Texte intégral
Paris-Match : 28 septembre 1995
Paris-Match : Comment expliquez-vous la morosité qui envahit l'Hexagone?
Jacques Toubon : Il existe une forme d'impatience et d'incompréhension dans l'opinion. D'une part, les Français n'ont toujours pas intégré les différences de temps : hier, c'était le temps – bref – de la campagne présidentielle ; aujourd'hui, c'est le temps – quotidien gouvernement. En revanche, le temps des réformes s'étendra, lui, sur tout le septennat. Comme le dit Alain Madelin, le gouvernement dispose aujourd'hui d'une fenêtre de tir. Il doit engager les tirs de la réforme de telle façon que leur trajectoire soit correcte pour que l'impact tombe ensuite au bon endroit. D'autre part, il existe une forme d'incompréhension : les Français ne voient pas que les différentes mesures prises s'inscrivent dans un grand projet d'ensemble.
Paris-Match : N'y a-t-il pas plutôt un sévère déficit d'explications ou de communication de la part d'Alain Juppé et de ses ministres ?
Jacques Toubon : Je ne le crois pas. D'autant que la communication est justement l'enjeu de cette semaine : mercredi, Alain Juppé a présenté son projet de la loi de finances 1996 au Conseil des ministres, puis à la Villette devant tous les parlementaires. C'est une façon de recadrer globalement tous les engagements du gouvernement et, aussi, de lancer le grand débat de la protection sociale.
Paris-Match : Juppé n'a-t-il pas trop tendance à vouloir tout régenter, tout monopoliser, y compris la communication du gouvernement ? Certains ministres se plaignent de ne pouvoir jamais rien annoncer.
Jacques Toubon : La question est difficile. Il faut comprendre que, de nos jours, la politique est définitivement personnalisée. Qu'on le regrette ou pas, le gouvernement repose entièrement sur la personne du Premier ministre. Je trouve d'ailleurs que Juppé assume bien la double fonction de chef d'orchestre et de paratonnerre sous les coups de l'opposition.
Paris-Match : De paratonnerre contre l'opposition, peut-être. Mais il ne protège pas le Président de la République ! Chirac perd lui aussi des points dans tous les sondages !
Jacques Toubon : Le Premier ministre « paratonnerre du Président » c'est dépassé. Il ne faut plus raisonner comme si l'on était au temps de Pompidou, de Giscard ou de Mitterrand. Nous sommes à la fin du deuxième millénaire, une page est tournée, et la fameuse dyarchie entre le Président et son Premier ministre n'existe plus.
Paris-Match : En attendant, on a l'impression que certains ministres sont inexistants !
Jacques Toubon : Ce n'est pas vrai des quatre ou cinq principaux ministres comme Bayrou, Millon, Pons, Charette, qui sont des ministres chevronnés. Même ceux qui sont moins aguerris se débrouillent très bien. Je pense à Jean-Louis Debré, qui a été propulsé malgré lui dans l'actualité, ou même à Jean Arthuis, qui a brutalement été mis sur le devant de la scène. Quant aux autres, c'est justement parce qu'ils ont été nommés. On ne va tout de même pas exiger qu'ils aient autant d'autorité qu'un Premier ministre ! L'atout du gouvernement, c'est justement leur fraîcheur et leur nouveauté.
Paris-Match : Les Français, en tout cas, paraissent désabusés face aux mesures Juppé. Pour certains d'entre eux, il s'agit d'un énième plan de mesures qui augmente une fois de plus la pression fiscale sans pour autant s'attaquer aux vrais problèmes…
Jacques Toubon : En réalité, les Français ne perçoivent pas le budget globalement. Ils doivent comprendre que ces mesures partielles font partie d'une réforme fiscale globale qui s'étendra sur plusieurs années, et qu'aucun gouvernement n'a eu le courage de faire depuis dix ans. Son objectif est d'assurer une plus grande cohésion sociale grâce à une fiscalité plus juste.
Paris-Match : Que répondez-vous aux critiques qui fusent jusque dans les rangs de la majorité ?
Jacques Toubon : Que ceux qui critiquent rendent un mauvais service à la France. Quand j'entends François Léotard dire que nous ne sommes pas assez rigoureux, me revient en mémoire la période de deux ans pendant laquelle il était ministre de la Défense et au cours de laquelle il a systématiquement refusé toute baisse de son budget ! Son successeur, Charles Millon, l'a acceptée, lui. Quand Raymond Barre dit qu'il faut diminuer davantage le déficit public, je me demande bien ce que nous faisons d'autre ! Avec ce budget, nous menons une vraie politique volontaire de rigueur.
Paris-Match : Il y a au moins un ministre optimiste au gouvernement !
Jacques Toubon : Oui, je suis plutôt optimiste. Le pays a besoin d'un vrai changement à long terme. Et quels que soient les sondages, je crois que notre capital de soutien est intact.
Le Figaro Magazine : 21 octobre 1995
Catherine Nay : Le procureur Cotte, en classant l'affaire de l'appartement d'Alain Juppé, vous a-t-il enlevé une belle épine du pied, en vous évitant de requérir auprès du parquet général ? Faire déménager le Premier ministre, est-ce une sanction juste ?
