Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, à France-Inter le 16 décembre 1998, sur le financement de l'ARPE, les prévisions concernant la croissance économique pour 1999 et les relations entre l'Etat et les entreprises notamment concernant les créations d'emplois.

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Média : Emission Journal de 8h - France Inter

Texte intégral

Q - Retraite contre emploi : la négociation s'ouvre, aujourd'hui, pour reconduire l'Arpe, c'est-à-dire l'allocation de remplacement pour l'emploi qui permet aux salariés de 58 ans et plus ayant cotisé pendant 40 ans à la Sécurité sociale, de partir en pré-retraite avec 65 % de leur salaire, ouvrant ainsi l'emploi à des jeunes. Depuis 1995, 120 000 salariés sont partis en retraite et 110 000 jeunes ont été embauchés. Pour l'année 1999, l'hypothèse de croissance étant sujet à débat – même L. Jospin reconnaît que 2,7 % seront difficiles à tenir – les recettes du régime d'assurance-chômage risquent de diminuer. Or, il s'agit aujourd'hui, non seulement de poursuivre l'application de l'Arpe mais aussi d'en discuter, ainsi que les syndicats le revendiquent, l'extension aux salariés qui ont commencé de travailler dès l'âge de 14 ou 15 ans. Cela représente une charge de 27 milliards de francs supplémentaires pour l'Unedic. C'est l'un des vôtres, M. G. Sauvagnac de l'Union des industries métallurgiques et minières qui a succédé à Mme Notat – c'est le principe de la présidence tournante à la tête de l'Unedic. Est-ce que ce seront des négociations difficiles sur l'Arpe ?

– « Je pense que cela ne va pas être très facile parce que l'Arpe est, en réalité, quelque chose auxquelles on tient beaucoup socialement. Cela permet de mettre en pré-retraite des gens qui ont travaillé longtemps, qui ont commencé à travailler jeunes. Cela a une signification sociale forte et les partenaires sociaux y tiennent beaucoup. »

Q - Les patrons aussi parce qu'il semble que cela permet aussi de régénérer le fonctionnement de l'entreprise.

– « C'est ce que j'allais vous dire et en plus de cela, en effet, il y a beaucoup d'entreprises qui y font appel pour rajeunir le cadre et mettre en place des gens mieux formés et plus jeunes à la place des anciens plus payés. Donc, c'est quelque chose qui plaît mais c'est quelque chose qui est horriblement coûteux. Cela coûte à peu près 250 000 francs par emploi ainsi créé et quand je dis créé, en fait, ce n'est pas de la création d'emploi parce qu'on remplace un emploi par un autre. Il eut été de toute façon créé. Donc nous savons que c'est quelque chose de très coûteux, de très luxueux d'une certaine manière et le seul problème c'est de savoir si on peut se le payer. Et nous avons dit oui à l'Arpe à condition qu'on puisse se le payer c'est-à-dire que le régime Unedic puisse le financer. Or, comme vous l'avez dit vous-même, les perspectives de croissance sont tout à fait différentes de celles sur lesquelles on a fait les hypothèses il y a quelques mois, pas nous mais le Gouvernement, et donc, de ce fait, nous sommes inquiets sur la possibilité de financer cet Arpe. »

Q - Vous le mettez où le curseur de la croissance ? L. Jospin disait, hier, qu'il serait difficile de tenir les 2,7 %. Vous, vous dites quoi ?

– « Nous, depuis mai, depuis le printemps, nous savons que s'annonce dans les carnets de commandes un tassement de la croissance sur la fin de l'année et une décélération de la croissance sur l'année 1999. Nous l'avons dit sur tous les tons depuis au moins six mois. Et bien entendu quand cela vient du Medef, du CNPF hier, cela n'a pas d'intérêt. Pourtant nous savons, nous, ce qui se passe dans les entreprises et ce n'est pas l'opinion qui compte dans ce genre de cas, ce sont les carnets de commandes. Donc, nous, nous disons que l'hypothèse de 2,7 % qui était déjà irréaliste il y a plusieurs mois, le devient de plus en plus. C'est-à-dire que ce n'est plus un objectif, c'est une cible. Et comme on sait une cible cela se rate. Nous, nous disons aujourd'hui que prétendre que la croissance française en 1999 va être à 2,7 % est un irréalisme total et nous le situons, nous, quelque part entre 2 et 2,3 %. Moi, je dis 2,5 % pour faire plaisir. Mais nous savons que ce sera à partir de 2,3 %. On ne crée plus d'emploi, à partir de 2,3, les systèmes sociaux sont dans le rouge, l'Unedic, la sécurité sociale. À partir de 2,3 %, le budget ne s'exécute pas. Donc, en réalité, nous sommes aujourd'hui, sans même encore avoir arrêté le budget devant une hypothèse 1999 qui est complètement différente de celle dont on avait rêvé. »

Q - Cela veut dire qu'aujourd'hui pour vous, il n'est pas possible de négocier l'extension de l'Arpe compte tenu de ce qui avait été jusqu'ici fait ?

