Texte intégral
Allocution - Sénat 6 décembre 1995
La parole est à Monsieur le ministre,
M. Charles Millon, ministre de la défense, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, pas plus que le budget de 1995 en cours d’exécution, le projet de budget pour 1996 que j’ai l’honneur de vous présenter n’est conforme à la loi de programmation militaire pour les années 1995-2000 adoptée au mois de juin 1994. C’est là un constat sur lequel je reviendrai.
Je voudrais, avec vous, analyser les raisons qui ont conduit le gouvernement à renoncer à appliquer cette loi de programmation, évoquer le calendrier retenu par le gouvernement pour préparer l’adaptation de notre appareil de défense, exposer les grandes lignes du projet de budget pour 1996, enfin, décrire le dispositif qui sera mis en place pour accompagner la modernisation de notre appareil de défense.
La modernisation de notre appareil de défense, voilà une impérieuse nécessité !
Le propos peut paraître bien étrange. La question n’a-t-elle pas été longuement débattue, ici même, voilà près de dix-huit mois, à la suite de la publication du livre blanc sur la défense ? Le Parlement n’a-t-il pas voté une nouvelle loi de programmation pour les années 1995-2000 ? Notre environnement géostratégique s’est-il à ce point modifié qu’il faille encore une fois tout remettre en chantier ?
Vous connaissez, Mesdames, Messieurs les sénateurs, la réponse du gouvernement.
Cinq ans après l’effondrement du mur de Berlin et la dislocation du pacte de Varsovie, ce n’est pas seulement le monde qui a changé, c’est aussi le contexte institutionnel qui rend désormais possible les choix jusqu’à présent différés.
C’est également notre situation budgétaire qui nous interdit d’éluder les problèmes, de différer les réformes, de travestir la réalité.
Pour éclairer la situation actuelle, est-il besoin de décrire les limites dans lesquelles l’action du précédent gouvernement était circonscrite s’agissant d’un domaine si étroitement dépendant du chef de l’État, par ailleurs chef des armées ? Est-il utile de rappeler, par exemple, les décisions prises par l’ancien Président de la République en ce qui concerne la poursuite, la suppression ou l’arrêt des essais nucléaires ?
De ce fait, vous le savez, Mesdames et Messieurs les sénateurs, un certain nombre de questions essentielles sont restées sans réponse : les modalités de la modernisation de notre force de dissuasion, l’adaptation de nos forces classiques, leur degré de professionnalisation, l’avenir du service national et la restructuration de notre industrie de défense.
L’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République a créé les conditions institutionnelles nécessaires à la conception puis à la mise en œuvre des réformes de notre appareil de défense. Pouvons-nous refuser d’assumer cette responsabilité ?
À la nécessité d’effectuer ces choix s’ajoute, par ailleurs, la contrainte financière que le Sénat avait déjà parfaitement mesurée lors du débat qui a précédé l’adoption de la loi de programmation militaire et, plus encore, à l’occasion du vote du budget de 1995 qui constituait sa première annuité.
Dois-je rappeler la déclaration de Jacques Genton en juin 1994 : « Ce projet de loi nécessaire devra être intégralement appliqué, faute de quoi, ne nous y trompons pas, des révisions déchirantes devraient être effectuées. » ? Les révisions déchirantes, nous y sommes !
Quant au président de la commission des affaires étrangères, M. de Villepin, il exprimait, l'année dernière, avec beaucoup de clairvoyance., son inquiétude concernant l'élaboration du projet de budget pour 1996.
Or, en 1994, l'année même du vote de la loi de programmation - vous vous en souvenez sans doute - le budget d'équipement de la défense a été réduit de plus de 5 milliards de francs par des gels de crédits. C'était le début des révisions ! De la même façon, la première annuité de cette loi – en 1995 – a été marquée, dès le mois de février, par un gel de crédits de 7,1 milliards de francs.
Depuis lors, la situation budgétaire de notre pays s'est malheureusement dégradée. L'érosion continue de nos recettes fiscales et la dérive de certaines dépenses ont été telles que le gouvernement a été contraint d'annuler, cette année, une quarantaine de milliards de francs pour maintenir, coûte que colite, à 322 milliards de francs le déficit budgétaire de 1995.
D'ailleurs, nous pouvons légitimement nous interroger : étant donné la situation financière et budgétaire du pays, la défense peut-elle s'exempter de l'effort demandé à toutes les administrations de l'État ? Non, bien évidemment !
Est-il envisageable de continuer à plaider pour un accroissement de nos dépenses militaires, notamment en matière d'équipement, alors que la plupart des budgets civils enregistrent des diminutions significatives ?
Est-il concevable de continuer à prôner un accroissement continu, régulier, de l'effort de défense de notre pays, alors que, depuis cinq ans, nos principaux partenaires - les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Canada - ont fortement réduit le leur, afin de le réadapter ?
À ces questions, le Président de la République et le gouvernement ont répondu de la manière la plus claire et la plus courageuse, en refusant la voie de la facilité.
La facilité, c'eût été de maintenir la fiction d'une loi de programmation déjà mise à mal, en jouant sur les reports de crédits ou sur les fonds de concours et en masquant le mieux· possible les « taxations » qui grèvent le budget des armées.
La facilité, c'eût été de continuer à afficher un niveau constant de crédits d'équipement au moment du vote du budget pour ensuite le réduire à coups de gels ou d'annulations de crédits.
Mais, au bout du compte, quelle responsabilité écrasante aurait été la nôtre ! Nous savons tous que des choix sont inéluctables. Nom savons tous que nous les retardons depuis plusieurs années. L'heure est maintenant venue de les effectuer.
Pour autant, cela ne signifie pas que l'élaboration du prochain projet de loi de programmation n'obéira qu'à des considérations financières. La démarche suivie par le gouvernement démontre, s'il en était besoin, que tel n'est pas le cas.
Dès le mois de juillet, j'ai mis en place un comité stratégique composé des principaux responsables civils et militaires du ministère, du secrétaire général de la défense nationale et de membres des cabinets du Président de la République et du Premier ministre.
Sur la base des réflexions de cinq groupes de travail associant les services de la défense à des personnalités qualifiées dans les domaines économique et industriel, ce comité est chargé de faire des propositions au gouvernement.
Au fur et à mesure qu'elles sont validées à l'échelon interministériel, ces propositions sont soumises au conseil de défense, qui est présidé par le Président de la République.
Enfin, lorsqu'elles auront été arrêtées, les orientations fondamentales de notre politique de défense seront traduites dans une planification, puis dans un projet de loi de programmation qui sera transmis au Parlement avant la fin du printemps prochain.
À cette procédure conduite par le ministère de la défense, le Parlement sera donc, vous pouvez le constater, associé, et cela sous deux formes.
Comme je l'ai indiqué à M. le président de la commission des finances et à M. le président de la commission des affaires étrangères, je suis prêt, avec le secrétaire du comité stratégique, à venir faire régulièrement devant leurs commissions le point de l'état d'avancement des travaux qui sont conduits au sein du minime de la défense.
En outre, comme je l'ai déjà annoncé, un débat d'orientation aura lieu dans cette enceinte en mars prochain pour recueillir l'avis de votre assemblée avant que le projet définitif de la loi de programmation soit rédigé.
C'est, à mes yeux, la méthode la plus efficace pour concilier l'initiative gouvernementale, essentielle dans ce domaine, et le souci légitime d'associer aussitôt que possible la représentation nationale à la mise en forme de ce texte.
Venons-en maintenant à la présentation des grandes lignes du projet de budget de la défense pour 1996.
Même si la notion de crédits disponibles qui découle de la loi de programmation fausse la présentation et embrouille les esprits, rappeler les chiffres essentiels paraît nécessaire.
Ce projet, pensions comprises, s'élève à 241,4 milliards de francs. Rapporté au budget de 1995, il enregistre une diminution de 0,8 %.
Hors pensions, il s'établit à 189,6 milliards de francs en termes de crédits budgétaires et à 195,6 milliards de francs en termes, de crédits disponibles. Toujours en termes de crédits disponibles, ce budget est donc en retrait de 3,3 % par rapport au budget initial de 1995.
Pour leur part, les crédits du titre III, autrement dit les crédits de fonctionnement, du ministère de la défense s'élèveront, l'année prochaine, à 100,7 milliards de francs, ce qui, par rapport à 1995, représente une progression de 1,3 % en francs constants.
Cette évolution a une double origine.
En très légère augmentation en francs courants, les crédits de fonctionnement du ministère traduisent le souci du gouvernement de ne pas réduire les activités opérationnelles des armées, tout en les associant à l'effort d'économie supporté par toutes les administrations de l'État.
Mais, pour l'essentiel, c'est la croissance des dotations affectées aux rémunérations et aux charges sociales qui explique cette situation. En effet, à la suite des hausses intervenues au cours de l'année 1995 concernant l'ensemble de la fonction publique, ces dotations progressent de 1,5 % toujours en francs courants.
Dans le contexte actuel, le principal mérite du projet de budget qui vous est présenté est de permettre au ministère de consolider la politique globale qui a été mise en place par mon prédécesseur, concernant toutes les catégories de personnel de la défense et cela, je vous l'ai dit, tout en maintenant le niveau de l'activité opérationnelle des forces.