Jacques Toubon : Je n'ai fait aucune intervention. Vous comprendrez donc que le garde des Sceaux ne réponde pas à ces questions, et qu'il se contente de se référer à la position des services de la Chancellerie, qui considèrent que l'analyse juridique du procureur général de Paris est parfaitement correcte.
Catherine Nay : Sur cette affaire, que pouvez-vous dire, alors ?
Jacques Toubon : Qu'il y a une étonnante disproportion entre l'objet de « l'affaire » et le tintamarre qui a été organisé par ceux qui ne veulent pas admettre que Jacques Chirac a été élu Président de la République par la majorité des Français et que le gouvernement d'Alain Juppé est celui de la France.
Et je suis sûr que cette chasse risque de se poursuivre sur d'autres terrains, tant il est vrai que beaucoup de ceux qui n'acceptent pas leur défaite tentent de ramener la politique quelques siècles en arrière, lorsque la clameur publique suffisait à clouer un homme au pilori. Je pensais que, depuis trois siècles, les Lumières nous avaient éclairés : j'espère que cette fin de siècle ne sera pas celle d'un recul du droit et des libertés individuelles. Il faut retrouver une pratique plus humaine et plus tolérante du débat politique ; il doit porter sur les idées et sur les actes, la dénonciation personnelle n'appartient pas au registre de la démocratie.
Catherine Nay : Alain Juppé vient de se faire élire président du RPR. A-t-il eu raison de revendiquer ce poste ?
Jacques Toubon : Il était légitime et attendu depuis que Jacques Chirac s'était définitivement retiré de la présidence, il y a près d'un an. Pourquoi aurait-il fallu changer de voie ?
Catherine Nay : C'est un plus pour qui ? Pour lui-même, pour le pays, pour le mouvement ?
Jacques Toubon : Alain Juppé est désormais le chef incontesté de la première – et de loin – formation politique du pays. Cela lui donne encore plus de poids et donc d'efficacité dans l'action gouvernementale.
Catherine Nay : Qu'avez-vous ressenti en assistant à ces assises, Comment se porte la famille gaulliste ?
Jacques Toubon : Les assises étaient d'abord pleines de nostalgie : les premières depuis vingt ans, sans Jacques Chirac à l'Élysée. Cette sorte d'accomplissement est à la fois frustrant et exaltant. Mais, comme je l'ai dit à chaud, j'ai trouvé le rassemblement aussi joyeux, fraternel et conquérant qu'au « bon temps » de l'opposition. Les militants l'ont bien compris : Chirac élu, ce n'est que le début d'une nouvelle aventure, le gaullisme du troisième millénaire.
Catherine Nay : Les balladuriens sont-ils en embuscade ?
Jacques Toubon : Ce n'est pas mon impression. Il n'y a pas de fraction balladurienne, il y a des compagnons qui ont des affinités avec Édouard Balladur, parce qu'ils ont fait sa campagne. Ils s'efforceront de faire entendre leur différence rien à dire tant que cela reste dans les limites de la solidarité majoritaire, qui est essentielle dans ces temps difficiles.
Catherine Nay : Comment expliquez-vous cet affaissement si rapide, dans les sondages, du Président et du Premier ministre ?
Jacques Toubon : Probablement la découverte de la profondeur des difficultés, de la gravité de la situation du pays, dont on avait préservé jusqu'à maintenant nos concitoyens.
Vous savez bien que c'est le messager qui est rendu responsable de la mauvaise nouvelle qu'il ne fait que porter. Dire la vérité est pourtant indispensable pour asseoir sur des bases saines l'action de réforme.
Catherine Nay : Les difficultés d'Alain Juppé ne viennent-elles pas du discours de Jacques Chirac durant la campagne présidentielle, où il laissait entendre que l'on peut à la fois faire du social, maintenir les dépenses de santé et réduire les déficits ?
Jacques Toubon : Justement, notre objectif est de conduire en même temps la remise en ordre des finances publiques, la réduction des dépenses et des déficits, donc des taux d'intérêt, et le lancement des réformes qui nous permettront à terme de resceller le pacte républicain. L'un ne va pas sans l'autre. Je l'ai dit à Avignon devant les parlementaires : il faut franchir le col, et il est escarpé, pour passer de l'autre côté de la montagne. Je suis sûr que les Français ont la force et le courage nécessaires.
Catherine Nay : Croyez-vous à leur remontée dans les sondages ?
Jacques Toubon : Puisque vous m'y invitez, je vais me lancer, imprudemment : les sondages, pour le président, remonteront à partir de la fin de l'année et, pour Alain Juppé, à partir du printemps. Je touche du bois… mais, franchement, les cotes de popularité ne m'empêcheront pas de dormir, ni d'agir. Souvenez-vous où nous étions, il y a un an !
Catherine Nay : Jacques Chirac a-t-il raison de rencontrer à New York le président Zeroual, à quelques jours d'une élection présidentielle en Algérie ?
Jacques Toubon : Ce sont les mêmes qui critiquent cette rencontre et qui reprochent au gouvernement de ne pas avoir de politique algérienne. Il faudrait savoir ! Jacques Chirac aura l'occasion d'exprimer directement notre volonté de voir une solution démocratique (en particulier des législatives le plus vite possible) sortir l'Algérie du drame sanglant dans lequel elle est plongée.