Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur la politique étrangère de la France, notamment en matière d'élargissement de l'Europe et de relations avec l'Asie, sur les économies budgétaires au sein du ministère et des ambassades et sur le rattachement du ministère de la coopération au Quai d'Orsay, Paris le 31 août 1995.

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Circonstance : Réception des ambassadeurs le 31 août 1995 à l'occasion de leur réunion annuelle à Paris du 31 août au 2 septembre

Texte intégral

Mesdames et messieurs, je suis impressionné par la solennité du cadre, votre présence matinale, une espèce de bruissement joyeux du matin qui règne dans cette assemblée et qui continuera je l'espère à régner, à moins qu'au fur et à mesure du temps, vous soyez tentés de vous rendormir, j'espère que non. Je voudrais vous dire que je suis très heureux d'ouvrir ce matin cette troisième Réunion des ambassadeurs qui, ainsi, continue ce qui est en train de devenir une tradition. Ce qui, d'ailleurs, l'avait été, me semble-t-il par le passé et qui doit le devenir d'une manière permanente, de façon à vous permettre, à vous-mêmes, de vous retrouver au moins une fois par an pour travailler ensemble, et puis, je crois, permettre aussi à la Direction de cette Maison et aux ministres, je salue M. Barnier, M. Godfrain et Mme Sudre, avec qui nous formons équipe, de vous rencontrer tous ensemble, et non pas séparément quand nous avons le plaisir de vous voir en poste, mais tous ensemble pour échanger nos idées et nos vues sur la tâche qui nous est confiée.

Depuis 4 mois, j'ai eu l'occasion de voyager un peu et donc de me rendre dans un certain nombre de nos ambassades. Parfois j'ai été extrêmement admiratif de la qualité des lieux que je visitais, par exemple à Washington, notre ambassade de France est un trésor inestimable non seulement, mais enviable, on l'imagine bien. J'ai visité aussi d'autres postes qui sont infiniment plus modestes, sans compter ceux qui sont franchement exposés. De cette diversité, je voudrais, devant tous, à la fois rendre compte et comprendre et évoquer devant vous tout ce que cela signifie de dévouement de la part de tout le corps des Ambassadeurs et, naturellement, de la part aussi de tous les personnels qui accompagnent votre mission et votre travail.

Nous devons, en cette matinée exprimer notre reconnaissance et notre solidarité envers les agents qui s'exposent dans des conditions difficiles : je rappelle aussi que certains ont payé de leur vie, au service de la Nation, au cours de l'année écoulée. Il nous faudra, par conséquent, avoir une attention toute particulière pour les problèmes de sécurité qui concernent certains de ces postes.

Vous allez avoir pendant ces deux jours l'occasion d'échanger vos vues, non seulement sur le thème qui a été retenu pour cette rencontre et qui sera traité aujourd'hui, mais aussi dans des discussions, des tables rondes de niveau régional, qui vous permettront d'examiner notre politique internationale et d'en faire le point.

Vous aurez l'occasion aujourd'hui même d'écouter le Président de la République qui vous recevra à l'Élysée et qui, bien entendu, fera avec vous et devant vous, pour vous, le point de notre politique étrangère et tracera pour vous les orientations de cette politique pour l'avenir.

Le Premier ministre sera au Quai d'Orsay pour le déjeuner. Outre le plaisir que nous aurons à le revoir, il ne manquera pas, lui aussi, de nous faire part de ses réflexions et de vous donner ses orientations. Par conséquent, je serai sur ce sujet rapide, me consacrant davantage sans doute à quelques questions internes de notre Maison. Pour autant, je voudrais vous livrer quelques brèves réflexions.

La politique étrangère de la France est, par nature, dans une situation paradoxale. Il y a peu de nations comparables à la nôtre. Je crois que l'on peut dire que la France a, par tradition, une politique internationale ambitieuse et de dimension mondiale. Cela ne va pas de soi, je veux dire par là que n'étant pas une puissance économique de premier rang, il faut que nous comblions l'écart par l'ingéniosité, le talent et l'ambition dont notre pays sait être capable. La politique étrangère de la France, comme toute politique étrangère sans doute, exige à la fois une vision d'ensemble des objectifs précis à atteindre et, naturellement, un souci aigu d'utiliser au mieux l'outil français et, plus encore, l'ensemble des moyens consacrés à l'action extérieure de la France.

