Texte intégral
L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI - 19 novembre 1998.
Edj :
Pourquoi êtes-vous contre le Pacs ?
Philippe Seguin :
Le pêché originel du Pacs, c'est que le gouvernement et sa majorité n'ont pas cherché à son propos un véritable débat mais un profit politique. Ce n'est certes pas la première fois qu'un exécutif veut s'affranchir des règles « prudentielles » qui lui sont imposées en matière de projets de loi et décide « d'y aller à la hussarde » en confiant l'initiative à sa majorité parlementaire. Cela permet de ne pas être en première ligne, d'aller vite (théoriquement !) et de partager, quand même, le bénéfice de l'opération. La précédente majorité avait elle-même fauté de la sorte, notamment avec la réforme de la loi Falloux, finalement retirée devant le tapage suscité. Car, dans ce genre de circonstances, l'opposition, quelle qu'elle soit, se dit : « Ils essaient de faire un coup politique, de passer en force, donc je me lance dans une partie de bras de fer ». Généralement, et par la force des choses, ce genre de textes n'est ni fait ni à faire. C'est le cas du Pacs. Dommage. Car regardez ce qui s'est passé, par exemple, avec les textes sur la bioéthique, eux-mêmes explosifs à bien des égards. Il y a eu un large débat, bien préparé, et tout s'est passé dans la sérénité.
Edj :
Si vous aviez été au pouvoir, auriez-vous eu l'initiative d'un projet de loi comparable ?
Philippe Seguin :
Je n'en doute pas une seconde. Mais cela aurait été un texte sérieux. Il aurait fait grincer des dents, mais il aurait été voté.
Edj :
Vous êtes favorable à la reconnaissance du couple homosexuel aujourd'hui ?
Philippe Seguin :
Les décès dus au sida dans les couples homosexuels ont révélé un certain nombre de problèmes douloureux qu'il fallait traiter. D'ailleurs, tout conservateurs ou réactionnaires que nous serions, à ce qu'on dit, nous avons quand même déposé une série d'amendements qui portent sur les problèmes de succession, de logement et autres qui ont pu être rencontrés. Vous savez, je ne crois pas que la proportion d'homosexuels soit moins importante à droite qu'à gauche. Le sida lui-même n'a fait aucune différence entre la droite et la gauche.
Edj :
Que pensez-vous du rôle joué dans cette affaire par Christine Boutin ?
Philippe Seguin :
Elle a exprimé avec conviction une sensibilité qui n'est pas unanimement partagée par l'opposition. Pour ma part, je me réjouis que le RPR, hostile au texte, ait quand même proposé à Roselyne Bachelot de prendre la parole. Je me réjouis aussi de la qualité exceptionnelle de l'intervention de Patrick Devedjian. Tout cela prouve que la démocratie interne est une réalité dans notre Rassemblement.
Edj :
Parlons de Charles Millon, quelle est votre stratégie à son égard ?
Philippe Seguin :
Nous déplorons sa démarche, qui nous semble dépourvu de cohérence. Il prétend vouloir imposer son unité à l'opposition et il crée un parti supplémentaire. Il prétend refuser l'idée même d'accords avec le FN (après avoir accepté ses voix) et rassemble ceux qui veulent des accords. Cela dit, nous entendons combattre ses choix démocratiquement. Nous condamnons ceux qui usent à son encontre de méthode d'un autre âge, comme la pression morale, voire physique. Cela est tout à fait inacceptable à nos yeux.
Edj :
S'agissant du FN, quelle est l'analyse et la stratégie du RPR aujourd'hui ?
Philippe Seguin :
Je déplore l'accoutumance trop fréquente à cette si regrettable exception française. Moi, je crois qu'il faut tout faire pour que ses 15 % soient un jour 13, puis 10, puis 8. C'est un objectif prioritaire. Alors, quelle est la meilleure manière d'y parvenir ? Je ne crois pas que ce soit par un « arc républicain », en constituant des majorités dans les régions avec les socialistes. Parce ce que nous justifierons et nous exacerberions les réactions de ceux qui nous ont reproché de « laisser des Régions à la gauche ». Et puis nous conforterions les électeurs du FN dans l'idée qu'il est le seul recours face à la majorité. Non, le seul moyen, c'est de travailler de pied à pied pour réduire l'espace de l'extrême droite.
