Déclarations de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, sur l'aide française et étrangère aux pays les moins avancés, leur accès au commerce international et la proposition française d'annulation de leur dette, New York le 26 septembre 1995.

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Circonstance : Conférence d'examen à mi-parcours du programme des pays les moins avancés à New York (Etats-Unis) le 26 septembre 1995

Texte intégral

Point de presse - 26 septembre 1995

Je vous remercie, malgré les nouvelles sur l’ex-Yougoslavie qui viennent de tomber, d’être là pour parler des PMA. Je suis d’ailleurs heureux de voir qu’aujourd’hui, ce sont les positions françaises qui trouvent leur application à propos de l’Europe centrale. Et je crois que personne ne peut le nier : le groupe de contact a pris naissance d’une certaine manière à Paris.

Nous sommes ici aujourd’hui au titre de la CNUCED pour parler des PMA. Vous savez que c’est un sujet de préoccupation mais aussi une priorité pour le gouvernement français qui, dans le passé et surtout pour l’avenir le met au premier rang de sa politique. Depuis 1990, c’est la volonté de beaucoup de nations de lutter contre la marginalisation de ces pays. Malheureusement, leur appauvrissement est toujours une réalité, malgré les efforts entrepris et l’aide apportée par les uns et les autres sous forme de prêts, de dons, d’augmentation des échanges commerciaux. Les résultats ne sont donc pas entièrement satisfaisants. Ceci ne peut que nous pousser à chercher d’autres moyens pour améliorer l’appui qui leur est apporté et il faudrait que la France tente de faire comprendre à certains partenaires développés ou industrialisés que tout cela n’est pas dérisoire et encore moins inutile. Nous nous associons à l’hommage qui a été rendu tout à l’heure à certains pays d’Europe du Nord qui non seulement aident ces pays par des prêts mais aussi les impliquent dans le commerce international. Alors, pourquoi ai-je dit tout à l’heure qu’après cinq ans, les résultats étaient mitigés ? D’abord, parce que la liste des PMA n’est pas close, elle n’a pas diminué et s’est même allongée et nous avons constaté que, parallèlement, les montants totaux de l’APD à ces pays ont fortement baissé, ainsi que leur participation au commerce international. Ce n’est pas un constat de franc succès, bien que la France ait, elle, été plutôt exemplaire.

Elle a atteint l’objectif qui lui était fixe à 0,15 % de son PIB consacré aux PMA.

Elle a beaucoup milité pour le maintien de l’enveloppe du 8e FED dont la plupart des bénéficiaires sont des PMA.

Elle a annulé la dette bilatérale née de l’APD des PMA.

Elle a appuyé le traitement dit de Naples.

Elle a essayé dans le cadre de Lomé IV de pousser à un traitement commercial privilégié des PMA.

Tout notre dispositif de coopération essaie de favoriser le développement d’un secteur privé exportateur.

De plus et enfin, nous n’octroyons plus que des dons aux PMA pour ne pas alourdir la charge de la dette.

Cette journée me rend raisonnablement optimiste. En effet, plus la journée avançait et les textes sont là pour le confirmer, plus il m’a semblé qu’on en venait à une volonté d’atteindre le chiffre établi au début, auquel nous sommes d’ailleurs déjà parvenu, pour les cinq prochaines années. Le prochain rendez-vous, c’est dans cinq ans et j’espère que la troisième conférence des nations unies sur les PMA permettra de dresser un bilan plus positif qu’aujourd’hui. C’est donc d’une façon positive que je perçois cette journée PMA à la CNUCED, que certains avaient peut-être enterrée un peu trop vite.

Q. : Pardonnez mon ignorance, mais y a-t-il une liste des PMA, et est-elle définitive ?

R. : Elle n’est bien sûr pas arrêtée définitivement, ainsi, il y a eu deux pays qui y sont entrés et deux qui en sont sortis... La balance n’est pas n’est brillante.

Q. : Si on veut éviter que dans cinq ans ce soit la même chose, il faut peut-être dès aujourd’hui prendre des mesures efficaces, vraiment efficaces ?

