Interviews de M. François Léotard, président du PR, à Europe 1 le 19 octobre 1995 à France 2 le 25 et dans "Le Point" du 28, sur son livre "Ma liberté", sur l'attitude du gouvernement vis-à-vis de sa majorité parlementaire et sur la rénovation de l'UDF.

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Circonstance : Publication par François Léotard d'un livre intitulé "Ma liberté", octobre 1995

Média : Europe 1 - France 2 - Le Point - Télévision

Texte intégral

Europe 1 : jeudi 19 octobre 1995

Q. : L'amendement PR est passé dans la joie : « Embrassons-nous Folleville » ?

R. : Ce que nous voulons, c'est que les modifications qui sont apportées au texte du gouvernement permettent des réformes. Qu'on ne cherche pas de l'argent pour chercher de l'argent, des recettes, des impôts nouveaux, mais que ça débouche sur une vraie réforme permettant ensuite d diminuer les impôts. C'est la philosophie libérale. Nous nous sommes battus pour ça. Si on fait quelque chose sur l'assurance-vie, si on fait quelque chose sur l'épargne, il faut que ça ait une conséquence sur l'impôt sur le revenu et les fonds de retraite, la retraite par capitalisation.

Q. : Moyennant quoi, vous mettez les pouces ?

R. : Notre rôle est d'aiguillonner le gouvernement et de faire en sorte qu'il accepte cette idée simple : le Parlement est là pour améliorer les textes de l'exécutif et pour le contrôler. C'est la fonction normale du Parlement.

Q. : Dans « Ma liberté », il semble que vous ne pensiez pas que du bien du gouvernement : vous en parlez comme un « gouvernement de premier tour, posé de manière instable et artificielle sur les 20 % du 7 mai ».

R. : J'ai toujours dit depuis que ce gouvernement a été constitué qu'il aurait été plus efficace et plus porteur d'avenir de s'ouvrir à l'ensemble de la majorité, à la fois dans l'exécutif, les projets, les réflexions sur l'avenir de notre pays et sur son économie. Or cela n'a pas été fait, et c'est dommage. On en ressent aujourd'hui les conséquences.

Q. : Vous parlez d'une volonté impérieuse d'écarter ceux qui ne s'étaient qu'imparfaitement prêté à cet événement ?

R. : C'est une peu ce qui s'est passé. Bien sûr, on peut toujours dire que c'est le passé. C'est vrai. Mais ce passé, il a des effets aujourd'hui : on voit bien qu'à ne pas avoir entendu la voix de ceux qui s'étaient exprimés autrement, à avoir voulu les écarter, on a un exécutif très isolé.

Q. : Faut-il remanier le gouvernement dans le sens d'une ouverture ?

R. : En tout cas, il faut prendre en charge et prendre en compte les réflexions que nous faisons. Nous sommes peu associés à l'exécutif, c'est comme ça. Eh bien, au moins, qu'on nous écoute au Parlement. Au moins, qu'on fasse en sorte que les réformes que nous proposons soient prises en charge par le gouvernement, par e pouvoir. C'est le rôle du parlementaire. Je souhaite pour ma part que ce gouvernement comprenne qu'il y a certains parlementaires de la majorité qui souhaitent que les choses se passent autrement.

Q. : Autrement, c'est mieux ?

R. : Autrement, c'est mieux : qu'on n'augmente pas indéfiniment la fiscalité, mais qu'on fasse des économies sur les dépenses publiques ; qu'on essaie d'insérer ce processus dans une perspective européenne, ce qui n'est pas le cas ; qu'on fasse en sorte que des réformes importantes, notamment sur la fiscalité des revenus, puissent être faites le plus vite possible. Un gouvernement sans réformes, c'est un gouvernement sans avenir.