Edj :
Peut-on imaginer des accords entre élus ?
Philippe Seguin :
Un accord, ça ne peut se prendre que devant les électeurs. Donc avant l'élection. Si on le passe après, sans avoir prévenu préalablement, il y a tromperie sur la marchandise. Donc, ma réponse est non.
Edj :
Et pour les prochaines municipales ?
Philippe Seguin :
Il n'y aura évidemment aucun accord.
Edj :
On parle de la polémique sur 14-18 ? Quelle mouche vous a piqué ? Quatre-vingts ans après, ça paraît normal de réhabiliter les mutins de 1917 ?
Philippe Seguin :
Ce qui est terrible dans le système politico-médiatique, c'est qu'on ne peut jamais s'exprimer au fond. Parce qu'on rapporte des mots glanés çà ou là et jamais une analyse. Alors, résumons. Je suis, par principe, hostile à l'écriture de l'histoire par un pouvoir, quel qu'il soit. Je crois qu'il vaut mieux laisser aux historiens… Cela n'empêchera pas que nous soyons les héritiers de toute notre histoire, qui est un bloc. Cela dit, je comprends qu'un pouvoir puisse avoir recours à l'histoire pour donner un signe, qui puisse éclairer l'avenir… Il lui faut alors être d'une extrême prudence. Dans le cas d'espèce, ces précautions n'ont pas été respectées. C'est un contre signe qui a été adressé. D'où ma réaction.
Edj :
La réhabilitation des mutins de 1917 par Lionel Jospin, cela vous a mis en colère ?
Philippe Seguin :
Certes. D'autant qu'il était évident qu'il y avait une opération montée de toutes pièces. Notre première réaction avait été modérée. Il y a eu ensuite un journal du soir qui a donné toute son ampleur à la polémique. L'Élysée n'est intervenu qu'après. Et je passe sur la campagne au terme de laquelle tout cela était lié à je ne sais quels problèmes entre l'Élysée et le RPR…
Edj :
Et le nouveau communiqué du RPR qui est venu relancer la polémique ?
Philippe Seguin :
Il n'a rien relancé du tout. Il a approuvé le propos du président. Nous avons seulement ajouté que si l'insubordination avait fait école, le territoire national aurait été envahi. Il ne fallait donc pas la donner en exemple.
Edj :
Quatre-vingts ans après, c'est presque une caricature de la droite couvrant l'État-Major ?
Philippe Seguin :
C'est plutôt vous qui caricaturez. Il y a des imbéciles partout. Il y en avait dans l'État-Major en 14-18. Cela dit, il est facile de juger hors du contexte. Et Nivelle venait de gagner à Verdun… Mais le problème n'est pas là. Les gens qui ont été fusillés méritent de la compassion, du respect et même, à la limite, pourquoi pas, une réhabilitation individuelle. Pour autant il ne saurait être question d'exalter un acte collectif dont les conséquences auraient pu être très négatives. C'est ça le problème.
Edj :
Mais pourquoi, après cette polémique, dérapez-vous sur des dossiers qui n'ont plus rien à voir : les Waffen SS, Déat, Doriot, les gens de Vichy ?
Philippe Seguin :
Parce que M. Hollande a donné à entendre que d'autres initiatives de même genre pourraient être utilement prises s'agissant de Vichy ou de la guerre d'Algérie. Or, j'applique le même raisonnement. Pardon individuel. Confirmation de la faute collective.
Edj :
Y compris les Waffen SS !
Philippe Seguin :
Il y a des Français encouragés par les autorités à l'époque qui ont porté cet uniforme… Leur faute dispense-t-elle de s'interroger sur leurs intentions ? Lisez ce qu'a dit de Gaulle sur Pierre Pécheux, le ministre de l'Intérieur de Vichy qui a été fusillé en Afrique du Nord. Parmi ceux qui ont choisi Vichy, certains ont cru servir leur pays. Dois-je rappeler qu'à Vichy, il y avait aussi des gens de gauche ? Dois-je rappeler que les villes qui avaient porté au pinacle les grands artisans de la collaboration étaient des villes de la « ceinture rouge » ?