R. : Oui, bien sûr, il faut prendre des mesures. On ne peut pas se contenter...

Q. : Qui est prêt à le faire ?

R. : D’abord, il faut faire beaucoup de pédagogie auprès de nos collègues, ainsi que la France l’a déjà fait, à Cannes par exemple et à Halifax. Et puis l’objectif, ce sont ces 0,15 % du PIB consacrés aux PMA. Il faut surtout enlever de la tête de ceux de nos partenaires occidentaux qui sont les plus sceptiques et en retrait, l’idée que les sommes allouées aux PMA sont mal utilisées. Les contacts que j’ai pu avoir aujourd’hui, en dehors de l’Assemblée générale, montrent que les PMA eux-mêmes se rendent compte de l’importance d’une gestion rigoureuse. Soyons précis, la lettre de mission que j’ai reçue en tant que ministre de la Coopération est très claire. Elle indique notamment qu’il nous faut lutter contre un certain laxisme et un manque de rigueur dans la gestion. Ce n’est donc pas une question de montants mais il s’agit de la manière dont ces montants sont utilisés.

Q. : Que faire, concernant le commerce international ?

R. : D’abord, il y a le fait que nous les aidons à s’ouvrir au commerce international. Cela étant, il ne suffit pas que ces pays s’ouvrent au commerce international pour qu’ils se développent. Comment faire ? Le 30 octobre à Paris, par exemple, nous organisons un colloque important, sous l’égide du ministère de la Coopération, portant sur les investissements et le commerce international. Il existe une pédagogie du commerce international.  La négociation des Accords de Lomé a été de ce point de vue très importante.

Q. : Dans quel état d’esprit avez-vous trouvé les pays africains lors de la réunion d’aujourd’hui ?

R. : Pas désespérés, tout à fait conscients que les résultats de ces cinq dernières années ne les satisfont pas, mais en même temps enclins à continuer une réflexion, une action pour les cinq prochaines années. Je n’ai vu personne qui ait accepté de baisser les bras ou qui ait condamné la CNUCED. De plus, il faut bien reconnaître que ce que viennent d’accomplir la France et les pays nordiques est tout de même encourageant. Et on peut dire que c’est d’une certaine façon la réplique au pessimisme des Américains, des Anglais, et dans une moindre mesure des Allemands. Ce qui vient d’être dit est quand même nettement plus offensif et optimiste que les constats très attristants qui avaient auparavant été faits, notamment par le Congrès américain lors du voyage du président de la République française à Halifax.

Q. : Il semblerait que, dernièrement, l’Afrique soit devenue un champ de bataille entre les investisseurs américains et les investisseurs français ?

R. : Je ne peux que me réjouir qu’il y ait le plus grand nombre d’investisseurs possible en Afrique, quels qu’ils soient. Malgré tout, je souhaite, pour le bien de l’Afrique, que les investisseurs en question soient des gens constants et n’agissent pas par opportunisme. J’aimerais qu’il y ait un fil conducteur. La France, elle, a cette attitude et investit toujours avec beaucoup de constance, sans se soumettre aux aléas de l’actualité. Et je crois que, si d’autres pays veulent investir en Afrique, il leur faudrait suivre notre exemple.

Q. : Est-ce qu’il y a un conflit entre les États-Unis et la France sur l’Afrique ?

R. : Non. Au contraire, après avoir été très, longtemps des pionniers solitaires, on se réjouit sincèrement que d’autres nous rejoignent et s’aperçoivent que nous avions raison avant tout le monde. Ce serait un comble de refuser de faire école, non ?

Q. : Le ministère de la Coopération devrait fusionner avec les Affaires étrangères.

R. : Non, ne dites pas « devrait fusionner », dites plutôt : « se rapprocher », « travailler », « chercher des économies d’échelle... ». Tout ce que vous voulez, mais pas ce que vous venez de dire !