Consolider cette politique globale, c'est d'abord continuer à créer des emplois dans les domaines considérés comme prioritaires par le Livre blanc. Ainsi, en 1996, plus de 400 emplois nouveaux viendront renforcer les efforts déjà engagés en faveur de la projection de nos forces, de l'encadrement des unités, du renseignement, mais aussi de la sécurité publique, à travers la gendarmerie.
Consolider cette politique, c'est également dégager les moyens nécessaires pour améliorer la condition des personnels civils et militaires du ministère. D'un montant de 418 millions de francs, équivalent à celui de cette année, ils permettront, notamment, d'engager la dernière tranche du plan Durafour, de poursuivre le plan d'amélioration de la condition ouvrière et d'assurer le financement de la première tranche d'un plan pluriannuel de revalorisation de la gendarmerie, qui est en cours d'élaboration.
Consolider cette politique, c'est, enfin, prolonger les actions qui ont été lancées pour valoriser le service militaire : 32 millions de francs y seront consacrés l'année prochaine, et l'accent, sera mis sur les mesures susceptibles d'aider les jeunes appelés à trouver un emploi à l'issue de leur service national. Vous le savez, Mesdames, Messieurs les sénateurs, il s'agit là d'un objectif essentiel à l'heure où le chômage des jeunes est si difficile à juguler.
Mon second souci, en ce qui concerne le titre III, a été de maintenir l'activité opérationnelle des forces, parce qu'elle conditionne leur niveau d'entraînement, et donc leur disponibilité.
Au prix d'un effort d'économie qui portera sur les états-majors et les services centraux du ministère, les activités des armées, c'est-à-dire les 100 jours d'entraînement annuels de l’armée de terre, les 100 jours à la mer de la marine et les 180 heures de vol des pilotes de l'armée de l'air, devraient donc être maintenues en 1996.
Tels sont les commentaires que je pouvais faire sur le titre III du projet de budget pour 1996 que j'ai l'honneur de vous présenter.
J'en viens maintenant au budget d'équipement de mon ministère, c'est-à-dire au titre V.
Vous en connaissez le montant. En termes de moyens disponibles, il atteint 94,9 milliards de francs, constitués de 88,9 milliards de francs de crédits budgétaires, de 5,2 milliards de francs de crédits de report et de 800 millions de francs de fonds de concours.
À la différence du titre Ill, ce titre s'inscrit clairement en baisse par rapport au budget initial de 1995 : il diminue de 7,8 %. Surtout, il est en retrait de 10,7 milliards de francs par rapport au montant de la deuxième annuité de la loi de programmation.
La contribution que les armées apporteront, l'année prochaine, à la réduction des déficits publics aura naturellement des répercussions sur le rythme de réalisation de nombreux équipements.
Certains s'interrogent : n'aurait-il pas mieux valu décider l'arrêt immédiat et définitif d'un ou deux des très grands programmes d'équipement de nos forces aérienne, maritimes ou terrestre ? Plusieurs d'entre vous m'ont interpellé à ce sujet.
Pouvions-nous, pouvons-nous prendre une décision aussi lourde de conséquences opérationnelles, mais aussi industrielles, en un délai aussi bref et sans que le Président de la République ait précisé les grandes orientations, sans que la représentation nationale ait eu à en débattre ? Je ne le pense pas.
Je sais bien que, sur ce point, les avis sont partagés. Je sais bien qu'ici ou là des voix s'élèvent pour suggérer au gouvernement d'abandonner tel ou tel programme.
À ceux-là je répète que, compte tenu des travaux qui sont menés actuellement, compte tenu du calendrier que je vous ai exposé et qui est déjà très serré, je n'ai pas voulu prendre à la va-vite, presque à la sauvette, des orientations aussi importantes avant que nous disposions collectivement d'une vue claire des perspectives qui s'offrent à notre appareil de défense.
La programmation, la planification future méritent mieux qu'une décision subreptice, prise au passage d'une ligne budgétaire.
Chacun d'entre nous perçoit bien qu'en matière de défense tout est lié. Du devenir de la conscription dépend le format des armées, lequel implique un certain niveau d'équipement, qui conditionne à son tour les commandes qui seront passées à notre industrie nationale.
Pourquoi ne pas le dire ? J'ai décidé de ne pas anticiper sur les conclusions auxquelles je parviendrai au terme des études et expertises ordonnées et de ne pas hypothéquer les choix futurs par des décisions précipitées. J’ai donc eu recours à une technique, malheureusement éprouvée au sein de ce ministère, consistant à décaler certains programmes sans en annuler aucun.
Je sais, nous savons tous qu'à terme cette méthode se révèle coûteuse pour le budget de l'État si aucune décision stratégique n'est jamais prise. Mais je prends un engagement devant vous, Mesdames, Messieurs les sénateurs : je ferai tout ce qui est en mon pouvoir - je dis bien tout - pour que ce soit le dernier exercice où l'on ait recours à pareille procédure: Cela va exiger de réconcilier le fait et le droit, la réalité budgétaire et la réalité financière ; nous aurons des débats sans doute rudes, voire durs, car il faudra faire de choix qui auront des conséquences, qu’elles soient financières, industrielles ou techniques, dans un certain nombre de régions.
Mais c’est précisément, vous le savez bien, Mesdames, Messieurs les sénateurs, pour permettre aux pouvoirs publics de se préparer à faire de vrais choix que j’ai retenu cette orientation.
Nombre de programmes connaîtront donc, l’année prochaine, un moratoire. Les phases en cours, qu’il s’agisse des phases de faisabilité, de définition ou de développement, seront naturellement achevées, mais le passage à la phase suivante ne sera décidé qu’au cours de l’année 1996, lorsque nous y verrons plus clair, c’est-à-dire lorsque la loi programmation sera votée.
Pour les programmes en coopération, auxquels je sais certains d’entre vous à juste titre très attachés – je pense notamment à M. Maurice Blin –, les conditions de ce moratoire seront définies en étroite liaison avec nos partenaires européens.
Par ailleurs, bien qu’il ne soit pas conforme en termes financiers à la programmation, le projet de budget pour 1996 en respecte cependant les principales orientations, qu’il s’agisse de la permanence de la discussion nucléaire, de la priorité donnée à notre politique spatiale ou du renforcement des autres capacités sur lesquelles le Livre blanc a mis l’accent.
Sur ces trois points, le très remarquable rapport écrit de M. Jean Faure, rapporteur pour avis de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour les crédits affectés au nucléaire, à l'espace et aux services communs apporte toutes les précisions nécessaires. Je me contenterai donc de les évoquer brièvement.
S'agissant, d'abord, de notre force de dissuasion, les crédits qui lui seront consacrés s'élèveront, l'année prochaine, à 20,5 milliards de francs. Sa part dans le titre V restera donc voisine de 21 %.
Conformément aux orientation retenues dans le Livre blanc, le renouvellement de nos forces nucléaires sera poursuivi, sur la base des décisions qui seront prises par le Président de la République, afin de les maintenir – et je pèse mes mots – au niveau de suffisance indispensable pour assurer, quelles que soient les évolutions géostratégiques, la protection des intérêts vitaux de notre pays.
Les analyses des résultats du quatrième essai nucléaire ont prouvé que celui-ci avait, comme les trois précédents, permis d'obtenir toutes les données scientifiques et techniques attendues.
Dans ces conditions, l'ultime série d'essais nucléaires français devrait être achevée avant la fin du mois de février 1996, bien avant la date initialement annoncée du 31 mai 1996.
La France, vous le savez, a été la première à proposer « l’option zéro » pour le traité d'interdiction des essais nucléaires. Elle sera ainsi, dès le début du mois de mars prochain, en position de force pour plaider en faveur d'une conclusion rapide de la négociation.
Le projet de budget de la défense pour 1996 est donc conforme à notre politique nucléaire et permettra à notre pays de continuer à financer sa force de dissuasion.
Ce projet de budget confirme par ailleurs le caractère prioritaire de notre politique spatiale. J'ai eu l'occasion de dire devant votre commission des affaires étrangères combien le ministère de la défense était attaché à son développement dynamique.
Ramené à 3,6 milliards de francs après les arrêtés d'annulation de juin et de novembre 1995, le budget spatial militaire devrait s'élever à 4,6 milliards de francs en 1996. Il enregistre donc une progression de près de 28 %.
Ce niveau de ressources autorisera la poursuite de tous les programmes en cours : Hélios I bien sûr, dont le premier satellite a été lancé avec succès au cours de l’été, Hélios II, Osiris – devenu Horus –, et Syracuse II.
S'agissant d'Hélios II, je crois pouvoir vous indiquer que la décision de participation que nous attendons, depuis plusieurs mois, de la part de notre partenaire allemand, devrait intervenir avant la fin de cette année.
La loi de programmation militaire pour les années 1995-2000 met en outre l'accent sur l'importance des équipements permettant de prévenir et de contenir les cris, sur le renforcement des moyens de renseignement et sur le développement de la mobilité stratégique de nos forces.