Edj :
Vous pensez qu'on n'a pas dit toute la vérité sur la collaboration de gauche ?
Philippe Seguin :
Les choses ne sont pas si simples. Mais il y a aussi des gens de gauche qui ont basculé et certains n'étaient pas uniquement attirés par l'appât du gain ni forcément des salauds.
Edj :
Est-ce votre réponse à ceux qui ont rappelé à l'occasion du procès Papon que le général de Gaulle n'avait pas assez fait le ménage ?
Philippe Seguin :
J'ai dit très précisément que la justice devait passer mais que, pour autant, ce procès ne devait pas être prétexte à faire celui du général de Gaulle et du gaullisme.
Edj :
Mais personne n'avait envie de le faire ?
Philippe Seguin :
Je n'ai pas eu ce sentiment. Et si j'ai pu contribuer à étouffer dans l'oeuf ce mauvais procès, je m'en réjouis. Croyez-vous qu'on ait, par exemple organisé une campagne sur les manifestations FLN de Paris sans arrière-pensée ?
Edj :
D'une manière plus générale, puisque nous parlons de repentance, pensez-vous comme François Mitterrand que Vichy n'était pas le France ou comme Jacques Chirac, qui a reconnu la responsabilité de la police française dans la rafle du Vel'd'Hiv, que Vichy c'est aussi la France ?
Philippe Seguin :
Vous voyez toute la difficulté de l'incursion historique. Chirac a bien raison d'accompagner sa démarche. Mais, par ailleurs, il demeure que la République n'a jamais cessé entre 1940 et 1944. Et que Vichy est nul et non avenu… Sinon, vous justifiez tout a posteriori, et en particulier ce qu'a justement condamné le président.
Edj :
Ces débats sont-ils une perte de temps ou servent-ils à comprendre la France d'aujourd'hui ?
Philippe Seguin :
Le problème c'est souvent que plus l'ignorance des faits est crasse, plus la participation à ce genre de débats se fait avec entrain. Il faut de la prudence. Et puis assez de toutes ces repentances ! On ne va pas passer sa vie à confesse.
Edj :
Parlons de votre élection à la tête du RPR en décembre. C'est au suffrage universel des militants, mais vous êtes le seul candidat. Ce n'est pas ce qu'on appelle un plébiscite ?
Philippe Seguin :
J'ai déjà dit que je regrettais cette situation, mais c'est la preuve qu'on a encore du chemin à faire dans notre mutation culturelle.
Edj :
Vous ne croyez pas que s'il y avait, comme au PS, des courants au sein du RPR vous auriez trouvé des candidats ?
Philippe Seguin :
Est-ce qu'il y a encore des courants au Parti Socialiste ? Je n'en suis pas sûr. Et puis sur quel critère les organiser ? Pour un « courant Pasqua », il faudrait rassembler ceux qui sont contre le traité d'Amsterdam et ceux qui veulent régulariser les sans-papiers. Or, ce ne seront pas forcément les mêmes ! Alors, bien sûr, un courant peut aussi rassembler les supporters de quelqu'un. Mais chez nous, il n'y a pas de problème de ce côté-là ? Ça se fait tout seul.
Edj :
Êtes-vous heureux d'être bientôt le premier président du RPR élu au suffrage universel ?
Philippe Seguin :
Dès lors qu'il y a un président, il doit être élu démocratiquement. Mais je vous assure que je regrette de m'être laissé convaincre par le président de la République qu'il fallait maintenir un président à la tête du RPR. Il fallait s'en tenir à un secrétaire général car notre seul vrai président, aujourd'hui, est à l'Élysée.
Edj :
En quelque sorte, cela vous met en situation de cohabitation avec le président de la République ?
Philippe Seguin :
Disons que cela nous met dans une situation d'ambiguïté potentielle qui peut être exploitée par certains. On aurait dû l'éviter.