Q. : Comment voyez-vous cela ?

R. : Comme une très grande chance, à la fois pour les Affaires étrangères et pour nous-mêmes. De la façon la plus calme qui soit, sans aucun esprit de polémique. Nous avons tout à gagner à travailler ensemble. D’abord parce que la coopération française est, il faut le souligner, presque unique au monde. Sa façon de faire, la valeur des gens qui y travaillent, la diversité de leurs origines, de leurs expériences professionnelles, font que le ministère de la Coopération est doué d’une richesse exceptionnelle, richesse qui, plus qu’un budget, peut apporter beaucoup au quai d’Orsay. Quant au quai d’Orsay, il peut nous faire profiter de la « grande vitrine » de la diplomatie française qui, je vous le rappelle, est tout de même le deuxième réseau diplomatique du monde. En fait, nous sommes parfaitement en phase sur le rapprochement, il n’existe aucune réticence de la part du ministère de la Coopération, bien au contraire puisque nous adorons apporter quelque chose aux autres.

Q. : Le mariage, c’est pour bientôt ?

R. : Vous savez avant le mariage, il y a des fiançailles qui durent un certain temps. Il ne faut pas précipiter les choses, ni enterrer le problème pour autant.


Discours - 26 septembre 1995

Madame le président,

Les pays les moins avancés, ces États de plus en plus nombreux où des millions d’hommes et de femmes vivent dans des conditions souvent très difficiles, constituent à nos yeux le principal enjeu de l’aide internationale au développement.

Au moment où la libéralisation des échanges et l’extension des investissements privés ouvrent dans de nombreux pays en développement de réelles perspectives de croissance, comment pourrions-nous, en effet, ne pas porter une attention particulière aux États qui risquent de rester en marge de cette heureuse évolution de l’économie mondiale ?

Le regard lucide que nous sommes aujourd’hui invités à porter sur leur situation, sur ce qui a été consenti – ou ne l’a pas été – pour appliquer le programme d’action défini par la Conférence de Paris de 1990 montre que l’essentiel reste à faire.

Mon collègue espagnol, parlant au nom de l’Union européenne, a dressé un bilan rigoureux. Je n’y reviens pas. Qu’il me suffise de rappeler que, dans le rapport fort utile de la CNUCED a établi, nous voyons que les PMA continuent globalement de s’appauvrir puisque – à quelques exceptions près – leur croissance économique reste inférieure à l’accroissement de leur population et que leur part dans les échanges mondiaux, déjà bien faible, a encore baissé.

Les facteurs économiques, les contraintes géographiques ou climatiques ne sont certes pas les seules causes de cette situation alarmante. De nombreux pays moins avancés sont ou ont été le théâtre de guerres civiles ou de conflits armés qui, sans parler des intolérables souffrances imposées aux populations, ferment toute perspective de progrès économique, démocratique et social, en même temps qu’ils accaparent des ressources normalement destinées au développement.

La leçon de ces drames doit être tirée : le consensus national, la participation démocratique à l’édification d’un état de droit sont indispensables au développement.

Madame le président,

La charge qui pèse sur les gouvernements des pays les moins avancées est donc considérable. Il est qu’il est d’abord de leur responsabilité de continuer de prendre, dans le domaine financier, les mesures rigoureuses indispensables à une croissance durable et de poursuivre de manière générale, les politiques cohérentes de nature à favoriser l’épanouissement de l’initiative économique. En rappelant ce qui est une vérité d’évidence, je veux affirmer la confiance que nous avons dans la capacité de ces pays à définir et à conduire les politiques propres à assurer le bien-être de leurs populations et à préparer leur avenir. L’éducation et la formation, fondement du développement humain, appellent, bien évidemment, des sacrifices à moyen terme.

Ces orientations sont exigeantes, mais prometteuses. Les résultats enregistrés d’ores et déjà par plusieurs PMA nuancent le sombre tableau brossé par les statistiques globales et confirment que le déclin économique des pays les plus pauvres n’est pas une fatalité. Plusieurs d’entre eux, en Afrique comme en Asie, ont renoué avec la croissance et sont en mesure de tirer profit d’une meilleure conjoncture internationale.

Cette note d’espoir, essentielle à nos yeux, doit entraîner un engagement renouvelé de la communauté. Les pays les moins avancés doivent en effet pouvoir compter sur la solidarité des autres. La France à la conviction que les PMA ont besoin d’une aide extérieure pour engager ou conforter leur essor économique. Il est de notre devoir – et de notre intérêt bien compris – de la leur fournir.

