Texte intégral
Je suis favorable à l’élection du Premier secrétaire de mon parti au suffrage universel parce que cela m’apparaît comme un enrichissement de notre démocratie interne et comme une adaptation cohérente avec les institutions de la Ve République révisées en 1962 avec l’élection du Président au suffrage universel. Car même si j’entends les réserves face à certaines conséquences dommageables de la réforme de 1962, je réponds qu’aucun parti ne peut proposer aujourd’hui de revenir sur l’élection du Président de la République au suffrage universel sans s’exposer à un rejet massif par le peuple qui ne comprendra pas qu’on lui ôte ce pouvoir démocratique. Et je tire la conséquence cohérente de ce raisonnement : les militants, qui sont aussi des citoyens, ne comprendraient pas qu’on refuse le droit de choisir eux-mêmes et directement leur Premier secrétaire.
Et d’ailleurs, si l’on doutait de ce parallèle entre le statut d’un parti et les institutions, il est amusant de comparer aussi les processus d’évolution : il y a deux ans, pour la première fois, nous avions institué l’élection du Premier secrétaire non plus par le Conseil national – le Parlement du parti – mais par le congrès et ses délégués. À notre manière, nous avions réalisé l’étape de 1958 et l’élargissement du corps électoral présidentiel, étape décisive vers le suffrage universel. Comme 58 portant 62 en germe, le congrès du Bourget mettait le doigt dans l’engrenage qui devait nous amener à la réforme envisagée aujourd’hui.
Mais n’oublions jamais Thucydide : « tout homme, détenant une parcelle de pouvoir, va toujours au bout de son pouvoir ». Et n’oublions jamais la réponse de Montesquieu : « que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir… »
Et, souvenons-nous, non seulement que les socialistes se sont opposés dans leur immense majorité au référendum de 1962, mais qu’en outre, depuis, ils n’ont cessé de critiquer ces institutions et leurs dérives présidentielles, critiques qu’ils ont eu l’occasion de renouveler en juillet lors des débats sur l’élargissement du champ du référendum. Et je n’oublie pas qu’une réforme institutionnelle quelque qu’elle soit, n’est pas conjoncturelle et dépasse les hommes : comme mes critiques de la Ve République dépassaient la personne de François Mitterrand, je ne raisonne pas seulement la réforme du PS au seul éclairage de la personnalité de Lionel Jospin. Qu’il me pardonne cette outrecuidance. Et pour encourager sont indulgence, je me référerai volontiers aux critiques qu’il a lui-même exprimées sur les institutions de la Ve République, notamment dans son livre « L’invention du possible » : « Selon moi, les trois principaux défauts du système sont l’abaissement du Parlement, la dyarchie de l’exécutif, l’excessive présidentialisme.
Le pari optimiste des nouveaux courants d’idées
Trois déviations que je reprendrai volontiers en y ajoutant une quatrième, le risque d’étouffement des minorités.
L’abaissement du Parlement, en l’occurrence du Parlement du Parti, notre « Conseil national », renouvelé par notre congrès, sort d’élections législatives internes. Oui, comment renforcer les droits de notre congrès et de notre Conseil national face au Premier secrétaire ?
Comment éviter le risque de voir la légitimité donnée au Premier secrétaire étouffer le débat politique : « Puisque c’est lui le chef du parti, la ligne du parti c’est la pensée du chef »… Henri Emmanuelli a proposé de déconnecter les deux opérations : un congrès pour définir la ligne politique et élire le Parlement du parti puis, une semaine plus tard, l’élection du Premier secrétaire. Soit. Mais, est-on sûr que l’on minimiserait ainsi le risque d’avoir un Premier secrétaire désigné sans correspondre à l’orientation politique majoritaire ? En est-on sûr ? Je pense au contraire que ce risque existera, celui d’une cohabitation qui peut être réfléchie, raisonnée par les militants : une ligne politique un peu dure et un homme plus consensuel pour porter le message présidentiel. Et si cela survient, comment le gérer ? Par quels mécanismes d’arbitrage ? Du droit de dissolution à une sorte d’article 49.3 tout mécanisme de parlementaire rationalisé serait aux antipodes de la pensée socialiste. Mais le droit de censure ? Qu’on y réfléchisse.
La dyarchie de l’exécutif. Ce risque en est-il un ? Il n’existe plus car lorsque certains ont exploré la voie d’un président du parti – candidat potentiel à l’élection présidentielle – cohabitant avec un Premier secrétaire, patron de l’appareil, Lionel Jospin l’a refusé. Je ne suis pas sûr qu’il ait eu raison pour lui parce que, de fait, la vie politique française impose la dyarchie : des hommes et des idées pour combattre le gouvernement, un homme pour incarner un projet présidentiel.
L’excessive présidentialisation. Comment éviter ce risque ? Franchement, là, la solution est d’abord dans la tête des militants, des cadres, des responsables et du Premier d’entre eux. Mais la solution peut aussi être recherchée dans quelques précautions : y aura-t-il un « domaine réservé » pour le Premier secrétaire, un pouvoir de nominations sans partage notamment pour la nomination du secrétaire général, sorte de gouvernement du parti ?
L’étouffement des minorités
Ce point est complémentaire du premier risque envisagé, concernant les droits du Parlement du parti : il tient au mode de scrutin. Si l’on instaure, de fait, le scrutin majoritaire pour l’élection du Premier secrétaire national et des premiers secrétaires de nos fédérations départementales, il faut absolument maintenir la proportionnelle pour la représentation des courants de pensée. Ah ces fameux courants ! Tellement décriés, à juste titre, pour leurs déviations présidentialistes qui en firent des appareils étouffants, ils pourraient être condamnés par le scrutin majoritaire alors que les courants d’idées ont fait l’originalité et la richesse du Parti socialiste. Il faut faire le pari optimiste que, débarrassés des enjeux de pouvoir par le scrutin majoritaire, de nouveaux courants vont pouvoir naître au souffle des idées, grâce à la proportionnelle. C’est essentiel.
On le voit, l’audace d’une réforme statutaire peut avoir des conséquences non négligeables. Et la cohérence des socialistes serait de s’appliquer à eux-mêmes des critiques qu’ils adressent aux institutions de la République. Pour montre l’exemple.