Cette vision d'ensemble, je n'aurai pas la prétention ce matin de vous la présenter. Je laisse au Président de la République le soin de le faire. Je vais simplement faire devant vous quelques constatations.

D'abord, la première c'est qu'en Europe même, nous sommes en train de vivre des changements profonds qui vont, forcément, provoquer des modifications sensibles dans notre façon d'aborder les questions européennes. Le premier changement, c'est l'élargissement de l'Union européenne, élargissement prévisible, on peut dire aujourd'hui, c'est une donnée certaine, élargissement qui fera passer l'Union européenne de 15 États membres qu'elle rassemble depuis le début de l'année à un nombre indéfini, mais que l'on peut fixer aujourd'hui aux alentours de 27 États membres. Cette perspective n'est pas lointaine, elle est proche. Nous avons accepté de considérer que nous serions amenés à ouvrir les négociations d'adhésion, une fois passée la conférence intergouvernementale. Je crois que l'on tiendra. Une fois que cette conférence intergouvernementale sera passée, je ne doute pas qu'un mouvement extrêmement fort s'engagera dans la perspective de cet élargissement à un certain nombre d'États qui aspirent, avec une force que nous soupçonnons mal, à entrer dans l'Union, même si, par ailleurs, du point de vue économique, voire du point de vue politique, leur état de préparation, pris au cas par cas, exige un examen approfondi. C'est un fait. On pouvait voir les choses différemment, il était possible d'avoir une autre façon de répondre à cette aspiration forte des PECO à se rassembler avec nous pour la nouvelle page de leur Histoire, mais c'est ainsi. Donc, il faut regarder cet élargissement de façon chaleureuse, amicale, sans avoir l'idée de la freiner. En réalité, ce sera sans nul doute, pour l'Europe, une étape nouvelle, mais une page extrêmement positive, je crois que c'est comme cela qu'il faut le voir. En même temps, il faut être conscient que cela va changer totalement, non pas de façon partielle, limitée, cela va changer totalement les conditions de fonctionnement des institutions européennes, et me semble-t-il même, la façon dont ces pays rassemblés autour de la table de l'Union européenne pourront vivre ensemble. Le « vivre ensemble » de l'Europe va s'en trouver modifié, et donc, d'un côté, je propose que nous soyons les artisans chaleureux d'un élargissement résolu de l'Union européenne aux PECO. De l'autre, je suggère aussi que l'on analyse bien les conséquences que cela aura pour l'Union européenne et que nous soyons prêts, par conséquent, à nous adapter. S'adapter ne veut pas dire qu'il faut être moins européens, cela ne veut pas dire non plus qu'il faut être moins enthousiastes ; cela veut dire simplement que les conditions changent, il faudra, avec pragmatisme, en tirer toutes les conséquences. Ce sera, évidemment, l'une des réflexions qui devront inspirer nos travaux en vue de la Conférence intergouvernementale que nous aurons à traiter, à évoquer, à préparer, tout au long de l'année 1996.

