Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, et interviews à la télévision palestinienne, à France 2 et aux radios françaises le 22 décembre 1995 et à "An Nahar" le 23, sur le processus de paix entre les Palestiniens et Israël et l'esprit de tolérance entre religions différentes à Bethléem.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette en Israël et dans les Territoires palestiniens du 21 au 23 décembre 1995-visite à Bethléem le 22

Média : France 2 - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

Entretien à la télévision palestinienne (Bethléem, 22 décembre 1995)

Q. : Quelle est l’importance de cette visite que vous effectuez aujourd’hui à Bethléem sous l’autorité nationale palestinienne ?

Hervé de Charette : Je suis très heureux de me trouver à Bethléem en ce jour où les accords de Taba passés entre les autorités palestiniennes et le gouvernement israélien ont fait que Bethléem est devenu une cité palestinienne. J’ai pu participer et admirer la joie des Palestiniens et je suis heureux. Je me trouve ici, au nom du gouvernement français pour participer à cette joie. En même temps, nous sommes à Bethléem qui est l’une des villes les plus connues du monde parce qu’elle fait partie de l’histoire de tous ceux qui sont des adeptes de la religion catholique, comme je le suis moi-même. Je vois un sens à cela : entre les Palestiniens et entre tous ceux qui sont catholiques, musulmans ou juifs ; il doit s’établir des relations de tolérance, de respect mutuel, c’est cette tolérance et ce respect mutuel des convictions de l’autre qui seuls sont capables de fonder la paix ici et de la fonder ailleurs dans le monde. C’est vrai à Bethléem, c’est vrai à Jérusalem, c’est vrai à Sarajevo, c’est vrai partout. C’est pourquoi je crois que ce qui se passe aujourd’hui a beaucoup d’importance pour les Palestiniens, en a, croyez-moi, pour les Israéliens, en a aussi pour nous Français et, je crois, pour toute l’humanité. Je souhaite beaucoup de chance à Bethléem et à son ministre, M. Elias Freij.


Conférence de presse conjointe du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, et du chef de l’Autorité palestinienne, M. Yasser Arafat (Gaza, 22 décembre 1995)

Merci beaucoup M. le Président, merci de votre accueil chaleureux, merci de me donner de votre temps. J’éprouve à la fois beaucoup d’honneur et beaucoup de plaisir à me trouver à vos côtés à Gaza. J’ai eu l’honneur et le plaisir de vous rencontrer à Paris, de vous rencontrer à Barcelone, mais nulle part mieux que chez eux, il faut voir les amis et je suis très heureux de vous rencontrer chez vous, ici-même.

J’ai été, mesdames et messieurs, cet après-midi à Bethléem, j’ai précédé de quelques heures le Président Arafat et j’ai trouvé très impressionnante, très émouvante cette visite que j’ai rendue à cette ville, célèbre dans le monde entier et aujourd’hui placée sous la responsabilité de l’Autorité palestinienne. J’ai vu la joie de la population. J’ai vu l’enthousiasme de la jeunesse, j’ai vu la détermination des dirigeants, j’ai rencontré bien sûr M. Freij qui m’a accueilli de façon très amicale, très chaleureuse. L’Histoire est comme cela, elle fait des rencontres qui ont du sens. Il se trouve que nous sommes le 22 décembre et que Bethléem est dans la préparation de la fête de Noël. Je crois que c’est un signe qui ne trompe pas et qui démontre que notre avenir commun est le respect des uns par les autres, c’est la tolérance mutuelle, la liberté de chacun, cela est particulièrement vrai dans le domaine des religions qui vivent les unes à côté des autres sur cette terre, comme dans le pourtour méditerranéen.

J’ai naturellement redit au Président Arafat le total soutien de la France pour le processus de paix, comme d’ailleurs l’admiration qui est la nôtre pour les partenaires du processus de paix. Nous savons bien que pour chacun, il faut cheminer, il faut reconsidérer les choses, il faut avancer, la vie n’est faite que de compromis, la paix a un prix.

J’ai été frappé, lorsque je me suis promené dans les rues de Bethléem, de ressentir aussi que la population souhaite ardemment pouvoir vivre, s’occuper de ses problèmes, vivre en paix. S’il en est ainsi aujourd’hui à Bethléem, il n’y a pas de doute que c’est pour l’essentiel au Président Arafat qu’ils le doivent.

