Déclaration de Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, sur le projet de mise en place d'une prestation autonomie pour les personnes âgées dépendantes, devant le Conseil économique et social à Paris le 12 septembre 1995.

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Circonstance : Réunion du Conseil économique et social à Paris le 12 septembre 1995

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs,

Je tiens tout d’abord à remercier Monsieur Hubert BRUN, rapporteur qui a su avec une très grande clarté exposer les grandes orientations et les propositions du CES, sur le projet de prestation autonomie. J’ajoute que moi-même et mes collaborateurs sommes très heureux des contacts entretenus avec la section du conseil économique et social. Ils ont permis un échange de vue fructueux, efficace et constructif.

Trop souvent nombre de nos concitoyens âgés, du fait de leur dépendance vivent des drames qui affectent aussi bien souvent pour leur famille. Il y a là une préoccupation que notre société ne peut plus ignorer.

C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité y répondre en mettant en place, dès le 1er janvier, une prestation dénommée « prestation d’autonomie » marquant ainsi son souhait de permettre aux personnes âgées de continuer à gouverner leur vie le plus longtemps possible.

Le Premier ministre a souhaité recueillir l’avis des forces vives de la Nation au tout premier stade de l’élaboration du projet de loi, en commençant par votre assemblée et je me réjouis de constater que notre souci de concertation a été bien accueilli.

La lecture de l’avis sur lequel vous allez vous prononcer d’ici demain m’inspire les remarques suivantes.

Nous nous rejoignons pleinement sur les objectifs de cette prestation et j’irai même jusqu’à dire sur ses principes éthiques dont le premier consiste à reconnaître solennellement que la collectivité à un devoir de solidarité nationale à l’égard des personnes âgées, a fortiori lorsqu’elles deviennent dépendantes et donc encore plus vulnérables.

Cette prestation n’a, au demeurant, de sens qu’en s’inscrivant dans un ensemble d’actions qui vont de la prévention précoce des handicaps liés à l’âge, à l’amélioration de la prise en charge à domicile, à une plus grande médicalisation des établissements accueillant les personnes âgées dépendantes qui ne peuvent plus être maintenues à domicile. Il s’agit bien de mettre en œuvre une politique qui garantisse une approche globale de la personne âgée dépendante.

Vous vous êtes prononcés sur l’architecture de la prestation et sur ses modalités de mise en œuvre dont l’essentiel recueille votre accord.

Il demeure, ce qui était inévitable, quelques points de divergence sur lesquels je m’arrêterai un moment. Il va de soi que le Gouvernement tiendra le plus grand compte de vos remarques ainsi que de celles de toutes les instances qui seront consultées, en ayant la délicate mission de dégager le dénominateur commun entre des préoccupations parfois contradictoires.

Nous pouvons tous constater que les conditions de vie des personnes âgées se sont considérablement améliorées depuis les deux dernières décennies. On ne peut bien entendu que s’en réjouir mais ces avancées ne doivent pas pour autant occulter les perspectives liées à l’augmentation importante du nombre de personnes très âgées.

Ce vieillissement croissant de la population devrait s’accompagner d’un nombre sans doute corrélativement plus grand de personnes âgées dépendantes.

Malgré les efforts considérables déjà accomplis, la collectivité nationale a bien conscience des difficultés de tous ordres rencontrées par un grand nombre de nos aînés et leurs familles lorsqu’ils sont confrontés au problème de la dépendance.

C’est ainsi que nombre d’entre eux ne sont pas en mesure d’opérer un véritable choix de leur mode de prise en charge faute des informations ou des conseils nécessaires mais aussi de ressources suffisantes. La dépendance entraîne des surcoûts auxquels les personnes âgées aux ressources modestes, ne peuvent le plus souvent faire face. Parfois même celles dont les revenus les situent dans les classes moyennes n’y parviennent pas.

La créations d’une prestation d’autonomie réponde ainsi à l’émergence d’un besoin nouveau auquel les dispositifs d’aide existants ne répondent pas toujours de manière satisfaisante.

Ce fait social nouveau constitue incontestablement un défi majeur pour les pouvoirs publics : il s’agit bien d’un véritable problème de société aux multiples dimensions dont la prise en compte nécessite une diversification des réponses et une adaptation constante à l’évolution des besoins. La nouvelle prestation répond à ces exigences et constitue, ainsi que vous l’avez souligné, un volet essentiel du dispositif d’aide aux personnes âgées dépendantes.

La politique menée en faveur de ces personnes âgées ne doit plus être centrée uniquement sur l’assistance aux personnes mais doit également viser à prévenir la perte d’autonomie car, c’est le regard sur la personne qui doit aussi changer : assister, aider, oui mais aussi laisser à la personne dépendante son autonomie de vie le plus longtemps possible, lui conserver sa dignité, sa citoyenneté, voilà notre vrai devoir moral.

Dans ce cadre, et ainsi que votre conseil l’a souhaité, la prestation d’autonomie se différencie nettement des schémas classiques de l’aide sociale.