Je terminerai avec l'Europe en vous disant qu'il faut que nous soyons en même temps extraordinairement conscients que, désormais, l'opinion publique a, vis-à-vis de l'Europe, un regard extraordinairement attentif. J'ai le sentiment, peut-être me trompais-je, que pendant beaucoup d'années, la construction européenne a été l'affaire des spécialistes, l'affaire des milieux politiques, l'affaire des dirigeants de ce pays et qu'au fond, les Français sont restés assez distants, tout en marquant, quand on leur proposait, leur intérêt et leur accord pour cette démarche historique. Maintenant, il n'en est plus ainsi ; l'Europe est au cœur des hommes, chacun comprend que cela concerne notre vie quotidienne. C'est d'ailleurs difficile d'y échapper parce qu'on la rencontre sur notre chemin, au quotidien. L'autre jour, j'étais en vacances en Corse, et je prends l'avion pour rentrer. Hélas, les Corses m'avaient déjà expliqué que tous les mauvais fonctionnements d'Air Inter étaient dus à l'Europe, je n'avais rien compris du tout et m'étais dit qu'eux-mêmes n'avaient pas dû bien comprendre. Je monte dans l'avion et le pilote nous dit que l'avion a du retard, ce qui ne surprendra pas, et que c'est de la faute de l'Europe, parce que maintenant que le contrôle aérien dépend de Bruxelles, c'est comme cela tous les jours et dans tous les avions. Je me suis renseigné depuis lors, ce n'est pas la Commission de Bruxelles qui s'occupe du pilotage et du contrôle aérien, mais c'est vous dire que dans la vie quotidienne, désormais, l'Europe est là. Au fond, ce que nous devons avoir à l'esprit, c'est qu'il faut aussi que nous soyons capables de transporter le débat européen sur les sujets qui intéressent l'opinion publique. Il y a un certain nombre de sujets qui préoccupent les gens, le terrorisme par exemple, la question de la sécurité, la question de la drogue, qui sont évidemment des sujets pour l'Europe, car si on peut les traiter sur le plan national, on se rend bien compte, au niveau de notre continent, qu'il y a la nécessité d'y travailler ensemble.

Deuxième observation que je voudrais faire devant vous, nous allons assister, au cours des dix années qui viennent, à des bouleversements formidables à l'échelle mondiale. Nous allons voir apparaître, à la table des pays riches, un certain nombre de partenaires nouveaux, dont, il y a dix ans, on parlait en annonçant qu'ils allaient venir un jour ou l'autre, qui aujourd'hui connaissent un taux de croissance formidable et un rythme de développement exceptionnel. Pour l'essentiel, cela se passe en Asie. Il faut avoir la conviction que le continent asiatique sera au cours des dix années qui viennent, le lieu du plus grand développement de toute la planète. Par conséquent, c'est là-bas que se jouera une partie significative de la prospérité et de la réussite et, forcément, une partie significative du rôle international de la France. Je vois bien que dans ce vaste continent, la dimension européenne sera pour nous un atout exceptionnel. Il sera sans doute extrêmement difficile d'imaginer que nous pourrions conquérir seuls l'Asie. Il n'empêche qu'il faut, dès maintenant, que nous ayons l'ambition de faire du continent asiatique la nouvelle frontière de la politique étrangère française, que nous ayons un programme résolu d'accroissement de notre présence et de notre influence. Vous y avez fait déjà un travail formidable, je salue tous ceux qui sont en poste dans ce continent. Nous aurons, au mois de mars prochain, le forum de l'Union européenne et des pays d'Asie du sud-est, ce sera un très grand événement, un événement historique et nous devrons le préparer avec un très grand soin. Je suggère aussi que nous ayons un programme de travail pour les années qui viennent, qui marque la détermination de la France à être présente dans ce continent.

