Texte intégral
le Monde
Quelle conséquence l'opposition doit-elle tirer de la crise du Front national ?
Charles Pasqua
- Les formations de droite seraient bien inspirées de ne pas considérer que la rupture entre Le Pen et Mégret leur profitera automatiquement. Il y a plusieurs hypothèses, mais les militants du Front national, c'est une chose, et les électeurs, c'en est une autre.
La grande masse des électeurs qui votaient Front national n'était pas composée de déçus de la droite, ni de déçus de la gauche. À partir de 1983, le RPR n'a plus suffisamment parlé d'un certain nombre de valeurs, de la patrie, de la France, etc. Il a laissé le Front national exploiter ces thèmes. Dans le même temps, le Parti communiste étant associé au gouvernement, la partie de l'électorat qui refusait le système politique et économique et qui votait communiste n'a plus trouvé, à gauche, l'expression de son mécontentement. C'est ce qui a permis l'éclosion de ce phénomène.
Ces électeurs étaient tout simplement des déçus de la France et de la République. S'imaginer que parce qu'il y a une crise au Front national, ses électeurs vont se reporter automatiquement sur les partis de droite ou revenir à gauche, ce serait commettre une erreur.
le Monde
Est-ce un affrontement entre deux hommes pour le pouvoir ou bien est-ce aussi un affrontement entre deux stratégies ?
Charles Pasqua
- C'est l'affrontement entre deux hommes qui incarnent deux stratégies. Jean-Marie Le Pen est à la fois le principal atout et le principal handicap du Front national. Tout le monde le connaît : c'est un homme de talent, il a un certain charisme ; dans le même temps, il a ce côté frondeur, provocateur. D'autre part, chacun sait que Jean-Marie Le Pen ne recherche pas la participation au pouvoir. Il a le pouvoir pour lui tout seul, bien entendu pas au niveau de la France, mais au niveau de son parti. Il a des moyens, il peut ennuyer, gêner beaucoup de gens et contrarier beaucoup de monde : cela lui convient très bien. Bruno Mégret est plus jeune et il a certainement d'autres ambitions. Il souhaite, lui, participer au pouvoir non pas au sein du Front national - auquel cas il n'aurait qu'à se tenir tranquille, être numéro deux sur une liste et attendre que ça se passe - mais au pouvoir tout court.
le Monde
S'il l'emporte, cela pourra-t-il permettre une recomposition ?
Charles Pasqua
- Non, je crois que cela ne changera rien du tout…
le Monde
Mégret et Le Pen, c'est la même chose ?
Charles Pasqua
Pour moi, c'est la même chose.
Le Monde
Les lepénistes se souviennent qu'avant de venir au Front national, M. Mégret était au RPR, il y a une vingtaine d'années, et que vous l'aviez fait entrer au comité central…
Charles Pasqua
Ce n'est pas moi qui l'avais fait entrer au comité central…
le Monde
Ils vous accusent, en tout cas, d'être pour quelque chose dans l'offensive de M. Mégret…
Charles Pasqua
C'est la thèse du complot « CPP » : Chirac, Pinault, Pasqua. Pinault pour l'argent, Chirac comme le grand inspirateur et celui qui doit en profiter, et moi comme maître d'œuvre. Tout cela est risible, ridicule…
le Monde
Avez-vous gardé des contacts avec M. Mégret ?
Charles Pasqua
Non, il n'en a pas éprouvé le besoin, et moi non plus.
le Monde
Aimeriez-vous retrouver le contact avec M. Mégret et sa tendance ?
Charles Pasqua
Non, cela ne m'intéresse pas.
le Monde
Parlons des électeurs du Front national : quelles sont les valeurs que vous pourriez leur proposer et celles qu'ils doivent impérativement abandonner ?
Charles Pasqua
Je n'ai pas du tout l'intention de m'adresser aux électeurs du Front national, pour une raison simple, c'est que pour s'adresser aux électeurs, il faut être candidat. Pour le moment, je ne suis candidat à rien. Il est possible que je le sois demain, mais demain sera demain. Aujourd'hui, c'est aujourd'hui…
le Monde
Et demain, c'est quand ?
Charles Pasqua
Demain, c'est l'année prochaine.
le Monde
Pourriez-vous être plus précis ?
Charles Pasqua
Avant le mois de juin…
Pour le moment, le discours que je tiens s'adresse à l'ensemble des Français, tous partis politiques confondus ou sans parti politique. L'action que je mène a pour but de défendre la souveraineté nationale et l'indépendance nationale. C'est de cela qu'il s'agit. Le moment venu, je m'adresserai à tous les Français et j'espère que beaucoup se retrouveront dans ce que j'aurai à dire.
le Monde
Ces électeurs du Front national peuvent-ils trouver accueil dans La Droite, la formation de Charles Millon ?
Charles Pasqua
Je crois que Charles Millon doit d'abord résoudre les problèmes de Charles Millon. Il a fait un pari, mais il n'est pas allé au bout de sa démarche. Il est bien évident qu'il avait été élu président du conseil régional Rhône-Alpes grâce aux voix du Front national - c'est un constat que chacun peut faire - et, depuis, il a passé son temps à dire qu'il n'accepte pas les thèses du Front national. Il est probable qu'un certain nombre d'électeurs ont pensé que Millon pouvait incarner une espérance. En tous les cas, il avait un discours volontariste. Mais c'était un discours plein de contradictions.
L'électorat qu'il s'est mis derrière lui est très attaché à l'indépendance et à la souveraineté de la France ; dans le même temps, il est, lui, davantage partisan d'une Europe fédérale. Et puis, cet électorat était plutôt partisan d'une entente avec le Front national - c'est pour cela qu'il a suivi Millon -, et, dans le même temps, Millon dit : "Mais moi, je récuse toutes les théories Front national". Je crois qu'il y a dans tout ça beaucoup d'équivoques. Il faut que ces équivoques soient levées. Elles vont l'être… .