L’effort, me semble-t-il, doit porter dans trois directions :

1. Les ressources nécessaires à une aide au développement efficace doivent être préservées. La France, plus que jamais, se considère liée par l’objectif de 0,15 % du PIB, consacré à l’assistance aux PMA, qui, comme vous le savez, elle a atteint. Son effort en faveur des PMA s’est élevé à 2 MD de dollars (soit 13 % de l’aide mondiale aux PMA).

2. Il est essentiel par ailleurs, de faciliter l’accès des PMA au commerce international. Ces États doivent tirer le meilleur parti des accords de Marrakech pour accroître les débouchés de leurs produits, mais aussi protéger, là où c’est nécessaire, des productions nouvelles, notamment dans le domaine alimentaire. Nous estimons qu’aux côtés de l’OMC, la CNUCED a un rôle important à jouer en mettant à la disposition des états en développement ses capacités d’analyse et, en liaison avec le Centre du commerce international, ses programmes de coopération technique.

3. Enfin, il est indéniable que le problème de la dette pèse sur les capacités d’action des PMA. La France, vous le savez, à d’ores et déjà décidé d’annuler la totalité des créances d’APD des pays les plus pauvres de la zone franc. Elle souhaite, par ailleurs, que le régime très favorable mis au point par le Club de Paris et que l’on appelle « traitement dit de Naples » soit appliqué sans retard par les pays concernés. Il lui semble, en outre, que les institutions de Bretton Woods devraient accorder une attention particulière à ceux des PMA, dont le poids de la dette multilatérale est excessif, en mettant pleinement en œuvre les mécanismes existants. La création de nouveaux mécanismes, y compris par recours à une meilleure utilisation des ressources propres de ces institutions, doit également être encouragée.

Madame le président,

Le programme d’action défini par la Conférence de Paris offre un cadre à cet effort collectif en faveur des PMA. Son application comme la mise en œuvre des réorientations qu’au terme de cette réunion nous serons amenés à formuler est une tâche ambitieuse qui appelle le concours de toute la communauté internationale. Tous les pays développés doivent y contribuer à la mesure de leur richesse. Nous estimons, également, qu’à leurs côtés les pays émergents qui ont su, grâce à des politiques avisées, et à des flux d’investissements extérieurs, atteindre des taux de croissance enviables doivent à leur tour participer à cette action en faveur des plus pauvres d’entre nous. L’échange de savoir-faire dans le cadre de programmes de coopération technique serait très utile à cet égard.

Cette action doit, par ailleurs, être réellement concertée pour atteindre l’efficacité voulue. Il est habituel d’appeler à une étroite coordination entre les Institutions de Bretton Woods et celles des Nations unies. Je crois que ce qui est important, c’est que tous les bailleurs de fonds, bilatéraux ou multilatéraux, se mettent véritablement à travailler ensemble en définissant des objectifs précis, dans un secteur d’intervention ou sur le plan régional et, cas par cas, une claire répartition des tâches. Il existe entre les institutions financières internationales et les agences des Nations unies des complémentarités qui peuvent être un gage d’efficacité pour autant que l’on sache en tirer parti. Le programme d’action en faveur des PMA mérite une telle action concertée. La situation est trop grave pour que nous puissions continuer de disperser nos efforts.

Madame le président,

Avant de conclure ces quelques remarques, je voudrais dire avec force que, pour la France, l’aide aux PMA est une priorité et le restera. Nous avons toujours plaidé pour qu’une attention particulière soit apportée aux plus pauvres d’entre nous et nous avons pris des initiatives concrètes que vous connaissez, tant pour traiter le problème de la dette que pour augmenter les flux de l’aide publique au développement en faveur des PMA.

La France, vous le savez, a accueilli les deux premières conférences et j’imagine, bien qu’il soit encore un peu tôt pour y penser, que mon pays sera, le moment venu, candidat pour abriter la prochaine conférence.

La persistance de la pauvreté, de la sous-alimentation, des grandes endémies, de l’analphabétisme nous impose d’agir avec efficacité et d’aller aux vrais besoins. L’assistance aux hommes et aux femmes qui vivent dans cette situation est, comme je le disais en commençant, le principal enjeu de notre aide au développement.