Interview de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, à RMC le 28 octobre 1998, sur les relations du gouvernement avec le patronat (Medef), l'application de la loi sur les 35 heures, la fermeture des chantiers navals du Havre, la politique nucléaire et énergétique en France et en Allemagne.

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RMC : Ce changement de sigle du CNPF en MEDEF, est-ce un changement d'étiquette intéressant ? Et est-ce que ça peut être autre chose que ça ?

Christian Pierret : Vous savez, ceux qui ont restauré l'idée d'entreprise en France, d'innovation, de créativité et de réactivité, c'est quand même les socialistes. C'est la vérité, tout le monde le dit. Alors qu'aujourd'hui, le CNPF veuille rénover son image, veuille se rapprocher d'une idée plus dynamique, plus positive de ce qu'il représente, c'est tout à fait normal. Il a raison de nous suivre dans l'idée que l'entreprise est au coeur même de la bataille de l'emploi.

RMC : Ce sont les socialistes qui ont ressuscité l'entreprise en France ?

Christian Pierret : C'est une action qui a duré pendant des années, mais il faut citer certainement les noms de François Mitterrand lui-même, de Pierre Bérégovoy et aujourd'hui, naturellement depuis dix-huit mois, de Lionel Jospin.

RMC : La première déclaration d'Ernest-Antoine Seillière : « le patronat a été bousculé, méprisé dans l'affaire des 35 heures et les pouvoirs publics entretiennent le chômage. »

Christian Pierret : Méprisé, bousculé, je crois que c'est vraiment excessif, mais c'était destiné à un congrès où il n'y avait que ses propres représentants. Il fallait donc leur faire plaisir. La vérité c'est que la politique du gouvernement est partenariale. Donc c'est celle du dialogue. Le dialogue se fait avec tous les partenaires sociaux : les organisations syndicales ouvrières naturellement, mais aussi ceux qui représentent maintenant le patronat. Et donc, il est normal que nous poursuivions dans cette voie.

RMC : Sur les 35 heures, vous n'avez pas tellement dialogué ?

Christian Pierret : La première loi sur les 35 heures, comme d'ailleurs la deuxième qui sanctionnera les expériences qui ont été menées jusque-là, dans un an, est une loi fondamentalement basée sur l'idée qu'on ne peut pas créer des emplois sans dialogue social, sans ouverture à la concertation et sans respect mutuel entre les syndicats et le patronat.

RMC : Sur la notion État-entreprise, Ernest-Antoine Seillière a dit que ses relations avec les pouvoirs publics ne peuvent plus durer telles qu'elles sont, ce sont tutelle, assujettissement, défiance et suspicion.

Christian Pierret : Il a raison, il faut que le patronat arrête de jeter la suspicion sur ce que fait le gouvernement et nous sommes tout à fait prêts à un véritable dialogue constructif. Les 35 heures, la réduction et l'aménagement du temps de travail ne peuvent avancer que s'il y a un véritable dialogue institutionnel, sérieux, ouvert et libre entre ceux qu'il représente, lui M. Sellière, les syndicats et le gouvernement.

RMC : Et ça en est où de ce point de vue-là ? Vous avez l'impression que le patronat peut s'engager ?

Christian Pierret : Oui, il peut s'engager, il faut qu'il lève ses blocages politiques, il faut qu'il lève la vision un peu théorique de notre action et de la situation de la société française. À partir du moment où on parlera concrètement et avec pragmatisme, on pourra toujours avancer. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les entreprises sur les 35 heures. Les branches qui ont signé des accords de 35 heures ou les entreprises qui se sont avancés dans cette voie, ont toujours fait du dialogue leur premier ingrédient dans cette démarche et deuxièmement, ont toujours fait du pragmatisme et de l'adaptation à la situation de chaque entreprise, le deuxième pied sur lequel ils avancent.

RMC : Et du côté du gouvernement, il n'y a aucun effort à faire ?

Christian Pierret : L'effort est permanent de discuter avec des gens qui ne vous comprennent pas. Donc, c'est vrai que nous faisons beaucoup d'efforts, on a raison de les faire dans cette voie. Si nous, il faut qu'on adapte notre dialogue, notre attitude aux réalités de la société française. Nous sommes tout à fait disposés comme nous l'avons montré, je crois quand même, très ouvertement depuis plusieurs mois.

RMC : Est-ce que vous êtes certain que les 35 heures créeront des emplois en France ?

Christian Pierret : « Oui, les 35 heures vont créer des emplois, mais pas mécaniquement. C'est-à-dire que ce n'est pas en réduisant de 11 % le temps de travail qu'on va créer X % d'emplois. Cela va créer des emplois dans la mesure où, par dialogue, par réorganisation du travail, par l'adaptation du temps de travail aux réalités de l'entreprise, par une démarche partenariale impliquante, motivante, on va créer les conditions d'une meilleure compétitivité de l'économie française. Il n'y a pas de relation mécanique entre la réduction du travail et la création des emplois. Par contre, il y a une relation de société forte, d'entreprise qui consiste à penser que lorsqu'on discute, on améliore les conditions de l'entreprise, on organise autrement la production, on crée de nouveaux services, on crée de nouveaux produits, on est réactif vis-à-vis du marché sur lequel se bat l'entreprise, on est réactif entre les hommes pour faire mieux et autrement. Et c'est cette démarche-là, parce que c'est cette démarche qui est une démarche de croissance, qui peut créer de l'emploi à travers la réduction-aménagement du temps de travail.

