il y aura bien un jour où une femme sera élue, puisse dire : "Ce n'est pas mon affaire, je ne m'en mêle pas, c'est l'affaire du Gouvernement"…


M. Cavada : Oui, proteste Nicole Courcel, oui, oui : une femme, vite une femme, dit-elle…

M. Balladur : … "Ce n'est pas mon affaire, le Gouvernement est responsable de cela et cela ne me concerne pas". Dans un pays tel que le nôtre, on peut le regretter mais notre esprit national est fait ainsi, et surtout avec l'élection du Président au suffrage universel : il est responsable de tout ce qui se passe d'important dans notre pays. Je le répète : cela ne veut pas dire qu'il doit se mêler de tout ni interférer en tout, mais cela veut dire qu'il doit assumer sa responsabilité, et l'idée de la transférer sur le Gouvernement n'est pas une idée que les Français accepteront, croyez-moi.

M. Cavada : Donc dans cette affaire, vous craignez moins ce qu'on appelle, en la critiquant, la présidentialisation du régime que l'inverse ? C'est assez nécessaire que le Président soit assez impliqué ?

M. Balladur : Les Français veulent qu'on soit impliqué, les Français ne votent pas pour un homme qui leur dirait ensuite : « Cela ne me regardait pas, allez donc voir le Gouvernement ».

M. Cavada : Jacques Chirac disait la semaine dernière à ces lieu et place qu'il critiquait la dérive présidentielle qui, à ses yeux, a commencé dans la dernière partie du quinquennat, puisque monsieur Pompidou n'a dirigé que pendant 5 ans, comme vous le savez bien évidemment puisque vous fûtes d'abord son Secrétaire Général Adjoint à l'Élysée, puis son Secrétaire Général ; cette dérive aurait commencé dans les deux dernières années en gros de monsieur Pompidou. Partagez-vous cette idée ?

M. Balladur : Je crois, pour avoir vu les choses de l'intérieur, que lorsque le Général de Gaulle voulait quelque chose qui concernait la vie du Gouvernement, il savait l'imposer lui aussi, il savait l'imposer.

M. Cavada : Est-ce que vous trouvez que le Président Mitterrand a présidentialisé le régime, au-delà même des souhaits que vous auriez pu avoir ?

M. Balladur : Je ne peux parler que par expérience personnelle. Comme vous le savez, j'ai été ministre sous la première cohabitation et Premier ministre sous la seconde. La cohabitation n'est pas un type de régime qui favorise l'épanouissement des pouvoirs du Président de la République, enfin un type de période plutôt que de régime.

M. Cavada : D'une certaine manière d'ailleurs, l'exercice de certains des pouvoirs qui normalement n'auraient pas dû se trouver chez vous à Matignon, se sont trouvés de fait devoir être réglés chez vous.

M. Balladur : Non, on ne peut pas dire cela.

M. Cavada : Pendant la maladie du Président.

M. Balladur : Non, non, on ne peut pas dire cela. J'ai respecté scrupuleusement les institutions, mais soyons clairs : lorsque le Président de la République a une majorité à sa dévotion, il a davantage de pouvoir que lorsqu'il a une majorité et donc un Premier ministre qui n'ont pas les mêmes orientations générales que les siennes, ce qui ne nous a pas empêchés, lui et moi, d'assumer la responsabilité du pays qui n'a pas connu de crise politique pendant 2 ans, et j'y tenais beaucoup, j'y tenais beaucoup. Je reviens là-dessus parce que c'est quand même une chose importante. En 1993, la situation était très difficile et je ne voulais pas surajouter à une crise économique et sociale, et morale aussi, en plus une crise politique. Je me suis donc attaché à gérer la cohabitation en respectant les institutions, ce qui est dans ma nature et dans ma conviction, et de surcroît avec l'idée que les Français n'avaient pas besoin, en plus, d'avoir une crise politique. Et cette crise politique a été évitée, j'en suis heureux. Cela m'a conduit à prendre sur moi, parfois, c'est vrai, mais au total il le fallait pour le bien du pays puisque 2 ans après, il se porte mieux.

M. Cavada : Vous n'avez pas prononcé spontanément ce soir une seule fois le nom d'aucun de vos deux adversaires, qui sont comme vous de façon prééminente dans cette compétition à l'élection présidentielle, qui est d'abord une façon de se présenter devant le pays.

M. Balladur : Mais vous l'avez fait vous-même plusieurs fois.

M. Cavada : C'est que je voyais bien que cela ne venait pas.

M. Balladur : Non, j'ai pensé qu'il ne fallait pas en rajouter.

M. Cavada : Ah bon ! Une bonne mesure et pas plus… Je suis obligé de vous poser plusieurs questions. Si vous n'êtes pas au second tour, est-ce que vous appellerez clairement à voter pour monsieur Chirac qui est dans votre camp, si lui y est ?

M. Balladur : J'ai déjà répondu oui à cette question.

M. Cavada : D'autre part, est-ce que je me trompe si je note, au moins qu'au cours de ce soir, c'était vrai aussi visiblement dans vos deux discours d'aujourd'hui, on a l'impression que vous voulez un peu refroidir la température et apaiser le débat de ce qui ressemble parfois à un match de boxe et qui d'ailleurs, d'une certaine façon, doit fasciner ou peut-être je dirai peiner les Français, je ne sais pas ?

M. Balladur : Si tout le monde était aussi calme que moi, la vie politique serait beaucoup plus apaisée qu'elle ne l'ait. Moi, je n'apprécie pas beaucoup par moments le ton de cette campagne électorale. Je trouve qu'on manque de respect aux Français. Qu'est-ce qu'une campagne présidentielle ? On dit aux Français tous les 7 ans : voilà l'avenir que je vous propose et voilà les hommes entre qui vous devez choisir. Au lieu de cela, je n'entends pas beaucoup de discussions sur cet avenir, et j'entends parfois des propos tout à fait dérisoires, qui sont des propos de basse polémique. Et moi je n'entends pas du tout y participer, si peu que ce soit. Je préfèrerais de beaucoup participer à un débat sur l'avenir du pays, et j'y suis prêt à tout moment.

