Texte intégral
Europe 1 : Mardi 29 août 1995
O. de Rincquesen : Le départ de Madelin constitue-t-il un accroc au contrat de confiance accordé par les Français à J. Chirac et A. Juppé ?
P. de Villiers : Je considère que la démission n'est pas simplement un changement d'homme, elle signale un recul politique. Il ne faut jamais céder à ses adversaires. Les syndicats ont réclamé une tête, on leur en a donné une. Derrière ce recul politique, il y a une défaite intellectuelle et la mise en place de ce qu'on pourrait appeler le travaillisme à la française. On voit bien ce que c'est. C'est composé de deux éléments : la logique de l'impôt pour réduire les déficits – et non la logique de la réduction de la dépense publique comme l'avait proposé Madelin – et la cogestion syndicale du pays.
O. de Rincquesen : C'est la défaite des idées libérales qu'aurait incarnées A. Madelin ?
P. de Villiers : C'est la défaite des idées pour lesquelles beaucoup d'électeurs ont cru que l'élection présidentielle se traduirait par une rupture avec le socialisme et tous ses miasmes. On a reproché à Balladur de faire du Bérégovoy. On peut reprocher aujourd'hui à Juppé de faire du Balladur.
O. de Rincquesen : Vous aviez voté Chirac au second tour parce qu'il y avait Madelin dans son équipe ?
P. de Villiers : Parce que les idées que représentaient A. Madelin et d'autres sont des idées modernes qui correspondent aux urgences de notre pays. La première de toutes les urgences de notre pays, c'est d'alléger la dépense publique et de réduire le nombre des fonctionnaires, de réduire la puissance de l'administration et de redonner du tonus et de l'espoir à toute la France active. Tout ce qu'a dit Madelin récemment me paraît frappé au coin du bon sens.
O. de Rincquesen : Pourquoi coller l'étiquette « travailliste » au gouvernement Juppé ?
P. de Villiers : Le travaillisme à la française, c'est l'idée de l'impôt et de la cogestion syndicale. C'est ce qu'on vient de voir avec la démission d'A. Madelin. Son limogeage correspond à un recul par rapport aux syndicats. On l'a vu à l'Éducation nationale. On le verra dans les semaines qui viennent avec le problème de la protection sociale. On nous annonce aujourd'hui des colloques, des séminaires, des réflexions d'experts sur la protection sociale, sur la sécurité, sur la famille, sur l'éducation parce qu'on a peur de prendre des décisions. Or ce n'est pas ce que nous attendions des élections présidentielles et de l'après présidentielle. Je suis déçu et beaucoup de Français le sont aussi. Ils ont vu dans l'instant Madelin autre chose qu'un simple accident de parcours et une incompatibilité d'humeur.
O. de Rincquesen : Mais dans l'équipe Chirac, il y a aussi Séguin, Juppé. Il n'y avait pas que Madelin au gouvernement.
P. de Villiers : Ce n'est pas un problème d'hommes. Quels sont les problèmes de la France aujourd'hui ? 1) L'identité de la France et sa souveraineté : où va-t-on ? Va-t-on continuer avec une logique d'ablation de la souveraineté ou va-t-on affirmer notre souveraineté ? 2) La sécurité de la France : j'avais parlé pendant la campagne présidentielle des accords de Schengen, il faut les suspendre. On voit bien en plus aujourd'hui avec les affaires de terrorisme qu'il faut rétablir les contrôles aux frontières. 3) La question de l'immigration. 4) La protection sociale et une grande politique familiale que le pays attend. 5) La question du chômage liée à la question de la dépense publique. Ce qu'a dit A. Madelin est une réponse moderne aux problèmes de la France. La France est aujourd'hui le seul grand pays d'Europe qui n'a pas touché encore à ses vaches sacrées.
O. de Rincquesen : On a l'impression de réentendre votre campagne de la présidentielle ! Il semblerait, à vous entendre, que la France soit un pays indécrottable.
P. de Villiers : Pas du tout, il y a aujourd'hui un décalage croissant entre les hommes politiques qui apportent des réponses classiques, des réponses d'experts, voire des réponses liées à la social-technocratie et les hommes qui se posent ces questions tous les jours. Je n'y peux rien si les problèmes s'aggravent parce que les hommes politiques ne font rien pour les résoudre autrement qu'en les repoussant sine die.
O. de Rincquesen : A. Madelin devait savoir tout ça et a dû avaler certaines couleuvres ?
P. de Villiers : Certainement, Il a même avalé son chapeau quand on lui a fait augmenter les impôts. Et puis, il l'a recraché il y a deux jours !
O. de Rincquesen : Peut-on imaginer que vos libéraux se rapprochent de Idées-Action d'A. Madelin ?
P. de Villiers : Il y a incontestablement une convergence de vues. J'ai regardé Madelin sur TF1 : je l'ai trouvé remarquable. Est-ce que ça conduira à une convergence active ? C'est possible. Pourquoi pas ? Je le souhaite.
O. de Rincquesen : Il y a de la place chez vous ou y trouvez-vous de l'intérêt ? Il y a des gens chez vous qui sont des deux côtés de la barricade.
P. de Villiers : Aujourd'hui, en France, il y a beaucoup de gens, de plus en plus nombreux, qui sont déçus et attendent la mise en place d'une majorité alternative qui soit une force de rénovation, de pression et d'impulsion.