Les arbitrages rendus à l'occasion de la préparation du projet de budget de la défense pour 1996 ont préservé ces choix et ces capacités.
Ainsi en va-t-il, par exemple, du programme de missile de croisière à longue portée et de grande précision, désormais dénommé Scalp, qui devrait entrer dans sa phase de développement dans le courant de l'année prochaine.
Voilà, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire sur le titre V.
Pour achever ce propos, je voudrais évoquer devant votre assemblée les conséquences des choix que feront les pouvoirs publics dans les mois qui viennent et, plus encore, la méthode que je compte mettre en œuvre pour les accompagner.
Notre objectif, vous le savez, est de réussir à moderniser notre outil de défense tout en en réduisant le coût.
Aucun d'entre vous ne l'ignore : malgré tous les efforts que nous ferons pour en limiter l'ampleur, les mesures que nous serons conduits à prendre se traduiront par une nouvelle réduction du format des armées et une diminution du montant des commandes qui seront passées à notre industrie.
Je pourrais vous dire qu'au fond la seule chose qui importe est que la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population soient assurées en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression. En cela, mes propos seraient conformes à ce que prescrit l'article 1er de l'ordonnance organique du 7 janvier 1959.
Mais, en tant que ministre de la défense, je n'aurais garde d'oublier que j'ai la charge d'une communauté d'hommes, que j'exerce la tutelle d'une industrie de défense, que je partage le souci de l'aménagement du territoire national.
J'ai tout d'abord la charge d'une communauté d'homme et de femmes qui va au-delà des 600 000 militaires d'active, appelés et civils donc les emplois sont inscrits au budget de la défense, qui s'étend aux 612 000 titulaires d'une pension et englobe même les 2 900 000 personnes qui vivent dans une famille liée à la défense.
De plus, j'exerce la tutelle d'une industrie qui est née de la volonté d'indépendance de notre pays et, qui emploie directement ou indirectement 300 000 salariés au sein de très grands groupes, mais aussi d'un réseau de plus de 5 000 petites et moyennes entreprises qui constituent un élément essentiel du tissu industriel des régions dans lesquelles elles sont implantées.
Que ce soit au travers de la gendarmerie, que j'évoquerai tout à l'heure, ou des établissements militaires et industriels qui ont une activité de défense, je suis concerné par les conséquences des décisions qui seront soumises à la représentation nationale, tant en matière d'emploi que d'aménagement du territoire.
Je voudrais donc vous exposer, à vous qui êtes plus concernés que quiconque, en tant qu’élus locaux, les grandes lignes de la méthode que je compte mettre en œuvre pour accompagner l’adaptation de notre appareil de défense.
En effet, il est essentiel d'évaluer les conséquences locales des décisions telles que les dissolutions d'unités, la réduction des plans de charge de tel ou tel établissement consécutive à l’annulation ou à la baisse de crédits d'équipement, les effets, sur tel ou tel bassin d'emploi, des restructurations de l'industrie de défense.
En ce qui concerne les garnisons militaires, comment peut-on ignorer l'attachement des populations à « leurs » militaires, les contraintes liées à un déménagement, en termes d'emploi, de logement, de scolarité, pour les familles ? C'est pourquoi - et je le dis tout à fait solennellement – tout est mis en œuvre pour atténuer l’impact des dissolutions ou des transferts d’unités, étant entendu qu’elles sont indispensables dans l’intérêt de la défense.
Cela ne peut se faire par des « compensations » puisque, ce sont précisément la contrainte budgétaire et la réduction des effectifs qui nous obligent à prendre de telles décisions mais cela peut se traduire – je le confirme – par des mesures d’accompagnement, que je m’efforcerai toujours de mettre en œuvre.
Vous le savez, dès mon arrivée à l’hôtel de Brienne, j’ai fait l’expérience de ces décisions douloureuses. Dès le mois de septembre en effet, il m’a fallu désigner les unités et les établissements des armées qui devaient être transférés ou dissous pour tenir compte des réductions d’effectifs de ces deux dernières années et de celles qui sont inscrites dans le projet de budget qui vous est présenté.
À cet égard, j’ai beaucoup de mal à croire qu’on puisse, en d’autres lieux, me reprocher d’avoir pris certaines de ces dispositions au motif qu’elles seraient excessivement coûteuses, voire inutiles – je pense au départ du RICM de Vannes.
Et puisque j’évoque le Morbihan, je tiens à saluer l’attitude constructive des parlementaires de ce département, en particulier de MM. Marcellin et de Rohan, ainsi que de MM. Christian Bonnet et Henri Le Breton. Ils m’ont aidé à expliquer les décisions prises et à définir, en ce qui concerne Lorient, les mesures susceptibles d’atténuer le retard annoncé dans l’exécution du programme des frégates Lafayette.
Les restructurations des industries de défense, en cours ou à venir, me préoccupent également, vous le comprendrez évidemment. Là non plus, je ne me désintéresserai pas des conditions dans lesquelles se font et se feront les adaptations d'effectifs, voire, dans certains cas, les fermetures de sites.
À travers le plan d'accompagnement économique et social que j'ai annoncé voilà quelques semaines et que mon ministère est en train d'élaborer en liaison avec les industriels et les autres administrations, je souhaite pouvoir honorer deux engagements du gouvernement, qui peuvent, a priori, sembler contradictoires : tout d'abord, aider l'industrie de défense à se restructurer et, ensuite, préserver l'emploi.
Il s'agit là d'un vrai défi. J'en ai conscience, et je le relève avec d’autant plus de détermination que je sais pouvoir compter sur les collectivités territoriales et leurs élus pour m’aider à atteindre ce double objectif, dans le cadre de relations contractuelles qui prendront la forme de conventions telles que celles qui vont être signées dans les prochaines semaines entre l’État et deux régions, parmi lesquelles figure la région Aquitaine, la région de M. Jacques Valade.
Je suis tout disposé, si vous le souhaitez, à vous apporter tout à l'heure, plus d'informations sur la préparation de ce plan et sur le calendrier que s'est fixé le gouvernement.
Mesdames, Messieurs les sénateurs, n'oublions jamais que la cohésion des Français est une des conditions premières de la sécurité nationale, de la défense nationale.
Dans une démocratie, le premier point d'ancrage, c'est le sentiment d'appartenance à la nation, c'est la volonté de se battre pour des valeurs partagées, c’est, pour reprendre l'expression de Renan et du philosophe Ricœur ce « goût de vivre ensemble ».
Contre toute déstabilisation intérieure, contre toute agression extérieure, la première arme, la seule arme même est le civisme.
C’est en tenant compte de cette dimension que l’on pourra, demain, mener l’adaptation en profondeur de notre outil de défense. Il faut donc, d’une part, poursuivre la modernisation de la gendarmerie et, d’autre part, engager la redéfinition du service national.
Oui, vous le savez, dans nos campagnes, dans nos villes, la gendarmerie nationale participe par excellence au renforcement et à la garantie de la cohésion sociale.
D’abord, elle lutte efficacement contre l'insécurité, fermement de désintégration sociale et de désespérance politique. Je tiens d’ailleurs à souligner que, dans le cadre du plan Vigipirate, qui a mobilisé depuis trois mois plus de 20 000 militaires, les zones dont la gendarmerie assure la surveillance ont connu une baisse de 14 % des crimes et délits. Oui, dans ces zones, les crimes et délits ont diminué de 14 %.
À l’inverse des autres armées, la gendarmerie verra, l’année prochaine, ses effectifs augmenter et son budget croître de 3,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1995.
Force de sécurité, la gendarmerie est également une force de proximité. Présente partout, avec 4 800 implantations, constamment disponible, elle assure l’indispensable maillage territorial qui est l’une des conditions de l’unité nationale.
Les réformes en profondeur que je compte mettre en œuvre dès 1996 et poursuivre dans le cadre de la loi de programmation seront réalisées sans porter atteinte à ce grand atout, auquel nous sommes tous attachés.
Force de proximité, force de sécurité, la gendarmerie est aussi une force d'intégration.
Au contact des nouvelles réalités urbaines, dans les quartiers déstructurés par le chômage et la délinquance, la gendarmerie constitue à la fois un pôle de confiance, un repère de légalité et une instance de médiation. C’est pourquoi j'ai la volonté de renforcer son rôle de partenaire à part entière de la politique de la ville.
Mesdames, Messieurs les sénateurs, je ne saurais aborder la question de la cohésion sociale sans évoquer l'état de mes réflexions sur le service national.
Plus que toute autre institution, et juste après l'école, le service militaire est perçu comme une initiation civique et un creuset républicain.
Qui peut nier, Mesdames, Messieurs les sénateurs, l'utilité d'un impôt de l'effort et du temps pour lutter contre l'individualisme, le corporatisme et le scepticisme, qui trop souvent envahissent notre société ?
Chacun sait qu'à l'état de droit correspond naturellement une communauté de devoirs.
Il est essentiel de mener, au sein de la jeunesse, une entreprise de réarmement civique, condition préalable pour rendre le pays solidaire face aux nouveaux dangers.
Cette dimension est au centre des réflexions que mène le comité stratégique sur l'avenir du service national. Elle est au cœur des préoccupations tant du Président de la République que du Premier ministre et de moi-même.
