Interview de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, dans "L'Humanité" du 22 décembre 1998, sur le conflit récent dans les transports en commun, la fin de la diminution des effectifs de la SNCF, la libéralisation du transport ferroviaire, la place du PCF dans le gouvernement, l'emploi et l'avenir de l'aéroport d'Orly.

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Média : L'Humanité

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L’Humanité
On vous a trouvé discret pendant le conflit des contrôleurs SNCF. Pourquoi ? Est-ce parce que le ministre communiste est solidaire des grévistes ?

Jean-Claude Gayssot
Je suis resté dans mon rôle. Un rôle qui doit prendre en compte l’intérêt des usagers, celui de l’entreprise et donc celui des salariés. Cela m’a donné l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises sur le fond. Je considère que la priorité doit être donnée au dialogue – et les périodes de préavis de grève devraient être mises à profit à cette fin – et non au conflit. Lorsque celui-ci éclate, plutôt que de s’en tenir à des hypothèses scabreuses, je préfère qu’on examine les questions posées, les moyens de les résoudre, ou en tout cas d’avancer pour les résoudre. C’est cette attitude que le gouvernement de gauche impulse et favorise, en ne niant pas les contradictions qui peuvent exister et en considérant pleinement les forces vives qui les expriment. J’ajoute, comme l’a également rappelé le Premier ministre, qu’il n’est pas question d’éluder les problèmes en instaurant un service minimum qui reviendrait à une interdiction du droit de grève et amplifierait les blocages sociaux. Alors que, s’agissant de la politique ferroviaire, de la place et du rôle de la SNCF et des cheminots eux-mêmes, une nouvelle donne est à l’œuvre, grâce à la volonté gouvernementale.

L’Humanité
Mais elle ne se traduit pas au niveau des effectifs !

Jean-Claude Gayssot
Détrompez-vous. La chute massive et continue – de 4 000 à 6 000 cheminots par an – est terminée. En 1999, pour la première fois depuis 1982, le budget est présenté à effectifs constants en emplois statutaires. La CGT a elle-même déclaré que c’était un changement radical de politique. Cela a permis que pour les contrôleurs, qui avaient vu augmenter leurs effectifs de 540 emplois depuis 1997, les accords régionaux de fin de conflit se soldent par plusieurs centaines d’emplois supplémentaires.

Les discussions sur les 35 heures peuvent confirmer l’inversion de tendance à la diminution sensible des effectifs, et inscrire l’entreprise publique dans une ambition de développement. La vision passéiste du déclin inéluctable du rail, c’est fini. La politique inter-modale et de complémentarité avec la route que nous impulsons, l’allégement des charges de la dette sur la SNCF, la levée progressive des obstacles – matériels et autres – qui entravent son essor, ouvrent des perspectives d’accroissement du trafic et même de rééquilibrage des parts respectives du ferroviaire et du routier. Cette volonté de conquête est un atout contre ceux qui luttent contre l’entreprise publique et ne rêvent que d’une libéralisation du ferroviaire en Europe.

L’Humanité
Si on écoute la Commission de Bruxelles, c’est pourtant l’avenir qui se dessine…

Jean-Claude Gayssot
La bataille n’est pas gagnée. Mais plusieurs pays s’accordent avec nous à considérer que, pour développer le trafic ferroviaire, il faut une véritable politique européenne en faveur du rail, qui s’attaque à tous les obstacles techniques, normatifs, administratifs, qui favorise la constitution d’un réseau européen en matière de fret et de lignes à grande vitesse, qui encouragent la transparence et la coopération entre les réseaux. En dépit des piètres résultats des privatisations en Angleterre, certains réclament la « libéralisation ». C’est leur affaire, mais que la Commission de Bruxelles ne l’impose pas au États qui ne la veulent pas ! D’ailleurs l’euro-grève du 30 novembre a montré que les cheminots français n’étaient pas seuls à refuser la libéralisation.

L’Humanité
L’Europe devient, avec les échéances électorales de l’an prochain, un enjeu y compris au sein de la gauche et du gouvernement pluriel. Le ministre communiste peut-il intervenir sur ce sujet ?