RMC : Ça valait la peine de s'engager dans un si grand chantier ?

Christian Pierret : Oui, parce que les socialistes ont toujours été associés à l'idée de la réforme de la société. Le mouvement ouvrier a toujours été associé à l'idée de réduction du temps de travail, de mieux-être pour les hommes et les femmes au travail, de mieux-être pour les salariés. Aujourd'hui, le grand débat de ce début du 21e siècle, c'est en effet d'améliorer la condition des salariés. Et à travers la réduction-aménagement du temps de travail, nous créons des espaces de liberté et aussi, je le répète, des espaces de compétitivité pour l'entreprise.

RMC : Tous les salariés ne sont pas d'accord sur ce point ?

Christian Pierret : C'est vrai qu'il y a des différences d'appréciation entre les organisations syndicales, entre les salariés eux-mêmes. Mais notre but est de faire avancer les choses et d'être toujours un petit peu en avance par rapport à la société pour que celle-ci puisse s'y retrouver à long terme. Et on verra bien, en l'an 2000, lorsque la deuxième loi sur les 35 heures aura été adoptée que celle-ci aura été créatrice d'emplois.

RMC : À propos du Havre, est-ce que vous avez tiré un trait définitif sur l'abandon des chantiers ou si un repreneur se présentait demain, vous le prendriez ?

Christian Pierret : On ne tire jamais un trait définitif sur une situation sociale, humaine, de désarroi et de difficultés. Ce que l'on a dit, c'est qu'après avoir cherché dans tous les chantiers du monde, seuls trois se sont déclarés intéressés, étrangers d'ailleurs, mais parmi ces trois aucun n'a remis de dossier et tous ont dit qu'après avoir étudié sérieusement le problème, ils n'étaient pas en mesure de faire une proposition pour reprendre les ACH. Donc le gouvernement en tire les conséquences.

RMC : Les élus de votre majorité disent que vous n'avez pas assez cherché ?

Christian Pierret : Tous les chantiers du monde, sans exception, ont été approchés. Ceux qui ont remis des dossiers ont dit après avoir regardé la question : on ne peut pas aller plus loin. Bon. Et nous avons mené cela en concertation permanente avec les syndicats, les élus locaux, les élus nationaux. Il n'y a jamais eu autant de dialogue sur la situation d'un industriel difficile comme celle-ci que pour les ACH. Vraiment, on a tout fait avec une détermination très grande. Si d'ailleurs, pendant que nous mettons en place une réindustrialisation du site du Havre qui est la seule solution crédible aujourd'hui, la seule solution d'avenir à la fois pour les travailleurs des ACH et en même temps pour la région du Havre, si d'aventure, une proposition venait – je ne crois pas au miracle, mais on peut toujours penser cela –, la porte de mon bureau est naturellement ouverte et nous aurions la possibilité d'étudier cela. Mais enfin, pour l'instant, l'hypothèse sur laquelle nous travaillons, c'est la réindustrialisation du Havre, c'est ce grand port qui doit rester leader en Europe.

RMC : Le nucléaire. Lorsque l'Allemagne, qui est notre partenaire et la plus grande puissance économique d'Europe, décide de rétropédaler et d'abandonner à terme cette filière, est-ce que ça n'assombrit pas les perspectives du nucléaire en France ?

Christian Pierret : Chaque pays a des spécificités. En Allemagne, le nucléaire représente 30 à 35 % ; en France, c'est près de 80 % de l'électricité produite. Donc, les Allemands ont leur spécificité ; nous avons la nôtre. Il y a des coopérations franco-allemandes fortes.

RMC : Est-ce qu'il y a des conséquences sur les perspectives françaises ?

Christian Pierret : Ce ne sera pas forcément sans conséquence. Reste à bien étudier ce que les Allemands vont faire. C'est très difficile. Regardez la Suède, elle a décidé, il y a plusieurs années, d'abandonner le nucléaire. Elle en est toujours aux mêmes problèmes car il est très difficile et très long, technologiquement, de faire ainsi. Donc je pense que cela ne remet pas en cause la coopération franco-allemande, entre nos entreprises, entre nos autorités de sûreté, entre les États. Il faut voir à adapter cette coopération. Mais en tout cas pour nous, aujourd'hui, dans une politique énergétique diversifiée, le nucléaire reste le pilier central de notre production d'électricité.

RMC : Mais à terme, est-ce que la France ne sera pas obligée de suivre l'Allemagne ?

Christian Pierret : Absolument pas, nous avons une avance technologique. Ce n'est pas dans le secteur où nous sommes les premiers mondiaux qu'il faut maintenant baisser les bras.