Interview de M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, au quotidien hongrois "Nepszabadsag" le 17 novembre 1995 sur l'élargissement de l'union européenne, l'adhésion des pays de l'Est à l'OTAN et les relations bilatérales franco-hongroises.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de M. Barnier à Budapest (Hongrie) les 16 et 17 novembre 1995

Média : Népszabadsag - Presse étrangère

Texte intégral

Q.: Les préparatifs de la conférence intergouvernementale de l'Union européenne ont déjà commencé. Mais quelquefois, on a l’impression qu’il n'existe pas encore une image claire de l’avenir de l’Europe. Comment la France voit-elle les perspectives de l’Union ?

R.: Nous nous trouvons a un moment historique pour l'Union européenne. La chute du mur de Berlin, l'avènement de la démocratie dans la plupart des pays d'Europe centrale et orientale créent ce moment historique et notre réponse à l’appel de ces nouvelles démocraties, est clairement oui : nous souhaitons vous accueillir au sein de l'Union européenne. Il faut réussir cette union avec vous. Vous devez vous y préparer, nous allons vous y aider, la Commission de Bruxelles également. Cela fait l'objet du Livre blanc qui est une sorte de guide par rapport à l’adhésion. Nous-mêmes dans l'Union, nous avons besoin de nous y préparer. Il y a un donc un double effort parallèle. C'est l’objet de la Conférence intergouvernementale de 1996. La perspective de l'Union est donc celle de l’élargissement, mais d'un élargissement réussi, maîtrisé et donc forcément progressif selon l'état de préparation de chacun des pays.

Nous avons, puisqu'on parle de perspectives de l’Union, d'autres défis pour nous-mêmes, pour le continent européen. Un défi que nous nous sommes fixés nous-mêmes est celui de l'Union économique et monétaire pour l'horizon 1998/1999. Un autre défi, c'est celui de la réforme des perspectives budgétaires et financières de l'Union européenne à l'horizon de 1999. Un troisième défi, beaucoup plus large et qui concerne les pays d'Europe centrale et orientale, c'est celui de la réforme de l'Alliance atlantique. Vous voyez, les rendez-vous, les moments de vérité ne manquent pas. Mais à coup sûr, nous nous préparons de manière chaleureuse et volontariste à l’élargissement.

Au préalable, il faut que nous réussissions à nous mettre d'accord à l'occasion de la Conférence intergouvernementale de 1996 qui doit aboutir à adapter les institutions européennes pour qu'elles fonctionnent à 22, 25 ou plus.

Q.: Quand peut-on espérer que démarrent, après la clôture de la conférence intergouvernementale, les discussions sur l’élargissement de l’Union européenne ?

R.: La conférence intergouvernementale devrait commencer vers mars ou avril 1996. Jacques Chirac, le Président de la République, a souhaité qu'elle soit ambitieuse et ciblée à la fois, ambitieuse sur quelques sujets, notamment les sujets institutionnels et qu'elle soit courte. Probablement, elle se terminera au début de l’année 1997 Je ne peux pas dire aujourd'hui quel jour exactement. Après, il faudra quelques mois pour les procédures de ratification et donc je crois qu'il est réaliste de dire que les négociations d’adhésion pourront débuter, avec les pays associés qui en auront exprimé la volonté, en 1998.

Nous sommes favorables à ce que les négociations débutent en même temps avec tous les pays qui le souhaiteront et auront fait acte de candidature, sans faire de particularisme entre les pays les uns par rapport aux autres, mais il est clair que tous n'arriveront pas au moment de l'adhésion en même temps. Je crois aussi, comme le Chancelier Kohl l'a dit il y a quelques semaines, qu'il ne faudra pas prendre de raccourci ni pour l'Union européenne, ni pour les pays avec lesquels nous allons discuter. Il faudra faire ces négociations d’adhésion avec volontarisme, avec le souci d'aboutir mais sérieusement.

Q.: Cela dépendra donc de l’état de préparation de chaque pays…

R.: Oui, le rythme dépendra de l'état de préparation des pays.

Je ne pense pas que certains pays aient intérêt à se précipiter parce que l'effort d’adaptation qui est demandé à ces nouvelles démocraties est très lourd, très exigeant du point de vue de la monnaie, du point de vue de la privatisation, du point de vue des réformes structurelles, du point de vue des normes exigées dans de très nombreux domaines, du point de vue du droit. Ce sont des exigences lourdes qui s'attachent à l'adhésion à l'Union européenne. Donc il faut mener ces adaptations chacun à son rythme, et en les expliquant bien. Je n'ai pas de conseils et encore moins de leçons à donner à la Hongrie et à d'autres pays. Il faut que chaque citoyen comprenne bien ce qui se passe. Donc, il faut bien informer les gens.

Q.: On pense souvent que la France aurait une préférence pour les pays méditerranéens, s'agissant de l’élargissement. Quel est votre point de vue ? Quels sont les pays, dans la perspective de l'élargissement, volontiers agréés par la France ?