– « Aujourd'hui se réunissent les partenaires sociaux : ils vont regarder les comptes, ils vont regarder ce qui est possible. Je ne peux pas vous dire quelle sera la conclusion. C'est cela une négociation. Ce n'est pas rêver à des objectifs, c'est regarder ce qu'on peut donner en échange de ce que l'on demande. Et cela, qu'est-ce que vous voulez, la croissance est clé pour déterminer le curseur. »

Q - Mais la croissance, il y a la confiance aussi là-dedans. Par exemple, il y a un décalage assez sensible qui serait assez intéressant à comprendre entre la confiance des ménages qui continuent de consommer beaucoup et qui apparemment croient que tout va bien et le pessimisme que vous affichez ce matin ?

– « Ce n'est pas ce matin, cela fait six mois. Quand on parle de 2 % de croissance on est pas pessimistes. C'est de la croissance d'abord et puis c'est du réalisme. Il ne faut pas s'accuser de quoi que ce soit dans cette affaire. Mais la confiance des ménages est quelque chose qui est psychologique, qui est entretenue donc par les médias, les propos politiques, l'air du temps. »

Q - Sauf que la machine économique tourne aussi avec cela.

– « Non, ce qui compte ce sont les investissements qui sont faits et mis en place, les conditions de l'emploi et on ne règne pas sur l'économie avec des propos et des rêveries. Donc, nous, les industriels, les entrepreneurs nous avons comme mission de rappeler notre pays au réel. C'est la mission du Mouvement des entreprises de France. Je le fais, ce matin, sans esprit partisan et sans pessimisme mais parce que c'est la réalité qu'il faut la regarder. »

Q - Mais avec quelle vision ? La réorganisation interne en dit long sur peut-être l'idée que vous vous faites du Medef : vous créez un système où désormais il y a ce mélange économique et social alors qu'il y avait jusqu'ici des commissions.

– « Cela vous étonne. Vous ne trouvez pas étonnant que les entreprises françaises aient une organisation pour les représenter qui distingue le social de l'économie alors que nous le reconnaissons à l'instant il n'y a pas de social qui puisse se fonder sur autre chose que la réalité de la croissance. Et la croissance c'est quoi ? C'est l'économie. Donc, en fait, nous ne pouvons pas décréter d'un côté des objectifs sociaux et par ailleurs ne pas regarder de l'autre côté la réalité économique. Nous créons donc, nous, dans le Medef, dans une organisation tout à fait nouvelle des missions, c'est-à-dire en fait des thèmes d'action dans lesquels nous serons une force de proposition fondée sur l'entrepreneur de terrain dont nous nous sommes énormément rapprochés dans notre restructuration et nous allons donc regarder, économique et social confondus, ce que l'on peut faire. »

Q - Mais alors, quelle est votre vision du social parce que M. G. Sauvagnac de l'IUMN est quelqu'un qui a la réputation d'être un libéral.

– « Ce n'est pas une insulte.  »

Q - Je n'ai pas dit que c'était une insulte.

– « Et je ne sais pas à quoi cela s'oppose. Si libéral s'oppose à dirigiste, oui, mais si cela s'oppose à quelque chose de politique, non. »

Q - Comment intégrer cette dimension sociale qui participe, aussi, au fonctionnement de...

– « Il faut l'intégrer dans l'ordre du possible. Au lieu de regarder un problème social, dire : il existe, nous allons le régler, et ne pas regarder les conséquences sur l'économie. Ce qui est la manière de faire, de manière générale, dans notre société. Nous, nous regardons l'économie ; nous disons : comment la faire fonctionner de telle manière qu'elle marche le mieux possible ? Et si elle marche le mieux possible, elle réglera les problèmes sociaux. Nous inversons les données du problème. C'est de ne l'avoir pas fait d'ailleurs, que nous sommes arrivés, aujourd'hui, à une construction sociale qui ne résiste pas quand l'économie faiblit. »

Q - Il y a, aussi, un choix que vous affichez de façon délibérée, c'est le refus désormais de toute intervention de l'État qui, jusqu'ici, pouvait être considéré comme un régulateur. Un exemple précis : l'aide de l'État qui est de 40 000 francs pour la création de nouveaux postes pour les jeunes. Pourquoi vous la refuseriez ?

