Texte intégral
Je remercie pour son accueil M. Etienne GUYON, Directeur de l'Ecole, comme je remercie les élèves qui sont à l'origine de cette rencontre.
C'est, je l'avoue, avec quelques scrupules que je vais aborder devant vous comme il a été souhaité, cette question primordiale que constitue l'avenir de notre système éducatif.
Scrupule, d'abord, parce que ce lieu où je vais m'exprimer m'impressionne sincèrement.
Ma mère ne m'a jamais vraiment pardonné de n'avoir tenté d'entrer rue d'Ulm et d'être allé me fourvoyer en d'autres lieux, beaucoup moins honorables à ses yeux. Je n'ai eu droit à des circonstances atténuantes que lorsque mon propre fils à réparer, deux décennies plus tard, l'erreur paternelle. Je m'en souviens, en ces instants.
Scrupule, aussi, parce que le Mouvement politique que je préside viens à peine d'entamer un effort d'actualisation de ses analyses sur les problèmes éducatifs. Et je ne saurais trop anticiper sur ses conclusions.
Scrupule enfin, parce que certains parmi vous ont par définition plus de compétences que moi pour évoquer le sujet immense que j'ai à traiter.
Les seuls titres que j'aurais à faire valoir tiennent à une scolarité dans une école normale d'instituteurs, à une expérience pas tout à fait négligeable de la fonction d'enseignant, expérience vécue successivement dans le primaire, dans le secondaire et dans le supérieur, et à l'exercice, 14 années durant, des fonctions de Maire, fonctions qui sont en première ligne, s'agissant de l'éducation.
Je concède que c'est peu.
Qu'on n'attende donc pas de moi l'exposé complet de propositions détaillées qui seraient autant de réponses à l'interminable catalogue des problèmes à résoudre.
Je m'en tiendrai, plus prudemment, à l'énoncé de quelques principes, à la définition de quelques pistes de réflexion, à l'expression de quelques convictions.
Ces principes, ces pistes, ces convictions paraîtront, je pense, suffisamment en contradiction avec la pensée dominante pour présenter un intérêt et un seul : celui de nourrir en débat, ô combien nécessaire.
Si tant est qu'il soit encore possible dans notre pays d'engager une réflexion sereine et approfondie de notre Ecole.
La question mérite en effet d'être posée. L'attitude de certaines des plus hautes autorités, à l'occasion des manifestations d'octobre dernier, en constitue la plus récente justification. A peine les lycéens s'exprimaient-ils que déjà on se hâtait de dire que l'on était de leur côté, qu'on les comprenait et qu'on ne regrettait qu'une chose : de ne pouvoir descendre dans la rue manifester avec eux.
Chaque mouvement lycéen s'accompagne ainsi de son cortège de déclaration vide de sens, de pseudo-confrontation où chacun prend la pause, sans parler des incantations devenus rituel sur le “manque de moyens”.
Il y a bien quelques voix qui s'élèvent pour dire que les problèmes de l'école, “ce n'est peut-être pas qu'une question de moyens”, mais, une fois le constat fait, on ne les entend plus…
Et on en reste généralement là, jusqu'à ce que pour un prétexte ou un autre, les choses rentrent dans l'ordre et les lycéens dans leurs classes. Au moins provisoirement.
Voilà d'ailleurs qui facilite la réalisation du consensus actuel autour de l'idée que le système éducatif est plus ou moins, directement ou indirectement, responsable de tous nos maux.
Car ne nous y trompons pas : il peut y avoir des diagnostics de gauche et des diagnostics de droite. Il peut y avoir des solutions progressistes et des solutions réactionnaires. Pour autant, il y a un constat qui fait une quasi-unanimité : “l'Ecole ne marche pas”. Et elle porterait une responsabilité majeur dans les difficultés de notre société.
Autant le dire d'emblée : c'est là le contresens fondamental. Ce n'est pas le système éducatif qui est à l'origine des difficultés que traverse notre société.
L'Ecole n'est jamais que le reflet, j'allais dire “le précipité” de tous les dysfonctionnements de notre société : du chômage, de l'exclusion, de la drogue, des tensions liées à l'immigration, du racisme, de la peur des banlieues…
Rien ne serait donc plus injuste et plus vain que de continuer à dresser l'opinion contre l'Éducation Nationale, à creuser en particulier l'incompréhension entre parents et professeurs.
Les enseignants méritent plutôt que leur soit témoigné le respect minimum qu'exige un métier devenu plus difficile que jamais, car fondé sur des principes contraires aux tendances dominantes, qui laissent espérer une réussite immédiate et sans effort.