O. de Rincquesen : L'attelage ne tirera plus droit si on enlève A. Madelin du gouvernement ?
P. de Villiers : Je souhaite de tout mon cœur que cet incident grave fasse réfléchir le gouvernement et que le gouvernement entende l'appel des électeurs, de ceux qui ont voté pour J. Chirac. Je crains que la démission d'A. Madelin ne sonne le glas de toute réforme en profondeur de la société française. Si nous ne faisons pas dans les semaines qui viennent les grandes réformes dont je parlais tout à l'heure, la France décrochera. Vous me disiez que je répétais les thèmes de la campagne, je vais vous donner un chiffre que j'ai eu sous les yeux hier : les prélèvements de la France, dépenses et déficits, comparés à l'Allemagne, sont de six points supérieurs. Si la France veut redevenir un grand pays compétitif demain, il est évident qu'il faut nous attaquer au problème de la dépense publique, il est évident qu'il faut réduire le nombre des fonctionnaires. Il est évident qu'en termes d'équité, ce qu'a dit Madelin est juste et qu'il faut le faire.
La Croix : Septembre 1995
La Croix : Face aux attentats et aux menaces terroristes, approuvez-vous la politique du gouvernement en matière de sécurité ?
P. de Villiers : Philippe de Villiers : Le gouvernement a retardé de six mois l'application des accords de Schengen. Le courage aurait consisté à dénoncer purement et simplement la suppression du contrôle aux frontières internes. Jamais les contrôles mobiles ne pourront remplacer en efficacité les contrôles fixes. Il est inadmissible que l'Europe soit prise en otage sur son propre territoire. Pour qu'une politique de sécurité soit efficace, il faudrait d'abord rétablir immédiatement le contrôle aux frontières. Ensuite, refouler tout clandestin. Enfin, éviter que la France devienne l'otage de la guerre civile qui déchire l'Algérie, en prenant le risque de l'importer sur notre sol.
La Croix : Approuvez-vous la reprise des essais nucléaires par la France ?
P. de Villiers : Jacques Chirac a eu raison de le faire. C'est un moyen d'assurer la souveraineté. Mais cette décision est-elle cohérente avec les abandons de souveraineté consentis par Maastricht et Schengen ou avec la diminution du budget de la défense ?
La Croix : Que pensez-vous du départ d'Alain Madelin du gouvernement ?
P. de Villiers : Son départ souligne une divergence d'orientation profonde au sein du gouvernement et de la majorité, entre ceux qui croient à la révolution de l'initiative et les tenants du social-immobilisme. Les idées récemment exprimées par Alain Madelin sont justes, et marque une volonté de rupture
Son départ souligne une divergence d'orientation profonde au sein du gouvernement et de la majorité, entre ceux qui croient à la révolution de l'initiative et les tenants du social-immobilisme. Les idées récemment exprimées par Alain Madelin sont juste, et marquent une volonté de rupture par rapport à la double logique de la cogestion syndicale de la France et du recours systématique à l'impôt.
Tout le monde s'accorde sur la nécessité de réduire les déficits. Certains, comme Alain Juppé, choisissent pour cela d'augmenter les impôts et les prélèvements obligatoires. D'autres, comme nous, privilégient la voie de la diminution des prélèvements, donc une réduction de la masse salariale de la fonction publique, donc une diminution du nombre des agents administratifs. Le danger est plus grand que jamais de voir s'affronter la France sans statut et la France sous statut, la France du risque et la France protégée.
La Croix : L'ambition du gouvernement n'est-elle pas justement de s'attaquer à la fracture sociale ?
P. de Villiers : Le gouvernement n'a pour l'instant rien fait de significatif, sinon une amnistie discutable moralement et une levée d'impôts discutable économiquement. Il n'a pas osé nommer un ministre de la Famille, par peur des réactions de la gauche. Je constate que les mesures prévues pour les familles ont été reportées, qu'il n'est plus question de salaire familial et que l'on envisage de porter atteinte aux allocations familiales à partir d'un certain niveau de ressources.
La Croix : En pourfendant ainsi le gouvernement Juppé, vous situez-vous dans la majorité ou dans l'opposition ?
P. de Villiers : Je suis dans la majorité alternative. Les électeurs qui ont voté pour Jacques Chirac dans l'espoir qu'il remette en cause le « politiquement correct », ne peuvent être que déçus. Le Mouvement pour la France entend, avec d'autres, être une force de proposition d'impulsion et de rénovation. Si, comme je le crains, le gouvernement suit la voie du conformisme, le MPF sera là pour lui rappeler le message des électeurs.
La Croix : La dénonciation de la corruption restera-t-elle un de vos thèmes favoris ?
P. de Villiers : Au moment où les dirigeants s'apprêtent à appeler les Français à l'effort, ils se doivent plus que jamais d'être irréprochables. Or, on l'a vu avant l'été, les affaires continuent à courir.
La Croix : Votre poids ne serait-il pas plus fort aujourd'hui si, en ne vous présentant pas à l'élection présidentielle, vous aviez gardé intact votre capital de 12 % obtenus aux européennes de 1994 ?
P. de Villiers : Je ne le crois pas car l'élection présidentielle fait connaître les hommes et les idées. Et tout ce que j'ai dit à l'époque, sur le danger d'abandonner nos contrôles aux frontières, la nécessité de mettre l'administration à la diète, l'urgence d'une politique familiale et d'un projet pour la vie, se vérifie aujourd'hui. Ma méthode, c'est la longue marche, et nous serons prêts pour le rendez-vous de 1998.