Texte intégral
L'Humanité - Mercredi 25 novembre 1998.
Q - Pour quelles raisons le groupe communiste votera-t-il contre le projet de révision constitutionnelle ?
Tout simplement parce que ce qui nous est proposé est une première marche avant l'acceptation du traité d'Amsterdam.
Nous communistes sommes, pour des raisons de fond, contre ce traité. Nous pensons que les choses sont indissociables, et que ce qu'il faudrait c'est un référendum, une consultation du peuple, sur cette question de l'adhésion ou non au traité d'Amsterdam, avant même de discuter de cette révision. Nous allons donc poser une question « préalable », demandant précisément ce référendum. Nous proposons que toute décision de transfert de compétence au niveau européen, dès l'instant ou cela porte atteinte à la souveraineté nationale, doit être tranché par le peuple, par référendum.
Q - Certains proposent d'ajouter au projet un renforcement des droits du Parlement. Quelle est votre position ?
Nous pensons que le débat doit se concentrer sur le projet de loi du gouvernement et ne pas déborder sur autre chose, sur de fausses fenêtres. Le débat doit porter sur la demande de révision constitutionnelle, demandée par le Conseil constitutionnel. Les droits du Parlement sont une question très importante : nous pensons qu'il faut les revaloriser au regard des questions européennes et qu'il faudra ouvrir ce débat. Mais cela n'est pas à l'ordre du jour, et il ne faudrait pas que certains – je pense au RPR – essayent par cette fausse fenêtre de s'en sortir parce qu'ils ont un oursin dans les mains avec le traité d'Amsterdam. Ce serait trop facile.
Q - Si « oursin » il y a, n'est-ce pas aussi parce que cela répond à des préoccupations dont ils doivent tenir compte ?
Effectivement et ils ne savent pas trop comment s'en sortir. Ils veulent donc parler d'autre chose. Nous pensons qu'il faut parler du texte. Dans son état actuel nous allons voter contre. On ne peut pas ouvrir, à l'occasion de ce débat, la boîte de Pandore de la révision constitutionnelle.
RMC - 28 novembre 1998
Q - Avez-vous été satisfait d'entendre un M Jospin inébranlable, rappeler ses positions, et dire que le Gouvernement va dans les bonnes directions, au bon rythme ?
– « Le Premier ministre a réaffirmé, inébranlable, comme vous le dites, sa position. Que des choses bonnes aient été faites, c'est évident – je ne vais pas y insister – depuis des mois : les emplois-jeunes, les 35 heures. Mais cela dit, il reste des attentes fortes dans le pays, et notamment parmi les gens qui souffrent le plus – les salariés, les sans-papiers, les sans-domicile fixe, les sans-abris, la pauvreté, qui est une réalité. Je pense qu'il y a des urgences : augmenter les minima sociaux, relever le Smic, prendre des dispositions pour lutter contre les licenciements. Je pense que le rythme actuel n'est pas le bon rythme, et la voie choisie n'est peut-être pas la meilleure. Et donc je crois qu'il faudrait que les gens poussent à la roue. Moi je me satisfais que, dans certaines professions, des salariés s'expriment, agissent. C'est le cas, par exemple, cette semaine, des cheminots. »
Q - Mais hier, L. Jospin a eu cette phrase : « Les Français ne sont pas impatients, ce sont les journalistes et les médias qui le sont. »
– « C'est une formule. Mais moi, je peux vous dire que… »
Q - J'ai le sentiment, ce matin, que, vous aussi, vous êtes impatient ...
– « Nous sommes, nous, d'une sensibilité forte pour les intérêts de ceux qui sont les plus démunis dans ce pays ; pour ceux qui travaillent et qui sont menacés de licenciement ; nous sommes de leur côté ; nous sommes de ce camp-là, du camp de la gauche. Et il me semble que, quand on annonce ici, 300 licenciements, ailleurs 1 000 licenciements, ce n'est pas, à mon avis, tout à fait une politique de gauche. Que tout le pouvoir soit dans les mains du Gouvernement, non. Parce que le patronat met les bouchées doubles. Mais, je pense qu'il faudrait résister un peu plus. Et nous, nous avons proposé, par exemple, un moratoire à propos des licenciements. Bon. Le Gouvernement et le Premier ministre ne semblent pas vouloir examiner cette proposition, de mon ami R. Hue, qui a été faite déjà depuis plusieurs mois. Et à mon avis, ce moratoire est plus que jamais d'actualité contre les licenciements. »
Q - Vous aviez provoqué, il y a quelques mois, une très grosse colère du Premier ministre, en disant, devant vos camarades, qu'il vous semblait que L. Jospin avait un oeil tellement rivé vers l'Élysée qu'il concédait beaucoup à la droite – à l'opinion de droite – et au patronat. Vous pensez que c'est vrai aujourd'hui encore ?
– « Cela a fait beaucoup, de bruit à l'époque. Bon. C'est la loi des médias ; avec un gramme de savon on fait une baignoire de mousse. Mais je trouve tout à fait naturel qu'un homme politique, a fortiori un Premier ministre, pense ou rêve un jour d'être président de la République. Mais là n'est pas le problème. Le problème est : quelle politique on mène ? Quelle politique concrète on mène ? Et il me semble qu'il y a des ajustements qui s'imposent et que toutes les voix de la majorité plurielle, donc la nôtre, devraient un peu mieux être entendues. »
Q - Sur les sans-papiers : le Gouvernement ne change pas de politique. L. Jospin a dit, hier, que les 60 000 dont les papiers ont été refusés, devraient progressivement quitter le territoire.