– « "L'État régulateur" joli mot. Nous, nous considérons que l'État, dans cette intervention est un étouffeur de développement économique. C'est quelqu'un qui intervient non pas pour faciliter mais pour imposer. Donc, ne nous trompons pas, en effet, de mot et de perspective. Nous souhaitons que l'État s'écarte de la réalité économique et sociale, et qu'il fasse plus confiance aux partenaires sociaux. Le paritarisme de l'Unedic fonctionne entre les syndicats et les entrepreneurs, dans le cadre de règles qu'ils déterminent en commun. L'État intervient tout le temps, soit pour y prendre de l'argent sans pouvoir en donner. En disant : je vous en donne un peu – une alouette d'habitude – et puis vous avez maintenant un cheval à propos d'un thème que je veux développer. Ce n'est pas ça le paritarisme. Si l'État veut prendre sa responsabilité, qu'il la prenne. Mais qu'il nous saupoudre quelques subventions et ensuite, bien entendu, nous accuse de les avoir acceptées, nous ne voulons plus fonctionner comme ça. La société économique et sociale française ne fonctionnerait bien que si elle retrouve son autonomie par rapport à un Etat qui facilite et qui n'impose pas. Quand je vois ce qu'on dit de l'entreprise, en France, et de la vie sociale – taxations, contrôles, tours de vis, inspecteurs ! – Ce n'est pas ce qu'on dit à l'étranger. À l'étranger on dit : encouragements, facilités, progrès. Nous sommes dans une économie qui fait toujours de son entreprise un enjeu politique. Elle en mourra sur le plan de la croissance. Attention donc à respecter le rôle de chacun. C'est ce que nous disons, encore une fois, sans esprit partisan. »

Q - C'est vrai qu'il y a, aussi, une culture en Europe qui consiste à dire qu'il y a une nécessité à ce que des régulateurs – s'agit-il de l'État ou d'autre chose ? – s'installent partout afin que ça ne soit pas tout le temps l'économique qui prime sur le politique. Qu'en dites-vous ?

– « Je dis que c'est un faux débat. Le politique fait ce qu'il peut de l'économique. Et il ne peut pas contraindre l'économique – c'est ce qu'on appelait les régimes autoritaires collectivistes, qui se sont tous cassé la figure. Aujourd'hui, si l'on veut faire en sorte que l'économie se développe, il faut de la liberté, de l'initiative et de la souplesse. Il faut comprendre que l'entrepreneur est le bien le plus précieux de notre société aujourd'hui. Sans entrepreneur, s'il n'y pas de création d'emploi, il n'y a pas de création de produit national brut. Il faut le respecter et l'encourager et non pas chercher à le contraindre. Regardez : la taxe sur les CDD est un exemple flagrant de la manière de faire. De là-haut, tombe, tout d'un coup, une nouvelle : on va taxer l'emploi qui marche ! Faire un prélèvement supplémentaire sur l'emploi ! Le rendre plus cher ! La conséquence de quelque chose que l'on rend plus cher, c'est bien entendu qu'on le vende moins. En bien il y aura moins de CDD. C'est ce qu'on veut ? Les CDD ont créé dans notre pays, semble-t-il, 200 000 emplois depuis un an. On s'en est félicite. Et aujourd'hui on les accuse, on fait déjà des rapprochements politiques étonnants entre les difficultés dans la rue de certains et les CDD. Tout ceci n'a pas de sens ! Notre société doit regarder quelque chose de fondamental : il faut faciliter le travail de l'entrepreneur et se réjouir du succès des entreprises. Il n'y a que comme cela qu'on créera de l'emploi. Tout le reste, c'est de la politique. »

Q - Mais pourtant l‘économique et le politique sont indissociablement liés, vous le savez bien ?

– « Non, pas forcément. Je crois que le politique devrait s'écarter de l'idée qu'il se fait, qu'il peut régir l'économique. Cela, c'est certainement, de notre point de vue, tout à fait fondamental. »