Q. : La petite équipe au pouvoir gagnerait à s'ouvrir à des balladuriens ?

R. : Ce ne sont pas tellement les hommes. Ils le feront, le Président le fera s'ils le souhaitent. C'est de leur responsabilité. C'est surtout aux idées. Nous avons réformé les retraites sous le gouvernement d'E. Balladur sans qu'une seule personne descende dans la rue. La méthode est donc importante. Qu'on nous écoute un peu sur la méthode. Qu'on nous écoute un peu sur le fond. Qu'on nous écoute lorsque nous demandons à l'Etat de faire des économies et de moins écraser les Français sous la fiscalité désordonnée que les Français ont connue depuis une quinzaine d'années. Il faut sortir du socialisme, non par la porte de service, mais par le haut. Il faut montrer que l'élection du président de la République, c'est une véritable rupture avec 15 années socialistes ou socialisantes.

Q. : Espérez-vous être entendus ?

R. : Je pense que nous le sommes dans le débat budgétaire. Si nous ne l'étions pas, je peux vous dire que le gouvernement prendrait des risques vis-à-vis de sa propre majorité, parce qu'il a tout intérêt à être ce pour quoi il a été élu : ses valeurs, des conceptions liées à l'économie de marché, à l'initiative, à la responsabilité individuelle et à la baisse de la fiscalité.

Q. : Vous réservez à V. Giscard d'Estaing les plus acérés de vos traits.

R. : Je suis surtout un homme positif quant à l'avenir. Je souhaite vraiment que nous ne nous complaisions pas dans des querelles passées. Nous avons vécu une période présidentielle qui a été difficile, qui n‘a pas été très agréable pour tout le monde. Nous n'avons pas été gagnants au premier tour. Tout ça appartient au passé. Je voudrais qu'on regarde maintenant l'avenir de façon plus positive et généreuse, qu'on associe tout le monde, qu'on écoute tout le monde, qu'on nous écoute un peu dans la gestion des affaires de la France.

Q. : Peindre Giscard sous les traits de « l'homme qui a la volonté d'humilier, dont la signature ressemblait à cette pratique avait fait l'essentiel du comportement », c'est du parricide ?

R. : C'est une réflexion sur cette période de six mois que nous avons connu entre janvier et juin 1995, qui s'appelle la campagne présidentielle. C'est un livre qui retrace l'histoire de cette campagne. Ce que vous citez n'est pas l'essentiel du livre.

Q. : Sur Giscard, c'est l'essentiel !

R. : Il n'y a que ça : c'est un moment donné dans l'histoire de cette campagne.

Q. : Vous pensez vraiment que quand il soutient Chirac, il fait un roi parce que ce n'est pas tout à fait de l'impuissance ?

R. : J'ai toujours indiqué que la rivalité qui était celle qu'on a connue de ces deux hommes était porteuse de difficultés pour la majorité, qu'il fallait trouver d'autres personnes, d'autres moyens pour régler les différends à l'intérieur de la majorité. Ça a été le cas dans cette campagne présidentielle où nous avons vu que les rivalités de personnes ont malheureusement rendu le message opaque pour la majorité. Notre devoir, c'est de mettre cette question de personnes de côté pour trouver un message qui touche les Français, qui ne soit pas le message socialiste qu'ils ont trop entendu et que récemment encore ils ont rejeté.

Q. : Et la présidence de l'UDF ?

R. : Elle sera certainement plus collégiale qu'elle ne l'est aujourd'hui. Elle sera à l'abri des compétitions de personnes, ce que je souhaite.

Q. : Le vrai héros du livre, c'est Marc-Antoine ?

R. : C'est mon fils, qui a deux ans. Le rôle des hommes publics aujourd'hui, c'est de penser à ces français qui existeront encore en 2010, 2020, pour laisser une France qui marche.

J'ai beaucoup pensé dans ma vie publique depuis plusieurs mois à mon fils pour faire en sorte qu'il soit un Français heureux, libre, fier de son pays, de sa langue, de ses paysages, de sa culture. C'est une façon de transmettre un héritage.


France 2 : mercredi 25 octobre 1995

Q. : Vous avez eu des mots assez durs disant qu'on a voulu écarter les balladuriens du gouvernement et que l'on a, aujourd'hui, un exécutif très isolé. Il y a des rumeurs de remaniement. Seriez-vous prêt à participer à un éventuel gouvernement, et avec quel Premier Ministre ?