Naturellement, nous avons parlé de la conférence de Paris qui va rassembler l’ensemble des pays contributeurs au développement économique. Il y aura certainement une cinquantaine de délégations qui sont présentes ou représentées. Je crois que ce sera un moment fort, qui va marquer de façon officielle l’engagement de la Communauté internationale pour le développement économique de la Palestine. C’est un acte essentiel. Jusqu’à présent, ce sont les techniciens qui parlent entre eux, ce sont les experts qui discutent entre eux, quelquefois ce sont les dirigeants qui le font, qui ne le font pas publiquement, nous en avons parlé ensemble. Il est important qu’à la face du monde et devant le peuple palestinien, la communauté internationale, au niveau des ministres des Affaires étrangères, au niveau des dirigeants de ces pays, puisse dire clairement publiquement, quels engagements elle prend pour contribuer de façon décisive au programme de développement économique, social, humain, éducatif des Territoires palestiniens.

Nous avons évoqué aussi ensemble les projets que nous avons en route. Le port de Gaza, qui est un enjeu très important, pour lequel la France fera un effort également important parce que nous sommes conscients que c’est un élément stratégique du désenclavement des territoires. Nous avons aussi parlé des projets éducatifs sont je sais qu’ils vous sont chers. Merci.

Q. : (Inaudible)

Hervé de Charette : Sur le premier point que vous avez évoqué je voudrais vous dire que, d’une façon générale, je ne crois pas qu’il soit utile qu’il y ait une conception française ou une conception américaine du processus de paix. Vous avez raison d’avoir évoqué ces deux questions. L’avenir de Jérusalem, la question des colonies, ce sont des questions qui se posent et qui seront sur la table, je le pense, à partir du moment où s’ouvrira la deuxième phase des discussions qui est prévue à partir de la moitié de l’année 1996. Il serait étrange que ce soit ceux qui ne sont pas les partenaires directs de cette négociation qui fassent savoir quelles sont leurs idées. Je crois qu’il faut faire confiance et, personnellement, j’exprime ma confiance envers ceux qui ont déjà discuté et qui sont déjà arrivés à la phase intérimaire qui a apporté des fruits formidables. Je fais confiance aux uns et aux autres pour poursuivre pas à pas, mais avec détermination, et dans le respect du calendrier fixé, les objectifs dont vous venez de parler.

La France et l’Europe souhaitent que dans les pages nouvelles que nous allons écrire ensemble dans l’histoire du Proche-Orient et de la Méditerranée, nous soyons les uns et les autres autour de la table. Si j’étais américain, je dirais : « France is back ». La France a l’intention d’être de retour au Proche-Orient, au Moyen-Orient, en Méditerranée. Nous avons dans la conduite de la conférence de Barcelone marqué toute l’importance que nous attachions à ce que les peuples qui sont autour de la Méditerranée prennent eux-mêmes leur destin en main pour la période qui vient. Soyez assuré que cela va continuer.

Q. : Vous êtes la première personnalité européenne qui a rendu visite à Bethléem après sa libération, est-ce un concours de circonstance, ou avez-vous fait en sorte que cela arrive ce jour ?

Hervé de Charette : Cela me ferait plaisir, monsieur, si vous voulez bien considérer que ce n’est pas par hasard que je me trouve ici ou ailleurs. Je peux vous dire que j’avais à cœur d’être là. Je pensais que ce serait un grand moment, j’ai vu quelque chose de beaucoup plus grand que ce que j’avais imaginé. J’étais très ému, j’ai été très touché par ce que j’ai vu. Je ne l’oublierai pas.

Q. : Pourriez-vous nous parler de votre conversation avec le Président Arafat ?

Hervé de Charette : Je suis toujours très heureux et honoré lorsque je peux rencontrer le Président Arafat. Je l’ai vu à Paris il y a quelques semaines, à Barcelone pour la conférence mais je trouvais très important de venir lui rendre visite chez lui à Gaza.

