Texte intégral
L'Est républicain : vendredi 8 janvier 1999
Claude MICHOT :
Arrivée le 4 juin 97 au ministère, vous avez, le 4 juillet, jour du départ du Tour de France, rétabli les crédits du laboratoire national de lutte contre le dopage que votre prédécesseur, Guy Drut, avait retirés. C’était de la prémonition ?
Marie-George Buffet :
Tous les éléments dont j’ai eu connaissance, à mon arrivée au ministère, ne laissaient pas de doute sur l’ampleur du dopage, dans de très nombreux sports, et la gravité de ses conséquences pour la santé des sportifs. Il était urgent de se doter de moyens à la hauteur du défi à relever. De manière plus générale, je crois que la politique, sans décisions concrètes, n’a pas de sens.
Claude MICHOT :
Alors que votre loi anti-dopage était en navette entre les Assemblées, l’ouverture du numéro vert “écoute dopage” le 24 novembre, a t-elle apporté de nouveaux éléments ?
Marie-George Buffet :
En menant en place ce numéro vert, je voulais répondre à un besoin des sportifs de parler, d’être écoutés et conseillés. Il fallait briser une certaine règle du silence. Mais franchement, je ne m’attendais pas à autant d’appels. Le fait que de très nombreux jeunes utilisent ce moyen pour être informés avec précision, montre que nous pouvons sortir d’une banalisation du dopage. Avec le Comité Olympique, les fédérations, les clubs, les communes, les établissements scolaires, les médecins et les pharmaciens, il y a un formidable travail de prévention et de modification des comportements à mener. Le recours à la chimie ne doit plus être considéré comme faisant partie de la pratique d’un sport.
Claude MICHOT :
Après les lois Herzog 65 et Bambuck 89, déjà contre le dopage, quels objectifs donnez vous à la vôtre ?
Marie-George Buffet :
Si une nouvelle loi est devenue indispensable, c’est d’abord parce que le recours au dopage a considérablement évolué. Je pense à la fois à son ampleur, à son extension à la plupart des disciplines et chez des sportifs de plus en plus jeunes, à l’apparition de produits de plus en plus dangereux, et à l’existence d’un véritable trafic lucratif. Ces changements appelaient des réponses nouvelles. L’une des principales innovations de la loi est de considérer que le dopage constitue un problème de santé publique. C’est cette démarche exigeante qui a conduit à mettre en place un dispositif cohérent de prévention, de suivi médicale, de lutte contre les trafics.
Claude MICHOT :
La vérité qui a éclaté lors du Tour 98 a donné raison à votre détermination. Pour autant, associer à ce combat le mouvement sportif ne s’annonce t-il pas très difficile à mettre en œuvre ?
Marie-George Buffet :
Le combat contre le dopage ne se gagnera pas sans le mouvement sportif. C’est ma conviction profonde. Autant c’était une grave erreur de penser qu’un tel problème devait se régler “en famille”, en faisant le moins de bruit possible, autant ce serait courir à l’échec que d’espérer gagner une bataille qui implique chaque actrice et acteur du sport, sans les intéressés. C’est pourquoi j’ai tenu à ce que la nouvelle loi situe clairement les responsabilités différentes et complémentaires de l’Etat, de l’autorité indépendante et du mouvement sportif.
Claude MICHOT :
Comment la “lutte médicale” peut-elle rester à la hauteur de l’apparition des nouveaux produits ?
Marie-George Buffet :
Là encore, je pense que nous ne devons pas considérer que le combat est perdu d’avance. Même s’il est vrai qu’aujourd’hui, des gens dotes de moyens importants passent leur temps à détourner un médicament de son utilisation d’origine pour le transformer en produit dopant, il ne faut surtout pas renoncer à lutter contre cette grave atteinte à l’éthique médicale et sportive. Je crois que la recherche sur le dopage peut vite progresser, si elle bénéficie de moyens importants au niveau européen. J’ai propose à mes collègues de l’Union européenne d’intégrer cette recherche spécifique sur le dopage au programme européen de recherche médicale.
Claude MICHOT :
Fin mars, la France va disposer d’une des lois les plus élaborées et des plus répressives. Pourrait-elle constituer un handicap, dans les compétitions internationales ?