Jean-Claude Gayssot
Sur ce sujet et sur d’autres bien sûr ! L’orientation politique du Parti communiste vise à impulser une démarche et un contenu résolument offensifs de la construction européenne, favorisant enfin la dimension sociale, économique et démocratique. Aujourd’hui ! L’Europe ne s’occupe pas assez de ce qui la regarde et trop de ce qui ne la regarde pas ; Pour cette Europe nouvelle que nous prônons, il y a tant à faire pour sortir de la seule logique financière, de la mise en concurrence des peuples et des salariés, contre les délocalisations fondées sur le dumping économique, social et fiscal, en matière de services publics. Tant à faire en matière de résistance à la suprématie du dollar et des États-Unis dans le monde. Tant à faire en matière de rapports nouveaux à inventer pour les institutions mondiales ; tant à faire vis-à-vis du co-développement et de la sécurité. L’harmonisation sociale – par le haut – ne s’impose-t-elle pas commune sujet brûlant ? Peut-on réduire à de vagues déclarations d’intention l’aspiration des Européens à une vraie démocratie ? L’environnement n’est-il pas devenu – le nuage de Tchernobyl s’est allègrement joué des frontières – un enjeu à examiner à la dimension du continent ?

D’ores et déjà, quand je me bats pour l’harmonisation sociale dans le transport routier, contre la libéralisation du chemin de fer, pour que ce soit les droits des pas d’accueil qui s’appliquent pour le cabotage maritime, je prends une part, modeste certes, mais une part, de ce combat pour une réorientation de la construction européenne.

L’Humanité
Donc pour vous, il n’y a pas d’incompatibilité entre les positions du PCF et vos positions gouvernementales ?

Jean-Claude Gayssot
Chacun sait depuis le début que notre participation au gouvernement si signifie pas un ralliement aux positions du Parti socialiste. C’est pour cela aussi que l’on parle de gauche plurielle. Donc il y a des différences, il peut même y avoir des divergences forte – je pense au traité d’Amsterdam par exemple – et il y a aussi des convergences. Je ne les oublie pas non plus. Il suffit de relire la déclaration commune PCF-PS en avril 1997. La participation communiste au gouvernement est d’abord le fruit d’une volonté de mon parti qui a décidé de répondre positivement à la question. Elle est ensuite, et j’ai envie de dire surtout l’expression de la volonté d’être partie prenante à tous les niveaux de la société où des choix et débats ont lieu. Que voulez-vous, nous en avons fini avec la conception de grand soir et du parti unique qui a prévalu dans le passé !

L’Humanité
Mais vous êtes moins critique que Dominique Voynet…

Jean-Claude Gayssot
Ma situation, et celle de Marie-George Buffet, est différente. Nous n’avons pas à faire à la fois le métier de ministre et celui de premier dirigeant d’un parti ; et puis, nous savons bien que sans Parti communiste il n’y a pas de majorité de gauche.

L’Humanité
A plusieurs reprises durant cet entretien, concernant la SNCF ou Air France, vous avez évoqué les problèmes de l’emploi, qui demeurent la préoccupation numéro un des Français. N’est-ce pas le critère décisif, celui qui déterminera la réussite ou l’échec de la gauche plurielle ?

Jean-Claude Gayssot
Évidemment. Et Lionel Jospin l’a placé dès l’origine au cœur de l’activité gouvernementale. Je me félicite, soit dit en passant que parmi les entreprises publiques, celles des transports – la SNCF je l’ai dit, mais aussi Air France – s’inscrivent de façon particulièrement dynamique dans la mise en œuvre des 35 heures, en répondant à l’ambition répétée par Martine Aubry de créations d’emplois.

Afin d’accentuer la décrue du chômage et faire régresser une précarité qui la mine la structure de l’emploi d’autres mesures doivent s’ajouter à la réduction du temps de travail, des pistes sont à explorer. Ainsi des problèmes des « charges patronales ». Il ne s’agit pas de diminuer le prélèvement sur le capital, mais de faire en sorte que celui-ci ne pénalise pas l’emploi. Le système actuel est pervers qui les abaisse en dessous du seuil de 1,3 fois le SMIC, et pousse à bloquer les rémunérations à ce niveau. Ne peut-on imaginer de réduire les charges patronales, sous un seuil porté à 3 ou 4 fois le SMIC, par exemple, ce qui ferait sauter un cadenas qui enferme les salaires au plus bas niveau ? Ce dispositif – qui compenserait le manque à gagner des organismes sociaux de 35 ou 40 milliards de francs par une taxation nouvelle sur le capital et les spéculations – ne serait applicable qu’aux contrats à durée indéterminée. Les entreprises seraient : alors fortement incitées à délaisser les CDD et autres emplois précaires ; une telle mesure serait donc favorable à l’emploi.

