Texte intégral
Le président de la République s’est efforcé, dans sa prestation télévisée, de changer le climat de morosité et de mécontentement qui domine le pays. Quoi qu’en disent ses partisans, ses propos marquent un virage à 180 degrés par rapport à son discours de campagne. Elu dans l’ambiguïté, il s’attache à en sortir en faisant l’apologie de ce qu’il dénonçait hier comme « la pensée unique ».
Cette volte-face met fin aux illusions dispensées pendant la présidentielle. En effet, attardons-nous un instant sur ce serpent de mer qu’est « l’autre politique ». L’argument le plus souvent avancé en sa faveur est l’exemple anglais. Or celui-ci n’est pas des plus probants. On se souvient qu’en septembre 1992 les autorités britanniques, pliant sous les attaques de la spéculation contre la livre sterling, décidaient la sortie du système monétaire européen. Les taux d’intérêt baissèrent alors, puisqu’il n’était plus nécessaire de soutenir la monnaie. Il en est résulté un cycle de croissance forte, alors que les autres économies européennes entraient en récession.
L’expansion fut tirée d’abord par la consommation privée, puis par les exportations bénéficiant de la baisse de la livre sterling. Le taux de chômage passait de 10 % à 8 % de la population active. Mais la médaille a son revers : l’investissement productif n’est pas venu moderniser des structures de production parmi les plus vieilles des pays industrialisés, d’où des menaces sur la compétitivité ; si la balance extérieure s’est redressée, le déficit public demeure élevé, autour de 5 % du PIB, et, en raison de la hausse des produits importés, conséquence de la baisse de la valeur de la monnaie, l’inflation menace à nouveau. Et ce alors que la croissance s’essouffle.
Peut-on en déduire que, fort des leçons de l’expérience, le président de la République a définitivement scellé le sort de « l’autre politique » ? Ce n’est pas assuré, car les hérauts de cette dernière ne manqueraient pas de rebondir en saisissant les opportunités offertes par des conflits sociaux ou par un ralentissement de la croissance entraînant le maintien d’un chômage élevé.
Or rien ne sera possible si l’on continue avec des déficits publics massifs et une monnaie menacée. L’expérience historique montre en effet que les pays qui ont réalisé les meilleures performances sont ceux qui mettent en œuvre une véritable culture de la stabilité monétaire et qui luttent contre toute forme de déséquilibre excessif, des comptes publics comme de la balance extérieure. La question qui se pose est la suivante : peut-on vivre durablement avec des déficits de 300 milliards de francs pour le budget de la nation et de 60 milliards de francs pour la Sécurité sociale ? Qui en paiera les conséquences ? A court terme, nous tous, car les investissements porteurs d’avenir sont sacrifiés pour permettre le paiement de la dette ; à long terme, les générations futures, alors qu’elles devront déjà supporter le poids de la mutation démographique : moins d’actifs pour entretenir plus d’inactifs, plus de retraités.
Après l’annonce de la nouvelle donne, les Français attendent leurs dirigeants à leurs actes. Certes, le président a pris des précautions de forme en écartant l’idée d’une « pause sociale » et en refusant de recourir aux ordonnances. Mais le choix demeure entre deux méthodes et deux contenus de la politique à mener dans les années à venir.
Attardons-nous aujourd’hui sur la méthode en soulignant le handicap que constituent les folles promesses – d’ailleurs contradictoires – faites pendant la campagne électorale. Car la politique, c’est aussi une pédagogie, condition nécessaire pour mettre la société en mouvement. Or comment procède le gouvernement ? Il cloue au pilori les fraudeurs, mais en ce citant que les titulaires du RMI ou les chômeurs. Est-ce là que se situerait la fracture sociale ? Il veut se concerter avec les organisations syndicales, mais leur annonce, sans négociation préalable, le blocage des salaires dans le secteur public. Il appelle à une réflexion citoyenne sur l’avenir de la Sécurité sociale, mais décide sans attendre une augmentation du forfait hospitalier.
A procéder ainsi, ce ne sont pas simplement les sondages qui baissent, mais les possibilités d’une mobilisation nationale qui sont gâchées. Or, ne l’oublions pas, si les marchés financiers s’attaquent au franc, c’est moins parce que les données fondamentales de l’économie française se détériorent que parce qu’ils spéculent sur un échec de la politique suivie et s’attendent à un nouveau virage à 180 degrés.
Ce n’est être ni vieux jeu ni naïf que de croire en la maturité du peuple français et au sens de la responsabilité des corps intermédiaires. Ces derniers en ont assez d’être taxés, à tort et à travers, de corporatisme. Ils sont capables de discuter raisonnablement des marges de manœuvre de notre économie, et de son renforcement, des moyens de sauver les fondements de nos systèmes de prévoyance sociale, les conditions de réussite de nos grandes entreprises de service public…
Si un consensus minimum se réalisait sur la nécessité et les modalités des changements indispensables, alors les divers groupes de pression seraient au pied du mur et bien incapables, devant l’opinion publique, de contrarier un effort équitablement réparti. Des réformes audacieuses pourraient être mises en œuvre. Et les marchés financiers se persuaderaient que la France est engagée résolument sur la voie de l’assainissement et de la modernisation, qu’elle a définitivement intégré la culture de la stabilité. Ainsi la politique économique pourrait se déployer, notamment pour faire baisser durablement le taux d’intérêt et permettre le soutien indispensable de la demande intérieure (consommation et investissements). Car sans une croissance suffisante, il est vain d’espérer réduire sensiblement le chômage et créer un climat favorable aux réformes.
La réussite pour la France dépendra donc, en partie, de la méthode choisie. Ou bien un volontarisme de bulldozer doublé d’une insensibilité sociale, et de nouveaux obstacles surgiront. Ou bien une concertation soignée avec le Parlement et les partenaires sociaux, fondée sur le bon sens des citoyens et une juste répartition des efforts, et alors notre pays révélera sa profonde solidité et reprendra confiance en lui-même. En un mot, je souhaite que dans le traitement de sa maladie des déficits publics la France ne meure pas guérie.