R. : Non, j'ai fait un autre choix, qui est celui de travailler au Parlement, à la Commission des finances, et de reprendre le PR, la famille libérale en France. Je n'ai donc pas ce désir. Je ne crois pas non plus que cela soit une bonne chose pour le président de la République., que de changer un gouvernement cinq mois à peine après l'avoir constitué. Ce gouvernement a encore devant lui de nombreux mois.

Q. : Vous critiquez sa faible représentativité politique.

R. : C'est un fait passé. Tout le monde l'a reconnu il y a cinq mois maintenant. Mais il n'est pas utile de changer les choses rapidement. Il faut que le gouvernement aille jusqu'au bout de sa démarche et de ses projets. Et nous le soutiendrons, il n'est pas question de faire autrement. Ce que nous voudrions, c'est qu'au Parlement, on nous entende. Et qu'au lieu de choisir systématiquement l'accroissement des recettes, de la fiscalité française, on choisisse la baisse des dépenses. C'est un raisonnement simple auquel notre pays est soumis. Si on ne fait pas comme cela, le gouvernement aura des difficultés.

Q. : A la page 37 de votre livre, « Ma liberté », vous écrivez : « je continue à penser qu'E. Balladur aurait été un excellent Président pour la France. » Pas J. Chirac ?

R. : Balladur aurait été un excellent Président, mais je ne cherche pas à comparer les qualités de l'un et de l'autre. Il y avait une question simple qui était posée à J. Chirac, au lendemain de son élection : voulez-vous, pouvez-vous, sortir de 14 années de présidence socialiste ? A l'heure qu'il est, on n'a pas encore apporté de réponse à cette question. Les décisions qui ont été prises depuis cinq mois, cinq mois marqués par une très forte augmentation des prélèvements obligatoires, ne vont pas dans cette direction. Donc, je repose la question. Je lance un appel à J. Chirac : aidez-nous à sortir du socialisme ! C'était cela le mandat qu'il avait demandé et obtenu des Français. Sur ce thème-là, il aura notre total soutien. Nous respections la volonté des Français lors de cette élection présidentielle.

Q. : Dans le livre d'E. Balladur, les vacheries contre J. Chirac ont été gommées. C'est pour ne pas insulter l'avenir ? E. Balladur espère revenir au tout premier plan ?

R. : Très franchement, je n'en sais rien. Je ne suis pas son confident. Mais cela ne sert à rien de ressasser quelque rancune que ce soit ; Il y a maintenant un avenir devant nous, avenir qui passe par un succès souhaitable de la majorité en 1998. Nous entendons y prendre toute notre part. Nous le faisons actuellement à l'Assemblée en mettant l'accent sur une vraie politique libérale. C'est-à-dire baisse des prélèvement obligatoires, baisse de la dépense publique, réduction des déficits, et ouverture européenne. Si on nous écoute, nous aurons toutes les chances de gagner ce rendez-vous.

Q. : Comment expliquez-vous l'extraordinaire chute de popularité de l'équipe au pouvoir.

R. : J'ai une explication simple, qui est difficile pour eux. C'est la contradiction très forte qu'il y a entre le calendrier monétaire – Maastricht, 1999, qui suppose beaucoup d'efforts – et le calendrier politique - l'élection législative de 1998. Ce sont des dates qui se contredisent. Cela va être extraordinairement difficile. D'où la nécessité pour ce gouvernement d'ouvrir les mains, l'esprit, à ceux qui n'ont pas été nécessairement dans l'affaire du premier tour. Non pas en termes de remaniement, mais en écoutant au Parlement ce que nous disons, et en essayant d'intégrer les propositions que nous faisons. Ce fut un peu le cas dans la discussion budgétaire, pas suffisamment. Par exemple, nous proposons que l'on inscrive à l'ordre du jour une proposition de loi sur l'épargne retraite, les fonds de pension, la retraite par capitalisation, eh bien que l'on nous écoute ! C'est le mandat que nous avons reçu de ns électeurs. La vraie difficulté d'aujourd'hui, dans ce climat de désarroi politique, c'est que nos électeurs ont le sentiment qu'on n'a pas fait ce que on leur avait dit. C'est assez ennuyeux, assez grave pour le pouvoir.

