Texte intégral
Q - Les entreprises savent très bien qu'en matière sociale aucun progrès, aucune avancée ne sont possibles sans dialogue. Que sera demain le dialogue social ? A quel niveau doit-il se dérouler ?
- « Lors des forums, les entrepreneurs ont manifesté une véritable volonté de s'exprimer, de proposer des idées, de participer activement à la vie sociale du pays et j'ai pris l'engagement d'être leur ambassadeur, de rappeler leurs préoccupations. Pourquoi cet intérêt pour le social ? Tout simplement parce que chacun a conscience, que c'est une des dimensions essentielles de notre démocratie. Mais au-delà de cette évidence, les entrepreneurs savent qu'ils doivent également tenir compte des contraintes économiques. La France n'est pas un îlot isolé, elle est au milieu de l'Europe, et l'Europe au milieu du monde. En matière sociale, les chefs d'entreprise français sont donc amenés à arbitrer entre le souhaitable et le possible. Et cela, c'est un enjeu difficile.
Mais ils savent aussi très bien qu'aucun projet ne peut aboutir sans dialogue, avec les actionnaires, les clients, les fournisseurs, et naturellement avec les salariés. Le dialogue social participe à la création de la culture de l'entreprise, dont il est l'un des éléments déterminants. Il permet de faire en sorte que l'ensemble des salariés adhèrent aux projets de l'entreprise. Mais il sous-tend également quelques conditions préalables. Pour les entreprises, bâtir un dialogue social utile et équilibré, cela implique le strict respect des règles du jeu. Tout d'abord établir avec les salariés une relation d'estime réciproque. Deuxièmement, respecter le devoir de transparence sur les projets de l'entreprise et les risques qu'ils entraînent, mais aussi sur les informations à caractère économique. Il faut tout mettre sur la table pour que chacun puisse juger en connaissance de cause. Enfin, il convient de laisser au vestiaire les arrière-pensées idéologiques. Au fond ce que souhaitent les chefs d'entreprise c'est que chacun se montre pragmatique.
Quant au niveau où doit se dérouler le dialogue social, l'opinion vraiment unanime des chefs d'entreprise est que dans un monde aussi incertain et volatile que le nôtre, il doit, pour être constructif, prendre place aussi près que possible du terrain. Plus on reste près des réalités de l'entreprise, de ses problèmes et de ses projets, plus le dialogue social est payant. Aussi, deux niveaux peuvent probablement être privilégiés. Le métier, c'est-à-dire la branche car elle concerne l'intérêt commun de toute une série d'entreprises. Et bien sûr l'entreprise elle-même, avec ses élus. C'est à eux que les chefs d'entreprise souhaitent pouvoir s'adresser. Mais ils souhaitent aussi que la vocation du dialogue social soit précisée car il ne doit entraîner aucune confusion en ce qui concerne les responsabilités. C'est l'entrepreneur qui porte sur ses épaules le poids de l'entreprise, de sa survie, de son développement. C'est donc à lui que revient la décision finale. C'est tout à fait essentiel. »
Q - Et que doit être le dialogue avec l'État ? Comment l'améliorer ?
- « Les chefs d'entreprise n'ont pas d'hostilité de principe au dialogue avec l'État, mais ils ont une très haute conscience de ce qu'est leur mission dans la société française : créer des richesses, créer de l'emploi. Ce sont des agents économique à part entière, ils exigent d'être traités comme tels, et non en assujettis. Le dialogue avec l'État doit être un dialogue de responsables. Il est intolérable que les lois tombent sans véritable concertation et de façon unilatérale, sans mesurer les conséquences qu'elles peuvent avoir pour la vie de l'entreprise et l'évolution de l'emploi. Il existe une forte volonté pour que le dialogue avec l'État soit à l'avenir plus respectueux du rôle du chef d'entreprise. »
Q - Pour développer les compétences de leurs salariés, les entreprises doivent également dialoguer avec l'Éducation nationale et les universités ? Comment rapprocher ces deux mondes qui encore trop souvent s'ignorent ?