Soyez assurés, Mesdames, Messieurs les sénateurs, que quelle que soit l'option retenue, le service national sera conservé comme lieu de cohésion sociale.
À quelques jours de la signature du traité de Paris, je ne saurais conclure sans évoquer une actualité faite, une fois n'est pas coutume, d'une petite flamme d'espérance : je veux parler, bien sûr, de la Bosnie.
Nous ne pouvons que nous féliciter de voir aboutir des efforts diplomatiques et militaires auxquels la France a pris, chacun d'entre vous le sait, plus que sa part.
La phrase qui s’ouvre aujourd’hui est une phase d’espoirs, mais aussi d’incertitudes. Des obstacles demeurent sur le chemin qui mène à la Bosnie-Herzégovine unie, pluriculturelle, démocratique, et avant tout pacifiée, que nous appelons de nos vœux.
Sur le terrain, la France s’est consacrée sans réserve à la mise en œuvre de cette paix. Elle continuera ce travail de fond et de longue haleine qui permettra aux communautés vivant dans ce pays déchiré de réapprendre à vivre ensemble.
La France veillera au respect scrupuleux – j’insiste sur ce qualificatif – des dispositions des accords de Dayton, qui seront officialisées et précisées dans le plan signé à Paris.
Pour ce qui nous concerne, nous n’aurons pas le sentiment du devoir accompli tant que nous ne disposerons pas d’informations certaines sur nos deux pilotes, tant que nos deux pilotes, n’auront pas été libérés. Leur sort constitue une priorité pour le gouvernement, une préoccupation quotidienne pour le Président de la République, le Premier ministre et moi-même. De multiples démarches, officielles et officieuses, ont été effectuées auprès des autorités de Belgrade et de la République autoproclamée de Pale. Certaines sont en cours. Si elles n’aboutissent pas, les autorités serbes, je le dis très clairement, auront à s’en repentir.
M. Alain Vasselle : Très bien !
M. Charles Millon, ministre de la défense : Nous serons amenés à prendre des dispositions relatives au déroulement du processus diplomatique.
Dans cette situation difficile, je tiens à rendre hommage au courage et à la dignité des familles des pilotes.
Je souhaite également témoigner mon respect, mon affection et mon admiration aux familles des cinquante-cinq militaires français qui sont tombés en Bosnie pour la paix, pour la dignité de l'homme, pour l'honneur de la France.
La douleur n'est jamais plus cruelle que lorsqu'elle s'accompagne d'un sentiment d'inutilité, voire d'absurdité. Or, aujourd'hui, la paix qui vient d'être conclue montre que le sacrifice de ces jeunes Français n'aura pas été vain.
Le plus bel hommage que nous puissions leur rendre, c’est de tout mettre en œuvre pour conforter ces accords fragiles, pour faire en sorte que leur dynamique dépasse la crainte, la méfiance ou le scepticisme et que s’éveillent, dans l’âme de communautés meurtries par trop de souffrances et d’atrocités, les ressources de la vie, de la réconciliation et de la paix.
N'oublions jamais, Mesdames, Messieurs les sénateurs, que si le processus Je paix a été engagé, c'est le résultat de la détermination du Président de la République française.
N'oublions jamais que si, demain, un traité de paix est signé à Paris, c'est le résultat de son refus de voir humilier des soldats, de sa consigne de riposte donnée aux militaires français, de sa volonté de créer la force de réaction rapide.
N’oublions jamais que la France, parce qu’elle est plus que tout autre pays attachée au respect des droits de l’homme et à la souveraineté des nations, s’est engagée dès 1992 en Bosnie pour lutter contre la purification ethnique et l’intolérable fanatisme.
N'oublions jamais que la France, par idéal de liberté et de dignité, a donné cinquante-cinq de ses enfants et voit six cents de ses soldats handicapés, marqués dans leur chair.
N'oublions jamais que si la France a pu ainsi peser sur le cours de l'histoire, c'est parce qu'elle est une grande puissance et qu'elle en possède tous les attributs.
N'oublions jamais que les générations futures nous jugeront davantage sur notre détermination à leur transmettre intact l'idéal français que sur notre seule capacité à leur garantir le confort matériel.
Voilà le sens de notre action. Voilà les raisons de l’effort de réforme que nous engageons et auquel je vous demande de vous associer. C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous demander d’approuver ce projet de budget pour 1996. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
Date : 8 novembre 1995
Allocution à l’Assemblée nationale
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais, comme c'est l'usage, dire ma gratitude à tous ceux qui, ce soir, ont pris part à la discussion du projet de budget que j'ai l'honneur de vous présenter. J'ai bien noté les intentions de vote exprimées par les rapporteurs pour avis, par le président de la commission de la défense et par les orateurs appartenant à la majorité, et je les en remercie. J'ai également été attentif à la crainte, au doute ou à la résignation qui percent à travers certains des propos qui ont été tenus. Ce projet de budget, je le sais, laisse à nombre d'entre vous un goût d'insatisfaction.
Insatisfaction parce que, pas plus que celui qui s'exécute en ce moment, ce budget ne respecte la loi de programmation militaire que nous avons votée en juin 1994. Insatisfaction aussi parce qu'il ne comporte pas encore l'annonce des grandes réformes que nous savons inéluctables. Je comprends que la décision du Président de la République et du gouvernement de renoncer à appliquer l'actuelle programmation ait suscité, au moins dans un premier temps, une déception dans vos rangs et notamment au sein de la commission de la défense, que l'on sait très attachée au devenir de notre outil militaire.
« Le monde a-t-il à ce point changé » qu'il faille revoir ce qui a été arrêté l'année dernière ? À cette question, je voudrais apporter une réponse simple. Non, « le monde n'a pas fondamentalement changé ». Ce qui a changé, c'est que nous ne sommes plus en période de cohabitation et que nous pouvons – et que nous devons – effectuer maintenant les choix qui ont été différés. Ce qui a changé, c'est que l'évolution de notre situation budgétaire ne nous permet pas de consacrer à notre défense les ressources budgétaires qui ont été programmées :
- l'intention du chef de l'État est très claire : il entend trancher – et il a commencé à le faire – les questions que le Livre blanc de février 1994 ne pouvait pas résoudre dans le contexte institutionnel dans lequel il a été rédigé. Ces questions, vous les connaissez, elles concernent essentiellement les modalités de la modernisation de notre force de dissuasion, l'adaptation des forces classiques et le nouveau modèle des armées, le degré de leur professionnalisation, l'avenir du service national et la restructuration de notre industrie de défense. J'y reviendrai tout à l'heure.
Le simple énoncé de ces chantiers, qui sont là, ouverts devant nous, et qui sont déterminants pour l'avenir de notre appareil de défense, montre l'ampleur de la tâche qui nous attend. Pour autant, cela ne signifie pas que le Livre blanc ait perdu toute signification, bien au contraire. Il y a là un travail de réflexion et de prospective tout à fait remarquable qui sert de référence aux travaux que nous avons entrepris.
- seconde modification majeure de notre environnement : la contrainte financière. Lors du débat qui a précédé l'adoption de la loi et, plus encore, lors du vote du budget de 1995 qui constituait sa première annuité, le président de votre commission de la défense avait déjà émis des doutes sur la pérennité de cette programmation.
« Nous avons la certitude, disait le président Boyon, que le budget pour 1996 sera particulièrement difficile à boucler ». Quant à Arthur Paecht, il déclarait encore plus crûment : « je crains que cela ne relève de la gageure et ce problème me paraît, je dois le dire, sans solution ».
Dès avant l'été 1995, les faits, au demeurant, n'avait pas tardé à leur donner raison puisque, l'année même du vote de la loi, c’est-à-dire en 1994, le budget d'équipement de la défense a été réduit de plus de 5 milliards de francs par la pratique des gels de crédits.
De la même façon, la première annuité de cette loi - celle de 1995 - a été marquée, dès le mois de février et à l'initiative du précédent gouvernement, par un gel de plus de 7 milliards de francs. Depuis lors, la situation budgétaire de notre pays s'est sensiblement dégradée. L'érosion très marquée de nos recettes fiscales et la dérive de certaines dépenses ont ainsi conduit le gouvernement à demander aux administrations de l'État, comme d'ailleurs à chacune des composantes de notre collectivité nationale, de réaliser des économies.
La défense pouvait-elle rester en dehors de cet effort de solidarité ?
Était-il concevable de continuer à plaider pour un accroissement de nos dépenses militaires, notamment en matière d'équipement, alors que la plupart des budgets civils enregistrent aujourd'hui des diminutions significatives ? Était-il concevable de continuer à prôner un accroissement de l'effort de défense de notre pays, alors que, depuis cinq ans, nos principaux partenaires (les États-Unis, le Royaume Uni, l'Allemagne, le Canada...) ont très fortement réduit le leur ?
Fallait-il maintenir plus longtemps la fiction d'une loi de programmation, déjà mise à mal, en recourant aux « biais de présentation » qui ont été dénoncés, l'année dernière, à cette tribune ? Qui ne voit les effets pervers d'une loi que l'on ne respecte qu'en jouant sur les reports et sur les fonds de concours, qui est minée par des prélèvements ou des « taxations » destinés à d'autres budgets, et qui, au surplus, freine la nécessaire restructuration de notre industrie par le vague espoir qu'elle entretient ?