Q. : Tout au long des 191 pages de votre livre, « Ma liberté », on a le sentiment que vous avez la forte tentation d'abandonner ce métier de politique, la tentation de Venise comme dirait A. Juppé ?

R. :  Ce n'est pas une bonne tentation, je crois que c'est un mandat qui nous a été confié, qu'il faut mener jusqu'à son terme, j'avais l'occasion de le faire, j'explique pourquoi je ne l'ai pas fait. D'abord parce que j'aime servir mon pays, et parce que je crois que les idées libérales sont encore des idées modernes et qu'il faut les proposer à notre peuple. Donc, cette tentation-là, elle saisit tous les hommes politiques à un moment ou à un autre, mais il faut la refuser. Nous sommes des gens ordinaires et on nous demande des choses extraordinaires. Nous sommes des hommes avec des doutes, des défauts, des insuffisances et on nous demande d'être parfaits. C'est assez difficile. L'essentiel est de mériter la confiance que nous demandons en appliquant ce qui nous a été demandé. Or, on nous a demandé une politique libérale, on nous a demandé une baisse des prélèvements obligatoires, une baisse de la fiscalité, un renouveau de l'initiative privée et une politique de l'entreprise et non pas de l'administration. Ne faisons pas le contraire de ce qu'on nous a demandé. C'est le seul message qu'il faut faire passe.

Q. : Quelles seraient les conditions que vous mettriez à votre retour au gouvernement, ou avez-vous tiré un trait définitif ?

R. : Pendant les années qui viennent j'ai l'intention de m'occuper de ma formation politique et d'être au Parlement. Mais par contre, beaucoup de mes amis devaient et pourraient utilement participer à un gouvernement. Je ferai en sorte que ce soit le cas, vous verrez, ce sera le cas. Mais je ne crois pas que ce soit immédiat, ce n'est certainement pas la seule question qui se pose aujourd'hui à la France, loin de là.

Q. : Qui serait le bon ou la bonne présidente pour l'UDF ?

R. : Je crois qu'il faut une présidence collégiale. Nous serons plusieurs, il y aura F. Bayrou, A. Rossinot, PA. Wiltzer, nous sommes plusieurs à vouloir donner à l'UDF un visage plus collégial qui permettrait de montrer que c'est une équipe et que cette équipe est désireuse de réformer profondément l'UDF, ce à quoi je suis disposé. Je m'engage dans cette direction très volontairement car nous aurons besoin d'une UDF forte en 1998, sinon la majorité risque d'échouer.


Le Point : 28 octobre 1995

Le Point : Dans l'introduction de son dernier livre, Edouard Balladur écrit qu'« à long terme c'est toujours la vérité qui gagne ». A vous lire, on a le sentiment que, pour vous, c'est le mensonge qui a triomphé.

François Léotard : J'ai toujours pensé, pendant la campagne présidentielle, que l'excès de promesses se paierait un jour, et assez durement. Faut-il pour autant parler de mensonges ? Je pense surtout qu'on n'a pas su, durant cette période, offrir la bonne perspective aux Français. Il fallait leur dire : nous allons sortir du socialisme et trouver toute une série de signes et de décisions qui concrétiseront cette intention. Je pense à la baisse des prélèvements obligatoires, aux privatisations, à une meilleure indépendance de la justice, au développement de la responsabilité individuelle, à l'esprit d'entreprise. Cela n'a pas été fait autant que nous l'avions souhaité. Le peuple français n'attendait pas qu'on sorte du socialisme avec autant de discrétion et de remords.

Le Point : Est-ce la seule cause du malaise politique actuel ?

