Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à Europe 1 le 25 novembre 1998, sur la grève à la SNCF, le libéralisme économique, le Traité d'Amsterdam et la préparation des élections européennes de 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - La Corse est aujourd'hui paralysée par un syndicat nationaliste qui engage une épreuve de force avec le préfet Bonnet. Entre les deux, où êtes-vous ?

- « Il faut que la Corse s'habitue à revenir dans le droit. Ça ne se fera pas sans soubresauts. C'est un soubresaut dans une longue marche vers le retour au droit. »

Q - Et dans ce cas, vous soutenez l'action du représentant de l'État et de la loi en Corse ?

- « D'une façon générale, je suis pour le respect de la loi par tout le monde. Et par exemple, s'agissant du droit de grève, ce droit d'arrêter le travail, ce n'est pas le droit de paralyser le travail des autres. »

Q - Vous parlez de la SNCF ?

- « Je parlais de la Corse mais je peux parler aussi de la SNCF. C'est invraisemblable. La SNCF, ça commence à bien faire. On ne peut pas continuer comme cela à prendre des millions de Français en otages, il y a un respect des usagers qui est nécessaire. Il faudra nécessairement trouver le moyen comme cela est prévu dans la Constitution, de réglementer le droit de grève et d'assurer les services publics essentiels. Ou alors, il faut les privatiser. »

Q - C'est un leitmotiv mais on n'aboutit à rien. On le répète chaque fois qu'il y a une grève. On a bonne conscience une fois qu'on l'a dit.

- « Ça dépend des gouvernements. Les libéraux, on leur reproche parfois d'être trop libéraux mais en même temps, ils sont partisans du respect de la loi. On n'a pas le droit d'enquiquiner les autres. Ma liberté s'arrête là où commence la vôtre. Alors on a le droit de cesser le travail, mais s'agissant du service public, on a le devoir de faire fonctionner les services publics essentiels. »

Q - S'il y a tant d'exclus réduits à vivre aujourd'hui dans les rues et dans le froid, on sait où sont les coupables, L. Jospin les a désignés, les tenants de l'idéologie libérale, c'est-à-dire vous.

- « M. Jospin se moque du monde, mais vraiment il se moque du monde. Et il va falloir s'interroger un instant pour savoir pourquoi il pratique cette rechute dans le dogmatisme et dans l'idéologie. J'ai mon idée et je vous en dirai un mot. »

Q - Dans le dogmatisme, vous croyez vraiment ?

- « Oui, oui. Manifestement, M. Jospin voit sa majorité dite plurielle en train d'éclater et il choisit de la ressouder par un langage idéologique de gauche. Alors, il a choisi comme ennemis les libéraux et le libéralisme. C'est nous. Eh bien, tant mieux d'ailleurs, ça ne me dérange pas… »

Q - Mais est-ce qu'il a tort ?

- « M. Le Pen aussi dit que son ennemi, ce sont les libéraux et le libéralisme. »

Q - Vous ne les mettez pas dans la même bouteille ?

- « Je constate que tous les tenants de l'ordre bureaucratique ancien refermé sur lui-même, ont du mal à accepter les évolutions libérales. Or, s'agissant des évolutions libérales, partout dans le monde, lorsque que vous avez des politiques libérales, ce sont des politiques qui provoquent la prospérité et qui créent des emplois, ce qui reste le meilleur remède à la pauvreté. Je vous rappelle que si nous avons une nouvelle pauvreté en France, le mot de nouvelle pauvreté est apparu du temps du premier septennat de F. Mitterrand. Et il faudrait peut-être que M. Jospin s'interroge sur le fait de savoir pourquoi on n'a jamais autant dépensé pour le social dans notre pays et pourquoi il n'y a jamais eu autant de pauvre et de situations scandaleuses de misère. Je vais prendre un exemple. Dans le domaine du logement, depuis des années, nous dépensons, nous les contribuables, chaque année, de quoi construire 300 000 logements et de les donner gratuitement à 300 000 familles françaises. Et malgré cela, il y a une crise du logement. Et malgré cela, il y a des gens qui n'ont pas de toit. Ça, ce sont les dysfonctionnements de l'État. Qu'on laisse le libéralisme en paix dans cette affaire quand l'État ne fonctionne pas. Que M. Jospin s'attaque à réformer et particulièrement l'État social. »

Q - Donc de ce point de vue politique, il a eu raison, il vous a touché là où ça fait mal. Donc, il n'y a pas de sorte de mea culpa d'A. Madelin…

- « Vous savez l'évolution libérale des sociétés, vous le constatez, même les socialistes sont obligés de mettre de l'eau dans leur vin ; le socialisme d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec le socialisme du début des années 1980. »

Q - Mais le libéralisme pur sucre ne passe pas non plus. Regardez dans toute l'Europe, la plupart des pays qui comptent ne sont plus tout à fait libéraux.

- « Si, au contraire, ils ont considérablement évolué vers le libéralisme. »

Q - Ah oui ! Schröder a été élu pour ça ?

- « C'est une autre question. Il y a eu un article très intéressant dans les journaux pour montrer le recul des Républicains aux États-Unis. C'est une question qui me préoccupe depuis toujours. Je crois que les libéraux sont les modernes et qu'ils n'ont pas intérêt à frayer trop avec l'aile la plus conservatrice. Et quand vous mélangez les libéraux avec l'aile la plus conservatrice, la plus ordre moral de la société, ceci peut entraîner des défaites électorales. Donc, ceci m'invite à dire que les libéraux doivent être plus que jamais eux-mêmes, c'est-à-dire les modernes par rapport aux anciens. »

Q - Ce soir, allez-vous voter la réforme de la Constitution pour Amsterdam ?