Les enseignants mérites également que l'on rappelle que l'École n'a pas failli et qu'elle a même remporté depuis un peu plus d'un siècle d'immenses victoires. Je crois, pour ma part, qu'il faut refonder notre pacte avec l'école. Or, refonder notre pacte avec l'école, c'est d'abord garder à l'esprit ces réussites. C'est se souvenir, aussi, que l'Éducation Nationale a moins besoin de réformes fracassantes que d'adaptation sereine et de confiance. Au nom de cette fameuse “crise de l'Ecole”, que n'aura-t-on cautionné, en effet, depuis trente années ! Ce n'est pas le moindre des mérites de notre Ecole que d'avoir supporter sans trop de dommages un tel festival permanent de réformes !
Bonnes ou mauvaises, heureuses ou malheureuses, peu (de ces réformes) sont allées à leur but, peu ont été appliquées totalement. Mais toutes ont souffert de ministres qui passent et de technocrates qui se ravisent. Toutes ont alimenté un long processus de sédimentation qui a trop souvent enlevé au système éducatif de sa lisibilité, pour reprendre un terme à la mode.
Ce n'est pas de cette manière que nous pouvons faire évoluer l'école.
La faire évoluer, c'est d'abord en finir une bonne fois pour toute avec les dérives qui ont fragilisé le système éducatif et ensuite tordre le cou à la dernière utopie en date, la décentralisation de l'Education Nationale.
Il sera temps ensuite d'esquisser les pistes d'une modernisation qui ne pourra être que le fruit d'un effort patient et continu. C'est tout l'objet de mon propos.
I — Notre système éducatif a connu ai-je dit un certain nombre de dérive.
La première de ces dérives tient au rapport maître-élève. Depuis Mai 1968, le mot d'ordre et d'éviter à tout prix le conflit, l'affrontement. Saine préoccupation. Mais on est allé sans doute trop loin, car tout ce qui se rapportait de près ou de loin à la hiérarchie a été progressivement gommé au profit d'un consensus superficiel, d'un partenariat pseudo-égalitaire entre “prof” et “jeunes”.
En discréditant ainsi les notions d'autorité, d'effort, on a probablement fragilisé le devoir de respect qui est pourtant une courroie indispensable à la transmission du savoir. Car en occultant ainsi la relation maître/élève et le principe d'autorité, on n'aura pas faciliter le travail des enseignants.
Que l'on comprenne bien : il ne s'agit pas de cultiver la nostalgie du maître à penser. Il s'agit de reconnaître que sans respect, il devient difficile d'enseigner, surtout devant des classes que l'effort de démocratisation de l'enseignement a rendues certainement plus vivantes, mais aussi plus hétérogènes et multiculturelles que par le passé, donc plus difficile à maîtriser…
La deuxième dérive consiste dans le transfert aux familles et à l'environnement social d'une part croissante de la responsabilité de l'apprentissage du savoir. Interroger des parents : tous vous parlerons du nombre croissant d'heures consacrées, dès les classes élémentaires, aux devoirs du soir. Or, les conditions de vie, les différences socio-culturelles font que toutes les familles ne peuvent pas faire de la même manière ce travail d'accompagnement.
Les classes moyennes ne s'y trompent pas. L'effort financier sans précédent pour l'éducation des enfants, le temps passé aux devoirs du soir, l'énergie dépensée a tenté de trouver “le bon collège” ou “le bon lycée”, en disent long sur l'anxiété qui règne. Mais également sur l'inégalité dans l'aide aux enfants qui en résulte. Et c'est là, on le comprend aisément, une source supplémentaire importante d'inégalité des chances.
Et c'est plus grave que jamais.
Les conséquences de la révolution scientifique que nous connaissons nous laissent en effet entrevoir une société de l'intelligence, une société où le partage du pouvoir et de la richesse reposera, plus que par le passé, sur le savoir et la culture. Des modalités d'accès à ce savoir et à cette culture dépendront demain, plus qu'aujourd'hui, Notre cohésion sociale, et l'équité qui doit en être le ciment. Sous les habits neufs d'une prétendue modernité, c'est le conservatisme social qui risque ainsi de se porter mieux que jamais et qui pourra mieux que jamais trier, voire éliminer les plus faibles.
La troisième dérive repose sur la mise à la mode d'une école ouverte à tous les vents. On a voulu que l'école s'inspire de la rue : c'est la rue qui envahit l'école. On est passé, en quelques années, de l'incivilité à l'insécurité ; dans les lycées d'abord, dans les collèges ensuite et maintenant même dans les écoles élémentaires !
On a voulu extraire la morale de l'école. On découvre qu'il n'y a pas d'instruction civique sans morale. En fait d'apprentissage de la citoyenneté, c'est dans certains établissements une poignée d'élèves qui impose aux autres, c'est-à-dire à la grande majorité, une sorte de contre-culture faite de violence et de contrainte.