Edj :
Pourquoi, dans un premier temps, avoir dit que vous ne vous représenteriez pas à la présidence du RPR ?
Philippe Seguin :
Parce que j'avais terminé mon mandat. Ça me paraît une bonne raison.
Edj :
Pourquoi avez-vous changé d'avis ?
Philippe Seguin :
Parce qu'il a semblé qu'il n'y avait pas d'autre solution.
Edj :
Vous êtes le seul recours ?
Philippe Seguin :
Non, pas le seul recours. Celui qui est, à un moment donné, le plus petit commun dénominateur. Vous voyez, je ne fais pas de l'immodestie…
Edj :
Face au champ de ruines qu'est aujourd'hui la droite, vous devez être content. Le RPR est le seul repère de l'ancienne majorité qui tienne encore.
Philippe Seguin :
Nous ne faisons aucun triomphalisme. Cette impression est peut-être le résultat de nos efforts, mais elle est aussi, en partie, un effet d'optique lié à la nouvelle organisation de nos partenaires. Nous voulons l'union. Nul, dans l'opposition, n'a la vocation ni les moyens de reconquérir le pouvoir puis de gouverner seul. Donc autant s‘organiser, à travers l'Alliance pour la France, puisque de toute façon on y est voués. Il faut le faire le plus rapidement possible, tout en ayant conscience des difficultés de l'exercice. Qu'on se rassure : j'en ai conscience !
Edj :
A quoi doit servir le RPR dans l'avenir ?
Philippe Seguin :
Se moderniser et travailler à l'union pour gagner les législatives et contribuer à la réélection de Jacques Chirac. Je ne crois pas, en effet, m'avancer beaucoup en vous disant que le président de la République actuel sera candidat.
Edj :
Si Chirac est réélu, s'il doit reprendre son programme de 1995, notamment à propos de ce qu'il avait appelé la « fracture sociale », il faudra tout de même qu'il tienne ses promesses cette fois.
Philippe Seguin :
En 1995, il y a eu une priorité qui s'est imposée et qui consistait à faire entrer la France dans les critères de Maastricht. Mais tout ça, c'est de l'histoire ancienne.
Edj :
Passons à Lionel Jospin, on dirait que vous ne l'aimez guère ?
Philippe Seguin :
Cette opposition est fonctionnelle, si j'ose dire… A titre personnel, je n'ai rien contre M. Jospin. Et je suis mieux placé que quiconque pour discerner ses qualités.
Edj :
Oui, mais au-delà de votre rôle d'opposant ?
Philippe Seguin :
Je trouve que Jospin reste trop engoncé dans la formation idéologique qu'il a reçue. Nous ne procédons visiblement pas de la même culture. Je n'ai pas aimé non plus sa façon dont il a géré l'Éducation. Disons, pour faire court, qu'il ne nous viendrait, ni à lui ni à moi, l'idée de partir en vacances ensemble. Au risque de lui attirer des ennuis, quitte à choisir, je préférerais partir avec Julien Dray…(rire).
PARIS NORMANDIE - vendredi 27 novembre 1998.
Paris Normandie :
La France dans l'Europe : sa souveraineté peut-elle se diviser, se partager ?
Philippe Seguin :
Non, nous croyons, pour notre part, que la souveraineté est inaliénable. C'est ce que continue à dire notre texte constitutionnel qui ne reconnaît qu'un souverain : le peuple. Mais la France peut, dans la mesure où il en résulte une réelle valeur ajoutée pour le citoyen, accepter d'exercer en commun des compétences. A condition toutefois que nous ayons toujours la faculté, si nos intérêts fondamentaux sont en jeu, de faire valoir une clause de sauvegarde.
En clair nous disons : l'État national exerce des attributions de droit commun, l'Union européenne doit exercer des compétences d'attribution, dès lors qu'il apparaît nécessaire de regrouper nos forces et nos moyens au bénéfice des peuples et des citoyens.
Cela dit, vous comprendrez aisément que le terme de « partage » de souveraineté est inapproprié. Il s'agit d'exercice en commun par plusieurs pays d'éléments de leur souveraineté.
