Texte intégral
Des dizaines de milliers de vies sauvées ! L’actuel avion de transport militaire européen (le Transall) a sauvé un nombre considérable d’hommes, de femmes et d’enfants à la fin de la crise du Rwanda. Rappelons les faits.
Après les massacres et les exodes, à peu près deux millions de Rwandais s’entassaient dans les camps à proximité de Goma, au Zaïre. Les conditions sanitaires épouvantables polluèrent l’eau, et très rapidement le choléra fit rage. Chaque jour, il fallait enterrer plus de dix mille victimes.
Pour enrayer l’épidémie, il n’y avait qu’une solution : traiter l’eau massivement. Les matériels nécessaires existaient en Occident, mais il fallait les transporter. Or la piste de Goma était impraticable pour la quasi-totalité des avions de transport, civils ou militaires, du monde.
Heureusement, le Transall franco-allemand peut se poser sur des terrains très sommaires, troués, ravinés, boueux… Heureusement encore, le génie de l’air dispose du meilleur système de réparation de pistes du monde. Alors, les Transall se sont posés le génie de l’air a œuvré, et la piste fut réparée en quelques heures… au grand étonnement des Américains. Le pont aérien gros porteur mit alors en place tout le matériel de traitement de l’eau nécessaire. Et, en quelques jours, l’épidémie fut enrayée.
Il n’est pas mauvais de rappeler que l’industrie aéronautique européenne n’est pas toujours à la traine de celle des Américains. Il est des domaines où nos amis d’outre-Atlantique sont les meilleurs, d’autres où nous sommes en tête.
Avec leurs énormes avions militaires de transport, les Américains sont capables de transporter plus vite, plus de volume, plus loin que nous, les Européens. Mais il leur faut de « belles » pistes à l’arrivée. Or elles n’existent pas toujours. Et on peut avoir besoin de se poser quand même, pour des raisons humanitaires ou militaires. Goma l’a prouvé, les guerres du Tchad aussi.
La France, ne l’oublions pas, est liée par des accords de coopération et de défense avec plus de vingt pays africains et malgaches. Pour respecter sa parole, pour protéger des pays menacés par des voisins agressifs, la France a besoin d’apporter vite son aide à des pays qui n’ont pas toujours de « belles » pistes. Même en cas de conflits plus importants, menés en collaboration avec nos alliés de l’Otan, il peut être précieux d’apporter un soutien logistique au plus près des troupes au contact. En Bosnie, le Transall a montré maintes fois l’intérêt de cette aptitude.
Depuis des décennies, le Transall fait des merveilles sous toutes les latitudes du globe. Mais il vieillit. Il arrivera à bout de souffle dès les premières années du siècle prochain. Il faut le remplacer. Comment ?
Deux solutions sont envisageables : soit acheter « sur étagère » un avion américain, soit construire un nouvel avion européen. La première solution présente l’avantage de la simplicité : il suffit de signer un gros chèque le moment venu. Il n’y a rien à dépenser dans l’immédiat pour le développement de l’appareil. Cette économie est peut-être appréciable, mais elle traduirait un comportement « à courte vue ». D’abord parce que l’« étagère » américaine n’est pas pleine. Les Américains ne mettent en service et de développent toujours que des appareils incapables de se poser sur des pistes vraiment sommaires.
Si nous « achetons américains » il faut être conscient que la parole de la France sera parfois moins facile à respecter. En outre, il y a tous les inconvénients économiques d’une solution américaine. D’abord bien sûr, parce que acheter à l’étranger coûte cher en devises et en emplois. Mais aussi parce que ne pas développer un avion vendable coûte au moins aussi cher en avions non vendus. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’influence des ventes d’Airbus à l’étranger sur notre balance commerciale.
Les grandes lignes de l’avion de transport européen futur, souvent appelé Future Large Aircraft (FLA) ou avion de transport futur (AFT), ont été définies par les aviateurs des grands pays aéronautique d’Europe occidentale. Ce sera un avion très « vendable » s’il est construit. Plus gros, plus rapide, plus apte au vol à longue distance que le Transall, il conserverait néanmoins, grâce à ses quatre moteurs à hélices et à son train d’atterrissage adapté, d’excellentes capacités d’utilisation de terrains sommaires.
Parfaitement adapté à des tâches très variées, cet avion pourrait, sans nul doute, être vendu sur toute la planète. Il pourrait faire face, seul, à tous les besoins des armées européennes. Si, par malheur, il n’était pas commandé, les calculs montrent que la France devrait remplacer les soixante avions souhaités par cent vingt C 130 et cinq C 17 américains.
Le C 130, certes à bon marché, est de conception fort ancienne, et les dimensions de sa soute ne permettent pas de transporter tous les matériels des régiments susceptibles d’être envoyés outre-mer, il faudrait donc compléter la flotte de base par des C 17 très gros, très lourds, et… très chers, tant en investissement qu’en fonctionnement. Entretenir deux types d’avions dans une armée de l’air, quand un seul pourrait suffire, est terriblement coûteux à terme.
Le futur avion de transport militaire européen est une véritable nécessité opérationnelle et économique. La France a joué un rôle essentiel dans la définition du projet ; il serait dramatique de le faire échouer en se désengageant pour des raisons conjoncturelles, comme les récentes déclarations gouvernementales le font craindre.
Bien sûr, développer un appareil nouveau coûte cher même dans le cadre d’une coopération européenne. Mais, si les responsables politiques de l’Europe se décidaient à organiser l’industrie d’armement de nos différents pays, en évitant en particulier de développer et d’industrialiser des matériels semblables, des économies massives seraient réalisées. Le financement du futur avion de transport européen se ferait alors facilement. En outre, les industriels concernés sont prêts à faire d gros efforts pour autofinancer une grande part du développement de l’appareil. Mais, pour emprunter, ils ont besoin de quelques garanties de l’État.
La France a initié ce projet : elle doit favoriser toutes les solutions qui permettraient de le mener à son terme. Si l’État français doit confirmer sa décision de ne pas participer financièrement au développement du futur avion de transport européen, il peut encore, par le biais de garanties, partager les risques que les industriels sont prêts à prendre, au nom de l’indépendance et du savoir-faire européen.