Marie-George Buffet :
Ce danger serait réel si la France était totalement isolée au plan international. Ce n’est pas le cas. Nous pouvons même dire que notre attitude a créé une dynamique dans de nombreux pays. En Italie, un projet proche du nôtre a été déposé au Parlement. Des législations nouvelles sont annoncées en Suède et au Danemark. J’ai rencontré mes collègues d’Espagne et du Portugal, d’Argentine, du Maroc et je peux vous assurer qu’ils ont la volonté d’agir. Il est significatif qu’à notre initiative, le dernier sommet européen des chefs d’Etats et de gouvernement ait adopté une déclaration sur la nécessité de se mobiliser contre le fléau. Une réunion des ministres des Sports européens se tiendra avant la conférence au CIO, en février, et un sommet européen des ministres des sports aura lieu le 30 mai. À cette mobilisation des Etats doit s’ajouter celle essentielle, du mouvement sportif international et en premier lieu, du Comité olympique. La conférence mondiale de Lausanne, à laquelle je participerai, devra marquer cet engagement.
Claude MICHOT :
Après les rencontres de la jeunesse, en 97, vous avez mis en place, le 31 janvier 98, un Conseil Permanent de la Jeunesse. “Ce dialogue” a t-il déjà permis des applications ?
Marie-George Buffet :
Dialoguer avec les jeunes, c’est très bien, mais décider avec eux des choses concrètes, qui répondent à leurs attentes, c’est beaucoup mieux, même si c’est plus difficile. Si je m’étais contentée de consulter les jeunes sur leurs problèmes, cela n’aurait pas été une grande nouveauté.
Je suis partie d’un constat : ce ministère est le seul qui ait le mot “jeunesse” dans ses attributions et, en même temps, les problèmes de l’éducation, de la formation, de l’accès à l’emploi, de la santé, du logement, relèvent d’autres ministères. Dès lors, ils n’attendent pas de mon ministère qu’il règle tous les problèmes. Par contre, ils ont besoin d’un interlocuteur spécifique, permanent, capable d’impulser la prise en compte de leurs demandes par l’ensemble des Pouvoirs publics. C’est le choix que nous avons fait Le Conseil permanent et les comités départementaux sont des espaces de dialogue, de proposition et de suivi de toutes les mesures qui concernent la jeunesse. Leur travail leur déjà permis d’obtenir des mesures très positives sur les transports, l’accès aux sports, et aux loisirs, le logement, la vie au lycée, des aides pour passer un brevet. Mais il nous faut aller plus loin. Beaucoup de jeunes sont confrontés à des situations d’exclusion, de souffrance, d’urgence. Le gouvernement a commencé à y répondre à travers le plan emploi-jeunes et la loi contre l’exclusion.
Claude MICHOT :
Votre grand chantier de 99 est une loi sur le sport et l’argent. Où en est-elle ?
Marie-George Buffet :
J’ai présenté les grandes lignes de cette reforme au Conseil des ministres du 23 décembre C’est une loi de cohésion du mouvement sportif, de maîtrise de l’argent, de préservation de l’éthique et de solidarité en faveur du sport pour tous.
Ces enjeux soulignent la nécessité de ne pas retarder des mesures fortement attendues par des millions de pratiquants, par les fédérations, les clubs, les bénévoles. La rédaction du projet de loi est quasiment terminée. Son débat et son adoption, au cours de l’année 1999, restent notre objectif.
France 2 : vendredi 8 janvier 1999
F. Laborde :
Vous êtes ministre des Sports, mais aussi de la Jeunesse. La violence des jeunes : est-ce que – comme certains chez les Verts, et même le ministre de l’Intérieur l’a dit – vous faites partie de ceux qui pensent qu’il n’est pas normal qu’un enfant de 10 ans soit seul dans la rue après 10 heures du soir, et qu’il faut prendre des dispositions, soit des structures d’accueil, soit des mesures répressives ?
Marie-George Buffet :
“Non, bien sûr, il n’est pas normal qu’un enfant de 10 ans soit dehors le soir, seul. Mais, il faut élargir le problème. On a besoin par rapport – pas aux jeunes en général – à des jeunes qui sont dans une situation de prédélinquance ou de délinquance, de trouver des mesures d’éducation, de prévention. Et pour des jeunes, qui sont parfois multirécidivistes, de trouver des mesures de répression. Une de ces mesures peut être des structures d’accueil – il en existe déjà – où ces jeunes seraient placés pour travailler, qu’ils soient sortis de leur milieu. C’est une des solutions, ce n’est pas la seule solution, bien évidemment.”
Certains préconisent de supprimer les aides aux parents d’enfants qui sont soit délinquants, soit prédélinquants, pour sanctionner les familles qui ne tiennent pas leurs enfants.
- “C’est vraiment une mauvaise solution à un vrai problème. C’est vrai que, dans certaines familles, les parents qui connaissent eux-mêmes de très grandes difficultés, sont parfois démunis par rapport à des enfants qui sont déjà en situation de délinquance. Je pense que les punir eux-mêmes, ce serait encore les dévaloriser par rapport à leurs enfants, et que cela ne pourrait – d’après moi – qu’aggraver la situation.”