Q. : Quelle est votre position à propos du retrait des forces israéliennes ?

Hervé de Charette : Je crois qu’il faut se féliciter de ce que les accords passés entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien soient jusqu’à présent respectés scrupuleusement, et même avec quelques jours d’avance. C’est la preuve que les engagements pris de part et d’autre sont de vrais engagements. Je crois, moi, qu’il y a une vraie volonté de paix, de conclure et de respecter ensuite sa parole, c’est très important naturellement.


Entretien à France 2 (Bethléem, 22 décembre 1995)

France 2 : Quatre heures après le départ des Israéliens de Bethléem, comment trouvez-vous cette ville que nous avez entraperçue et comment trouvez-vous nos interlocuteurs ?

Hervé de Charette : J’ai été très ému de me trouver ici à Bethléem dans la liesse populaire et très touché de participer à cette joie des Palestiniens de Bethléem qui retrouvent la gestion de leurs propres affaires. Nous sommes à Bethléem, c’est une ville qui est sans doute l’une des plus connues du monde parce qu’elle fait aussi partie du patrimoine de la religion catholique. Pour moi qui suis catholique, venir à Bethléem a bien sûr encore une autre signification. Je vois un rapprochement entre les deux, cela nous guident vers l’esprit de tolérance qui est seul capable de fonder la paix ici. Je me sens bien ici-même que cet esprit de tolérance est le seul garant de la paix entre Israéliens et Palestiniens, comme il est le garant du respect de toutes les religions qui sont à Bethléem. Et ce qui est vrai ici est vrai à Jérusalem, à Sarajevo, et c’est ainsi que nous avons aujourd’hui un signe de paix qui est de portée universelle.


Entretien aux radios françaises (Bethléem, 22 décembre 1995)

Je suis la première personnalité officielle étrangère à me trouver à Bethléem. J’ai admiré et partagé la joie des Palestiniens. Naturellement, il y a beaucoup d’émotion pour eux, vous vous doutez bien que nous la partageons.

En même temps, Bethléem n’est pas n’importe quelle ville, c’est l’une des plus connue du monde, et notamment du monde chrétien, car cette ville évoque un très haut lieu de la foi catholique. Je crois que c’est un signe qu’il faut regarder comme tel, c’est-à-dire le signal de ce dont nous avons besoin : la tolérance mutuelle, le respect des religions les unes par rapport aux autres et la tolérance des opinions des uns et des autres.

M. Arafat a décidé d’aller à la messe de Noël à Bethléem, chacun jugera, moi je l’interprète comme l’expression du respect des uns par les autres. Je crois que c’est là un grand signal de paix ; il ne peut y avoir ici qu’une paix partagée par les uns et les autres et fondée sur le respect des uns et des autres.

C’est ce qui fera la paix entre les Palestiniens et les Israéliens, c’est ce qui, dans tous les coins du monde où il y a des conflits, fait que l’on peut espérer bâtir la paix.

J’étais à Bethléem aujourd’hui, j’ai pensé à Sarajevo et je me disais ; seul cet esprit-là – paix et tolérance – fera marcher Sarajevo. Vous voyez que l’Histoire des hommes est partout la même.


Interview au quotidien « An Nahar » (Jérusalem, 23 décembre 1995)

Q. : (Inaudible)

Hervé de Charette : Ce voyage m’a permis de faire un tour très large d’horizon de toutes les questions qui intéressent le processus de paix et l’avenir de la Palestine.

Q. : (Sur le volet israélo-syrien)

Hervé de Charette : La France suit de très près l’évolution du processus de paix. Et naturellement, elle souhaite que ce processus réussisse. En particulier, nous espérons que les discussions qui commencent entre Israël et la Syrie permettront de parvenir rapidement à une issue positive. J’ai eu la satisfaction de constater que, aussi bien du côté syrien que du côté israélien, chacun souhaitait le succès et même, sans doute, le succès rapide de ces négociations.

Le Président Arafat suit bien entendu tout cela avec beaucoup d’attention et beaucoup d’intérêt et, vous savez, il est très engagé dans une conclusion positive du processus de paix, et même a fait des efforts considérables et a accepté beaucoup de compromis qui sont, je crois, des raisons de succès. Il a joué un rôle très important comme un des artisans de la paix.