François Léotard : C'est la principale. Cette sortie du socialisme supposait qu'on utilise au moins trois outils : la dissolution de l'Assemblée, une législation par ordonnances dès le mois de juin et un gouvernement équilibré. Or chacun sent bien que chaque jour qui passe rend la dissolution plus difficile. Il en est de même pour les ordonnances : à chaud, on aurait pu prendre, par cette méthode, les mesures les plus urgentes concernant la protection sociale et sa nécessaire réforme.

Le Point : Reste le remaniement !

François Léotard : Il faut donner un peu de temps à ce gouvernement afin qu'il trouve une meilleure assise et donc une meilleure cohérence. Si remaniement il doit y avoir, ce qui dépend du seul président de la République, il faut attendre certainement plusieurs mois. Je ne crois pas que ce serait une bonne décision.

Le Point : Vous avez pourtant reproché à cette équipe gouvernementale d'être l'expression des seuls soutiens de Jacques Chirac au premier tour de la présidentielle et non celle du rassemblement qui lui a permis d'être élu le 7 mai.

François Léotard : Un choix a été fait. Cela appartient désormais au passé. J'en prends acte tout en notant, en effet, que la signature de l'UDF n'est pas très visible dans ce gouvernement. Mais on ne va pas changer d'équipe tous les six mois !

Le Point : Charles Millon, Hervé de Charrette, Jean Arthuis, François Bayrou y occupent pourtant des postes clés !

François Léotard : Prenez l'exemple de la construction européenne, et plus particulièrement de la relation franco-allemande. Quel est aujourd'hui le message de la France ? De même sur les prélèvements obligatoires. Comment les libéraux de l'UDF pourraient-ils se reconnaître dans une politique économique qui se traduit par une hausse brutale de la pression fiscale et sociale ?

Le Point : Pour réorienter cette politique, ne faudrait-il pas que les libéraux, et notamment vous-même, soient davantage présents au gouvernement ?

François Léotard : J'ai choisi un autre chemin. A chacun sa liberté ! Je veux m'investir à la fois au Parlement et dans l'animation de ma famille politique. A l'Assemblée, je siège à la commission des Finances, qui joue un rôle d'aiguillon pour la réforme. D'autre part, j'ai choisi de rebâtir la formation politique qui est la mienne. Cela me demande du temps et de l'énergie.

Le Point : Où est l'incompatibilité entre la direction d'un parti politique et une charge ministérielle ?

François Léotard : Il est temps de mettre un terme à ce genre de confusion, qu'en effet rien n'interdit en droit. Ce type de cumul s'est beaucoup pratiqué depuis quelques années. Je l'ai fait moi-même entre 1986 et 1988 et j'en ai d'ailleurs payé le prix. Je pense que la démocratie française s'honorerait si on mettait un terme à cette confusion, qui est fâcheuse parce qu'elle met en question l'impartialité de l'Etat.

Le Point : Alain Juppé a-t-il eu tort de se faire élire président du RPR ?

François Léotard : J'en reste aux principes. Beaucoup de chefs de parti siégeaient au gouvernement du temps d'Edouard Balladur. Mais on était en période de cohabitation et on pouvait craindre que la majorité ne soit pas assez solide. Cette époque est heureusement révolue. Tirons-en les conséquences. On montrera ainsi à l'opinion publique que les défis qui nous sont lancés ne sont pas abordés de façon partisane. Et donc qu'il y a un gouvernement qui est véritablement celui de tous les Français.

Le Point : Vous parliez tout à l'heure du rôle d'aiguillon de la commission des Finances et du Parlement en général. Les députés de la majorité n'ont-ils pas pour première fonction de soutenir l'action gouvernementale ?

François Léotard : Leur première attitude est de respecter le mandat qui leur a été confié par le peuple. Prenez l'exemple du budget. On ne peut pas entamer le septennat avec pour principal message l'augmentation des prélèvements obligatoires. Ce n'est pas ce qui nous a été demandé pendant la campagne des élections législatives. Ne nous lançons pas dans des réformes dont la première conséquence est une aggravation de la charge budgétaire.

Le Point : Existe-t-il des réformes qui ne coûtent rien ?

