Texte intégral
Q - En quoi la Révolution a-t-elle modifié la politique culturelle menée par la monarchie ?
Je répondrai en inversant les termes : avant que la Révolution ne vienne modifier la politique culturelle de la monarchie, c'est une révolution culturelle spontanée, le mouvement des Lumières, qui est à l'origine de la révolution politique et de la chute de la monarchie. L'Ancien Régime vermoulu et frappé d'immobilisme n'ayant été ni en mesure d'accompagner, ni même de suivre le formidable mouvement des idées des Lumières, ce décalage culturel croissant l'a précipité dans la catastrophe.
Cette monarchie avait une certaine idée de la culture, même si vous auriez surpris les ministres de Louis XVI en leur parlant de "politique culturelle" : le ministère de la Culture gère de nombreuses institutions créées par les rois. Les grandes manufactures - Sèvres, les Gobelins -, alors "royales" faisaient partie de la "Maison du roi" et plus particulièrement de ce que l'on appelait joliment "les menus plaisirs". Il s'agissant de tapisser, de meubler le monarque et de le divertir dans ses châteaux, eux-mêmes construits et entretenus par le surintendant des bâtiments du roi, ancêtre du directeur du patrimoine de mon ministère. Bien sûr, les citoyens ordinaires pouvaient assister aux spectacles de la Comédie française ou visiter les collections royales de peintures dans la galerie du bord de l'eau au Louvre. Avec la permission du roi attentif au bien-être de ses sujets.
La Révolution a renversé cet ordre féodal dans le domaine culturel comme ailleurs. La culture n'est plus octroyée par un monarque du droit divin, elle appartient au peuple souverain, à la Nation. C'est de cette idée fondamentale que naît la notion de patrimoine, mise en oeuvre par les grandes lois des assemblées révolutionnaires : lois sur les musées, sur les archives, transformation de la bibliothèque royale en bibliothèque nationale, etc.
Le domaine privé de la couronne jadis confondu avec le domaine public est transféré à la nation avec toutes les institutions culturelles et artistiques royales. Cet acte révolutionnaire est la fondation primitive de ce qui deviendra peu à peu au fil des ans, des régimes et des vicissitudes des temps, le ministère de la Culture définitivement constitué en 1959.
Q - La politique culturelle d'aujourd'hui reste-t-elle imprégnée des principes qui amenèrent celle qui initia la Révolution française ?
L'héritage d'une forte présence de l'Etat explique la voie culturelle française et le rôle décisif d'un ministère sans équivalent au monde. Certes, la tentation de la dérive autoritaire, de la confiscation de la culture au profit du pouvoir politique en place était inscrite dans ses origines, voyez l'histoire tumultueuse de la radiotélévision d'Etat. La politique culturelle décidée par le président François Mitterrand a été l'occasion de renouer avec les principes de 1789 et de rendre la culture au citoyen, voyez le succès de la fête de la musique et de celle du cinéma, de l'opération portes-ouvertes dans les monuments historiques, autant d'exemples parmi d'autres du retour à la tradition des grandes fêtes révolutionnaires. Voyez aussi la politique de mise à la disposition du public de grandes institutions de diffusion culturelle à Paris et en province, le musée du Louvre enfin intégralement consacré aux oeuvres, la bande dessinée triomphant à Angoulême, la photographie à Arles, jusqu'à la septième chaîne de télévision culturelle prochainement opérationnelle.
Q - Quelle signification culturelle revêt pour notre pays et pour l'étranger la célébration du bicentenaire ?
Je l'ai dit à propos des institutions culturelles, la Révolution, c'est une série d'actes fondateurs qui modèlent encore notre pays et bien d'autres deux cents ans plus tard. L'institutionnalisation de L'État de droit, la constitution écrite, les droits de l'homme, l'égalité devant la loi, devant l'impôt, dans l'accès aux fonctions publiques, autant de novations, autant de révolutions qui sont aujourd'hui la règle des Etats démocratiques, qui sont les mots d'ordre communs des soulèvements contre les dictatures.
Il fallait bien célébrer cela, confirmer le message que deux cents ans plus tard la France incarne toujours avec une trentaine de démocraties représentatives, encourager tous ceux qui de par le monde oeuvrent et luttent pour étendre les principales de 1789 là ou ils ne sont pas appliqués encore. Il fallait fonder à nouveau la France, capitale des droits de l'homme et de la liberté.
Q - Comment concevez-vous les rapports entre l'art et la politique ?
Le plus séparément qu'il est possible. Bien sûr, l'artiste a l'intuition des défauts de la société dans laquelle il vit, en ce sens l'art, toujours subversif, entretient avec la politique des rapports ambigus. Mais je ne crois pas à un art politique, et encore moins à un art officiel. Il y a des oeuvres politiques : les livres, les films ont beaucoup fait en faveur de l'abolition de la peine de mort en France ; mai 1968 ou le mouvement contre la guerre du Viêt-Nam ne peuvent pas être compris sans la musique de l'époque, les rassemblements de la jeunesse dans les grands concerts de rock.
Mais l'engagement des artistes est une démarche individuelle qui ne saurait être confondue avec un quelconque engagement de l'art.
Le rôle de l'Etat en cette matière est d'être modeste, proscrire la censure, encourager toutes les formes d'expression artistique et écouter les artistes qui ont souvent avant les autres l'intuition de grandes évolutions sociales.