Vous connaissez la réponse du gouvernement et je remercie ceux d'entre vous qui ont bien voulu la qualifier de courageuse. Pour ma part, j'assume l'entière responsabilité de cette décision, qui s'inscrit dans le droit fil de la politique de maîtrise de nos dépenses publiques dont le Président de la République vient de souligner le caractère prioritaire. À ceux d'entre vous (il est vrai peu nombreux), qui ont regretté que le projet de budget qui nous occupe ne comporte pas de « vrais choix », je répondrai, d'autre part, que, sur le fond, le gouvernement aurait été bien mal inspiré de trancher à la va-vite des questions aussi fondamentales. Cela aurait été, de surcroît, strictement impossible dans les délais de préparation de ce budget.
Le budget de la défense pour 1996 se caractérise essentiellement par la sincérité et le souci de préserver l'avenir.
J'ajoute que la démarche retenue par le gouvernement a le mérite d'être d'une parfaite « lisibilité », comme on dit aujourd'hui.
En effet, j'ai mis en place dès le mois de juillet, comme vous le savez, un comité stratégique composé des principaux responsables civils et militaires du ministère, du secrétariat général de la défense nationale et de membres des cabinets du Président de la République et du Premier ministre. Sur la base des réflexions de cinq groupes de travail associant les services de la défense à des personnalités qualifiées dans les domaines économique et industriel, ce comité a été chargé de faire des propositions au gouvernement. Une fois discutées et validées, ces propositions ont été, sont et seront soumises à différents conseils de défense qui proposeront au Président de la République des orientations fondamentales. Celles-ci seront ensuite traduites dans une planification, puis dans un projet de loi de programmation qui sera déposé sur le bureau de votre assemblée avant la fin du printemps prochain.
Un mot de l'exercice de planification pour vous dire que le gouvernement entend ainsi combler une lacune. Entre le Livre blanc et la nouvelle programmation, il y a en effet place, comme l'a fort justement indiqué Arthur Paecht, pour une planification, c'est-à-dire pour la définition de modèles d'armées à l'horizon d'une quinzaine d'années. Ce document de référence, qui fixera les grandes missions de nos forces, indiquera leurs priorités opérationnelles ainsi que les moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs, sera donc élaboré l'année prochaine.
Le Parlement sera-t-il, ensuite, de nouveau « placé devant le fait accompli », comme certains en ont exprimé la crainte ? Je m'emploierai, pour ce qui me concerne, à faire en sorte que cela ne soit pas le cas :
- j'ai indiqué aux membres de votre commission de la défense que, moi-même ou le secrétaire du comité stratégique, étions prêts à venir leur faire régulièrement le point de l'état d'avancement des travaux. Ce sera d'ailleurs fait prochainement ;
- je souhaite, en outre, qu'un débat d'orientation ait lieu dans cette enceinte en mars prochain pour recueillir l'avis de votre assemblée avant que le projet de loi ne soit rédigé et soumis à l'agrément du gouvernement ;
- je ne vois pas quelle autre méthode serait plus efficace pour concilier l'initiative gouvernementale, essentielle dans ce domaine, et le souci légitime d'associer le plus en amont la représentation nationale à la mise en forme de ce texte.
Avant d'en venir au détail du projet de budget que je vous présente aujourd'hui, je voudrais évoquer la nouvelle loi de programmation militaire qui traduira, pour les six ans à venir, les orientations qui seront arrêtées par le chef de l'État pour la durée de son mandat, parce qu'elle a fait l'objet de nombreuses observations contradictoires.
Fallait-il mettre en chantier une nouvelle programmation, et si oui, quand fallait-il le faire ?
Sur ces deux points, je voudrais vous apporter les réponses suivantes :
Je suis convaincu qu'il nous faut continuer à programmer les dépenses militaires, et je dirai même que, dans les circonstances actuelles, celle programmation est plus que jamais nécessaire.
C'est l'intérêt des armées qui ont besoin de savoir quelle sera l'évolution de leurs effectifs et de quels moyens elles pourront disposer pour assurer le renouvellement de leurs équipements.
C'est l'intérêt de notre industrie d'armement qui ne pourra s'adapter à la concurrence internationale que si elle a une claire vision de ce que seront les commandes de l'État à moyen terme.
C'est l'intérêt des pouvoirs publics qui doivent s'accorder pour fixer le niveau de l'effort que la Nation consacrera à sa défense.
Plus généralement, c'est l'intérêt de tous nos concitoyens parce que c'est l'occasion de débattre des moyens dont notre pays doit se doter pour faire face aux menaces qui pèsent sur sa sécurité.
Je sais que les programmations n'ont pas été intégralement respectées. Je sais mieux que quiconque ce qu'il en coûte de devoir renoncer à les appliquer, fût-ce pour réduire le déficit des finances publiques. Mais je suis convaincu, à condition qu'elle soit compatible avec les capacités financières de l'État, que mieux vaut une programmation que pas de programmation du tout. Si j'en crois ce que nous venons d'entendre, c'est une conviction qui est largement partagée dans cet hémicycle.
En réponse à plusieurs orateurs qui ont exprimé des points de vue à vrai dire difficilement conciliables, je tiens à souligner que le calendrier retenu par le gouvernement pour la mise au point de cette nouvelle programmation est réaliste. Je ne vois d'ailleurs pas comment il eût pu être différent.
René Galy-Dejean propose « d'inverser le processus actuel » et prône le vote, dès le début de l'année 1996, « d'une loi d'orientation militaire » dont l'objectif essentiel serait d'annoncer une série de réductions de dépenses sur la base de décalages ou d'abandons de programmes tels que le NH 90, le porte-avions nucléaire n° 2 ou le Rafale air.
Je vous répondrai, Monsieur le député, que nous ne pouvons pas prendre des décisions aussi lourdes dans la précipitation, sans avoir une vision globale de l'évolution de notre appareil de défense. Vous l'avez dit vous-même, nous sommes « à la croisée des chemins », à la veille de bouleversements que vous n'hésitez pas à comparer à la fin de la guerre d'Algérie. Une telle situation ne mérite-t-elle pas que nous prenions le temps d'en mesurer sereinement toutes les implications ?
J'ajoute, Monsieur le député, que votre analyse, dont les grandes lignes m'apparaissent courageuses et assez convaincantes, repose sur une estimation du niveau du budget d'équipement des armées que je ne puis cautionner. Comme c'est la règle dans ce genre d'exercice, les états-majors examinent en effet, à ma demande, les conséquences de plusieurs hypothèses de ressources, mais rien ne permet de dire aujourd'hui que c'est précisément celle sur laquelle vous avez construit votre argumentation qui sera retenue par le Président de la République et le gouvernement.
Au président Boyon, qui a indiqué, il y a quelques jours, à la presse « qu'il n'était pas du tout sûr qu'il y aurait une loi de programmation au printemps », je rappellerai que l'engagement du gouvernement porte sur le dépôt d'un projet de loi avant la fin du printemps. Avant la fin du printemps, c'est-à-dire à temps pour servir de référence au projet de budget qui sera mis au point au cours de l'été. Ce qui ne veut pas dire que nous ne ferons pas tout pour aller plus vite. Car au fond, ce qui nous importe, c'est que le budget de 1997 ne soit pas, pour reprendre l'expression du président de la commission de la défense, un « budget de transition ». Nous voulons qu'il mette un terme à une période d'incertitude qui ne peut qu'exposer notre appareil de défense à des soubresauts incompatibles avec ses missions.
C'est pour cette raison aussi que je ne puis non plus me ranger à la proposition d'Arthur Paecht d'une loi de programme qui ne serait votée qu'au printemps 1997.
J'ajoute que, si je comprends bien le souci qui l'anime, je ne souscris pas davantage à son idée de ne programmer qu'une partie seulement du titre V de la défense. L'équipement des armées est un tout que l'on ne peut dissocier qu'au risque de voir ce qui n'aura pas été programmé diminuer, mois après mois, année après année. À quoi bon, dans ces conditions, disposer de chars LECLERC si l'on ne commande pas, en même temps, leurs munitions et si l'on ne peut ni les transporter, ni les entretenir ?
Je le réaffirme donc : nous avons besoin d'une nouvelle programmation dont la première annuité sera 1997.
Dans cette perspective, le projet de budget, que les orateurs qui se sont succédé à cette tribune ont déjà abondamment commenté, a pour caractéristique essentielle, je vous l'ai dit, de préserver l'avenir.
Je rappelle les chiffres, en convenant avec vous qu'il est parfois difficile de s'y retrouver, mais en notant aussi que cette complexité vaut pour l'ensemble du budget, qui se compare au budget rectifié de 1995, et qu'elle est en partie liée à la notion de crédits disponibles qui découle de la loi de programmation. Pensions comprises (51,9 milliards de francs), ce projet s'élève à 241,4 milliards. Rapporté au budget de 1995 (243,5 milliards), il enregistre une diminution de 0,8 %. Hors pensions, il s'établit à 189,6 milliards en termes de crédits budgétaires et à 195,6 milliards en termes de crédits disponibles. Toujours en termes de crédits disponibles, il est donc en retrait de 3,3 % par rapport au budget initial de 1995.
