Texte intégral
Europe 1 : vendredi 18 août 1995
M. Grossiord : Comment expliquez-vous l'attentat d'hier ?
H. de Charette : Je voudrais d'abord vous dire que je suis très admiratif de tous les commentaires que j'ai entendus, notamment de J.-M. Pontaut, qui est un très grand journaliste, mais je ne suis pas un enquêteur.
M. Grossiord : Est-ce que vous avez des faits supplémentaires ?
H. de Charette : Non. Je voudrais vous dire un mot sur les étrangers qui étaient concernés. C'est le hasard, les circonstances, mais sur 17 victimes de cet attentat, 14 sont des étrangers. Quatre sont des Portugais qui sont des résidents portugais en France, des travailleurs installés dans notre pays. Il y a une famille de quatre Hongrois, parents et deux enfants, une famille de quatre Italiens, parents et deux jeunes enfants, une Anglaise, une vieille dame. En réalité, nous sommes directement concernés, au ministère des Affaires étrangères, parce que nous sommes très attentifs à ce que ces étrangers qui sont en France bénéficient de tout le concours possible. J'ai donc appelé les ministres des Affaires étrangères des pays concernés pour leur faire part de notre émotion et la partager avec eux, leur dire que nous ferions tout ce qu'il fallait pour eux. Nos ambassades sont en rapport avec les familles, comme nous sommes en rapport avec les ambassades sur place.
M. Grossiord : Vous craignez que la psychose gagne les étrangers en visite en France ?
H. de Charette : En tout cas, il faut qu'ils soient assurés qu'ils sont vraiment bien traités. Depuis 1986, il y a un fonds de garantie qui permet d'indemniser les victimes. Ce fonds de garantie est accessible pour les Français victimes de ces attentats mais il est aussi accessible aux étrangers. Ces familles étrangères auront, dans les mêmes conditions, droit à l'indemnisation. Ils ne paient pas les frais d'hospitalisation et il y a un système d'indemnisation pour les dommages physiques et les dommages moraux.
M. Grossiord : Comment interprétez-vous ce nouveau message des terroristes ?
H. de Charette : La seule chose qu'on puisse dire aujourd'hui, c'est qu'il y a des similitudes entre l'attentat de juillet dernier et celui-ci. On ne peut pas dire plus puisqu'il n'y a pas de revendication ; je ne vais pas accuser qui que ce soit et a fortiori un pays étranger ou quelque mouvement de quelque nature que ce soit, d'être à l'origine de ces attentats.
Aujourd'hui, nous n'avons pas de preuve. Je voudrais en même temps vous dire qu'il faut se méfier – et l'opinion y est sensible –, il ne faut pas confondre la religion musulmane et le terrorisme. La religion musulmane occupe une grande place en France, c'est une religion tout à fait respectable.
M. Grossiord : La mosquée de Paris a d'ailleurs lancé un appel au calme ce matin, demandant aux musulmans de faire confiance aux autorités françaises. Il n'empêche que si les bras qui arment ces bombes sont intégristes, comme le veut l'hypothèse la plus couramment admise, cela signifie que la France se voit reprocher de soutenir sans réserve le pouvoir algérien ?
H. de Charette : La position de la France à l'égard du gouvernement algérien est tout à fait connue et très précise, et très simple : nous ne nous mêlons pas des affaires intérieures algériennes.
M. Grossiord : On vous reproche néanmoins…
H. de Charette : Nous ne nous en mêlons pas. Et nous nous bornons à dire que les problèmes intérieurs algériens trouveront plus vite une solution par la voie démocratique que par toute autre.
M. Grossiord : Cela veut dire que vous réaffirmez une nouvelle fois que par exemple le processus engagé à Rome au mois de février dernier entre le FIS et d'autres partis d'opposition algériens, qui préconise précisément le dialogue politique pour sortir de la crise algérienne, est une bonne démarche ?
H. de Charette : C'est aux Algériens d'en délibérer entre eux. Ce n'est pas une affaire française, je le répète.
M. Grossiord : Est-ce que vous renvoyez dos à dos les deux parties en présence et qui s'affrontent actuellement en Algérie ?