François Léotard : Il y a des réformes qui aboutissent à la baisse de la dépense publique et d'autres qui sont fondées sur la hausse des recettes. C'est ce choix politique qui est au cœur du débat d'aujourd'hui. La plupart des orateurs qui s'expriment actuellement dans le débat budgétaire disent à peu près la même chose. Vous noterez avec moi, au passage, qu'ils ne sont pas tous balladuriens. Ces orateurs de la majorité demandent des signaux politiques et économiques forts qui permettent de restaurer la confiance des marchés et des entreprises. Je l'ai moi-même dit dans l'hémicycle : ce budget est le premier du septennat et il n'y en aura plus qu'un seul avant le rendez-vous des législatives de 1998. Faisons attention de ne pas brouiller notre message.

Le Point : Estimez-vous que le simple fait d'écouter davantage le Parlement peut donner un nouveau souffle à ce gouvernement alors que tous les sondages piquent le nez ?

François Léotard : Je m'intéresse essentiellement au succès de la majorité en 1998. Il n'y aura pas, à cette échéance, d'un côté des parlementaires qui seraient réélus et d'un autre côté un gouvernement voué aux gémonies. Si le gouvernement réussit, les députés de la majorité seront réélus.

Le Point : Raison de plus pour rester solidaire !

François Léotard : Raison de plus pour que le gouvernement écoute les propositions de sa majorité. Si on continue à augmenter la pression fiscale, je le dis sans ambages, nous serons battus en 1998. C'est une évidence.

Le Point : A vous entendre, on a l'impression que cette écoute n'est pas parfaite !

François Léotard : Je crois que nous avons commencé à être entendu. Le Parti républicain a obtenu par exemple l'inscription d'une proposition de loi sur l'épargne-retraite. C'est très important et très positif. Il y a eu un dialogue entre le ministre de l'Economie – qui est un homme d'une grande qualité – et la majorité.

Le Point : Qui s'oppose à ce dialogue ?

François Léotard : Il y a toujours eu des chiens de garde autour de l'exécutif. Mais ils ont tort de s'agiter dès que le Parlement joue son rôle. Je suis farouchement attaché, comme libéral, à l'indépendance du pouvoir législatif. On ne nous fera pas taire. Nous appartenons à la majorité. Nous n'avons aucun droit de péage à acquitter. Nous sommes de plein droit dans cette majorité depuis que nous avons clairement appelé à voter Chirac au soir du premier tour de la présidentielle. Il faudra bien que tout le monde comprenne qu'il n'y a aucune contradiction entre notre esprit d'indépendance et notre volonté de loyauté.

Le Point : Vous soutenez ce gouvernement. Mais ne regrettez-vous pas la méthode Balladur ?

François Léotard : Je constate que le gouvernement d'Edouard Balladur a réglé en douceur le dossier des retraites dans le secteur privé. Quand, à juste titre, Alain Madelin a évoqué la question de la retraite des fonctionnaires, ça a été tout de suite une effervescence politique qui a entraîné la démission du ministre de l'Economie et des manifestations en rafale. La leçon est simple : pour éviter des crispations politiques, il faut faire un effort considérable de pédagogie.

Le Point : Vous sentez que l'opinion est actuellement crispée ?

François Léotard : Elle est inquiète. Tous les parlementaires entendent la même chose dans leur circonscription : mais qu'est-ce qu'ils font à Paris ? Paris, cela veut dire le pouvoir. Je suis monté, comme tout le monde, cette incompréhension.

Le Point : Edouard Balladur, qui vient de faire son retour à l'Assemblée, peut-il contribuer à une meilleure compréhension de la politique gouvernementale ?

François Léotard : Edouard Balladur peut encore apporter beaucoup à la majorité. Il incarne une forme de sagesse et de modération. C'est une qualité que l'on accorde aussi à Raymond Barre et qui est particulièrement nécessaire dans une vie publique trop agressive et trop nerveuse. Quand je dis sagesse, je pense à la tolérance, au goût de la réforme paisible, au respect de soi et des autres.