R.: Votre question concerne la France et l'Est par rapport à la France et le Sud. Nous avons des relations historiques avec les pays du sud, notamment avec les pays du pourtour méditerranéens parce que nous sommes, nous-mêmes, un pays méditerranéen. Cette région méditerranéenne est importante parce qu’il y a tout autour de la Méditerranée des risques, des problèmes, des secousses possibles graves. Donc, nous avons des raisons d’être attentifs et solidaires. C’est notre rôle et c'est notre place, mais cela ne signifie pas du tout un quelconque désintérêt à l'égard de l'Europe centrale, orientale et baltique et, dans les années qui viennent, la France sera encore plus présente dans les pays d'Europe centrale et orientale.

C'est mon travail de ministre des affaires européennes, mais toute la France sera très active pour que cette solidarité vous vienne non seulement des pays qui sont géographiquement plus proches de l'Europe centrale, comme l'Allemagne, mais aussi des pays comme le nôtre.

Nous avons une position un peu médiane parce que nous sommes ouverts vers le nord, l’est et, bien sûr, e sud. Donc, je pense que cette position doit bien être comprise.

Nous ne voulons pas aujourd'hui donner d’agrément, comme vous le dites dans votre question, ni donner des points. Je pense que tous les pays (...) ont vocation à adhérer à l'Union européenne. Ils doivent être aidés, accompagnés dans cette marche vers l'Union La France jouera ce rôle d'accompagnement de manière très sincère et très chaleureuse en étant présente, en faisant en sorte aussi que la langue française soit présente. Les entreprises françaises sont accueillies positivement dans ces pays, beaucoup de choses sont à faire, tout est à reconstruire. Nous avons ce souci de présence et de solidarité.

Q.: Quel est le calendrier d'adhésion, y compris pour la Hongrie, en ce qui concerne les institutions européennes, c'est-à-dire d'abord l’Union européenne et l'OTAN ?

R.: Il y a l'Union européenne et il y a l'OTAN. Ce sont deux structures différentes et la question de l'élargissement de l'OTAN est une question majeure. S'agissant de l'Union européenne, nous sommes maîtres de notre décision, nous les Quinze. À Madrid, les chefs d'États et de gouvernement fixeront le mandat et le calendrier de la CIG, évoqueront le calendrier de l'élargissement. Cela, c'est l'affaire des Quinze.

S'agissant de l'OTAN, nous devons travailler, réfléchir et décider avec les Américains et, je pense, également en ayant le souci d’une concertation avec les Russes, qu’ils n'aient pas le sentiment d'un élargissement qui se ferait de manière agressive contre eux, qu'on ne récrée pas une sorte de nouvelle ligne de partage au milieu de l'Europe contre les Russes. Donc, vous le voyez, le sujet est plus complexe, mais je pense qu'il est, dans le mouvement historique, pour la sécurité du continent européen, nécessaire d'élargir l'OTAN.

Q.: Est-ce que ce sont des processus parallèles ?

R.: Ils ne sont pas liés juridiquement et institutionnellement, mais ils ne sont pas indifférents. Naturellement, tout pays qui adhère à l'Union européenne reçoit du même coup une garantie de solidarité, y compris pour sa propre sécurité. Ce sont notamment les pays qui adhéreront à l'Union européenne et ceux qui adhéreront à l'UEO.

Q.: Ces. dernières années, la France est devenue pour la Hongrie un partenaire stratégique, et pas seulement pour la coopération économique. Quelle est la cause de cette attention croissants envers la Hongrie ? Quelles sont, selon vous, les possibilités réelles de développement de la coopération bilatérale ?

R.: Sur les relations bilatérales, j'aimerais vous redire la volonté de la France d'être présente en Hongrie. Je suis très heureux de la très prochaine perspective d'en discuter avec les responsables du gouvernement hongrois. Nous souhaitons, par exemple, participer aux opérations des grands services publics. Les grandes entreprises françaises qui sont réputées, reconnues, pour leur compétence, pour leur expertise, je pense à TDF pour la télévision, à Gaz de France, à Électricité de France, sont disponibles. Nous ne demandons pas de complaisance ni de favoritisme. Nous demandons simplement à être associés aux consultations et que cette expertise des entreprises françaises soit prise en considération.

Nous sommes déjà un partenaire important pour la Hongrie. Nous sommes le quatrième investisseur parmi tous les pays étrangers qui travaillent avec la Hongrie. Je pense qu'il y a encore beaucoup de progrès possibles. Je vais y travailler.

Q.: Êtes-vous déjà allé en Hongrie ?

R.: Oui, je suis déjà allé en Hongrie comme ministre de l'environnement. J'y étais allé avant aussi quand, avant d'être ministre, j'étais le président du Comité d'organisation des Jeux olympiques d'Albertville. Donc j'avais été en Hongrie, mais cela remonte à une dizaine d'années.

Q.: Comme ministre des affaires européennes, est-ce votre première visite ?

R.: Ce sera la première visite, mais pas la dernière.

Q.: Est-ce une visite importante pour vous ?

R.: J'attache beaucoup d'importance à cette visite, notamment parce qu'il faut que la France soit mieux connue, mieux comprise. La France a un nouveau gouvernement, un nouveau Président de la République qui est très déterminé.

Q.: Le Président de la République, M. Chirac, est déjà allé en Hongrie. Vous a-t-il parlé de cette visite ?

R.: Oui, il en a parlé. C'est d'ailleurs lui qui m'a demandé pour mes premières visites de prévoir la Hongrie, parce qu’il garde un bon souvenir de sa visite.