H. de Charette : Je vous parle ici avec la netteté que doit avoir le gouvernement français et en même temps, nous savons bien que tout ce qui se passe en l'Algérie a un écho profond en France, pour toutes sortes de raisons, qui tiennent à l'histoire et qui tiennent au présent. Et c'est vrai en sens inverse aussi. Nos histoires sont forcément liées et donc nous ne sommes pas aveugles ni sourds, mais je répète que le gouvernement français a une position qui consiste à ne pas se mêler des affaires des autres.
M. Grossiord : Est-ce que vous pensez que le double attentat qui a frappé la France peut être des représailles pour venger les martyrs de la cause intégriste, ces fameux pirates de l'air qui avaient détourné l'Airbus d'Air France à Alger avant de tomber sous les balles du GIGN ?
H. de Charette : Ce sont les hypothèses qu'on entend ou qu'on lit dans les journaux mais qui n'ont, pour l'instant, aucun fondement et aucun élément qui permettrait de les crédibiliser.
M. Grossiord : Un gouvernement est impuissant face à des actions terroristes ?
H. de Charette : Pas tout à fait. Le gouvernement prend toutes les dispositions nécessaires pour la surveillance, la vigilance et c'est le travail de J.-L. Debré et de toute l'équipe du ministère de l'Intérieur. C'est évidemment essentiel. En même temps. Il faut que la population française, et nous tous, comme la France a toujours su le faire, nous montrions que nous gardons que notre sang froid. Pour montrer que nous sommes déterminés et que nous ne faiblissons pas sous les coups.
M. Grossiord : Est-ce que vous faites un parallèle entre le fait qu'il n'y a pas eu en Algérie, depuis de nombreux mois d'assassinat visant des Français ou visant des intérêts français depuis les attentats qui ont été commis contre des ressortissants français sur place, et le fait que depuis quelques mois, ces attentats ont été transportés en France. Est-ce que vous faites un lien entre ces deux faits ?
H. de Charette : Je ne peux pas. Vous avez dit que ces attentats ont été transplantés en France, comme si vous pouviez affirmer que ce sont les mêmes qui font les mêmes actes, qu'ils les faisaient hier en Algérie et aujourd'hui en France. Non. Vous le dites, mais personne ne peut faire ce genre d'affirmation, c'est ce que je suis venu vous dire.
France Inter : vendredi 18 août 1995
France Inter : Vous avez immédiatement adressé un message à vos homologues ?
H. de Charrette : Oui. Je voudrais d'abord condamner cet attentat qui est odieux comme le sont tous les attentats. La nature d'un attentat c'est de viser des gens qui sont complètement en dehors de quoi que ce soit. Vous avez cité une famille hongroise, une famille italienne. Sur les 17 victimes, il y a 14 victimes étrangères. Il y a quatre Portugais qui sont des Portugais résidant en France. Ce sont des gens pour lesquels j'ai une pensée particulière. Je pense à ces quatre Italiens, deux parents, deux jeunes enfants et encore un petit garçon qui est hospitalisé alors que les parents et les autres enfants vont mieux et sortent de l'hôpital aujourd'hui. C'est évidemment horrible et tragique. Nous, au ministère des Affaires étrangères, nous faisons tout ce qu'il faut pour faire en sorte que ces familles soient rassurées, qu'elles soient prises en charge, qu'elles se sentent sous la protection de l'État français. Elles le sont puisque, en liaison avec les ambassades étrangères ici même, ou les consulats quand elles seront rentrées chez elles, en liaison avec nos ambassades dans les pays d'origine, nous faisons tout ce qu'il faut. Comme vous le savez, il y a un fonds de garanti pour les victimes des attentats depuis une loi de 1986 qui vaut pour les Français mais qui vaut aussi pour ces familles étrangères et qui les indemnisera dans les mêmes conditions. C'est de nature, je crois, à rassurer ces familles. Dans tout cela, il ne faut pas – je crois que J. Tiberi avait raison – tomber dans la psychose. Il faut rester extrêmement vigilant mais aussi garder tout son sang-froid.
