Interview de Noël Mamère, député des Verts, à France-Info le 20 janvier 1999, sur les violences ayant accompagné la visite de Daniel Cohn-Bendit à La Hague, les compensations économiques et industrielles demandées à l'Allemagne à la suite de la décision d'abandon progressif du nucléaire et d'annulation du retraitement des déchets par la Cogéma et sur les conditions de leur réacheminement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Violents incidents à l'occasion du déplacement de Daniel Cohn-Bendit, Noël Mamère et d'une délégation de Verts à l'usine de la Cogéma à La Hague le 19 janvier 1999

Média : France Info

Texte intégral

Patrick Boyer : l'invité aujourd'hui est Noël Mamère, député écologiste, Noël Mamère Bonjour !

Noël Mamère : Bonjour !

Patrick Boyer : alors, vous étiez de l'équipée verte dans le haut Cotentin, hier soir, avec Daniel Cohn-Bendit. Elle a été vécu sur place comme une provocation et l'accueil a été particulièrement violent à l'usine de la COGEMA, à La Hague.

Noël Mamère : oui, un acte violent, beaucoup de haine dans les propos. Nous étions revenus pour essayer d'expliquer aux salariés de la COGEMA qui sont aujourd'hui désespérés, qui ont très peur après les décisions qui ont été prises par les Allemands, de voir la COGEMA fermer, qui écoutent ce que le lobby du nucléaire le répète avec la complicité de certains politiciens qui sont irresponsables et qu'ils leur raconte des mensonges qui pensent que dès demain matin, tout sera fini pour eux et qu'ils ne pourront plus nourrir leurs enfants. Nous étions venu leur dire qu'il y a une possibilité de garder ce travail à la COGEMA à condition de sortir de la logique du retraitement, c'est-à-dire de la fabrique de plutonium pour considérer les déchets non plus comme des marchandises mais comme quelque chose qu'il faut traiter. Et donc, cela, il y en a pour au moins 20 à 25 ans. Nous sommes venus leur dire qu'on ne voulait pas fermer la COGEMA, nous sommes venus leur dire que nous ne voulions pas sortir tout à l'heure, dans cinq minutes, du nucléaire mais qu'il faudrait voir à 25 ans, peut-être autant de temps pour en sortir qu’on en a mis pour y rentrer. Et je pense qu'on nous interdit, au fond, les oreilles en lui des murs, hier, on nous a mis encore un peu plus d’opacité dans ce système nucléaire qui fonctionne sur le sacré, eh bien on nous a empêché de dire aux syndicats, aux représentants des salariés, ce que nous pouvions proposer. Ce n'est pas la démocratie, ça.

Patrick Boyer : ça doit troubler un homme de gauche, comme vous, quand même, quand cette haine et même cette violence vient du monde ouvrier ?

Noël Mamère : essayons d'incarner et qui dit que l'Europe, c'est l'avenir de la France et que la nation, ça ne peut pas se considérer comme autant d’Auguste COMTE et comme autant de la IIIe République.

Patrick Boyer : et à vous écouter, il y a beaucoup, alors, d'archaïsme dans la gauche plurielle puisque Robert HUE, ce matin, déclare que Cohn-Bendit défend, en France, les idées de Gerhard SCHRÖDER et des Grünen…

Noël Mamère : oui et Monsieur Robert HUE défend les idées de qui ? Des cendres de Staline et de Lénine réunies ? Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Tout cela est complètement du passé ! Ça appartient… si vous voulez, ce n'est pas comme ça, franchement, que l'on va réconcilier les Français avec la politique et en particulier les jeunes générations qui, elles, n’ont plus rien à faire de ses problèmes qui ont hanté nos ancêtres, qui leur ont fait perdre leur vie, ces problème entre la France et l'Allemagne. Pourquoi faire ressurgir cela au moment où nous sommes en train de construire l'Europe, au moment où nous venons de faire la monnaie unique et au moment où nous disons qu'il faut une vraie construction politique.

Patrick Boyer : vous retournerez, Noël Mamère, à La Hague, à Cherbourg ? Sous bonne escorte…

Noël Mamère : attendez, mais il ne faut pas croire que les gros bras m’impressionnent ! J'allais dire que depuis que je suis maire de Bègle, la CGT, à plusieurs reprises, a eu l’occasion de me montrer ses gros bras et je dirais que grâce à eux, maintenant, en politique, il n'y a plus que le froid qui peut me saisir. Donc, s'il fait très froid à La Hague, je n'irai pas mais rassurez-vous, j'y reviendrais. Mais je n'y reviendrais…

Patrick Boyer : non mais il va y avoir un gag, c'est-à-dire que si Cohn-Bendit continue maintenant sa campagne dans des meetings où il sera protégé par les CRS, c'est un sacré retournement de victoire pour lui !

Noël Mamère : il n'est pas question que Dany Cohn-Bendit soit protégé par les CRS. J'espère que La Hague n'est qu'une exception, une malheureuse exception où on a monté, manipuler des gens comme nous. On annonce seulement manipuler des syndicats mais aussi des chasseurs qui étaient en face d'un café. Je crois que l’Europe mérite mieux que des colonnes de CRS, mérite mieux que les images que l'on croirait appartenir par exemple au régime des colonies grecques. Hier, quand j'étais avec les gros bras de la CGT et de FO qui me cassaient la gueule, j’avais le sentiment, toute proportion gardée, de revoir des images des films de Costa-Gavras.

Patrick Boyer : sur le fond, les allemands ne sont pas un peu cavalier en annulant le retraitement des déchets sans vouloir payer un mark de dédommagement ?

Noël Mamère : attendez, les Allemands, ils sont… ne sombrez pas vous non plus avec ce type de question dans le complexe anti allemand. Ça, c'est derrière nous. Les Allemands, ils ont annoncé la couleur, ça fait deux ans qu'ils font campagne, ça fait deux ans que l'alliance Vert-Rose annonce qu’elle sortira progressivement du nucléaire. Donc personne n'a été pris en traître et surtout pas la COGEMA qui en 1990 a signé un contrat avec les Allemands dans lequel il était prévu que si le gouvernement changeait de politique, il n'y aurait pas d'indemnités. Je pense qu'il faut prévoir sérieusement des discussions politiques et non pas juridique, de gouvernement à gouvernement, pour trouver des compensations économiques et industrielles à cette décision qui a été prise par les Allemands.

Patrick Boyer : et comment on va rapatrier ces déchets ? Parce que Monsieur TRITTIN dit : « On va les reprendre » mais tous les présidents de Länder, chez lui, disent : « On n'en veut pas » et chaque convoi, là-bas, suscite émoi ou une hystérie telle qu'on a l'impression que jamais c'est déchets repartiront…

Noël Mamère : j'ai retourné le compliment à ceux qui parlent de Dany Cohn-Bendit avec des Roland que je préfère ignorer, sur l'utilité qu'il peut avoir. Parce que la grande utilité de Dany, sa grande valeur, c'est qu'il est à la fois français et allemand. Peut-être que lui pourra intercéder auprès de Joschka FISCHER et auprès du gouvernement allemand pour dire que l'Allemagne a une responsabilité, c’est de faire revenir les déchets qu'elle a fait retraiter à La Hague.