Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, accordée à la presse arabe le 21 juillet 1995, sur les relations entre le Maroc et la France, la préparation d'un accord d'association entre l'Union européenne et le Maroc et la situation dans le pourtour méditerranéen.

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Circonstance : Voyage de M. Chirac au Maroc les 19 et 20 juillet 1995

Média : Presse étrangère

Texte intégral

Q. : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la teneur de vos entretiens avec les responsables marocains ?

R. : Eh bien, je vais vous dire quelques mots si vous le voulez bien sur la raison de ce voyage, de cette visite d'État du Président de la République française au Maroc. Comme vous le savez, le Président français est venu à l'invitation du Roi du Maroc, et s'il a choisi le Maroc comme le premier pays où il se rende en visite officielle, c'est en raison des liens particuliers qui attachent la France au Maroc, des liens personnels qui attachent le Président Chirac lui-même au Maroc, à son peuple, à son Roi. Nous avons passé ici trente-six heures d'une très grande importance pour relancer la dynamique de l'amitié franco-marocaine. Et pour faire en sorte qu'entre nous, nous puissions, comme aux meilleurs moments de notre histoire commune, établir des rapports renforcés, renforcer ces rapports ! – car ces rapports existent – de travail, de partenariat et d'amitié.

Q. : Monsieur le Ministre, comment avez-vous ressenti l'accueil du Roi et du peuple marocain au Président Jacques Chirac ?

R. : Je l'ai ressenti comme un très grand honneur pour le France. C'était très émouvant que de constater que la population s'était déplacée pour aller accueillir le Président français, de constater qu'il y avait beaucoup de chaleur dans cet accueil, pas simplement la chaleur, ce qui compte beaucoup, du Roi, qui a une très grande importance. Nous considérons que le Maroc est un pays très proche pour nous, très important aussi, avec lequel nous souhaitons que les relations politiques, économiques, humaines, soient au plus haut niveau possible.

Q. : Entre les deux chefs d'État, est-ce que la question de l'Irak a été évoquée ? Surtout depuis l'ultimatum lancé par Bagdad et, deuxièmement, concernant la sécurité dans la Méditerranée, y a-t-il une approche franco-marocaine sur ces sujets, étant donné surtout qu'il y a pas mal de problèmes en Afrique du Nord, l'Algérie, la crise avec la Libye…

R. : Le Maroc est un pays très important dans la politique, l'équilibre de paix et de développement de la Méditerranée. Il n'y a aucune espèce de doute là-dessus. Je peux vous dire que j'ai personnellement exprimé cette conviction auprès de M. Filali, votre Premier ministre, avec la conviction – parce que c'est ma conviction – que la stabilité, le rayonnement, l'autorité du Maroc sont très importants pour l'équilibre méditerranéen, l'équilibre de l'ouest de la Méditerranée, bien entendu, mais pas seulement, pour l'ensemble du pourtour de la Méditerranée.

Q. : Avez-vous abordé les questions régionales lors de vos entretiens avec le Roi du Maroc, en ce qui concerne, d'abord l'Afrique du Nord ensuite le Proche-Orient, Maroc, Algérie, Libye peut-être ?

R. : Nous avons fait un tour d'horizon avec M. Filali de l'ensemble des problèmes du pourtour méditerranéen, mais, c'est surtout sur les rapports euro-méditerranéens que nous avons travaillé ensemble, puisque nous sommes tout à fait décidés, aussi bien le gouvernement marocain que le gouvernement français à faciliter l'heureux aboutissement d'une discussion qui doit commencer, je m'en réjouis, dans les jours prochains, discussion entre l'Union européenne et le gouvernement marocain sur la négociation d'un accord d'association Union européenne – Maroc. Ce sont des accords d'association de la nouvelle génération. Nous souhaitons donc du côté français que cet accord très important, qui devrait comporter un volet politique, un dialogue politique entre l'Union européenne et le Maroc, un volet économique, culturel et social, nous sommes attentifs à ce que cet accord puisse être signé dans les meilleurs délais, et si c'est possible, avant la Conférence de Barcelone.

Vous m'avez posé une question sur l'Irak, Monsieur, je vais vous donner la position de la France : la France souhaite que les résolutions du Conseil de sécurité soient appliquées dans leur intégralité et souhaite que l'Irak y contribue avec sincérité. Cela a déjà été le cas pour un grand nombre de points qui ont été résolus. Il en reste quelques-uns à résoudre. Il faut les résoudre. Dès lors qu'ils le seront, eh bien, la France est favorable à ce que l'Irak puisse reprendre sa place dans la communauté internationale.