France Inter : Vous avez des informations sur l'état de ces trois blessés encore sérieusement atteints ?
H. de Charrette : Oui. J'ai des informations précises. Les quatre Hongrois, les parents et les deux jeunes enfants, vont sortir très prochainement de l'hôpital et sont blessés mais vont pouvoir repartir assez rapidement dans leur pays avec un rapatriement sanitaire dont nous nous occupons. Les familles italiennes – j'ai vu que dans la presse italienne il y avait eu beaucoup d'émotion – je voudrais redire ici que cette famille italienne, il y a en effet un petit garçon qui a été sérieusement blessé au bras, les trois autres : les parents et sa sœur ont été soignés et vont pouvoir sortir de l'hôpital prochainement. Je voudrais signaler le cas d'une femme anglaise qui est soignée en France des suites de cet attentat, elle est assez sérieusement blessée mais elle pourra sortir dans les prochains jours et retourner en Angleterre très rapidement, dans le courant de la semaine prochaine.
France Inter : Le Quai d'Orsay travaille-t-il sur la piste islamiste ?
H. de Charrette : Il y a beaucoup de touristes étrangers qui écoutent votre radio et je suis attentif à tout ce public qui est en France par dizaine de milliers et qui sont concernés à travers ces quelques familles. Pour le reste, la recherche des culpabilités, l'enquête, tout ça concerne le ministère de l'Intérieur, ça concerne le ministère de la Justice, le procureur. Cela ne concerne pas le ministère des Affaires étrangères.
France Inter : Est-ce que vous avez des relations avec vos homologues en Algérie ou avec le gouvernement algérien ?
H. de Charrette : Tout ceci ne se passe pas du tout au niveau du ministère des Affaires étrangères. Mais je voudrais vous dire tout de suite que je lis la presse, j'écoute les radios, je vois la télévision et on met en cause ce que j'entends être la piste algérienne, c'est vite dit. Comme ministre des Affaires étrangères, je voudrais vous dire que la France n'accuse personne sans savoir. Le gouvernement français n'accuse personne sans savoir. D'autre part, la religion islamique, les musulmans de France qui sont très nombreux, sont très attentifs à la façon dont nous nous comportons dans ces moment-là. C'est une grande religion qui mérite notre respect comme toutes les religions, qui condamne profondément le terrorisme et qui par conséquent mérite notre attention dans un moment difficile.
France Inter : Vous voulez dire qu'il faudrait peut-être plus soutenir l'islam modéré. Je vois M. Giesbert qui, dans Le Figaro, écrivait que la France dérange car elle est la seule à se défendre contre l'intégrisme qui envahit la Méditerranée ?
H. de Charrette : J'étais il y a trois semaines en Tunisie pour une rencontre des ministres des Affaires étrangères de dix pays du pourtour méditerranéen. J'ai pu constater que les dix ministres des Affaires étrangères qui étaient autour de la table avaient la même réaction vis-à-vis du terrorisme. C'est de le condamner vigoureusement et naturellement de lutter contre lui. Ça n'empêche qu'il reste encore aujourd'hui des éléments de terrorisme à travers le monde. Je regardais ce mois d'août : un été tragique pour les Européens. Vous avez cet attentat en France, il y avait un attentat hier en Espagne, il y a dans l'ex-Yougoslavie les mouvements d'exode des populations qui sont absolument tragiques. L'histoire est difficile. Ce qui est important dans tout cela c'est que nos compatriotes et les nombreux touristes qui sont en France aujourd'hui, aient le sentiment et la conviction que le gouvernement est vigilant ; que cette vigilance pourrait être partagée par l'ensemble de l'opinion et qu'en même temps la nation garde son sang-froid.
France Inter : Il y a eu un tir atomique en Chine. La vague de protestation monte, est-ce que ça vous inquiète ?
