Texte intégral
J.-M. Lefebvre : Jean-Pierre Destrade affirme que de 88 à 92, vous l'aviez chargé, alors que vous étiez trésorier du PS, d'être l'intermédiaire avec les grandes surfaces. Qu'est-ce que vous avez à répondre ?
H. Emmanuelli : Je n'ai pas l'intention de commenter les déclarations que fait aujourd'hui M. Destrade, pas plus que celles qu'il faisait hier où il y a quelques mois, lorsqu'il expliquait qu'il avait été rançonné par l'ETA et que c'était la raison pour laquelle il avait des difficultés financières. Je pense que c'est à la justice de faire le tri entre ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Je voudrais quand même dire que c'est une nouvelle épreuve pour moi et pour le PS. Je croyais qu'on en avait terminé avec Urba, mais manifestement, voici une nouvelle page du feuilleton. Ce que je voudrais dire aussi c'est que depuis 1990 où il y a eu des lois de financement, le PS – à l'époque j'étais trésorier – a été, je crois, le premier parti à se mettre en conformité avec ces nouvelles règles qui prévoyaient un financement public et la mise en place d'une association de financement public. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle à l'époque, j'ai demandé la dissolution d'Urba, dont tout le monde je crois en France sait de quoi il s'agit. La deuxième chose que je voudrais dire c'est que je suis premier secrétaire depuis juin 1994, j'ai trouvé le PS dans une situation financière très difficile, non pas seulement à cause de mon prédécesseur – la situation se dégradait depuis de nombreuses années – déjà lorsque j'ai quitté la trésorerie fin 91 l'estimation était déjà dégradée. Je ne fais pas un procès à mes prédécesseurs. Il y avait une situation financière difficile, j'ai essayé de la régler, je crois pouvoir dire très tranquillement qu'aujourd'hui tout le monde peut regarder à livre ouvert ce que sont les comptes et la comptabilité et les ressources et les dépenses du PS et je souhaiterais que, dans l'avenir, il en soit toujours ainsi.
J.-M. Lefebvre : Jean-Pierre Destrade parle de valises remplies d'argent, de comptes au Panama, etc.
H. Emmanuelli : Il ne parle que de ça, il dit aussi qu'il a été à Urba – or à mon avis Urba, il n'y a jamais été –, il parle de beaucoup de choses, c'est pour ça que je ne souhaite pas faire de commentaires. On me demande des commentaires sur une note que je n'ai pas vue, que je découvre dans la presse et dont, manifestement, j'ai beaucoup de doutes, c'est le moins que je veux dire à ce stade.
J.-M. Lefebvre : Pourtant de 88 à 92 il y avait la nouvelle législation.
H. Emmanuelli : Oui, mais c'est M. Destrade qui le dit. Moi, je vous ai parlé, je vous avais dit ce que j'avais à dire à partir de 90. Je peux d'ailleurs ajouter que, avant 90, tout le monde sait dans ce pays comment se finançaient les partis politiques, mais je ne vais pas répéter ce que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de dire en d'autres occasions, y compris dans ce journal, c'est que si on veut savoir ce qui se passait à ce moment-là il n'y a qu'à reprendre les conclusions de la commission d'enquête, tout est dedans.
J.-M. Lefebvre : Jean-Pierre Destrade dit que vous êtes amis depuis vingt ans. Est-ce que vous êtes surpris de sa déclaration ?
H. Emmanuelli : Vous voyez que les amis de vingt ans, finalement, ne sont pas plus productifs que les amis de trente ans.
J.-M. Lefebvre : Et le fait qu'il soit sorti de prison deux jours après avoir fait ces déclarations ?
H. Emmanuelli : Je vous laisse interpréter, mais vous comprendrez que je ne souhaite pas faire de commentaires.
J.-M. Lefebvre : Le PS est en train de changer, dans quel état d'esprit êtes-vous ?