Les crédits du titre III du ministère de la défense s'élèveront, quant à eux, l'année prochaine à 100,7 milliards de francs, ce qui, par rapport à 1995, représente une progression de 1,3 % en francs courants et une diminution de 0,8 % en francs constants.
Cette évolution a une double origine. En très légère augmentation en francs courants, les crédits de fonctionnement du ministère traduisent le souci du gouvernement de ne pas réduire les activités opérationnelles des armées, tout en les associant à l'effort d'économie supporté par toutes les administrations de l'État. Mais, pour l'essentiel, c'est la croissance des dotations affectées aux rémunérations et aux charges sociales qui explique cette situation. À la suite des hausses concernant l'ensemble de la fonction publique intervenues au cours de l'année 1995, elles progressent en effet de 1,5 %, toujours en francs courants.
Certains, à cette tribune, ont regretté cette relative stabilité du titre III des armées et estimé que les efforts demandés à la défense devraient être plus équitablement répartis entre le fonctionnement et l'équipement des forces. À ceux-là, je répondrai que je ne demande pas mieux ! Mais je suis obligé de tenir compte d'un certain nombre de réalités.
La réalité, c'est que 75 des 100 milliards de francs du titre III financent les traitements des 600 000 personnes, y compris les appelés, qui travaillent au sein du ministère de la défense. La réalité, c'est que les hausses déjà décidées des rémunérations de la fonction publique coûteront, en année pleine, plus de 850 millions de francs à la défense, alors que les suppressions d'emplois ne lui en rapporteront que 250. Au passage, Je vous rappelle que les armées supporteront, en 1996, 80 % (je dis bien 80 %) des suppressions d'emplois de l'ensemble des administrations de l'État. La réalité, c'est aussi, qu'au cours des dix dernières années, les crédits de fonctionnement du ministère ont diminué de 21 % en francs constants. La réalité, c'est, enfin, que les crédits nécessaires au financement des opérations extérieures, qui ne figurent pas dans son budget initial, ne lui sont que très inégalement remboursés en cours d'année.
Dans ces conditions et alors que, comme l'a justement souligné Pierre Favre dans un de ses rapports, les intérêts moratoires ne cessent d'augmenter au titre III des armées, comment peut-on sérieusement concevoir qu'il constitue un « gisement d'économie » ?
D'autres, à cette même tribune, ont au contraire regretté que le budget de 1996 n'ait pas été l'occasion de remettre à niveau un certain nombre de dotations. À ceux-là, je dirai, que, dans le contexte actuel, le moindre mérite du projet qui vous est présenté n'est pas de permettre au ministère de consolider la politique globale concernant toutes les catégories de personnel de la défense mise en place il y a deux ans, et cela tout en maintenant le niveau de l'activité opérationnelle des forces.
Consolider cette politique globale, c'est d'abord continuer à créer des emplois dans les domaines que le Livre blanc a considérés comme prioritaires. En 1996, 401 emplois nouveaux viendront ainsi renforcer les efforts déjà engagés en faveur de la projection de nos forces, de l'encadrement des unités, du renseignement et de la sécurité publique.
Consolider cette politique, c'est également dégager les moyens nécessaires pour améliorer la condition des personnels civils et militaires du ministère. D'un montant équivalent à celui de cette année (418 millions de francs), ils permettront notamment d'engager la dernière tranche du plan DURAFOUR, de poursuivre le plan d'amélioration de la condition ouvrière et d'assurer le financement de la première tranche d'un plan pluriannuel de revalorisation de la gendarmerie, qui est en cours d'élaboration.
Consolider cette politique, c'est enfin prolonger les actions qui ont été lancées pour valoriser le service militaire. 32 millions de francs y seront consacrés, l'année prochaine, et l'accent sera mis sur les mesures susceptibles d'aider les jeunes appelés à trouver un emploi à l'issue de leur service national.
Maintenir l'activité opérationnelle des forces, qui conditionne leur niveau d'entraînement, et donc leur disponibilité, tel a été mon second souci en ce qui concerne le titre III. Au prix d'un effort d'économie qui portera sur les états-majors et les services centraux du ministère, les activités des armées (les 100 jours d'entraînement annuels de l'armée de terre, les 100 jours à la mer de la marine et les 180 heures de vol des pilotes de l'armée de l'air) devraient donc être maintenues, à moins que le Parlement ne décide de les réduire.
J'en viens maintenant au titre V. Vous connaissez son montant. En termes de moyens disponibles, il atteint 94,9 millions de francs, constitués de : - 88,9 milliards de francs de crédits budgétaires, - 5,2 milliards de francs de crédits de report, - 0,8 milliards de francs de fonds de concours.
Le budget d'équipement des armées s'inscrit clairement en baisse par rapport au budget initial de 1995 (- 7,8 %). Surtout, il est en retrait de 10,7 milliards de francs (- 10,1 %) par rapport au montant de la deuxième annuité de la loi de programmation.
Sur la lecture de ce budget, je tiens à dire que je partage l'opinion de nombreux intervenants. Le recours aux crédits de report et aux fonds de concours ne contribue à faciliter ni la gestion, ni le contrôle des dotations allouées au ministère, bien que les montants en cause me paraissent plus accessibles que ceux des années précédentes et que le principe de leur utilisation figure en toutes lettres dans la loi du 23 juin 1994. Je forme donc le vœu que la prochaine programmation ne retienne plus la notion de crédits disponibles.
De la même façon, et je rejoins sur ce point Jean-Michel Boucheron, je crois qu'il serait plus sain qu'à l'avenir les crédits destinés à financer des recherches duales soient clairement affectés au département ministériel qui en a l'utilisation, plutôt que de donner lieu, en cours d'année, à une négociation entre des administrations dont les vues ne sont pas nécessairement convergentes.
Et puisque j'évoque ces pistes de réforme, j'ajoute qu'il faudra bien, qu'un jour, figure au budget initial de la défense ou à celui des charges communes un minimum de crédits pour permettre aux armées de financer les surcoûts qui résultent pour elles de leur engagement dans des opérations extérieures. Ceci vaut pour les dépenses de titre V, comme pour celles qui sont imputées sur le titre III.
Je reviens au budget de 1996 pour vous dire que, s'ajoutant à celles déjà supportées par les armées en juillet dernier (- 8,4 milliards de francs) et à l'occasion de la préparation du prochain collectif, la nouvelle contribution qu'elles apporteront, l'année prochaine, à la réduction des déficits publics aura naturellement des répercussions, que les orateurs qui m'ont précédé ont bien analysées, sur la réalisation de nombreux équipements.
Les mesures qui ont été arrêtées au terme d'un examen approfondi de la situation de l'ensemble des programmes et après consultation du comité stratégique, répondent au double souci de limiter l'impact des économies demandées à la défense sur l'équipement des forces et de préserver la liberté de choix du pouvoir politique dans l'attente des décisions qui seront prises d'ici à la fin du printemps 1996.
Pour atténuer les conséquences directes de l'effort financier qui leur était demandé, les armées ont d'abord tenu compte des retards constatés ou prévisibles dans le déroulement des programmes d'armement. Elles ont par ailleurs accentué leurs efforts de rationalisation de la gestion de leurs dépenses d'équipement. Elles se sont enfin attachées à réduire certains éléments de leur train de vie. Pour le reste, le ministère s'est efforcé de respecter les grandes orientations de la loi de programmation et de ne pas préjuger les décisions qui seront prises dans les mois qui viennent par le Conseil de défense.
Comme l'ont souligné notamment les rapporteurs pour avis de la commission de la défense, nombre de programmes connaîtront donc, l'année prochaine, un moratoire. Les phases en cours (faisabilité, définition ou développement) seront achevées, mais le passage à la phase suivante ne sera décidé (dans des conditions à définir avec nos partenaires pour les programmes en coopération) qu'au cours de l'année 1996. C'est le cas, par exemple, de l'hélicoptère TIGRE, des missiles MICA et APACHE, de la famille de missiles sol-air futurs et des missiles antichar de troisième génération.
Bien que non conforme en termes financiers à la programmation, le projet de budget pour 1996 en respecte cependant les principales orientations, qu'il s'agisse de la permanence de la dissuasion nucléaire, de la priorité donnée à notre politique spatiale et du renforcement des autres capacités sur lesquelles le Livre blanc a mis l'accent.
Tous ces sujets ayant été longuement traités à cette tribune, je me contenterai d'insister devant vous sur la confirmation du caractère prioritaire de notre politique spatiale. Initialement doté de 4 919 millions de francs en 1995, le budget spatial militaire a été ramené à 4 095 millions après le collectif de juillet. En 1996, il devrait s'élever à 4 574 millions et donc progresser de 11, 7 % par rapport au budget de 1995 rectifié. Comme cela a été dit par Jean-Michel Boucheron, ce niveau de ressources autorise la poursuite de tous les programmes en cours : HELIOS 1 (dont le premier satellite a été lancé avec succès au cours de l'été), HELIOS 2, OSIRIS devenu HORUS, et SYRACUSE 2. S'agissant d'HELIOS 2, je crois pouvoir vous indiquer que la décision de participation que nous attendons, depuis plusieurs mois, de la part de notre partenaire allemand, devrait intervenir avant la fin de l'année.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ce que je voulais vous dire sur le titre V de mon ministère.