De la même façon, je voudrais appeler votre attention sur la Méditerranée. Nous sommes en train de vivre, peut-être sans nous en rendre compte vraiment, une évolution, un mouvement qui est historique. Pendant très longtemps, depuis les années d'après-guerre, nous avons connu le bassin méditerranéen et avons été incapables de travailler ensemble à cause d'un problème central qui était le problème d'Israël. On peut prétendre que, désormais, peut-être avec un peu trop d'anticipation, il me semble désormais que nous sommes engagés dans un processus de paix qui ne s'arrêtera pas. Du même coup, la Méditerranée commence de retrouver son unité. Nous serons réunis à Barcelone pour la Conférence entre l'Union européenne et les Pays méditerranéen en novembre prochain. Ce sera un événement formidable. Il y a en matière de politique internationale beaucoup de rencontres, où l'on se parle et on se quitte aussi sans avoir rien changé à rien, vous pouvez penser que ce sera l'une de ces rencontres-là, je ne le crois pas du tout. Je crois que la Conférence de Barcelone sera la première occasion de rassembler autour de la même table la quasi-totalité des pays de la Méditerranée avec les pays européens. L'événement est si important que lorsque je regarde tous ceux qui veulent venir comme participants ou comme observateurs, j'y vois le monde entier. Je crois au contraire que nous devons avoir comme objectif de faire que cette réunion de la famille méditerranéenne autour de la même table se fasse entre guillemets, parce que l'événement est majeur, et nous permette de renouer progressivement avec cette proximité que devraient avoir entre eux les pays méditerranéens. Dans cette phase nouvelle, la France a un rôle absolument central à jouer. Je vous livre ces quelques réflexions, naturellement je devrais vous parler des autres continents, je devrais vous parler de la Russie, je devrais vous parler de l'Amérique latine, peut-être même devrais-je vous parler de l'Australie, encore que, par les temps qui courent, l'envie m'en est un peu perdue, elle reviendra peut-être. Je vous dis tout cela simplement parce que je voulais ce matin, au moment où vous allez passer deux jours ensemble, essayer de vous soumettre quelques sujets de réflexions et de méditation.

Je voudrais vous en livrer deux : d'abord, dans le monde d'aujourd'hui, le poids de l'économie va être déterminant, si je vous parle de l'économie, c'est parce que nous devrons avoir, ensemble, l'ambition de faire en sorte que tous nos efforts concourent à la bataille pour l'emploi dans lequel, non seulement le gouvernement mais la France toute entière est engagée. Nous avons un certain nombre d'expatriés qui, de ce point de vue, font un travail formidable pour la défense de nos objectifs économiques. Je souhaite que l'ensemble du ministère ait conscience que nous avons là aussi, notre part, notre champ de responsabilité directe.

J'ai une vision d'ensemble des objectifs précis mais aussi des moyens au service de cette politique. Vous avez, en septembre 1994, arrêté un certain nombre d'objectifs pour l'année 1994/1995. Ils sont en cours, ainsi en est-il, par exemple, de tout ce qui concerne la globalisation des crédits, poste par poste, vous permettant ainsi d'accroître votre responsabilité. J'ai été il y a quelques années ministre de la Fonction publique, j'ai eu l'occasion, à l'époque, d'essayer, sans succès d'ailleurs, mais ce n'est pas une raison pour y renoncer, de surmonter quelques-uns des obstacles que mettent les règles traditionnelles de la comptabilité publique à l'effort que nous pouvons faire pour améliorer l'efficacité et la productivité de notre système.

Il est évident que l'on ne peut pas demander – on peut le demander mais on ne peut pas espérer avoir de réponse efficace – à un service de faire des économies, de faire des gains de productivité s'il est assuré de n'en voir jamais le retour, on ne peut pas demander à un responsable administratif, chef de poste dans une ambassade, de gérer au mieux ses crédits si lorsqu'il fait des économies du côté des dépenses de fonctionnement, on se refuse à lui en rendre une partie pour ses propres investissements. Donc, il faudra, puisque l'on parle de réforme de l'État et que le Premier ministre nous demande des propositions, nous allons, nous, proposer que l'on accroisse la liberté d'appréciation, le champ de responsabilités de ceux qui dirigent des entités administratives sur le terrain : s'agissant du Quai d'Orsay, ce sont les Ambassadeurs.

Je suis persuadé que c'est là un des éléments déterminants d'une politique de productivité de l'administration. De la même façon, nous avons commencé de planifier les crédits du titre 5. Je crois qu'il s'agit là pour nous d'un enjeu tout à fait essentiel : il faut pouvoir planifier l'investissement, fixer des étapes, des programmes. Je ne crois pas qu'il faille être trop rigide, il faut pouvoir s'adapter aussi aux circonstances, que les plans que l'on fait sont faits pour évoluer, pour s'adapter d'année en année. Néanmoins, les investissements fixés à la petite semaine, ce n'est certainement pas la bonne solution.

Vous avez travaillé à la situation des personnels diplomatiques et consulaires. Nous aurons, M. le Secrétaire général, à reprendre ces dossiers car il va de soi que les conditions de rémunération et de carrière des personnels du Quai d'Orsay constituent à mes yeux une préoccupation forte.

