Conférence de presse de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, et interview à AITV le 13 mai 1996, sur l'aide européenne à la reconstruction du Liban, la préparation des élections dans l'ex-Yougoslavie et les négociations avec le Mexique.

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Circonstance : Conseil affaires générales à Bruxelles (Belgique) le 13 mai 1996

Texte intégral

Conférence de presse à Bruxelles, le 13 mai 1996

Je voudrais faire le point avec vous de cette journée du Conseil Affaires générales. Je voudrais d'abord me féliciter que le Conseil ait reçu le Président Hariri comme il en avait fait la demande et comme la France de son côté avait insisté pour qu'il en soit ainsi. Nous avons par conséquent entendu une communication du Président du Conseil libanais, destinée à sensibiliser l'Union européenne sur les projets de reconstruction du Liban, et faisant référence à l'arrangement conclu entre les pays concernés, pour la création d'un groupe consultatif pour la reconstruction du Liban. Les ministres sont convenus que cette question serait examinée dans ses modalités par nos directeurs politiques, sur la base d'un intérêt positif pour cette démarche bien entendu. Je rappelle que l'Union européenne a déjà inscrit dans le programme MEDA une contribution pour l'ensemble des pays du Proche et du Moyen-Orient, l'ensemble des pays méditerranéens, comprenant bien entendu le Liban. La démarche européenne doit par conséquent permettre d'inciter d'autres pays à se joindre à cet effort que nous faisons nous-mêmes pour la reconstruction du Liban. La venue de M. Hariri devant le Conseil des ministres a marqué une étape de plus dans l'émergence du Liban comme État constitué. Présent sur la scène internationale et pouvant ainsi offrir à ses partenaires, et notamment à l'Europe, les modalités d'un dialogue dont je souhaite qu'il se nourrisse et qu'il devienne de plus en plus important, et qu'il permette ainsi à l'Union européenne de jouer pleinement son rôle dans tout ce qui concerne le Proche-Orient, inclusivement bien sûr du processus de paix.

Nous avons très longuement évoqué la situation en ex-Yougoslavie. Cela a été l'occasion pour l'ensemble des ministres de féliciter M. Carl Bildt pour l'excellence du travail accompli. Nous sommes conscients que nous entrons dans la période décisive de mise en œuvre des accords de Paris. En particulier la question du retour des réfugiés, du calendrier des élections et de leurs modalités, et du rythme des réalisations pratiques relevant de la reconstruction, constituent devant nous des échéances plus complexes que celles auxquelles nous avons fait face au cours des derniers mois, et qui seront des échéances déterminantes pour la pleine application des accords de Paris, dans le calendrier lié à la présence de l'IFOR.

Je me félicite que, s'agissant du Mexique, le Conseil des ministres soit parvenu à une solution qui convient à chacun. Je m'en félicite d'autant plus que la France souhaite que les négociations qui vont désormais pouvoir s'ouvrir avec le Mexique se déroulent dans de bonnes conditions, aboutissent à bonne fin dans un délai le plus bref possible, et permettent ainsi d'établir avec ce pays des relations économiques et commerciales productives pour les uns et pour les autres.

Nous avons évoqué la question du règlement MEDA, nous sommes tombés d'accord sur la nécessité de transmettre ce règlement au Parlement européen pour qu'il y soit examiné dans les meilleurs délais. C'est donc un signe positif qui montre que les problèmes se règlent les uns après les autres.