II s’agit d’une prestation légale de solidarité nationale devant assurer une égalité de traitement quel que soit le lieu de résidence des personnes, principe sur lequel votre conseil à tout particulièrement insisté.

Il s’agit aussi d’une prestation destinée à répondre aux problèmes spécifiques de la dépendance liée au grand âge.

Elle s’appuie donc sur un dispositif souple de proximité dont la cheville ouvrière est l’équipe médico-sociale.

Elle se substitue pour les personnes âgées dépendantes à l’allocation compensatrice constituant ainsi un instrument rénové d’une politique prenant en compte la dépendance dans sa globalité.

Enfin, et j’insisterai tout particulièrement sur ce point, elle s’inscrit dans un dispositif favorisant la coordination de l’offre de service auprès de la personne. Cet aspect, qui n’est certes pas toujours assez développe aujourd’hui dans les politiques locales, doit permettre une prise en charge individualisée des personnes concernées.

Je ne doute pas qu’une telle démarche permette le renforcement indispensable d’une coordination plus large au niveau départemental, que vous appelez de tous vos vœux, entre tous les partenaires, notamment institutionnels, concernés par le problème de la dépendance.

Cette coordination doit cependant, bien évidemment respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales. Aussi n’est-il pas souhaitable d’imposer par la loi un modèle d’organisation contraignant. Il convient de laisser au département, responsable des actions de proximité en faveur des personnes âgées, le soin de définir et de mettre en œuvre, avec les autres partenaires concernés, les dispositifs beaux de coordination, dans le respect des dispositions générales définies par la loi.

Votre assemblée n’a pas donné son assentiment à ce qu’elle pense être « la volonté du Gouvernement de réserver, dans un premier temps la prestation autonomie aux seule personnes âgées dépendantes à domicile » qui conduirait à exclure « d’un droit les 300 000 personnes, généralement les plus lourdement dépendantes, accueillies en établissement ». La volonté du Gouvernement n’est pas, à l’évidence, une volonté d’exclusion.

C’est pourquoi, je compte proposer au Premier ministre, qu’une date butoir soit inscrite dans le projet de loi, pour que le délai de mise en œuvre, s’il doit être un peu plus long qu’à domicile pour des raisons de complexité, n’entraîne pas durablement d’inégalité de traitement entre les personnes.

En effet, votre assemblée elle-même qualifié la tarification d’extrêmement complexe. Elle est surtout désormais inadaptée. En effet, la tarification en établissement est essentiellement fonction de la nature juridique de l’établissement (long séjour relevant du secteur sanitaire et section de cure relevant du secteur médico-social). Cette complexité et les insatisfactions qu’elle a engendrées avait amené mon prédécesseur à lancer une étude préalable visant à la fois à analyser l’état de santé réel, le degré de dépendance des personnes âgées accueillies, les modes de prise en charge offerts aux résidents, ainsi que la structure des coins dans les différents types d’établissements.

Cette étude, copilotée avec la CNAM, a porté sur 19 établissements d’hébergement pour personnes âgées, de tous statuts juridiques, qu’ils soient ou non habilités à l’aide sociale.

Elle a apporté des informations précieuses, recueillies de manière homogène au moyen de la grille « AGGIR », sur la population accueillie, Cette population est très âgée, lourdement dépendante pour plus de la moitié des personnes hébergées, quels que soient la nature et le degré de médicalisation de la structure.

Elle a aussi permis de constater qu’il existait des coûts liés à la dépendance, jusqu’alors supportés, selon les cas, par les personnes âgées elles-mêmes ou l’aide sociale, ou l’assurance maladie.

Nous tenterons d’en tirer la leçon le plus rapidement possible.

Votre conseil a enfin souhaité que soient clairement appréhendées les dépenses induites par la mise en œuvre de la prestation d’une part et identifiés les financements qui lui seront affectés d’autre part.

Nous partageons tous, à l’évidence, cette préoccupation.

Le financement de la prestation mobilisera les sommes déjà engagées par les conseils généraux pour l’allocation compensatrice et sollicitera la solidarité nationale selon des modalités qui à ce stade, ne sont pas encore définitivement arrêtées.

Notre avis éclairerai le Gouvernement sur les choix à adopter. Dès le 18 septembre, le Premier ministre va annoncer les contours de la prestation lors de son déplacement en Haute-Loire

À l’issue d’une large concertation, le Gouvernement a recueilli les avis, les suggestions, les propositions des parties intéressées, nombreuses sur un sujet aussi essentiel.

Certes, il faut réconcilier des aspirations toujours légitimes, mais parfois contradictoires. Certes, la mise en place de la prestation autonomie exige l’effort et la coopération de tous. Mais la détermination du Gouvernement est de répondre rapidement à ce besoin nouveau, attendu par les personnes âgées et leur famille.

Voilà les quelques précisions qu’il m’apparaissait souhaitable de vous apporter en réponse aux remarques si pertinentes que votre assemblée a formulées. Dans l’esprit qui vous les a inspirées il en sera tenu compte puisque nous partageons l’objectif d’apporter la meilleure réponse possible aux besoins des personnes âgées dépendantes.