M. Cavada : Est-ce que vous considérez, monsieur Balladur, que dans cette campagne présidentielle vous avez pris des coups que vous ne vous attendiez pas à recevoir ?

M. Balladur : Je vous ai dit tout à l'heure que je n'étais pas d'un naturel méfiant, je crois.

M. Cavada : Mais que vous l'êtes devenu, alors …

M. Balladur : Je vous laisse conclure …

M. Cavada : On vous aura décidément tout fait dans cette campagne. D'abord on vous a fait manger des pommes et qu'est-ce que j'apprends hier ?

M. Balladur : Pardon, pardon…

M. Cavada : Je vous ai vu avec une pomme à la main, et il n'y avait plus que le trognon…

M. Balladur : Pardon, pardon, je n'ai pas attendu la campagne électorale pour manger des pommes je les préfère grises en général, c'est tout.

M. Cavada : Je vois, mais j'ai trouvé que celle-là, vous la mangiez d'un meilleur appétit : Il ne restait plus qu'un malheureux trognon.

M. Balladur : C'était 7 heures du soir, j'allais à une réunion publique et j'avais faim.

M. Cavada : C'est biologique, en réalité, cela n'a rien à voir avec la campagne…

M. Balladur : Non, non, mais elle était bonne en plus.

M. Cavada : Quand je dis qu'on vous aura tout fait, qu'est-ce que je découvre hier ? Qu'on vous fait déguster de la "boutargue". Qu'est-ce que c'est que la "boutargue" ?

M. Balladur : Ce sont des œufs de poisson qu'on m'a offerts sur l'étang de Berre.

M. Cavada : Il y a une vaste polémique aujourd'hui : il y a ceux qui disent que vous avez énormément apprécié et il y a ceux qui pensent que ce n'était pas très bon mais que vous avez mangé pur être gentil.

M. Balladur : Voilà les grands sujets de la campagne électorale ! On y revient…

M. Cavada : Comme on termine l'émission, je voulais savoir si vous avez apprécié, si c'est bon ; je n'en ai jamais mangé.

M. Balladur : C'est bon ; je vais vous en envoyer … C'est très bon et on me l'a offert très gentiment. C'était une cérémonie très sympathique, au bord de l'étang de Berre qui, comme vous le savez…

M. Cavada : Martigues…

M. Cavada : … est l'un des trois grands chantiers d'environnement que nous avons fait avancer depuis 2 ans : le Mont Saint-Michel désensablé, la Loire dont le cours va être régulé et l'étang de Berre qui va être sauvé de l'adoucissement de ses eaux et va demeurer une mer intérieure.

M. Cavada : En réalité, monsieur Balladur, toutes ces choses qu'il faut faire parce qu'on est devant des gens qui ont leur spontanéité, à laquelle on ne s'attend pas quand on est, comme vous, quelqu'un qui dirige, est-ce que vous n'y avez pas pris goût un peu comme les gens prennent goût à la cigarette, au tabac ou à je ne sais quelle chose agréable, à condition qu'on les mesure bien sûr ?

M. Balladur : Je ne sais pas l'idée que vous vous faites de moi…

M. Cavada : Je n'ai aucune idée…

M. Balladur : J'aime bien voir les autres et les écouter. En général d'ailleurs, je préfère écouter que parler. Je suis obligé de prendre sur moi pendant la campagne électorale…

M. Cavada : Je vois cela… Une dernière chose enfin, très sérieuse celle-là : si par malheur pour vous, et pour vos amis qui vous soutiennent, pour la politique que vous représentez, vous n'arrivez pas au deuxième tour, vous échouez, est-ce qu'on vous verra prendre la tête d'un parti ou former un parti pour défendre les idées que vous avez exprimées dans cette campagne électorale ? Ou est-ce que vous vous rangerez pendant un certain temps ailleurs, pour reprendre de l'oxygène ?

M. Balladur : D'abord, j'ai beaucoup d'oxygène, je n'ai pas besoin d'en reprendre… C'est une idée qui n'est pas la mienne : je suis totalement mobilisé par le combat que je mène, je compte bien le gagner, je ne pense à rien d'autre.

M. Cavada : C'est une façon de ne me pas répondre.

M. Balladur : Mais bien entendu, vous l'avez compris.

M. Cavada : En plus, je suis obligé de vous remercier, ce que je fais d'ailleurs puisque nous sommes arrivés au terme de cette émission. Je vous remercie d'y avoir participé. On a appris un certain nombre de choses et vous m'avez donné l'impression, si vous me permettez d'émettre une photographie, que vous vouliez refroidir cette campagne électorale. Je me trompe ?

M. Balladur : Vous l'avez déjà dit, oui.

M. Cavada : Mais je veux l'entendre confirmer.

M. Balladur : En ce qui me concerne, je n'ai pas besoin de me refroidir moi-même ; que les autres se refroidissent, ils en ont parfois besoin.

M. Cavada : Vous voyez qu'en insistant on obtient un complément …

Merci de votre participation.

La semaine prochaine, La Marche du Siècle reprendra un autre cours, celui de l'observation des sujets de société et nous passerons une heure et demie en compagnie de tous ceux qui s'occupent des enfants, plus exactement des bébés prématurés, c'est-à-dire qui naissent avant l'heure.

Merci de nous avoir apporté les éclaircissements sur votre programme politique.

Nous nous retrouvons la semaine prochaine.