Interviews de M. Gilles de Robien, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, à France 2 le 24 octobre 1995 et France-Inter le 3 novembre, sur le projet de loi de finances 1996 et la nécessité des économies budgétaires, l'annulation de la rencontre des présidents Chirac et Zéroual, le début des grèves à la SNCF.

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Média : France 2 - France Inter - Télévision

Texte intégral

France 2 : mardi 24 octobre 1995

Q. : Vous avez rajouté trois milliards d'économie, mais sur un budget de 1 400 milliards, ce n'est pas beaucoup.

R. : C'est quand même un renversement de tendance complet. Jusqu'ici, depuis des décennies le Parlement était surtout dépensier. Il demandait à chaque ministre de dépenser un peu plus, les meilleurs ministres étaient ceux qui dépensaient le plus. Maintenant nous arrivons à une revalorisation du Parlement qui obtient des économies. S'il obtient des économies, c'est évidemment pour essayer de moins faire payer les contribuables.

Q. : Vous pensez qu'on pourra « gratter » un peu plus quand on fera le budget ministère par ministère ?

R. : Le gouvernement avait fait déjà beaucoup. Il avait réduit le déficit budgétaire à 289 milliards. Maintenant, grâce à l'action du Parlement, on arrive à 286 milliards. Je pense qu'on atteint un petit peu le maximum de réductions, mais enfin si on peut encore gratter quelque chose dans le fonctionnement surtout des ministères ce serait bien car plus on réduit le déficit, moins les contribuables ont à payer, mieux le franc se porte et surtout les taux d'intérêts baissent. Ces taux, c'est la capacité pour les Français à emprunter et c'est source de développement économique, de croissance et donc d'emploi.

Q. : Mais il va y avoir des conséquences néfastes ? Le programme du Rafale est remis en cause, C. Millon a dit qu'il ne faudrait pas s'étonner si on supprime quelques casernes dans des villes…

R. : Depuis longtemps on a commencé à restaurer l'armée. Mais on doit se poser la question, régulièrement, tous les gouvernements le font : doit-on conserver le même type d'armement, les mêmes armées, la même défense ? Donc il est normal qu'on se remette en cause régulièrement sinon il y aurait des dépenses qui fileraient comme ça pendant des années alors qu'on n'a pas forcément besoin des mêmes armes, qu'on a besoin de se renouveler et que peut-être il y a des doubles emplois. C'est une question d'organisation, de restructuration. C'est nécessaire et il faut le faire périodiquement.

Q. : Des maires de 26 grandes villes, comme D. Baudis, parlent d'un pacte de régression sur le budget et ils se plaignent notamment de la suppression d'une part de la dotation globale d'équipement.

R. : Ceux-là ont raison. Effectivement, on a supprimé la dotation globale d'équipement pour les villes de plus de 20 000 habitants. Je crois que c'est une erreur, surtout pour les villes qui ont des quartiers sensibles où il y a de forts besoins. Je souhaite que le gouvernement revienne sur cette décision et puisse donner à ces villes-là un petit supplément de crédit. Vous savez que l'État redistribue énormément d'argent pour les villes. Il ne faut pas faire la distinction entre les villes de moins de 20 000 habitants et celles de plus de 20 000 habitants.

Q. : Je rappelle que vous être maire d'Amiens, une ville de plus de 100 000 habitants. Le franc et la bourse ne cessent de baisser, moins de 4 % en un mois, 8 % pour la bourse depuis le début de l'année. C'est un signe de défiance des investisseurs à l'égard de la politique du gouvernement ? On a l'impression qu'ils ne croient plus à une réduction des déficits.

R. : Je ne crois pas qu'il faille faire la politique de la France en fonction de la corbeille. Quelqu'un d'autre de plus important que moi, le général de Gaulle, l'a dit avant, et je crois qu'il a parfaitement raison. Quant au franc on ne peut pas dire qu'il soit très bas, mais plus nous ferons des efforts de rigueur, et notamment des efforts de rigueur budgétaires, plus nous essaierons de comprimer les dépenses de fonctionnement de l'État, plus on fera maigrir l'État dans des tâches qui ne sont pas forcément essentielles, plus on le consacrera et on le reconvertira dans ses tâches essentielles qui sont les affaires étrangères, la défense, la sécurité, la solidarité… et mieux le franc se portera. Tout ce qu'on fait comme effort aujourd'hui dans le budget 96 va dans le sens de la consolidation du franc et donc de la baisse des taux d'intérêt.

Q. : Les sondages sont au plus bas pour J. Chirac et A. Juppé, c'est quasiment du jamais vu depuis É. Cresson, vous pensez que le gouvernement peut encore rebondir ?

R. : J'ai envie de vous dire « Zut avec les sondages ! ». On ne va pas vivre tous les jours avec les sondages ! Pendant qu'on regarde les sondages et qu'on les analyse on ne fait pas autre chose, et nous on a envie de bosser. Les sondages ça serait bien deux ou trois jours avant une grande élection, mais là on n'a pas une grande élection. Et encore ! Rappelez-vous au mois de décembre, vous, les journalistes, vous disiez J. Delors est élu dans un fauteuil, ne vous posez pas de questions ! Deux mois après c'était Balladur ; après on se demandait qui c'était. On aurait les sondages la veille d'une élection, pour être prévenu 24 heures à l'avance c'est à ce moment-là qu'on aurait peut-être besoin des sondages. On n'en a pas besoin aujourd'hui pour gouverner. Vraiment. C'est une perte de temps. Si ça intéresse quelques lecteurs, quelques auditeurs, quelques téléspectateurs, tant mieux. Nous, ça ne nous amuse pas, qu'ils soient en hausse ou en baisse. De toute façon peut-on être populaire quand on est réformateur ? Je ne crois pas. Pour être populaire, c'est assez facile, il faut être démago et nous on essaye de ne pas être démago.