- « Oui, bien sûr, parce que nous sommes profondément européens. La construction européenne porte la marque des libéraux. »

Q - Et sans condition ?

- « Sans condition et sans ambiguïté, même si nous nous inquiétons pour l'avenir, sur les risques de dérive de la construction européenne. Il y a un vrai risque de voir les socialistes qui sont, comme vous le soulignez, aujourd'hui majoritaires en Europe, utiliser dans une vision un peu partisane et idéologique les institutions européennes. Heureusement, il y a des choix. Mais lorsque j'entends par exemple les socialistes me dire qu'ils vont faire une campagne, ensemble - tous les partis socialistes au niveau européen - ça n'est pas vraiment l'Europe que je souhaite et ça signifie que l'on met les partis au-dessus des pays. Moi je pense que le Président Chirac a raison lorsqu'il dit : l'Europe n'est ni de gauche ni de droite. Et ça ne me choque pas lorsque M. Giscard d'Estaing plutôt libéral, frayait avec M. Schmidt, plutôt socialiste ou lorsque M. Kohl préférait parfois M. Mitterrand. »

Q - Est-ce que vous promettez aussi de ratifier le traité d'Amsterdam ?

- « Oui, bien sûr. Nous l'avons dit hier clairement mais je l'ai esquissé hier dans un discours à l'Assemblée nationale. Je crois que le moment est peut-être venu de penser notre Europe autrement que selon les schémas des pères fondateurs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il y a peut-être une nouvelle dimension européenne, mais ça, c'est une autre histoire. »

Q - Paris-Match et l'Évènement du Jeudi publient aujourd'hui des sondages qui placent, lors des européennes prochaines, la liste de L'Alliance avant la liste PS conduite par F. Hollande. L'Alliance, si la tête est P. Séguin. C'est bien ça ?

- « Moi, depuis des mois et des mois, lorsque je suis interrogé avec mes amis de Démocratie libérale sur ce qu'il faut faire aux élections européennes, je dis : il faut faire l'union. Et je pense que nous sommes capables de nous rassembler sur un projet. Certes l'opposition est plurielle sur l'Europe mais nous nous sommes capables de nous rassembler autour d'un projet européen commun. Il nous faut faire le renouvellement. Je crois que cette liste que nous constituerons en commun, le moment venu, doit être la vitrine de la nouvelle opposition. »

Q - Donc une seule liste ?

- « Une seule liste, profondément renouvelée, avec à sa tête, le meilleur, la meilleure locomotive possible. L'enjeu est de taille, il est d'être devant les socialistes, ce qui permettra de mieux préparer les prochaines échéances. »

Q - C'est qui le meilleur, le président Chirac ?

- « Le meilleur peut être P. Séguin et je n'ai absolument aucune exclusive sur P. Séguin, je l'ai déjà dit et je le répète. Les sondages montrent qu'il a cette capacité d'être le meilleur. Nous verrons le moment venu dans la configuration définitive. Je ne souhaite pas que le RPR se divise ou plus exactement qu'il y ait une liste dissidente issue du RPR. Si M. Séguin peut nous en préserver, tant mieux. »

Q - Il faut aller vite, les centristes et les libéraux n'auront donc pas de liste.

- « Je pense encore une fois que l'intérêt de l'opposition est de faire une liste d'union. Je pense que si l'on n'est pas capable de se rassembler sur un sujet comme l'Europe, c'est qu'on est très mauvais. S'il y a par nature un sujet qui favorise les rassemblements, il faut savoir faire éventuellement les compromis, c'est bien le sujet européen. »

Q - Cohn-Bendit risque de manger un morceau du centre. Comment expliquez-vous qu'il soit la coqueluche de tant de gens ?

- « Je ne sais pas, peut-être qu'il a gardé un style, une fraîcheur et beaucoup d'amitié dans les médias. Moi je l'ai écouté ce matin sur une radio concurrente. Pour être franc, je l'ai trouvé un peu langue de bois : « non, non, on n'a pas critiqué la loi sur l'immigration clandestine, on a juste critiqué la circulaire d'application ; mais non, on n'est pas partisans de régulariser tous les immigrés - on avait compris le contraire - juste ceux qui ont fait leur demande. » Bon, il m'amuse plutôt. Il arrive souvent que de jeunes libertaires deviennent de vieux libéraux. En tout cas, je crois qu'il va être un révélateur des contradictions de la majorité plurielle. Qu'il continue son travail. »

Q - Vous vous rapprochez de Paris. Il paraît que vous allez être candidat à la mairie de Paris.

- « Si chaque fois que j'organise une réunion dans une ville de France, on me pronostique un avenir à la tête de la mairie, je vous préviens que prochainement, je vais à Lille. Et puis après avoir été à Lille, j'irai à Bordeaux, n'y voyez aucune malice. Je suis maire de Redon, heureux de l'être et j'espère le rester aussi longtemps que les électeurs me feront confiance. »

Q - Donc il y a pas mal de vos amis à la fois centristes et RPR qui vont être tranquilles ce matin.

- « Si ça peut les rassurer. En tout état de causes, ce que je souhaite, c'est qu'il y ait un puissant courant libéral à Paris et que le jour venu, ils puissent, le cas échéant, incarner la relève s'il y a un besoin de relève. »