Texte intégral
Gouverner c’est prévoir, certes ! Et la règle de l’anticipation s’affirme un art d’autant plus difficile à maîtriser que l’époque est mouvante, instable donc incertaine.
Gouverner c’est aussi réformer ! Et le principe du changement s’avère aujourd’hui un art d’autant plus complexe à manier que l’environnement est indécis, instable donc incernable.
Portés par l’idée du changement avant l’été, les Français ressentent, à tort ou à raison, que les réformes annoncées ne correspondent pas à ce qu’ils en attendaient car un « gap » de plus en plus important se creuse entre l’intention affichée et la perception ressentie. Monte alors un profond sentiment de défiance dû à trois incompréhensions.
La première incompréhension provient de la croyance que les réformes s’imposeraient à tous sans que l’effort de chacun soit sollicité. Nous attendions une réforme de la fiscalité qui allégerait notre impôt et l’on nous propose une réforme du financement de la Sécurité sociale qui augmentera nos prélèvements.
La deuxième incompréhension réside dans une atmosphère de confusion car, si les réformes à entreprendre sont nombreuses, et toutes légitimes, aucune hiérarchisation des priorités ne semble conduire l’organisation des choix. Comment le citoyen peut-il ainsi trouver ses repères ?
La troisième incompréhension a pour origine un quiproquo. C’est ainsi qu’en justifiant les réformes sociales, particulièrement celle de la Sécurité sociale, par la nécessité de réduire les déficits publics, l’opinion publique prête au gouvernement une volonté de remettre en cause le socle de notre pacte social.
Comment s’étonner alors que les fonctionnaires défilent dans la rue, que le service public fasse grève… avec un fort soutien des citoyens qui pensent, si la contestation l’emporte, sauver leur propre situation.
Pourtant, il y a urgence à entreprendre des réformes. Celles-ci ne sont plus de nature économique ou technologique car à la limite elles s’auto-intègrent. En revanche, l’enjeu est désormais de dimension sociale. Mais s’il est vrai que le social n’est pas une matière statique qui se nourrit de la seule affirmation de son concept, il n’en demeure pas moins que, parce qu’il touche à la personne, son évolution est naturellement lente.
Pour conduire avec succès les changements qu’il serait suicidaire pour la société de ne pas entreprendre, il faut se donner du temps, se doter d’une pédagogie, afficher la résolution d’un effort équitablement partagé, privilégier la concertation sur la décision unilatérale (à l’inverse des salaires dans la fonction publique), avoir le sens de la communication et, surtout, donner un sens à ce que l’on veut initier.
La peur des réformes et le refus du changement sont des réflexes naturels. Pour les transcender et provoquer au contraire une réaction positive qui facilite l’adhésion, il n’y a pas d’autre choix ni d’autre solution que de situer le changement dans la détermination du progrès. Le changement pour le changement n’a pas d’intérêt : le changement pour la régression n’a pas de justification ; en revanche, le changement qui s’inscrit dans une dynamique porteuse d’évolution positive a une raison d’être.
Ce qui manque le plus, aujourd’hui, est certainement l’affirmation d’un idéal. Le terrain est donc propice à l’esprit corporatiste, à la défense des intérêts catégoriels, à la montée des extrémismes, au délitement de la société…
Les sondages le confirment : le citoyen prend sa distance vis-à-vis du politique et le salarié prend sa distance vis-à-vis de l’entreprise. L’un comme l’autre doivent être convaincus que les réformes sont en quelque sorte des notes de lumière qui permettent de bâtir la société de demain. Saurons-nous les jouer ?