Q. : La SNCF, grève demain, nouvelle grève des fonctionnaires… Il y a quand même un climat social qui est mauvais ?

R. : Le climat social est ce qu'il est. Il n'est pas mauvais, il est ce qu'il est. Les fonctionnaires estiment qu'ils ont été à un moment donné peut-être un petit peu agressés par certaines paroles malencontreuses, ils font des grèves « préventives ». C'est-à-dire « Attention ! Ne touchez pas à notre statut, à nos avantages acquis ! » et ils défilent par mesure de précaution. Peut-être peuvent-ils le faire. Mais ce que je souhaite, lorsqu'on fait des réformes, c'est que ces réformes touchent l'ensemble des Français et pas catégorie par catégorie. C'est vrai que de temps en temps on a tendance à attaquer un jour les fonctionnaires, un autre jour les RMIstes, un autre jour les professions libérales, un autre jour certains avantages fiscaux… Il faut mettre tout sur la table gentiment et que chacun un jour ou l'autre accepte de faire un petit peu d'efforts.

Q. : La rencontre annulée entre J. Chirac et le président Zeroual, une nouvelle gaffe monumentale et même un camouflet pour la France, comme l'a dit L. Fabius ?

R. : C'est une anecdote un peu malheureuse pour les deux pays. Je rappelle quand même que c'est à la demande de l'Algérie que le président J. Chirac devait rencontrer le président Zeroual, que le président J. Chirac avait dit « je ne veux pas faire une affaire de politique pour la politique algérienne car actuellement nous sommes dans une période électorale », il avait dont dit « pas de médiatisation ». Il n'y a pas de médiatisation, il n'a a pas de rencontre, la politique étrangère française est en train de se mettre en place. Avec la cohabitation c'était difficile, aussi bien vis-à-vis de la Russie, en Bosnie, en Algérie, il y a maintenant une politique étrangère. Ceux qui hier dénonçaient la rencontre de J. Chirac avec Zeroual dénoncent la non-rencontre ! Il faudrait un petit peu de logique. L'opposition devrait un peu balayer devant sa porte. Il faut être logique. Ceux qui disaient aussi que cette rencontre-là était destinée à soutenir le président Zeroual en sont aussi pour leur frais.


France Inter : vendredi 3 novembre 1995

Q. : La « société française est une cocotte-minute » déclare Mme. Lienemann, résultat, dit-elle « de temps en temps la soupape saute ». Vous êtes d'accord avec cette image ?

R. : Il ne faut surtout pas dramatiser et assimiler les problèmes de terrorisme avec les problèmes de banlieue. Ce ne serait pas bien de dire « finalement, puisqu'il y a des problèmes dans les banlieues, c'est un terrain fertile pour le terrorisme ». En 1986 et 1988, il y a eu des attentats en France qui n'étaient pas du tout liés à des problèmes ni algériens, ni de banlieues, mais on attribuait généralement l'origine de ces attentats à des pays comme la Syrie ou la Libye, et pas aux problèmes de banlieues.

Q. : Comment avez-vous réglé la situation dans votre ville ? La bonne formule, est-ce plus d'État ou plus de municipalité ?

R. : Il n'y a pas de miracle. Je n'ai pas le sentiment ici d'avoir « réglé » les choses, mais une ville ça vit. Aujourd'hui, il peut y avoir un calme absolu et même des activités intéressantes dans le domaine culturel, sportif. Il y a des gens formidables dans ces quartiers-là. Demain, sur une occasion, un sentiment d'injustice, un incident tout court, tel ou tel coin d'un quartier peut s'embraser. Il n'y a pas de solution unique. On parle de la famille, de la sécurité, j'ai envie de vous dire plus généralement : faisons bien vivre la démocratie dans ces quartiers-là. Je crois vraiment que c'est le travail des élus locaux. Lorsqu'un rapport – très intéressant par ailleurs – dit que ça se réglera par le retour de l'État… Oui, pour une partie. Il ne faut pas nier que depuis des années, l'État a plutôt déserté les quartiers sensibles et que le retour des forces de police mais aussi de services publics nationaux, comme les postes, tout ça c'est utile, mais ce sont les élus locaux, avec des moyens nouveaux, qui pourront le mieux régler, au plus près des citoyens, les problèmes de banlieues et des quartiers sensibles. Il faut faire attention à l'amalgame. On dit trop facilement « les problèmes d'immigration, le manque d'intégration aboutit à l'insécurité ». On se donne quelquefois bonne conscience avec ce discours-là. C'est quelquefois pour nous disculper nous-mêmes. Moi, je préfère l'amalgame chômage-oisiveté-galère-sentiment d'inutilité et alors révolte. Révolte ou abattement. On parle beaucoup des gens qui se révoltent et qui brûlent ici deux ou trois voitures, mais si vous saviez le nombre de personnes, par centaines et par milliers, beaucoup plus nombreux, qui sont prostrés chez eux parce qu'ils n'ont plus rien à faire, plus d'espérance et qu'ils ne savent pas à quelle porte taper pour avoir une petite chance de retrouver une utilité sociale dans la ville ou dans le pays. C'est plutôt évidemment le chômage qui est à la source de tout ça et on devrait davantage parler des emplois d'utilité sociale, notamment ceux que citait P. Cardo, mais aussi bien d'autres élus, pour redonner un petit peu d'espoir. Quand on verra la courbe du chômage s'inverser de façon durable, et si possible rapide, à ce moment-là, l'espérance regagnera ses quartiers et, naturellement, l'insécurité dont on parle aujourd'hui se transformera probablement en mobilisation générale et sentiment d'utilité.