Ce n'est pas le seul risque…
Demain la tension pourrait être grande aussi de céder aux pressions du secteur marchand. Certains parlent déjà de faire fonctionner l'école comme une mini-entreprise. Ce dérapage sémantique n'est pas neutre et ses dangers ne doivent pas être pris à la légère.
Il est donc temps de rappeler que l'école ne doit pas devenir ni le théâtre de désordres ni la préfiguration d'une civilisation consumériste.
L'Ecole doit rester autant que possible une communauté exemplaire, parce que républicaine, ou l'apprentissage de la citoyenneté fait loi.
L'Ecole, d'abord, appartient à elle-même.
Mais il est encore un risque sur lequel je souhaiterais m'attarder. Le risque le plus préjudiciable à notre école républicaine, c'est le mythe de la décentralisation. A peine le mouvement des lycéens était-il achevé, en effet, que l'on reparlait de décentraliser le système éducatif. Il en irait donc à l'Éducation comme de l'emploi, comme de l'aménagement du territoire, comme de la solidarité : si l'Etat était dépassé, il n'y aurait qu'à transférer sur les collectivités et les régions.
L'ambition n'est pas noble. Il s'agit surtout, il s'agit toujours, de trouver d'autres sources de financement. C'est toujours par là que cela commence, sans qu'on songe à apprécier ce qu'en seront les conséquences. Les décisions du gouvernement à la suite du mouvement des lycéens en auront été une démonstration presque caricaturale. On annonce ainsi, à la fois, la partition de l'école républicaine et un transfert de charges sur les collectivités. Qui dit mieux ?
En France, nous avons pourtant choisi, ensemble, la République et la Démocratie. Dès lors que ce choix était fait, il impliquait forcément, il implique toujours, celui d'une Education Nationale.
Cette Education Nationale ne s'est pas faite sans débats ni combats. Ces débats et ces combats sont d'ailleurs d'une composante de notre histoire intellectuelle et morale.
En France l'Ecole est ainsi une institution organique de la République.
La fragmenter, laisser s'imposer, au nom d'une nécessaire évolution, je ne sais quelle autre logique censée mieux répondre aux besoins locaux, c'est contribuer à défaire l'Etat, qui a fait la France. Car c'est par la volonté de l'Etat – il n'est pas inutile de le rappeler – que l'on a construit, il y a un siècle, une école de garçons et une école de filles dans chaque commune.
C'est parce que les instituteurs étaient des agents de l'Etat qu'ils ont pu échapper aux féodalités locales et répandre l'instruction dans tous les recoins du territoire national.
C'est par la volonté de l'Etat que tous les élèves, qu'ils soient français ou pas, ont eu accès au même savoir et à la même langue.
Les missions de l'Ecole s'inscrivent donc en France et ne peuvent s'inscrire que dans un cadre unitaire. Ce cadre, c'est celui de la République.
Il y a cent et quelques années, il s'agissait principalement de délivrer un minimum de formation civique aux futurs citoyens, en faisant émerger une “opinion consciente et dirigeante” pour reprendre les termes de Jules Ferry.
Cet objectif demeure : au-delà des formations particulières qu'elle dispense, notre école doit former des citoyens. Et à ce défi, toujours d'actualité, s'en ajoute désormais de nouveaux.
Le principal de ces nouveaux défis, c'est la démocratisation de l'enseignement, démocratisation qui a pour corollaire l'égalité des chances pour tous. L'égalité des chances qui est une urgence nouvelle, impérative.
L'égalité des chances qui est le nouveau défi républicain.
L'égalité des chances, c'est le droit pour chacun grâce à ses études, son travail, son talent, ses initiatives, de jouer pleinement tous ses atouts. L'égalité des chances, c'est ce qui permet à chacun de dépasser des handicaps géographique, culturel ou financier, pour tracer sa propre voix. C'est l'égalité des chances, et elle seule, qui rend tolérable, légitime, la société d'émulation dans laquelle nous vivons.
En République, l'égalité des chances, c'est la responsabilité propre du politique et l'Education Nationale en est l'outil maître.
L'égalité des chances, elle commence – et je serais tenté de dire qu'elle finit — par l'égalité des territoires et l'homogénéité dans la répartition des ressources éducatives.
Or, j'ai beau chercher, je ne vois pas qui, mieux que l'Etat, peux les assumer !
Certainement pas les régions, qui accentueraient les déséquilibres : les bons profs bien traités dans les territoires riches, les autres accueillis là où ils seront bien obligés d'aller, faute de mieux ! A cet égard, l'argument de la liberté de choix avancé par certains est une totale irresponsabilité.
D'autant que l'Ecole est aussi, ne l'oublions pas, le creuset de notre identité nationale. Par identité nationale, je n'entends nullement, bien sûr, une quelconque exaltation nationaliste, mais simplement le sentiment d'appartenir à une collectivité unie par une communauté de valeurs et de destin.