Q. : Monsieur le Ministre, je reviens à l'Europe, si vous le voulez bien. Sa construction a entraîné moult interrogations. Est-ce que vous pensez que le caractère privilégié des relations franco-marocaines peut peser dans toute négociation Europe-Maroc ?

R. : Bien sûr, Bien sûr ! L'Europe n'est pas concurrente dans cette affaire. Je crois que le Maroc doit regarder les progrès de l'Union européenne comme très utiles pour son propre développement, et donc le gouvernement marocain a tout à fait intérêt à jouer la carte du partenariat avec l'Union européenne. Nous pouvons être de ce point de vue, je crois, Français et Marocains, main dans la main pour défendre cette conception, y compris auprès de certains de nos partenaires de l'Union européenne qui voient sans doute la Méditerranée d'assez loin, et avec une certaine distance. Nous, au contraire, sommes très sensibles à tout ce qui se passe autour de la Méditerranée, puisque nous sommes aussi un peuple méditerranéen et nous avons des liens si profonds, si anciens, si étroits avec le Maroc, que nous avons le désir en effet d'aider le Maroc dans cette discussion, cette négociation, de faciliter les choses, et c'est ce dont j'ai assuré M. Filali.

Q. : Quelle est votre analyse sur la situation dans le Nord de l'Afrique ? Et sur la Bosnie ?

R. : Ecoutez. Dans le pourtour de la Méditerranée, il y a quelques problèmes. Chacun le sait, chacun le voit et chacun souhaite que ces problèmes soient résolus pour le mieux. Pour le reste, la position française est connue et consiste à ne pas se mêler des problèmes des autres.

Vous m'avez demandé mon opinion sur la Bosnie. Je vais à Londres demain, et d'ailleurs c'est une des raisons pour lesquelles je vais devoir quitter le Maroc plus tôt que prévu. Je vais à Londres, empli à la fois d'espoir et de crainte ; espoir, parce je peux vous dire que la France pèse de toute son énergie et de toute son autorité pour que la communauté internationale mette un coup d'arrêt sérieux à l'agression des milices serbes contre les enclaves musulmanes, et en particulier à Gorazde où nous demandons que des dispositions soient prises pour protéger la population. Et si j'ai parlé de crainte, c'est qu'en même temps, cette ferme disposition française, j'espère, mais je ne suis pas sûr, qu'elle rencontre le plein soutien de la communauté internationale, où je vois bien que, en Bosnie, peu de pays ont envie de risquer la vie de leurs hommes ; peu de pays sont prêts à prendre des risques et prêts à accepter ce que cela signifie. La France l'est. Parce qu'elle a le sens de ses responsabilités.

Q. : La question du Proche-Orient a été évoquée dans vos discussions avec M. Filali et surtout la question du Liban. Il y a eu hier des manifestations. En fait, Monsieur le Ministre, on veut une réaction de votre part. Vous allez recevoir très bientôt le Premier ministre du Liban, est-ce que vous n'avez pas d'état d'âme que l'armée au Liban ait tiré sur les manifestants ?

R. : Bien, alors ! Le Maghreb : je vous ai déjà dit que je ne souhaitais pas prendre position sur les difficultés que connaît l'Algérie. C'est ça votre question ? La position française est très connue. C'est inutile de la répéter tous les jours ! Nous souhaitons bien entendu que l'Algérie puisse résoudre ses problèmes. Ce sont des problèmes algériens, c'est donc aux Algériens de les résoudre. Chaque fois qu'on nous demande notre avis, dans quelque partie du monde que ce soit, nous répondons que la démocratie est toujours la meilleure réponse possible au problème moral et je n'ai pas l'intention de donner de leçon à personne.

S'agissant du Liban, Madame, je voudrais vous redire que la France attache une très grande importance à l'intégrité et à l'indépendance du Liban. Nous avons reçu à Paris le Président Hraoui, nous recevrons dans quelques jours le Premier ministre Hariri. Ce sont deux occasions de marquer, non seulement à l'égard des autorités libanaises, mais à l'égard de la communauté internationale, y compris dans le cadre du processus de paix, l'importance que nous attachons à l'indépendance et à l'intégrité du territoire libanais. Voilà, merci beaucoup.