En France, il y a dans certaines banlieues une véritable économie parallèle. Et s’ils sont dans les rues, c’est souvent parce qu’ils font des trafics qui servent à nourrir des familles. Et si les familles les laissent dans les rues, c’est parce que cela sert à payer le loyer.
- “Nous avons, dans certains quartiers, jusqu’à 40 % de jeunes de moins de 25 ans qui connaissent le chômage – le chômage que connaissent aussi les adultes. La plupart de ces jeunes essayent de s’en sortir et ils font des choses formidables – il faut toujours aussi parler de cette majorité de jeunes. Mais, il est vrai qu’il existe, dans ces quartiers, une économie parallèle qui apparaît comme la facilité pour faire entrer de l’argent. Donc, dans les dispositions qu’il faut prendre, il y en a une qui est extrêmement importante : accentuer la répression contre ces filières. Et notamment – parce qu’on sait bien que c’est l’origine de tout – les filières de drogue.”
F. Laborde :
Que peut faire le ministre de la Jeunesse et des Sports face à ça ?
Est-ce que vous travaillez avec le ministre de la Ville ?
Marie-George Buffet :
“Nous travaillons beaucoup avec M. Bartolone. Au niveau du ministère de la Jeunesse, je crois que la meilleure façon d’agir c’est d’aller à la rencontre de ces jeunes ; c’est de donner la parole à l’ensemble des jeunes dans les villes ; de faire en sorte qu’ils trouvent des espaces où ils peuvent s’exprimer, où ils peuvent exposer des projets qu’on les aide à mettre en oeuvre. Je suis toujours frappée des jeunes qui me disent : à partir du moment où j’ai pu rentrer dans une association, faire ce que je voulais faire, d’un seul coup, j’ai eu l’impression d’exister, d’être reconnu, et j’ai eu un autre regard sur mon quartier, un autre regard sur ma ville.”
F. Laborde :
Y a-t-il assez de moyens pour que le sport, par exemple, soit un de ces exutoires pour ces jeunes ?
Marie-George Buffet :
“Il ne faut pas parler d’exutoire. Le sport peut jouer un rôle en effet, parce que, dans le sport, il y a la rencontre avec les autres : il faut les respecter, il faut respecter les règles, il y a des horaires d’entrainement, il y a la joie de la compétition. Donc, le sport joue déjà un rôle dans beaucoup de quartiers. Je vais continuer à faire en sorte qu’avec le monde sportif – et c’est sa volonté –, nous donnions les moyens nécessaires aux clubs pour pourvoir répondre à ces problèmes. Mais, en sachant que le sport ne pourra pas régler tous les problèmes.”
Le dopage : il va y avoir une conférence pour qu’il y ait une harmonisation des politiques de tous les pays en matière de dopage
- “C’est une conférence internationale organisée par le Comité olympique international. Elle est extrêmement importante. J’en attends beaucoup. Nous avons obtenu au plan européen – et la France a joué un grand rôle – que la question du dopage soit officiellement reconnue comme une question dont l’ensemble des pays devait se préoccuper. J’ai appris, hier, que nous allons pouvoir tenir une réunion des ministres des Sports de l’Union européenne avant la conférence internationale pour présenter des propositions communes. C’est très important.”
F. Laborde :
La corruption du Comité international olympique : Paris est candidat à l’organisation des Jeux Olympiques. Avez-vous déjà un budget pour donner de l’argent aux membres du CIO ?…
Marie-George Buffet :
“C’est grave que l’olympisme soit entaché comme il l’est par ces affaires de corruption. Ça montre une fois encore qu’on a vraiment besoin de se mobiliser pour préserver l’éthique du sport. Sur la candidature de la Ville de Paris, qui sera en fait une candidature de toute l’Ile-de-France, et de toutes les Françaises et de tous les Français, je pense que ce qui est surtout important, c’est de lui donner un sens. On ne peut pas gagner les Jeux Olympiques si nous ne sommes pas porteurs - comme ce fut le cas pendant la Coupe du monde - de Jeux qui soient des Jeux de la fraternité et de la solidarité, qui soient des Jeux planétaires de l’entente entre les peuples… “
F. Laborde :
Et de la transparence financière !
Marie-George Buffet :
“Et de la transparence financière. Pour l’instant, on manque un peu de message.”
F. Laborde :
Vous attendez des idées, des suggestions ?
Marie-George Buffet :
“Je suis disposée à prendre des initiatives, si la Ville de Paris me sollicite en ce sens.”