Paris Normandie :
Sur cette Europe d'Amsterdam, fille de l'Europe de Maastricht, avez-vous la conviction du catéchumène ?
Philippe Seguin :
Non, je n'ai pas le sentiment d'être un nouveau converti. Je reste fidèle, sur l'Europe, à mes convictions. Convictions qui n'ont évidemment rien à voir avec la caricature qui en a été faite. Il existe plusieurs manières de faire l'Europe, comme il existe plusieurs politiques possibles pour la Nation.
Pour ma part, je considère que l'Europe issue du traité de Maastricht souffre d'un déficit démocratique qui n'est pas près d'être comblé. Il se conjugue avec une absence de dessein politique clairement affiché, qui nuit à l'ambition qu'il faut avoir pour l'Europe. Aujourd'hui, d'ailleurs, tout le monde reconnaît peu ou prou la valeur des objections qui avaient été formulées à l'époque…
Quand au traité d'Amsterdam, si par défaut d'ambition de certains de nos partenaires, son contenu est insuffisant et partiel, il ne me paraît pas justifier un refus catégorique dont j'ai du mal à discerner, dans la situation présente, les avantages.
Paris Normandie :
Le système de candidature unique de l'Alliance semble réussir pour les élections partielles de ce dimanche. Cette stratégie vaut-elle pour l'élection européenne ?
Philippe Seguin :
Je me réjouis des bons résultats obtenus au premier tour des élections partielles par les candidats de l'Alliance pour la France. Cela montre qu'en dépit des sarcasmes que sa création a suscités, cette initiative correspondait à une attente autant qu'à une nécessité.
Pour autant, le protocole de fraction de l'Alliance souligne, très sagement, que celle-ci déterminera, élection par élection, la meilleure stratégie concertée possible et choisira, quand il y a lieu, les candidats communs.
Nous le ferons pour les élections européennes, en temps et en heure. Même si les arguments militant pour une liste d'union de l'opposition se renforcent tous les jours…
Paris Normandie :
Cette liste unique doit elle être conduite sur le point moyen de la position de l'Alliance sur l'Europe ? Ou sur son point le plus « fédéraliste ». En somme : Séguin ou Bayrou ?
Philippe Seguin :
Elle ne devrait pas être établie sur le plus petit dénominateur commun, mais sur une véritable ambition pour l'Europe, une ambition commune et partagée. S'il ne s'agissait que d'élaborer un compromis boiteux entre des divisions antagonistes de l'avenir du continent, une liste commune ne serait pas en mesure de rassembler et de mobiliser. Il faudrait donc que chacun aille à la bataille sous sa propre bannière.
En revanche, si nous parvenions – et c'est mon espoir – à nous accorder sur une même vision de l'Europe que nous voulons, une vision claire et forte de cette Europe, alors nous pourrions faire cause commune. Pour défendre une Europe démocratique, proche des peuples, fondée sur leur adhésion et non bâtie sur leur scepticisme. Pour promouvoir une Europe qui, forte de cette légitimité, assure un jour sa propre sécurité ; une Europe qui joue dans le monde un rôle politique autonome ; une Europe qui défende un modèle de société et un modèle culturel qui lui soient propres.
Il est d'autant plus nécessaire que nous nous unissions pour défendre cette conception de l'Europe, que les socialistes, qui gouvernent treize pays de l'Union sur quinze, ne manqueront pas de se rassembler. Il importe donc que les formations de droite et du centre droit ne se dispersent pas.
Paris Normandie :
Au fait, l'Alliance : c'est quoi ?
Philippe Seguin :
L'alliance Pour la France est une tentative de répondre à deux aspirations, apparemment contradictoires. D'une part, une demande d'union qui émane de l'électorat de l'opposition, lassé de ce qui apparaît comme des querelles de prés carrés et des rivalités personnelles. De l'autre, l'exigence du respect de la diversité des courants de pensée fidèles aux valeurs de la République, qui existent en France face à la gauche.