Je voudrais pour autant évoquer avec vous quelques sujets d'avenir. D'abord, bien entendu, il faudra poursuivre la réforme ainsi engagée. Je dois vous sensibiliser au fait que, s'agissant du budget, du budget de l'État avant de parler du budget du Quai d'Orsay, il faut avoir bien conscience que pour les années qui viennent, il n'y a aucune hypothèse d'aisance budgétaire. On ne peut pas imaginer, quelles que soient d'ailleurs les gouvernements qui pourront se succéder dans les dix ans qui viennent, on ne peut pas imaginer une autre politique budgétaire, s'agissant des moyens de l'État, qu'une politique restrictive. S'il en est ainsi, c'est sans doute qu'il en est de même dans tous les pays du monde. S'il en est ainsi, spécialement dans notre pays, c'est parce que la façon dont l'État s'est accru au cours des trente dernières années a été non seulement excessive, mais irresponsable. Cela a conduit à voir grossir certaines parties du système administratif et voir grossir les dépenses publiques dans des conditions suffisamment irrationnelles pour que, finalement, cela résulte davantage de rapports de forces établis dans le système que de la prise en compte des intérêts réels du système. Nous­-mêmes, vous-mêmes, mesdames et messieurs, vous avez été largement victimes de cette évolution. Toute la tâche du ministère, des responsables nationaux, du ministre naturellement, sera dans cette période de nous battre pour convaincre les autorités supérieures que dans cette période de restriction et de rigueur budgétaire, il faut maintenir au Quai d'Orsay les moyens d'une action régalienne qui, dans les années précédentes, loin de croître, s'est plutôt réduite.

C'est un sujet évidemment central, parce que l'on ne peut pas, soyons déterminés sur ce point, avoir une politique étrangère ambitieuse, avoir une grande politique étrangère, si l'on n'a pas en face de cela des moyens qui soient en rapport. Savez-vous par exemple – sur l'insuffisance des crédits dans votre poste, vous le savez, ce n'est donc pas moi qui vous en parlerait, vous en êtes les témoins consternés tous les jours, vous êtes certainement encore plus convaincus que moi de ce que je dis – savez-vous que les crédits de l'action culturelle, je ne parle pas des dépenses relevant de l'action audiovisuelle, savez-vous que les crédits de subvention et d'intervention pour l'action culturelle dont dispose le Quai d'Orsay sont équivalents aux crédits de l'action culturelle que l'État consacre à une région moyenne ? Autrement dit, autant d'argent pour la culture pour la région centre que pour la planète entière. C'est proprement insensé ! Cela démontre ce que je vous disais tout à l'heure, qui pouvait vous paraître obscure : alors que l'État dépense de plus en plus d'argent, c'est ce qu'il a fait pendant 30 ans et ce qu'il continue à faire, l'affectation de cette somme est hautement contestable ; du point de vue du Quai d'Orsay, elle est mauvaise. Je crois, je suis convaincu que nous devrons nous battre durement pour faire passer cette idée que même dans cette période de rigueur, il faut augmenter, en tout cas au moins préserver nos crédits pour que nous soyons capables de maintenir l'ambition et la dimension de notre politique étrangère.

Cela ne nous dispensera pas, nous-mêmes, d'être capables de révision, capable de remise en cause, c'est même parce que nous serons capables de ces révisions et de cette remise en cause, parce que vous l'avez été au cours des deux dernières années, que nous serons capables d'être exigeants comme vous l'avez été au cours de ces deux dernières années. Par exemple, de même que la Direction générale a été invitée à réfléchir avec vous à une rationalisation du réseau culturel à l'étranger, de même, je voudrais vous indiquer qu'il nous faudra travailler, dans l'année qui vient, à un réexamen de notre présence à l'étranger, c'est-à-dire du réseau diplomatique français. Je voudrais que cet examen ne soit pas inspiré par des considérations négatives, mais au contraire, par des considérations positives.