Nous allons dans les moments qui viennent nous réunir en formation de conférence intergouvernementale, d'abord pour écouter le Président du Parlement européen qui, comme vous le savez, est entendu avant chaque conférence intergouvernementale, selon les décisions que nous avons prises ensemble à Turin. Ensuite, nous passerons à l'ordre du jour, qui concerne principalement les questions institutionnelles. La France considère qu'il est important qu'au sommet des chefs d'État et de gouvernement de Florence, le débat puisse se concentrer sur les grandes questions concernant la conférence intergouvernementale. Elles sont toutes principalement liées à la perspective de l'élargissement de l'Union européenne. Elles tournent autour d'un nombre limité de points, de points difficiles sans doute, mais essentiels. Oui ou non, l'Europe est-elle décidée à se donner la capacité de décider ? Ceci impose une extension la plus large possible du pouvoir de décision à la majorité qualifiée et suppose aussi un réexamen de la pondération des voix. Oui ou non, est-on décidé à renforcer l'efficacité de la Commission et de son Président ? Jusqu'où est-t-on prêts à aller en matière de politique européenne et de sécurité commune ? Quid de la subsidiarité et du rôle des Parlements nationaux ? Je souhaite qu'au sommet des chefs d'État et de gouvernement de Florence, ces questions soient sur la table. Il faut éviter que la conférence et les travaux préparatoires des représentants permanents ronronnent, poursuivant ainsi de façon sympathique, mais peu utile, les travaux du Comité Westendorp, alors que nous avons devant nous un calendrier serré et que nous avons tous marqué notre intention que cette conférence soit courte et efficace.

Q. : Au sujet du Mexique, la France était opposée auparavant ?

R. : La France n'était opposée à rien, c'est un pays constructif. Elle cherche des solutions. Il n'y a pas de problème. Je crois que nous sommes arrivés comme toujours autour de la table de l'Union européenne, par une démarche itérative, à régler les problèmes, et je m'en félicite.

Q. : C'est une concession spéciale que vous avez faite ?

R. : Mais je passe mon temps à faire des concessions. Il a été convenu que cet accord aurait pour objectif la libération progressive des échanges, qu'à cette fin, un comité euro-mexicain serait mis en place le moment venu au terme de la négociation, afin d'apprécier les modalités, les étapes de mise en œuvre pratique de celui-ci. La France était, depuis le départ, désireuse que, sur l'affaire mexicaine, nous parvenions à une solution qui coïncide avec les positions, il est vrai assez différentes, des uns et des autres autour de la table en début de discussion. Ce n'est pas une situation originale, il en est souvent ainsi, pour ne pas dire toujours. Mais nous sommes parvenus à une situation que je crois positive, pour l'Europe, pour le Mexique, pour tout le monde.

Q. : Pensez-vous que les élections pourront avoir lieu à Mostar à la fin du mois comme prévu, et avez-vous eu l'occasion d'évoquer avec M. Van der Broek sa proposition sur le relais de l’IFOR à la fin de l'année ?

R. : Sur ce dernier point, M. Van der Broek a bien voulu dire qu'il avait sans doute été mal compris. Sur la première question, nous avons dit qu'il était important que ces élections aient lieu, selon les modalités convenues. Je voudrais pour ma part ajouter ceci : Ou bien il y a à Mostar un statut particulier, ce qui est le cas actuellement, et donc une responsabilité particulière de l'Union européenne, ce qui est le cas. Cela comprend des élections, dont les modalités et délais doivent être réglés sur le terrain sous la responsabilité de l'envoyé européen. Ou bien non, et on dit que l'on ne peut pas organiser des élections, on les fera à la même enseigne, comme tout le monde, avec le même calendrier. Dans ce cas-là, il n'y a pas lieu d'avoir un régime particulier, ni d'avoir un envoyé européen, ni un statut spécial. Donc il ne serait pas utile si tel était le cas de prolonger le mandat de M. Cazale. Pour l'instant, nous en sommes à espérer loyalement que les choses puissent se régler dans les heures et dans les jours qui viennent.

Q. : Demain, il y a une réunion du comité vétérinaire. La France est-elle prête à appuyer la levée de l'embargo ?

R. : Vous savez que la France a, en la matière, une démarche constructive. Elle souhaite aider la Grande-Bretagne, et d'ailleurs l'ensemble des pays européens, à surmonter cette épreuve. Nous souhaitons pour cela être entourés du maximum de garanties et d'indications de la communauté scientifique. Ce sont les raisons pour lesquelles, d'ailleurs, le comité vétérinaire en est saisi. Attendons d'avoir, si vous le voulez bien, la décision de ce comité. Les ministres de l'Agriculture doivent se rencontrer le 21, si je ne me trompe, et ils auront à délibérer sur la base des propositions qui leur seront faites par le Comité vétérinaire.