L’Humanité
L’efficacité en la matière naît d’un faisceau de réformes. Ne peut-on imaginer aussi que les dispositions avancées par Lionel Jospin en matière d’emprunts européens pour des grands travaux – réduction des taux et étalement de la durée de remboursement – puissent être étendues aux régions qui trouveraient là le moyen d’engager de grands chantiers d’aménagement et d’infrastructures ?

Jean-Claude Gayssot
Nous avons un devoir d’imagination et un besoin d’initiatives courageuses pour répondre aux attentes des Français. C’est ainsi que dans les fonctions qui sont les miennes, je conçois la mutation du PCF.

« Ma situation est différente de celle de Dominique Voynet : je n’ai pas à faire à la fois le métier de ministre et de Premier dirigeant d’un parti. »

L’Humanité
Revenons à des dossiers chauds de votre ministère. Vous avez annoncé 19 mesures concernant l’aéroport d’Orly. S’agit-il d’un plan d’urgence ?

Jean-Claude Gayssot
Il faut bien se rendre à l’évidence. Depuis plusieurs années une spirale de déclin a frappé Orly et les activités alentour. Cette partie Sud de l’Ile-de-France, dans le Val-de-Marne et l’Essonne, a vu le nombre d’emplois qualifiés fortement réduit. Aujourd’hui il est possible de sortir de cette logique néfaste. Et c’est bien maintenant que cela se joue. L’existence de deux grands aéroports, Roissy et Orly, en région parisienne, constitue une chance qu’il faut saisir. La réalisation des deux pistes supplémentaires à Roissy ouvre de nouvelles possibilités de développement, mais elle ne permet pas de répondre complètement et quotidiennement aux besoins. Alors que le nombre total de mouvements est limité à Orly, s’exprime à son égard de nombreuses demandes de créneaux horaires concernant des liaisons en France et avec l’Europe. Si l’on ne change rien, nous continuerons à les refuser, privant ainsi cet aéroport de liaisons nouvelles indispensables à l’aménagement du territoire national et à l’Europe. Voilà ce qui inspire avant tout ma démarche : donner un nouveau départ à cette plate-forme aéroportuaire, qui avec une majorité de liaisons point à point, serait mieux protégée des aléas de la conjoncture aérienne internationale.

L’Humanité
Cependant, de vives inquiétudes s’expriment parmi les élus et les syndicalistes du Sud de l’Ile-de-France…

Jean-Claude Gayssot
Pour répondre à ces inquiétudes, il faut garantir que la proposition du Gouvernement ne se réduise pas à répondre de meilleure manière aux attentes du transport aérien, mais qu’elle dessine aussi un projet positif global, en terme de luttes contre la déréglementation, contre les reculs d’activité et d’emploi, contre les carences de liaisons entre Orly et Roissy, entre Orly et Paris, et entre Orly et les territoires de l’Essonne ou du Val-de-Marne. Et j’ajoute, en faisant comme nous l’avons décidé à Roissy, des dimensions environnementales, un enjeu à part entière. Des milliards de francs seront consacrés à ces ambitions.

C’est parce que j’ai posé avec détermination l’ensemble de ces questions, dès le départ de la concertation au mois d’avril, que le dossier peut avancer, et que des inquiétudes liées aux affres du passé, commencent à se dissiper. Je suis convaincu que l’étude que j’ai acceptée, par proposition syndicale, lors de la dernière table route, le confirmera.

L’Humanité
Air France avait décidé de délocaliser la flotte fret et ses activités de maintenance. Ces projets sont-ils abandonnés ?

Jean-Claude Gayssot
Ces décisions illustrent bien le processus engagé antérieurement. Pour ce qui est du cargo-fret Air France, revenir en arrière serait un gâchis. Mais je précise que le fret en général n’est pas menacé par le projet ; Au contraire, la proximité de Rungis peut donner un élan nouveau à une vraie politique inter-modale. Le président directeur général d’Air France, Jean-Cyril Spinetta, a annoncé, au cours de la table ronde que j’ai organisée, que les activités d’Air France Industries seraient en revanche maintenues dans des conditions où la compagnie aérienne nationale s’engage au maintien des effectifs globaux. Vous le voyez, le Gouvernement, mais aussi Air France, s’investissent dans l’avenir de cet aéroport.