H. de Charrette : Elle monte … je ne sais pas. Je constate que ce que je répète depuis le début, ainsi que les autres membres du gouvernement, notamment C. Millon, commence à être entendu par un certain nombre de gouvernements. En réalité, dans la décision française, il y a deux éléments, on peut dire qu'il y a deux décisions françaises : celle de reprendre pendant un court moment, pour quelques mois, un petit nombres d'essais dont nous avons besoin mais aussi celle de les interrompre ensuite de façon définitive. Jusqu'à présent, nous n'étions que dans une situation de suspension des essais nucléaires, depuis 1992. Nous avons pris la décision au même moment. Au même moment où le président de la République décidait de faire ces quelques essais supplémentaires – dont nous avons besoin dans un seul but d'ailleurs, faire en sorte que nous entrions dans le club très réservé de ceux qui peuvent se passer des essais nucléaires grâce aux techniques de la simulation – le Président a annoncé que nous signerions le prochain traité d'interdiction définitive des essais nucléaires dont la négociation est déjà commencée et qui sera un traité formidable dans l'histoire de l'humanité puisque ce sera pour la première fois que les nations du monde s'interdiront tout essai nucléaire. Il y avait un élément de la négociation, c'était de savoir qu'est-ce qu'on allait interdire, où est-ce qu'on allait mettre la barre de l'interdiction : la position de la France ça été l'option zéro. On s'interdit tout essai. Cette option a été rejointe par le gouvernement américain, ce qui donne du poids et qui fait qu'on peut penser qu'à l'automne 1996, le monde aura négocié et aura ratifié par la suite par les parlements, un traité qui marquera, qui fera date dans l'histoire des hommes, sur l'interdiction des essais nucléaires.
France Inter : Sur la Yougoslavie, l'émissaire européen rencontre des difficultés, les Bosniaques ne veulent plus le recevoir, les Croates non plus ?
H. de Charrette : Non, il ne faut pas présenter les choses comme ça. Ce qui est le plus frappant, c'est que ce mois d'août a été marqué par ce que j'appelle un mouvement de population pour éviter d'employer des mots plus crus, purification ethnique quasi généralisée. Nous avons vu des territoires entiers vidés de leurs populations, les gens sur les routes, tout cela est véritablement éprouvant, indigne et terrifiant. En même temps, car dans cette affaire yougoslave, tout est toujours à sens multiple, il y a l'initiative américaine qui a été prise, qui rencontre le soutien de la France puisque toute initiative de paix est bonne à prendre. Je crois comprendre qu'il y a d'une certaine façon une opportunité pour la paix qu'il faut saisir. L'Europe y contribue grâce au médiateur C. Bildt auquel je voudrais rappeler que la France apporte son entier soutien. La France y contribue puisque le président de la République vient d'inviter, sur la proposition que je lui avais faite à mon retour de Sarajevo, le président de la République de Bosnie-Herzégovine pour venir parler avec lui de la situation et essayer de contribuer au processus de paix.
RTL : vendredi 18 août 1995
O. Mazerolle : Vous avez rendu visite aux blessés, comment vont-ils ?
H. de Charette : La plupart vont bien. Il y avait 17 victimes. La plupart ont quitté l'hôpital et seul y restent une famille italienne et une famille hongroise. Quand vous voyez cela, c'est très émouvant. De voir une famille qui est venue passer des vacances en France, c'était leur rêve.
O. Mazerolle : Avez-vous vu le petit Tomasso ?
H. de Charette : Je ne l'ai pas vu parce que c'est celui qui est le plus sérieusement atteint et qui est encore en salle de réveil. Mais j'ai vu son père et je peux vous dire, j'ai appelé le ministre italien des Affaires étrangères, et je lui ai dit que cet homme qu'elle ne connaît pas m'a fait une très forte impression, de sérénité, de calme, de gentillesse dans quelque chose qui doit être pour lui une tempête. Quelqu'un qui se tient très très bien.
O. Mazerolle : Il n'y a pas de revendication pas plus qu'après l'attentat de la station Saint-Michel, de quoi veut-on punir la France ?