Plusieurs orateurs ont évoqué la préparation du prochain collectif et l'arrêté d'annulation dont le ministre de l’économie et des finances a annoncé la parution pour permettre le maintien du déficit budgétaire de l'exercice 1995 au niveau fixé par le gouvernement et le Parlement, c'est-à-dire 322 milliards de francs. J'y reviendrai en répondant à vos questions.
Après ces considérations strictement budgétaires, j'aimerais maintenant élargir ma réflexion à l'avenir de notre industrie d'armement. C'est en effet à une situation préoccupante que nous sommes confrontés, puisqu'il nous faut, à très court terme, accompagner sa profonde transformation en respectant deux contraintes contradictoires par certains aspects :
- notre pays doit conserver, pour garantir son indépendance, sa propre base industrielle et technologique ;
- l'État ne peut plus développer seul des programmes qui deviennent de plus en plus onéreux.
Aujourd'hui, notre industrie d'armement, la deuxième du monde occidental après celle des États-Unis, connaît une crise profonde. Elle trouve son origine, au-delà de la baisse des budgets, dans nos structures, notre organisation et nos méthodes d'acquisition. La structure de l'industrie de défense française a très peu évolué durant les quinze dernières années. Les groupes industriels ont généralement une taille qui, dans un contexte de réduction des dépenses publiques et d'accroissement des coûts, ne leur permettra plus d'affronter la concurrence.
En matière d'organisation et de méthodes d'acquisition, le modèle français a fait ses preuves et il ne s'agit pas de sous-estimer ses réussites technologiques. Mais aujourd'hui les coûts ont crû à tel point qu'il est désormais impossible, pour un pays comme le nôtre, de développer seul de nouveaux programmes d'une importance comparable à celle du Rafale.
Desserrer la contrainte financière exige l'accroissement de la compétitivité des entreprises et la définition de relations claires entre l'État et les industriels afin que chacun assume au mieux son rôle de gestionnaire. C'est l'objet de la réforme en cours sur la maîtrise des coûts des programmes d'armement. La notion de responsabilité doit être désormais au cœur des relations entre l'État et l'industrie.
En ce qui concerne l'État, la responsabilité de la maîtrise d'ouvrage des programmes doit être partagée entre les états-majors et la délégation générale pour l'armement. Mieux cerner le coût de chacune des décisions prises en la matière, de la plus importante à la plus anodine en apparence, constitue un véritable impératif. Plus généralement, l'État-actionnaire doit progressivement s'effacer devant l'État garant de l'indépendance nationale et de la bonne utilisation des deniers publics.
En ce qui concerne les industries de défense, retrouver des marges de manœuvre passe par une double ouverture : une ouverture vers le civil, qui aura l'avantage de favoriser le développement d'une véritable culture concurrentielle et d'assurer une synergie entre les technologies civiles et militaires ; une ouverture vers l'Europe, qui doit devenir une dimension naturelle pour nos entreprises, leurs alliances et leur marché. Alliances industrielles et coopération sur les programmes sont les deux volets indissociables d'une même politique. La constitution de groupes européens puissants dans le secteur de l'armement ne peut se concevoir sans l'expression d'une préférence européenne, véritable choix volontaire qui dépasse les intérêts financiers immédiats pour privilégier une stratégie de défense européenne à long terme.
Ces évolutions, tout comme le réexamen, par le comité stratégique, des programmes engagés, se traduiront immanquablement par une réduction des restructurations des entreprises du secteur de l'armement ; il faudra les accompagner par des mesures adaptées. L'État, pour sa part, assumera pleinement son rôle.
Je proposerai, dans les semaines à venir, un plan d'adaptation économique et social pour l'industrie d'armement. Il sera étudié avec les directions des sociétés et décliné branche par branche, entreprise par entreprise, bassin d'emplois par bassin d'emplois si nécessaire. Les mesures qu'il comprendra, et qui seront spécifiques à chaque entreprise, seront ensuite mises en œuvre après consultation des partenaires sociaux.
Le ministère de la défense ne pourra pas, cependant, fournir seul l'ensemble de l'effort nécessaire. Si j'ai la ferme volonté de ne rien négliger dans ce domaine, je veillerai aussi à ce que chacun prenne sa part de responsabilité :
- les industriels feront au gouvernement des propositions ;
- les organisations syndicales, qui je l'espère prendront part aux négociations de branche ou d'entreprise ;
- les collectivités territoriales, qui pourront s'engager afin d'ordonner les mesures envisagées autour de projets locaux.
À cet égard, les services du ministère élaborent actuellement des conventions expérimentales qui seront conclues avec les régions pour nous aider à trouver les meilleurs moyens de gérer, sur place et de manière pragmatique, les adaptations de l'activité industrielle des bassins concernés. Les premières signatures pourront intervenir dans les prochaines semaines.
Au moment où l'adaptation de notre effort s'accompagnera de restructurations au sein de notre outil industriel, il est également nécessaire d'engager une réflexion d'ensemble sur les conditions d'un nouvel élan de nos exportations de matériels. C'est pourquoi le Premier ministre vient de confier à M. Bruno Durieux, ancien ministre du commerce extérieur, mission de lui proposer, d'ici la fin janvier, un ensemble d'orientations concrètes pour aider notre pays à occuper, sur ce marché, la place qui lui revient.
La défense, vous le savez bien, Mesdames et Messieurs les députés, n'est pas seulement affaire de moyens. Les chiffres, les programmes d'armement ne disent pas tout. Soyons clairs : la mise en œuvre de ce budget comme la poursuite de l'action de réflexion et de programmation exigent une volonté politique affirmée. Elle existe, – et nous pouvons d'ores et déjà en dresser un bilan. Il tempèrera, je l'espère, l'hypocondrie collective que les Français se plaisent à cultiver. Il servira, j'en suis persuadé, à combattre efficacement, dans le domaine de la défense, la tentation du scepticisme et de la résignation, quand ce n'est pas le penchant pour le défaitisme... Je ne crois donc pas inutile que nous procédions ensemble à un bref exercice de mémoire.
En Bosnie, au plus fort de la crise des casques bleus retenus en otages, le Président de la République a d'emblée marqué les limites de l'intolérable et de l'humiliation.
Par des consignes de résistance et de détermination, qui ont abouti à la reprise du Pont de Verbanja, il a opéré une rupture avec une politique d'impuissance et d’hésitation, qui n'avait fait qu'encourager la violation du droit. Cette fermeté retrouvée, en donnant un coup d'arrêt à la logique imposée par le rapport de forces, a véritablement conditionné les avancées décisives du processus de paix. Chacun, dans le monde, s'accorde à le reconnaître.
En décidant de mener à son terme une indispensable série d'essais nucléaires, le Président de la République récusait également la facilité. Son choix d'assumer, dans la transparence et sans louvoyer, les conséquences politiques d'une décision nécessaire sera à porter à l'honneur de l'homme d'État.
Il démontre qu'à l'heure du politiquement correct, la démocratie d'élection est capable de résister à la démocratie d'opinion. II constitue l'illustration que la France, pays souverain, n'hésite pas à prendre toutes ses responsabilités sur le plan international.
Notre démarche commence d'ailleurs à être mieux comprise : après la reconnaissance, par la Commission et le Parlement européens, de la sécurité et de la transparence dans lesquelles se déroulent nos essais, l'idée fait son chemin qu'on ne construit décidément pas la paix sur des rêves ou des utopies.
Enfin, le gouvernement fait preuve, face à la vague actuelle d'attentats, d'une détermination qui répond au sang-froid manifesté par nos compatriotes. Dans la lutte contre les nouveaux dangers intérieurs dont le terrorisme fait, hélas, partie, la défense joue un rôle essentiel. Sa participation au plan Vigipirate, qui mobilise quotidiennement plus de 20 000 militaires des trois armées, et de la gendarmerie, n'en est que l'aspect le plus récent.
La gendarmerie, qui prend en permanence une part prépondérante dans ce combat, relève du statut militaire, elle partage avec l'ensemble de la communauté de défense une culture et des valeurs auxquels les gendarmes sont particulièrement attachés. Ceux-ci n'assurent pas seulement la protection des personnes et des biens ; présents sur l'ensemble du territoire, sensibles à toutes les évolutions démographiques et sociales, ils contribuent de façon irremplaçable au maintien de la cohésion nationale. Je pense en particulier à l'action menée par la gendarmerie dans les quartiers difficiles, qui fait d'elle un partenaire à part entière de la politique de la ville.
Il est du devoir des responsables publics de veiller au meilleur emploi de ces forces de sécurité, de proximité et d'intégration, et de leur assurer un traitement équitable. Je m'y suis employé dès mon arrivée à la tête du ministère de la défense, et je poursuivrai dans cette voie.