- « A propos des compétences et de la formation, les chefs d'entreprise sont là encore unanimes à souhaiter qu'un dialogue fructueux s'engage avec l'université. Ils constatent que la formation, notamment scolaire et universitaire, repose presque uniquement sur l'acquisition de connaissances. C'est la course au diplôme, qui n'est malheureusement pas synonyme de course aux compétences. A l'avenir il faudrait que l'université, les grandes écoles, le collège, prennent mieux en compte la réalité de l'entreprise. Cela devrait peut-être passer par un stage des enseignants dans l'entreprise, afin de leur faire découvrir à la fois la grandeur et les contraintes des chefs d'entreprise. On constate une très forte volonté pour qu'à l'avenir puissent s'ajouter aux connaissances des stages de formation qui renforceraient les compétences.
L'acquisition de compétences présente d'ailleurs un point de convergence entre salariés et entreprises. Pour l'entreprise, c'est un point de passage obligé pour intégrer les nouvelles technologies, pour s'adapter à la demande du client et aux produits de demain. Pour le salarié, c'est un capital d'employabilité et il est de la responsabilité de l'entreprise d'apprendre au salarié à constituer ce capital de compétence qui lui servira tout au long de sa vie professionnelle. »
Q - Et les partenaires sociaux dans tout cela ? Que devient le paritarisme ?
A-t-il encore un avenir ?
- « Par définition les chefs d'entreprise sont des gestionnaires qui ont l'habitude d'assumer pleinement leurs responsabilités. En conséquence ils ne peuvent que mal vivre une situation dans laquelle leur rôle se trouverait relativisé. Une situation où on les tiendrait apparemment comme responsables, mais où en vérité le principal levier de commande resterait dans les mains de l'État. Aussi, ils souhaitent que le paritarisme retrouve sa véritable dimension afin de redonner aux partenaires sociaux un véritable pouvoir de décision et de gestion, et d'assurer l'autonomie des organismes paritaires. Pour cela, il faut renforcer bien sûr l'information et la formation des mandataires patronaux. Pour faire oeuvre utile, encore faut-il être préparé. Mais il faut aussi replacer l'entreprise et l'assuré au centre du dialogue. Le statut quo n'est plus acceptable, non seulement pour des raisons de principes, mais parce que la compétitivité globale du pays dépend aussi de notre capacité à maîtriser les dépenses sociales. Les prélèvements sociaux et fiscaux, sont en France à des niveaux devenus insupportables ce qui est particulièrement pénalisant pour l'emploi. On sait que l'un des moyens de réduire le chômage est d'améliorer la compétitivité de l'emploi. Pour cela il faut diminuer le poids des prélèvements qui pèsent sur l'ensemble de l'échelle des salaires et en particulier sur ceux des moins qualifiés qui constituent le principal des bataillons de chômeurs.
Les dépenses sociales représentent pour le pays une charge considérable, financée par la collectivité et en très grande partie par les entreprises. Elles sont donc légitimes à revendiquer d'être plus décideurs qu'elles ne le sont actuellement dans les organismes sociaux. Les entreprises reprochent à l'État d'y détenir tous les moyens de décision, notamment en ce qui concerne les cotisations et le niveau des prestations. Ils doivent tout comme les syndicats de salariés être restaurés dans leurs vraies responsabilités afin de décider ensemble par la concertation et le dialogue du bon niveau de dépenses sociales mises à la charge de la collectivité.
Tout au long de ces forums, j'ai été frappé par l'engagement des chefs d'entreprise notamment en ce qui concerne le social. J'ai été impressionné par la haute conscience qu'ils ont de leurs responsabilités dans notre société, en terme de créations de richesses et d'emplois. Leur grandeur c'est d'être amenés à assumer seuls le risque et de souhaiter partager l'espérance. »