H. Emmanuelli : J'écoutais tout à l'heure votre compte rendu sur l'élection : Laurent Fabius était le seul candidat, il a été élu non seulement dans la sérénité, mais à l'unanimité des présents et il y avait beaucoup de monde aujourd'hui présent au groupe. J'espère que le Parti socialiste va retrouver la capacité d'une grande cohésion et des moyens d'action pour faire face à une situation qui est difficile parce qu'elle est difficile pour le gouvernement, elle est aussi difficile pour l'opposition. Quand un pays va mal, personne ne va bien et je ne fais pas partie de ceux qui pensent que, a priori, les malheurs du gouvernement vont être a fortiori une bénédiction pour l'opposition. Nous allons jouer notre rôle d'opposants de manière responsable.
J.-M. Lefebvre : Une opposition constructive comme on disait ?
H. Emmanuelli : Constructive, moi je n'emploie jamais le mot parce que l'inverse, c'est destructive. Alors comme personne ne veut mener d'opposition destructive, les oppositions constructives m'ont toujours paru quelque chose de curieux. Je dis responsable, c'est-à-dire sans faire flèche de tout bois, en essayant de faire la part des choses, en jouant notre rôle d'opposants en disant ce que nous avons à dire, et il y a beaucoup à dire, et en faisant des propositions pour l'avenir. Nous avons des problèmes d'une extraordinaire difficulté. Moi je suis un élu de terrain, comme la plupart des parlementaires. On reproche le cumul, mais il y a au moins un avantage, c'est qu'un parlementaire est aussi un élu de terrain. Je peux vous dire que depuis quelques mois – je ne le date pas à l'arrivée de Jacques Chirac, ce serait ridicule – on observe une dégradation sur le plan social sur le terrain qui devient vraiment très alarmante. Il y a une multiplication de cas insolubles, de femmes seules avec enfants sans emploi, de gens à bout de ressources, à bout de processus. Nos permanences deviennent de véritables bureaux d'assistance sociale, mais avec un degré d'intensité dramatique que l'on avait pas connu jusqu'à maintenant. Donc, moi, je suis très inquiet.
J.-M. Lefebvre : Mais le PS n'a pas de recette miracle.
H. Emmanuelli : Je ne suis pas en train de faire le procès de qui que ce soit. Que l'on sorte un peu de ce manichéisme. Moi, je crois que ce gouvernement a commis des fautes, mais je ne sous-estime pas pour autant la difficulté de la situation.
J.-M. Lefebvre : Comment expliquez-vous cette baisse dans les sondages du président de la République et du Premier ministre ?
H. Emmanuelli : Je la trouve quand même d'une rapidité et d'une intensité quelque peu étonnante. Ce gouvernement a commis des erreurs, il a commis des fautes. C'est aux Français qu'il faudrait poser la question : est-ce que ça justifie un tel décrochage de l'opinion ? Il semblerait que les sondages le disent. Comme erreur, je vois la reprise des essais nucléaires qui s'est faite de manière anachronique, à contretemps, c'est-à-dire à un moment où l'opinion internationale aspire davantage à la dénucléarisation.
J.-M. Lefebvre : Claude Cheysson a dit qu'il avait honte du PS.
H. Emmanuelli : Je ne fais pas de la politique comme ça. Le PS et la gauche en général ne sont pas une armée qui marche au pas. La droite non plus, d'ailleurs, on le voit tous les jours. Je comprends bien qu'il soit intéressant d'aller chercher la déclaration de tel ou tel, retiré d'ailleurs de la vie politique et qui a envie qu'on parle de lui. Mais moi ce n'est pas mon avis, ce n'est pas l'avis de la majorité des socialistes. Ce n'est pas non plus l'avis de la majorité des Français et ce n'est l'avis d'aucune opinion internationale. Claude Cheysson a peut-être raison contre le monde entier, mais moi je pense que c'est une erreur parce que l'histoire n'est pas de savoir combien fallait-il en faire. Ce qui me paraît grave, c'est que c'est un contresens historique. Au moment où la France et l'ensemble de l'opinion internationale s'attendait à un processus de dénucléarisation avec le rêve de voir un jour la planète dénucléarisée, à ce moment-là Jacques Chirac, tout seul, dit : « Je reprends les essais ». C'est ça la faute. Ce n'est pas la France d'une part et l'Australie et la Nouvelle-Zélande d'autre part. Il n'y a pas une opinion publique en Europe et dans tout le monde occidental qui ne désapprouve cette initiative et fortement.