Je crois que cette étude, cette analyse, cet examen, doit nous permettre de rechercher ce que je vous disais à l'instant, c'est-à-dire la meilleure adaptation possible de notre outil, la meilleure allocation possible de nos ressources et sans doute la meilleure façon de convaincre les échelons supérieurs de ce pays, à commencer par le Président de la République, que ce réseau, le deuxième du monde, ce n'est pas une façon de dépenser de l'argent pour garder ce qui est, comme c'est souvent le cas dans l'administration, c'est un outil offensif au service du prestige et du rayonnement de la France et au service de la prospérité de nos propres agents.

De même, nous aurons à travailler sur le budget de l'action extérieure de la France. Dans ce domaine, vous le savez, l'établissement d'un budget de l'action extérieure de la France qui a déjà été décidé et qui devra être mis en œuvre en 1996, nous permettra, certainement pas encore, de rassembler dans les mêmes mains la totalité des moyens de l'action extérieure de la France mais au moins de les rassembler dans un même fascicule budgétaire. Ceci dit, je reste convaincu qu'il n'y a pas de raison objective de maintenir dans notre pays cette particularité négative qui fait que l'action diplomatique proprement dite, est entre les mains d'un ministère, pendant que l'action économique et financière est entre les mains d'un autre. Et donc il faudra bien poser les questions et obtenir les réponses. Nous sommes dans un pays dans lequel réformer, changer est toujours un drame, de sorte que le sage est paraît-il, celui qui reporte les questions au lendemain, ou même encore mieux, celui qui a le bon goût de dire que ce qui marche mal en France, c'est le résultat d'une longue et vieille tradition.

Et bien, quand les traditions sont mauvaises, il faut les changer. Et donc, j'utiliserai les temps qui viennent, je ne vais pas vous dire que je viserai à obtenir cela parce que cela me paraîtrait hautement dangereux de ma part de prendre devant cette assemblée un pareil engagement que vous regarderiez en ricanant au nom de l'expérience qui est la vôtre, mais je le dirai, je le dirai où il faut et je le dirai aussi publiquement.

Ici, pour nous, l'une des questions qui se pose c'est en effet de faire en sorte que les moyens de l'action extérieure soient mieux rassemblés, davantage soudés, mieux coordonnés et dirigés, si c'était possible un jour, d'une même main. De même, allons-nous nous engager dans ce qui est très important, c'est-à-dire la réforme de l'aide au développement. Mesdames et messieurs, je voudrais saluer le fait que, pour presque la première fois, le ministère de la Coopération fait partie de la grande famille du Quai d'Orsay. Et je voudrais saluer en la personne de Jacques Godfrain, qui est en charge auprès de moi de cette importante question, je voudrais saluer en lui, non seulement un ami, quelqu'un qui connaît bien l'Afrique, qui l'aime, il faut l'aimer, mais aussi un ministre qui, je dirai, a l'ambition avec moi de réussir cette entrée de la Coopération au sein de la famille du Quai d'Orsay. Ce n'est pas un événement conjoncturel, autrement dit, ce n'est pas une circonstance particulière due par exemple au fait que j'aurai réclamé avec insistance une espèce de champ de pouvoir supplémentaire pour le ministre. C'est une intention politique claire et durable. La famille de la Coopération rejoint la famille du Quai d'Orsay. Nous avons décidé ensemble, au cours de plusieurs séances de travail, cet été, avec le secrétaire général et des dirigeants de la Maison, nous avons fixé ensemble le calendrier, les méthodes, les objectifs de ce que nous allons faire pour que la coopération soit, durablement, l'un des volets de l'action extérieure de la France. Par conséquent, pour faire en sorte que ces deux ministères n'en fassent plus qu'un.