La priorité accordée au budget de la gendarmerie a été confirmée, comme l'a souligné M. Poujade, rapporteur pour avis des crédits de la gendarmerie. Ainsi le budget de la gendarmerie sera-t-il le seul, au sein du budget de la défense, à autoriser des créations nettes d'emplois, avec 205 emplois supplémentaires en 1996. Dans le même esprit, les crédits de fonctionnement de la gendarmerie progresseront de 3,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1995. Enfin, la condition des personnels de la gendarmerie fera l'objet de la plus grande attention : d'ores et déjà, une provision, inscrite dans le projet de budget pour 1996, permettra de prendre un certain nombre de mesures en faveur des personnels de la gendarmerie.
L'affirmation de cette volonté politique, dont je viens de donner un bref aperçu, suppose un accord profond sur la vocation de la France à peser dans le monde. Je veux parler, Mesdames et Messieurs les députés, de la vocation de la France à demeurer une puissance nucléaire, à s'affirmer comme puissance européenne, à manifester toute la portée de son engagement international.
Par sa décision de reprendre une série limitée d'essais, le Président de la République a confirmé d'emblée la place centrale occupée par la dissuasion nucléaire dans notre politique de défense. Dans un monde imprévisible, seule l'arme nucléaire peut dissuader un éventuel agresseur de s'en prendre à nos intérêts vitaux. Conscients de cette réalité, tous les membres de la majorité parlementaire s'accordaient, avant mai 95, sur la nécessité d'assurer à long terme la crédibilité et la fiabilité de la dissuasion. Mais cohabitation oblige, le Livre blanc et la loi de programmation militaire laissaient planer une incertitude sur le nombre et la nature des composantes nucléaires futures. Engagées par le comité stratégique, les réflexions menées sur ce sujet serviront à préparer les décisions du Président de la République.
La réaffirmation par la France de son statut de puissance nucléaire est indissociable de sa politique de puissance européenne. Sauvegarder la capacité de dissuasion française, c'est préserver, pour demain, une part essentielle de l'indépendance stratégique de l'Europe. C'est la raison pour laquelle la France a proposé à ses partenaires d'engager une réflexion commune sur une « dissuasion concertée ».
Cette annonce importante repose sur la conviction que 50 années de réconciliation et de dialogue mutuel entre les Européens, en particulier entre la France et l'Allemagne, ont fait émerger un « espace stratégique commun », pour reprendre les termes du Général de Gaulle. Elle signifie que les intérêts vitaux de la France ont depuis plusieurs années un horizon plus politique que géographique.
Le dernier sommet franco-britannique a été l'occasion d'engager publiquement ce dialogue essentiel. Pour la première fois, nos deux pays ont proclamé la communauté de nos intérêts vitaux. Le Président Chirac comme le Premier ministre John Major sont convenus de s'engager sur la voie d'un « renforcement mutuel de la dissuasion, dans le respect de l'indépendance de nos forces nucléaires ».
Je souhaite que ce nouvel élan dans la coopération stratégique entre la France et la Grande-Bretagne marque le début d'une réflexion commune avec l'ensemble de nos partenaires européens. Les progrès concrets que nous avons réalisés sur la voie d'une défense commune me donnent bon espoir. Avec les Britanniques, nous venons d'inaugurer le groupe aérien européen, et d'annoncer un élargissement de la coopération navale. La qualité de notre coopération de défense n'est plus à démontrer sur le terrain, comme l'atteste l'action de la force de réaction rapide en Bosnie, qui est composée d'unités françaises, britanniques et néerlandaises.
Mais rien n'aurait été possible, rien ne serait possible sans la France et l'Allemagne, qui jouent un rôle d'impulsion essentiel, comme en témoigne le Conseil de défense franco-allemand. C'est à partir d'un noyau franco-allemand, vous le savez, que s'est constitué le corps européen, auxquels se sont joints la Belgique, l'Espagne et le Luxembourg. Plus généralement, les exercices communs, les échanges entre militaires, l'implantation d'officiers de liaison constituent les moyens d'un rapprochement concret. Dans le même esprit, la décision récente de créer une structure bilatérale franco-allemande est destinée à jeter les bases d'une future agence européenne de l'armement. C'est d'ailleurs avec l'Allemagne que la France a développé le plus grand nombre de coopérations dans ce domaine.
Enfin, la coopération de défense avec nos partenaires de l'Europe du sud, qui partagent avec nous des intérêts majeurs de sécurité, est tout à fait prometteuse. J'en veux pour preuve la création de l'Eurofor et de l'Euromarfor, ainsi que la coopération en matière d'espace et de renseignement.
Ces progrès de l'Europe de la défense s'inscrivent en pleine cohérence avec le renouveau de l'Alliance atlantique que nous appelons de nos vœux. L'Europe, qui existe économiquement et politiquement, doit désormais s'affirmer sur le plan militaire, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Alliance.
Accentuer nos coopérations, prendre des positions communes sans pour autant les imposer à nos partenaires, voilà qui permettra aux Européens de se rapprocher et du même coup d'acquérir une plus grande visibilité au sein d'une Alliance rénovée. Un aggiornamento s'impose, pour faire de l'Alliance un organisme de sécurité équilibré. C'est ce qu'a proposé le Président de la République en suggérant l'adoption d'une nouvelle charte transatlantique.
Acteur essentiel d'une identité européenne de défense en formation, partenaire incontournable de l'Alliance atlantique, la France est également une puissance qui prend toute la mesure de ses responsabilités internationales. Il s'agit en particulier de responsabilités historiques, notamment en Afrique. Elles s'expriment à travers les accords de défense et de coopération passés avec un certain nombre d'États. L'intervention des militaires français aux Comores est la dernière illustration de notre fidélité à nos engagements. La stabilité politique et la paix sont en effet la première condition du développement et des progrès sur la voie de la démocratie.
La France assume en outre pleinement sa responsabilité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies en participant significativement à la prévention ou à la résolution des crises. Notre pays est ainsi, depuis plusieurs années, le premier contributeur aux opérations internationales de maintien de la paix.
Je ne saurais conclure sur ce thème sans rendre hommage aux militaires français qui, hier au Cambodge, en Somalie ou au Rwanda, aujourd'hui dans l'ex-Yougoslavie, agissent pour la plus belle cause qui soit. Les résultats si précieux et si fragiles que nous enregistrons en Bosnie constituent la victoire personnelle des militaires français de la FORPRONU et de la FRR, la récompense de tous ceux qui, aujourd'hui, ouvrent les routes, déminent, favorisent, avec le rétablissement de l'eau et de l'électricité, le tout début du retour à la paix. En leur rendant hommage, je ne peux manquer d'évoquer nos deux pilotes retenus par les Serbes. Leur sort constitue pour moi, comme pour l'ensemble du gouvernement, une priorité essentielle. Je veux assurer la représentation nationale que le gouvernement, et en particulier le ministère de la défense, a fait, fait et fera tout pour les récupérer. Je tiens ici à saluer la fermeté d'âme et la dignité exemplaire de leurs familles.
Aujourd'hui, nous n'avons plus aucun prétexte pour tergiverser, éluder ou différer : tout doit être mis en œuvre pour lutter contre les déficits publics, cause du chômage endémique. Si l'exigence de solidarité ne l'imposait pas, le souci de garantir la pérennité de l'esprit de défense suffirait à justifier la participation des armées à cet indispensable effort collectif.
Il ne peut y avoir de défense forte dans un pays affaibli, fracturé, sclérosé.
Il ne peut y avoir de sécurité quand l'unité nationale est sapée par les injustices et l'inégalité des chances.
Il ne peut y avoir d'élan pour protéger notre pays quand la cohésion sociale est minée par les effets des déficits publics.
Rien ne servirait, en effet, de disposer de moyens militaires si la France, divisée, n'était plus en mesure d'assurer ses responsabilités ni ses missions ; si la France, en proie au doute, n'avait plus les capacités humaines d'aller défendre, à l'extérieur de ses frontières, l'idée qu'elle se fait de l'homme et de ses droits ; si les Français, repliés sur eux-mêmes, révoltés pour certains, désespérés pour d'autres, refusaient de participer à la défense de leur propre pays en perdant le goût d'être ensemble.
Lutter contre le chômage en réduisant les déficits et le poids de la dette publique, retisser des liens distendus ou déchirés, voilà quels sont les premiers moyens de restaurer la communauté des citoyens, de rétablir l'attachement à la Nation et de cultiver l'esprit de défense.
Dans cette perspective, rien ne serait plus dangereux que d'opposer radicalement raisonnement financier et logique militaire. Une approche totalement autonome du budget de la défense ne pourrait relever que de l'autisme, voire de la mauvaise foi.
L'essentiel, aujourd'hui, c'est que le gouvernement exprime une vision, trace une cohérence d'ensemble, et redevienne le garant du long terme. C'est pourquoi, en vous demandant de voter ce budget, Mesdames et Messieurs les députés, je ne m'adresse pas aux élus de circonscriptions particulières, mais aux élus de la Nation. C'est à ce titre que j'en appelle, aujourd'hui, à votre responsabilité et à votre sens de l'intérêt de la France.