Le Point : Balladur n'incarne-t-il pas aussi une ligne politique ?

François Léotard : Je n'ai pas oublié qu'entre 1986 et 1988, sous l'autorité d Jacques Chirac, il a été ministre des Finances qui a fait baisser tous les impôts de notre pays.

Le Point : Souhaitez-vous que les balladuriens s'organisent ?

François Léotard : Je vous l'ai dit : ma famille, c'est l'UDF. Edouard Balladur n'a pas l'intention de créer une nouvelle formation politique. Il appartient au RPR. Il fait partie de ceux qui, avec Nicolas Sarkozy, Patrick Devedjian et beaucoup d'autres, peuvent faire évoluer le mouvement gaulliste et consolider la majorité tout entière. Cette orientation moderniste, ouverte, fraternelle peut encore progresser au sein du RPR comme de l'UDF. Sur ce plan là, je fais confiance à Edouard Balladur, qui a proposé aux Français un comportement politique digne et responsable. Mais je m'interroge lorsque j'entends les sifflets qui l'ont accueilli lors des dernières assises du RPR. J'ai été, à ma place, durant la dernière campagne présidentielle, le témoin privilégié de ces manifestations d'intolérance. Je pense que ces attitudes portent un tort considérable à ceux qui les pratiquent.

Le Point : Faites-vous encore confiance à Valéry Giscard d'Estaing pour rénover l'UDF ?

François Léotard : L'UDF est une formation complexe. Je peux reprendre à mon compte cette réflexion de Churchill qui disait à propos des Balkans : « Il y a deux personnes qui connaissent la situation dans cette région du monde. C'est un vieux berger grec et moi. » Puis Churchill ajoutait : « Le berger grec est mort. » Bref, je connais l'UDF et je continue à croire en son destin. Cet ensemble de familles est nécessaire à l'équilibre de notre société. La confédération se porte beaucoup mieux qu'on ne le dit. On parle toujours de son impuissance, des manœuvres de son président et de ses querelles de personnes. On oublie son extraordinaire implantation électorale et l'actualité des valeurs dont elle est porteuse.

Le Point : Reste, quand même, son impuissance, son président…

François Léotard : Je crois à la nécessité d'un exécutif plus collégial, à une démocratisation de notre fonctionnement, à des procédures plus transparentes. Vous verrez que nous réussirons cela. La génération à laquelle j'appartiens n'a aucunement l'intention de reproduire les querelles de ses aînés.

Le Point : Toutes les composantes de l'UDF sont-elles d'accord sur les objectifs de cette rénovation ?

François Léotard : Toutes celles qui comptent. On ne pourra pas faire la réforme de l'UDF sans les composantes et, à fortiori, contre elles. Il est tout a fait possible de réformer l'UDF d'ici au printemps 1996 avec l'accord authentique et chaleureux de chacune des familles qui constituent cette union. Mes amis du CDS, du parti radical, des adhérents directs ou du PSD partagent cet objectif. Nous ne nous laisserons pas impressionner par les petites manœuvres de l'actuel ministre des Affaires étrangères. Celui-ci ferait mieux de s'occuper de la politique de la France que des querelles internes qu'il s'emploie à susciter.

Le Point : Une question plus personnelle pour terminer. Comment conciliez-vous l'extrême volontarisme dont vous faites preuve dans cet entretien et le scepticisme que vous manifestez dans votre dernier livre à l'égard de l'action politique ?

François Léotard : J'ai souvent, en effet, le sentiment que les attitudes du monde politique ne sont pas à la hauteur des enjeux qui sont devant nous. Au fond – et c'est peut-être là la raison de la contradiction que vous ressentez – je crois qu'on demande à des hommes ordinaires de gérer des situations extraordinaires. Il faudrait qu'on cesse d'exiger des responsables politiques plus qu'ils ne peuvent apporter. Alain Juppé, dont tout le monde connaît et respecte les qualité d'intelligence et d'intégrité, fait aujourd'hui les frais de cette exigence démesurée. C'est dommage pour la France.