H. de Charette : Je crois que dans la phase actuelle qui est une phase d'étude, de recherche, d'examen, d'expertise, qu'assume très bien le ministre de l'Intérieur, il faut laisser aux spécialistes le soin de rechercher tout cela. Je l'ai déjà dit aujourd'hui, je comprends très bien qu'on fasse des analyses, qu'on fasse des supputations, le métier de journaliste est un métier d'enquête et c'est très utile à la recherche de la vérité. Dans ma fonction de ministre des Affaires étrangères, vous comprenez que personnellement je ne veuille désigner personne sans preuve.
O. Mazerolle : Est-ce que vous redoutez que dans l'engrenage des événements et même si on ne sait pas très précisément qui a commis cet attentat, la France se trouve, à son corps défendant, entraînée à prendre parti pour l'un ou l'autre camp en Algérie ?
H. de Charette : Si vous parlez de la position de la France à l'égard de l'Algérie, je vais vous le dire puisque les choses sont simples : nous ne nous mêlons pas des affaires intérieures algériennes. Et nous traitons naturellement dans les relations d'État à État, avec le gouvernement algérien en place, comme il va de soi sans porter de jugement. Et chaque fois que nous nous exprimons sur la situation en Algérie, nous disons qu'en effet la voie démocratique est la meilleure pour résoudre les problèmes. Mais je le répète, nous ne nous mêlons pas des affaires intérieures algériennes.
O. Mazerolle : Les Algériens ont annoncé que l'élection présidentielle aurait lieu le 16 novembre prochain, avez-vous le sentiment qu'il y a une chance pour un accord politique dans ce pays ?
H. de Charette : Si l'Algérie organise des élections, il y aura un président de la République, il sera élu, dans quelles conditions, vous m'en demandez beaucoup aujourd'hui.
O. Mazerolle : Vous ne redoutez pas qu'à un moment donné, sous la pression des événements, la France soit amenée à infléchir sa position et à choisir un camp ?
H. de Charette : Je ne le crois vraiment pas parce que ce que je viens de vous dire est d'une extrême simplicité, d'une extrême clarté et s'accroche sur des principes simples qui sont les principes mêmes des relations internationales. La France fait ainsi avec tous les pays du monde. Et c'est parce qu'elle fait ainsi que sa position est respectée. Elle ne va pas changer au gré des événements. Je crois aussi qu'il ne faut pas se laisser entraîner à des phénomènes de psychose. Je suis persuadé qu'on finira rapidement par avoir des résultats et qu'on pourra identifier clairement les coupables.
O. Mazerolle : Peut-on tout de même dire que l'Europe, dans son ensemble, a pris suffisamment conscience du danger terroriste ? Existe-t-il une coopération européenne ?
H. de Charette : Franchement, à votre question, la réponse à mon avis est non. Le terrorisme ou la drogue, ou la grande criminalité, ce sont des sujets absolument essentiels pour l'avenir de notre démocratie, de notre jeunesse, de la stabilité de nos institutions. Et donc, ça exige que nous mettions cela parmi les priorités de l'action et notamment parmi les priorités de l'action européenne. Quand on parle d'Europe, je vois bien, les gens se détourne parce que ça fait des années qu'on en parle et qu'on emploi toujours des concepts compliqués auxquels les gens ne comprennent rien. Mais quand on leur parle de la drogue et du terrorisme ou de la grande criminalité, ils savent ce dont il s'agit. Et donc, je souhaite que l'Europe qu'on construira demain et qu'on commence à construire aujourd'hui, soit une Europe concrète, l'Europe des Français, des Allemands.