Q. : Le ministre britannique a-t-il fait une déclaration ?

R. : Je vous surprendrais si je vous disais que le ministre britannique, mon collègue Malcolm Rifkind, n'en a pas dit un mot. Naturellement il en a parlé. Il a parlé de tout cela avec beaucoup de conviction rassurez-vous.

Q. : La France ne craint-elle pas des retombées importantes si l'embargo n'est pas levé ?

R. : Les bonnes dispositions de l'ensemble des ministres, et en tout cas de la France, ne font pas de doute. Ce qui est en question, ce sont les modalités pratiques et les garanties scientifiques dont nous avons besoin. Je répète, la France regarde tout cela avec le souci de résoudre les problèmes et avec une grande compréhension pour les difficultés britanniques.

Q. : Avez-vous eu une discussion sur la Croatie ? Êtes-vous prêts à appuyer son entrée au Conseil de l'Europe ? Par ailleurs, M Kinkel a annoncé qu'il allait à Belgrade pour parler de Karadzic et Mladic à Milosevic. Êtes-vous disposé à faire de même ?

R. : C'est ce qu'il nous a dit et nous l'avons naturellement encouragé dans cette démarche. S'agissant de la Croatie, il y a une demande, en effet, d'adhésion au Conseil de l'Europe, cette question n'a pas été évoquée entre nous. C'est un dossier que nous regardons de façon positive bien entendu.

Q. : A propos du Groupe consultatif sur la reconstruction du Liban, il semble qu'il y ait des difficultés avec la Commission ?

R. : Il ne peut pas y avoir de difficulté du côté de la France, celle-ci étant vraiment de bonne composition comme d'habitude. Parce que nous sommes tout à fait ouverts à toutes les formules. Faut-il que l'Europe participe à ce groupe ? Ma réponse est évidemment oui. C'est vrai que l'Union européenne prévoit d'apporter et apporte, en dehors même de ce groupe, une contribution importante à la reconstruction du Liban dans le cadre du programme MEDA. C'est, vrai aussi que plusieurs États membres ont une coopération spécifique avec le Liban. Je pourrais faire devant vous l'évocation de chiffres très importants qui sont les nôtres puisque nous avons prévu de donner, en 1996, 500 millions de francs sous forme de crédits concessionnels, ce qui fait pratiquement le dixième de notre enveloppe. C'est dire si la France est engagée de ce point de vue dans la reconstruction du Liban. Personne n'en doute. Ceci étant, la participation de l'Europe peut permettre à certains de faire un effort supplémentaire. C'est aussi, me semble-t-il, l'occasion d'associer et de mobiliser la communauté internationale, par exemple les Américains et beaucoup d'autres, à cet effort de reconstruction du Liban qui est une question très importante pour nous, et à laquelle nous souhaitons associer le maximum de pays éventuellement contributeurs.

Q. : Dans cette affaire, depuis le début, il y a eu une tension entre la France et ses partenaires de l'Union européenne. Cette querelle a-t-elle disparu ou en reste-t-il quelque chose ?

R. : Depuis Ravello, je n'en ai pas beaucoup entendu parler, mais tout cela ne me paraît pas avoir une très grande réalité. Chacun connaît les liens très étroits que la France a avec le Liban, avec la Syrie aussi, et bien sûr avec Israël. Nous avions donc des raisons spécifiques, particulières, d'intervenir. Je crois que la très grande majorité des États européens avait la même analyse. Je rappelle que, quelles que soient les humeurs et les phrases, la résolution adoptée par l'Union européenne le 21 avril, si je ne me trompe, a apporté à la démarche française le soutien officiel de l'Union européenne. C'est cela que je retiens comme important, le reste me le paraît moins.

Q. : Quelle est la formule adoptée pour MEDA ?

R. : La formule qui a été adoptée résulte d'une proposition grecque qui a fait valoir que sur la transmission du projet MEDA au Parlement européen, elle s'abstiendrait.