– « Oui, je ne sais pas comment les choses pourraient se faire, parce que, à ma connaissance, dans le meilleur des cas, ce sont 10 000 sans-papiers, dans les années qui viennent de s'écouler, qui sont repartis chez eux. À ce rythme ça veut dire que ça va durer six ou sept ans. Je crains qu'il y ait une sorte de kyste qui s'installe avec cette affaire des sans-papiers. Je pense que, pour des raisons humanitaires, il y a un examen rapide qui doit être fait de certains cas ; ensuite que les commissions départementales se mettent au travail pour réexaminer tous les dossiers, parce qu'après tout, tous ces sans-papiers sont venus se déclarer en préfecture. Je ne suis pas pour la régularisation de tout le monde, mais qu'au moins on examine les dossiers, démocratiquement. Le résultat, aussi, c'est qu'on n'a pas abrogé les lois Pasqua-Debré qui ont été aussi à l'origine de cette réalité des sans-papiers. J'ai rencontré, il y a 15 jours, un travailleur immigré, qui est aujourd'hui sans-papiers, qui est depuis 19 ans en France, et qui, avant les lois Pasqua-Debré n'était pas sans-papiers. Donc il y a des cas de ce type qui devraient être examinés. Voilà. »
Q - Vous avez dit, tout à l'heure, que votre voix n'était pas assez entendue au gouvernement ; le sentiment qu'on ne prend pas assez en compte vos demandes. Comment pensez-vous remédier à cet état de choses, puisqu'il s'agit quand même de la force de votre parti qui est enjeu ?
– « Nous avons des propositions. Elles ne sont pas à prendre ou à laisser. Elles ne sont pas toujours retenues, et c'est regrettable. Nous, nous disons, ce que nous avons à dire, nous, les ministres communistes au gouvernement, les députés à l'Assemblée nationale.' »
Q - Mais comment, dans le futur, pensez-vous pouvoir…
– « Mais je pense qu'il faudrait que les gens poussent un peu à la roue. Il faudrait que nos idées ... Par exemple, nous avons fait une pétition, avec quelques axes bien précis – comme l'impôt sur les grosses fortunes, pour ne citer que cet exemple, pour la réduction de la TVA –, cela a aidé d'ailleurs dans l'évolution du budget qui est en cours de discussion. Il faut quand même le noter comme un acquis important. Nous avons fait bouger le budget de l'ordre de 14 milliards ; ça n'est jamais arrivé, même depuis 81. Donc ça, c'est le prix d'une bataille appuyée par les 200 ou 300 000 pétitions qui ont été signées par des gens que nos militants ont contactés. Donc, je crois qu'il y a une articulation intelligente qui doit se faire entre le travail des ministres, le travail des députés, l'action revendicative, l'action des militants communistes. Tout cela fait un tout, et fait que la pression peut faire évoluer les choses. Je ne sais pas si c'est un scoop, mais j'ai appris dans les couloirs de l'Assemblée nationale, hier, qu'il se pourrait que dans la deuxième lecture, quant à la loi de la Sécurité sociale, on revienne sur la taxe qui a été augmentée à propos des trusts pharmaceutiques. Je trouverais cela scandaleux. Bon, évidemment, les trusts pharmaceutiques font du lobbying, et ils font pression, y compris sur le Gouvernement C'est la preuve que, d'un côté certains défendent leurs intérêts. Et les salariés, les gens du peuple doivent défendre, eux aussi, leurs intérêts et pousser à la roue. »
Q - Sur l'Europe, vous allez voter, quand même, comme de Villiers...
– « Nous n'allons pas voter comme de Villiers. De Villiers, d'ailleurs, hier, a déposé une procédure contre laquelle nous nous sommes exprimés ; nous avons été contre, parce que notre politique ce n'est pas le même contenu. Nous sommes pour l'Europe : l'Europe des peuples, une Europe librement consentie. Mais c'est une Europe de gauche, avec comme objectif le progrès social, le plein emploi, la substitution au Pacte de stabilité d'un pacte pour·l'emploi et le progrès social. Ce n'est pas tout à fait la même chose que de Villiers. »
Q - Sur les élections européennes : le PC va aller à la bataille seul, ou bien il est encore possible, et imaginable, que vous ayez des alliés, que vous ayez une liste commune avec le PS, par exemple ?
– « Non. Nous avons annoncé que nous faisions une liste à forte visibilité communiste. Et évidemment, ce sera une liste de rassemblement, une liste ouverte à d'autres. Nous avons des contacts ; rien n'est actuellement conclu définitivement. Mais c'est ce à quoi nous travaillons. Nous n'avons pas la même position que nos partenaires dans la gauche, que sont nos amis socialistes la preuve c'est qu'ils vont voter pour la révision constitutionnelle pour le Traité d'Amsterdam. Nous, nous allons voter contre. »
Q - Vous pouvez aller à la bataille avec le Mouvement des citoyens de M. Chevènement ?
– « Les discussions vont bon train. J'ai constaté, hier, que dans la motion de procédure – c'est-à-dire : la question préalable que j'ai déposée à propos de la révision constitutionnelle –, nos amis du groupe MDC nous ont soutenus et ont voté comme nous. »