Il s'agit, en fait, d'organiser la plurialité de l'opposition, afin d'en faire un atout et non de la traîner comme un handicap. Tel est l'objectif central de l'Alliance qui s'est constituée et qui se met peu à peu en place.
Bref : personne ne peut gagner seul ; personne ne pourra gouverner seul. Alors autant travailler ensemble. Tout de suite…
Paris Normandie :
Le gaullisme, c'est la participation ; le chiraquisme version 95, c'est la lutte contre la fracture sociale. Pourtant, la droite symbolise, dans l'esprit des Français, un libéralisme sans concession. Avez-vous l'intention de corriger cette image ? Et comment ?
Philippe Seguin :
Je ne partage pas votre analyse qui me paraît – et vous m'en pardonnerez – caricaturale. Il est évidemment beaucoup plus facile à discréditer nos propositions, en agitant l'épouvantail commode de l'ultra libéralisme dont personne – soit dit en passant – ne sait ce qu'il recouvre, que d'analyser notre projet pour ce qu'il est : une réponse pragmatique, réaliste, nationale et européenne au seul défi qui compte : la mondialisation.
Cette mondialisation rend obsolète le clivage artificiel que certains tentent de maintenir entre libéralisme et préoccupation sociale. C'est au nom même du « social », de la préservation de notre modèle de société, qu'il nous faut donner à notre économie les moyens de réussir et permettre à nos entreprises d'affronter victorieusement la mondialisation.
Si nous adoptons une attitude frileuse, défensive, nous subirons la mondialisation et ses conséquences parfois traumatisantes, au lieu d'en tirer le meilleur parti possible.
C'est notre responsabilité de le dire aux Français, même si le gouvernement préfère, par électoralisme, taire cet enjeu.
Paris Normandie :
Pour conduire une politique sociale progressiste, vaut il mieux un attelage Jospin-Hue, ou un attelage Séguin-Madelin ?
Philippe Seguin :
Ce qui est sûr, en tout état de cause, c'est que la politique conduite actuellement n'a rien de progressiste. Elle est même, derrière la façade de modernité qu'elle aime à faire admirer, d'un rare archaïsme.
Voyez seulement la conception qu'ont les socialistes du travail. Elle résume tout. Les 35 heures, telles qu'on nous les propose – que dis-je, telles qu'on nous les impose – ne sont pas seulement inopérantes et dangereuses. Elles traduisent une vision du travail qui n'est pas la nôtre. Une vision du travail qui remonte au XIXe siècle et dont la gauche est toujours inspirée. Un travail qui opprime, qui aliène, qui exploite les hommes. Or, pour nous, le travail émancipe, le travail épanouit, le travail protège. Il donne à l'Homme sa place et sa dignité dans la société démocratique. C'est cela, une vision moderne du travail.
De même, notre conception de la solidarité n'a rien à voir avec celle des socialistes. Eux pratiquent l'assistanat, qui maintient les exclus dans une situation de dépendance. Nous, nous voulons les aider à retrouver les chemins de l'autonomie et de la responsabilité.
Q - De Charles Pasqua à Daniel Cohn-Bendit, axe improbable, on réclame la régularisation des sans-papiers qui se sont présentés dans les préfectures… Le gouvernement campe sur la position : pas de régularisation hors critères. Et vous ?
Philippe Seguin :
Il faut sortir de l'hypocrisie qui caractérise la situation actuelle. C'est bien joli de prendre la posture de la fermeté et de dire : je ne régulariserai pas. Mais si on organise pas le retour des non régularisés dans leur pays, ça sert à quoi ? Sinon à maintenir dans une situation scandaleuse des malheureux qui sont tolérés mais sans bénéficier des droits minimums qui leur permettraient de vivre décemment ? Alors, il faut en sortir et vite. Nous avons fait des propositions raisonnables, réalistes et humaines pour organiser ces retours.
Q - M. Jospin a le choix : soit il adopte ces propositions, soit il doit présenter de plates excuses à Mme Voynet qui, elle, a au moins le mérite de la cohérence – même si nous contestons ses solutions – et reconnaître ainsi qu'il n'a jamais eu vraiment l'intention de lutter contre l'immigration clandestine…