Q. : Pouvez-vous nous donner des détails sur les débats qui ont eu lieu au sujet de MEDA ?

R. : Nous avons écouté cette proposition que nous avons jugée constructive et qui laisse en même temps au gouvernement grec des possibilités qu'il souhaite garder dans le cours de la procédure. Donc, le gouvernement grec ne renonce pas aux préoccupations qui sont les siennes. En même temps, il fait un geste positif qui, je peux vous le dire, a été bien reçu par les 14 autres États membres et qui le sera aussi certainement bien dans la région. Je crois que c'est une bonne et sage décision, qui doit naturellement permettre d'avancer sur un dossier tout à fait important. Il n'y avait pas que la question gréco-turque, il y avait aussi l'ensemble des bénéficiaires potentiels du programme MEDA, qui avaient des raisons de faire valoir l'urgence qu'il y avait à régler cette question. Je le répète, je crois que c'est une décision positive et constructive dont je remercie les autorités grecques.

Q. : Le vice-président Marin a informé le Conseil des préparatifs de la directive de négociations avec l'Algérie. Pouvez-vous nous en dire un mot, et quelle est la position française ?
R. : La France a une position extrêmement simple que j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer ici. Nous souhaitons que la négociation avec l'Algérie puisse commencer dans les meilleurs délais. J'espère que le mandat de négociation pourra être adopté au prochain Conseil Affaires Générales, de telle sorte que l'on puisse avancer vite avec l'Algérie, pour laquelle la perspective de cet accord d'association est un élément très important. Quant à nous, Français, nous y sommes particulièrement attachés.

Q. : Au sujet de MEDA, est-il question de la date du 10 juin pour la transmission au Parlement ?

R. : Non. Nous n'avons pas parlé de date.

Q. : le Premier ministre Hariri a demandé une aide à l'armée libanaise pour étendre son autorité sur tout le territoire libanais comme condition avant de désarmer le Hezbollah. Y-a-t-il quelque chose dans ce sens ?

R. : En effet, le Président Hariri a fait valoir, pas tout à fait dans les termes que vous indiquez, mais il a fait valoir qu'il avait deux programmes devant lui, un programme de développement économique et social, et un programme de renforcement de la capacité militaire et de sécurité du Liban pour pouvoir assurer la sécurité et l'ordre au Liban. Ce sont donc deux programmes pour lesquels, naturellement, il souhaitait avoir le soutien des Etats qui le voudront bien.

Q. : Sur Chypre, avez-vous une position commune pour demain ?

R. : Nous n'en avons pas parlé.


Entretien avec « AITV », à Bruxelles, le 13 mai 1996

Q. : Le président Hariri est-il venu aujourd'hui demander à l'Union européenne d'avoir plus de poids sur le plan politique au Moyen-Orient ou a-t-il demandé un soutien beaucoup fort pour le Liban ?

R. : La démarche du Président Hariri était une grande première. C'est la première fois que le chef du gouvernement libanais venait devant l'Union européenne depuis que celle-ci existe. C'était donc un grand événement, pour nous, les Européens, et pour le Liban, je crois, car cela marque la renaissance, jour après jour, du Liban. En même temps, le Président Hariri est venu nous parler à la fois des efforts qu'il fait pour que le Liban se développe, se reconstruise, efforts comme vous le savez très remarquables de l'ensemble du peuple libanais. Aussi est-il venu demander à l'Union européenne de soutenir ses efforts et c'est ce que j'ai trouvé le plus important, d'entraîner la communauté internationale pour appuyer les efforts courageux du peuple libanais.

Q. : Avez-vous le sentiment que les ministres européens ont entendu l'appel libanais ?

R. : Je le crois.

Q. : Est-ce que cela a donné des leçons à tirer pour l'avenir de la politique extérieure de l’Union européenne, Monsieur le Ministre ?

R. : Ce n'est pas le sujet. L'idée est que l'Union européenne pourrait prendre une sorte de leadership pour entraîner un appel à l'ensemble des pays du monde à soutenir l'effort de reconstruction de ce malheureux pays. La France, croyez-le, soutient ardemment cette démarche.