O. Mazerolle : Mais pourquoi ça ne marche pas mieux ?
H. de Charette : Ce que je veux essayer de dire c'est que dans nos préoccupations européennes pour les mois et les années qui viennent, ce qu'il faut mettre au cœur du débat, ce n'est pas simplement : est-ce qu'il faut modifier les institutions européennes, c'est souvent du chinois pour la plupart de nos compatriotes, ce sont des sujets comme ceux-là, parce que ce sont les sujets centraux. On a parlé de Schengen. On ne va pas entamer ici un débat sur Schengen, mais l'idée de base est forte parce qu'elle est destinée à mettre en commun des forces pour mieux lutter contre tout cela. C'est très utile, encore faut-il que ça marche, encore faut-il que techniquement ce soit au point. C'est pour cela, parce que nous pensions que ce n'était pas tout à fait au point que nous avons demandé six mois de plus. Mais ce sont des choses concrètes.
O. Mazerolle : Allez-vous demandez une nouvelle rencontre européenne sur ces questions ?
H. de Charette : Nous sommes actuellement dans une période où nous allons préparer la conférence intergouvernementale, la révision de l'après-Maastricht, et je voudrais que ces questions soient au cœur du débat, au moins autant que les questions institutionnelles qui sont importantes certes mais plus éloignées de celles de nos compatriotes.
O. Mazerolle : Hier, en menant leur enquête, les policiers ont été amenés à interpeller un diplomate iranien, ce qui est contraire aux usages diplomatiques. Faut-il mettre cela sur le compte de la volonté et de la détermination des policiers français à trouver les auteurs des attentats ?
H. de Charette : Certainement, mais encore une fois, tout ceci est fini. Le fait a eu lieu, il est ce qu'il est. Mais franchement, quand il y a une affaire d'une telle gravité, je comprends que la police fasse ce qu'elle croit devoir faire. Mais il y a aussi les usages diplomatiques, il faut faire attention surtout qu'il n'y avait aucune raison de mettre ces personnes en cause.
O. Mazerolle : La Bosnie, on a appris que l'enclave de Gorazde ne serait plus protégée par les Casques bleus et serait placée sous la protection aérienne de l'OTAN, finalement plus grand chose. Abandonne-t-on Gorazde ?
H. de Charette : C'est un jugement un peu rapide que l'OTAN c'est finalement pas grand-chose. Ce mois d'août nous étions en vacances les uns les autres, pendant ce temps-là, il y a eu un attentat à Paris, en Espagne et 180 000 Serbes, Croates, Bosniaques, jetés sur les routes, en plus de tous ceux qui y étaient. On a vraiment l'impression qu'on n'arrive pas à sortir de ce conflit. Il y a aujourd'hui une démarche américaine que naturellement la France encourage, comme toutes les démarches de paix. Le gouvernement français considère que la question de l'intégrité territoriale de la Bosnie est quelque chose d'essentiel dans les démarches de paix futures.
O. Mazerolle : Donc il n'est pas question d'échanger Gorazde contre d'autres territoires ?
H. de Charette : Je veux dire très clairement, qu'il n'y a pas de paix possible s'il n'y a pas une Bosnie-Herzégovine pluri religieuse, respectant la diversité des populations comme elle l'était à l'origine. Ce ne sera pas évidemment la même chose. Mais cette Bosnie-là, nous y sommes attachés, à la fois comme un gage de paix à long terme et comme un élément central de notre politique. C'est pour cela que le président de la République vient d'inviter le Président Izetbegovic à venir à Paris pour que nous lui montrions que nous sommes attachés à cela.
O. Mazerolle : Revenons à Gorazde.
H. de Charette : J'y reviens, je ne veux pas fuir. Dans l'affaire de Gorazde, je vous avoue que je suis moi-même préoccupé. L'un des résultats de la conférence de Londres il y a deux mois, c'était précisément de dire : halte-là et de prendre un engagement solennel de la communauté internationale de garder Gorazde. Je comprends que l'ONU, ayant de la difficulté à trouver des contingents pour renouveler ceux qui s'y trouvent, a décidé de remplacer le dispositif par un dispositif d'observateurs de l'ONU. Je voudrais en tout cas qu'il soit clair que du point de vue de la communauté internationale, cela ne devrait certainement pas être interprété comme un signe de faiblesse de l'Occident. La France est, en tout cas pour ce qui la concerne, extrêmement attachée à la sécurité de Gorazde.