Ce sera chose faite dans deux ans, je veux dire par là, c'est déjà chose faite, mais nous faisons encore un peu chambre à part, dans deux ans, nous serons installés dans la Maison commune. Je souhaite que tout cela soit conduit à la fois avec une grande détermination par ce que je sais ce que sont les capacités administratives à résister aux choses, mais en même temps avec un grand souci non seulement de respecter les particularités de chacun et chacune, qui sont hautement respectables et justifiées, mais aussi de faire en sorte que ce ne soit pas la victoire des uns contre les autres, que ce soit la réunion d'hommes et de femmes, venant avec leur talent, leur qualité, leur expérience, travailler ensemble au plus grand rayonnement possible de la France en matière de coopération. Et donc nous avons décidé de le faire, nous le ferons, Jacques Godfrain et moi la main dans la main, je peux vous le dire, et nous le ferons avec bien sûr le souci de créer des synergies, de donner à chacun et à chacune toute sa place et de faire en sorte que ce soit un « plus » pour le rayonnement de la France, un « plus » pour les fonctionnaires qui en ont la charge, évidemment un « plus » pour nos administrations.

De la même façon, je me réjouis qu'avec Margie Sudre la francophonie soit désormais l'un des éléments de la politique étrangère de la France. Dans ce domaine, je reprendrai une expression d'Alain Juppé, il y a une demande de France à travers le monde et il y a sans aucun doute beaucoup à faire pour assurer le rayonnement de la langue française à l'étranger. Nous faisons beaucoup, nous avons encore beaucoup à faire, Margie Sudre en a la charge. Et puis il y a la francophonie au sens plus politique du terme, celle qui se rassemblera à Cotonou à la fin de l'année, au Vietnam dans deux ans, c'est là aussi une dimension tout à fait centrale de la politique étrangère de la France.

Voilà, je ne veux pas vous retenir davantage.

Je voudrais simplement, en ce moment où s'achève cette intervention que je fais devant vous, en ayant à peu près respecté le délai que M. le Secrétaire général avait bien voulu me donner, vous souhaiter que ces deux jours soient pour vous deux journées riches.

Nous venons tous les quatre partager ces deux jours avec vous. Nous travaillons ensemble, nous avons l'intention d'être avec vous pendant le temps que cette mission vous sera confiée, nous avons l'ambition d'être, avec vous, aussi passionnés que vous pour la défense et l'illustration du prestige et de l'autorité de la France.

Avec Michel Barnier, qui a en charge les questions européennes, nous parlons souvent de ce qui pour certains est peut-être une contradiction, c'est-à-dire l'émergence de la dimension européenne qui n'est pour moi pas du tout contradictoire avec l'idée d'une grande politique étrangère française. Je crois que notre idée doit être à la fois très européenne et notre ambition aussi très française. Très européenne parce que, nous voyons bien que c'est la grande ambition de la génération qui vient que de faire en sorte que tout soit définitivement soudé. Nous voyons bien comment, avec l'actualité bosniaque, comment la barbarie est à la porte de l'Europe, que dire, à l'intérieur même de l'Europe. Par conséquent, l'Union européenne est essentielle pour l'avenir. En même temps, je suis persuadé que cela ne vous empêche pas de penser que notre politique internationale restera une politique proprement nationale et française. Cette immense ambition, il ne faut y renoncer en rien. Il ne faut jamais y renoncer, je vous demande même d'être tout compte fait plus exigeants encore, de ce point de vue, demain qu'aujourd'hui. Nous allons entrer dans un monde dans lequel je vous disais que nous étions une puissance moyenne, dans un monde où émergent d'autres puissances en grand nombre. Et cela sera par conséquent de plus en plus difficile. Il n'empêche que le monde attend de la France qu'elle soit partout présente, qu'elle se mêle de tous les grands débats du monde, qu'elle contribue partout à faire prévaloir les grands principes fondateurs de la paix entre les hommes et du respect des Droits de l'Homme. Nous avons ainsi un rôle exceptionnel dans la vie internationale. Ce rôle exceptionnel, non seulement, il ne cessera pas, mais il ne dépend que de nous d'en accroître le rayonnement et l'ambition. Je souhaite qu'avec votre talent, avec votre sens du service public, avec la passion que je vous connais pour le métier qui est le vôtre, vous nous aidiez à faire en sorte que la place de la France dans le monde non seulement se maintienne, mais s'accroisse. Bonne journée.