Cet héritage commun me paraît difficilement compatible avec un enseignement qui serait demain différent, par son contenu et par sa qualité, selon que l'on soit de Provence ou du Nord, de la campagne plutôt que la ville. C'est pourtant ce vers quoi l'on accepte de tendre quand on parle de la décentralisation de l'Education Nationale.
S'il faut ouvrir de nouveaux espaces de liberté, prenons donc garde à ne pas morcelé l'institution. La lutte contre un centralisme excessif ne doit pas déboucher sur l'affirmation de nouvelles féodalités. Le combat contre l'uniformité ne doit pas remettre en cause l'unité. L'Etat, répétons-le, en est le garant.
C'est à lui de décider des diplômes et des programmes. C'est à lui encore de garantir le statut du personnel, les modalités de sa formation et de son recrutement.
En réalité, s'il y a une exception française à défendre, c'est bien celle de l'homogénéité de notre système éducatif.
II — j'ai évoqué les dérives et les risques.
Il y a lieu maintenant de tracer les chemins possibles.
Dès lors qu'on veut bien convenir de l'enjeu de notre temps est d'aider l'Ecole à réussir le pari de l'égalité des chances en restant fidèle à ce qui fait la spécificité de notre modèle éducatif français.
Je pense sincèrement que nous ne pourrons plus longtemps faire l'économie d'une réflexion sur ce que doit être notre modèle culturel du 21ème siècle.
Ce modèle, il doit, à mon sens, se construire sur un objectif prioritaire : l'équilibre entre les exigences culturelles et les réalités économiques. Exigences qui, au demeurant, ne sont pas forcément contradictoires.
Ce qu'il nous faut en réalité bâtir, ce sont de nouvelles humanités, des humanités modernes en quelque sorte, qui seraient plus une culture et une technique de l'esprit qu'une accumulation massive de connaissances.
Il convient désormais de réconcilier définitivement la culture scientifique et la culture humaniste, d'équilibrer entre formation générale et professionnelle et, surtout de conserver intact pour chacun le goût et la chance de s'instruire tout au long de sa vie.
L'Ecole, dans son acceptation la plus large, et sous réserve des missions spécifiques de telle ou telle de ses composantes, doit d'abord former des acteurs de nos sociétés, c'est-à-dire des hommes et des femmes aptes à se conduire en êtres responsables et capables de se reconnaître dans leur environnement social et culturel. Mais elle ne saurait assurer en aucun cas et à titre exclusif la mission de combler des cases dans un appareil de production. Tout au plus, peut-elle concourir à l'accomplissement de cette mission par les entreprises.
Cela étant dit, on touche très vite à une première contradiction : notre système de carte scolaire, en traduisant la ségrégation sociale dictée par la ségrégation de l'habitat tend à reproduire, voir à amplifier les inégalités.
C'est là qu'on découvre tout l'enjeu de la déconcentration. Réussir la déconcentration, ce serait d'abord donner plus d'autonomie aux établissements, c'est-à-dire aux équipes pédagogiques qui sont au contact direct et quotidiens du terrain, de ses particularités et de ses besoins, pour qu'elles puissent réduire les handicaps liés à leur environnement.
Le principe des projets d'établissement est connu. Il est bon. Dans la pratique, pourtant, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. Quand il s'agit d'autonomie des établissements, aucun texte, aucune directive n'en précise le champ, les domaines d'intervention ou les partenariats possibles. Demandez aux chefs d'établissements, tous vous diront qu'ils vivent en matière de projet d'établissement dans le clair obscur.
Il s'agit donc de donner les moyens à chaque établissement de développer son projet. Pas un projet formel, comme c'est le cas trop fréquemment, mais un projet qui réponde à la demande de la communauté scolaire qui fait la jonction avec la réalité extérieure. Un projet auquel seraient associés les enseignants, les parents d'élèves, les élus locaux et l'administration de l'Education Nationale. A l'Etat ensuite de prévoir les règles de sa validation, son suivi et les moyens indispensables. Donc la distribution doit permettre d'assurer les péréquations évidemment nécessaires.
Mais réussir la déconcentration, c'est aussi améliorer la gestion du service public de l'Education Nationale.
Il s'agit d'abord – et en général – d'encourager la prise de responsabilité, l'émulation, le mérite.
Cela existe déjà, en termes de politique salariale, notamment pour les enseignants qui travaillent dans les zones les plus difficiles. Il faut étudier les moyens d'étendre ce principe, pour aider les enseignants les plus entreprenants. Il s'agit en outre, et plus particulièrement, de donner à chaque enseignant la chance de pouvoir exercer au mieux sa compétence et son enthousiasme. C'est d'ailleurs ce que réclament les élèves.
L'Etat ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur le métier d'enseignant. Il est urgent à la fois de cadrer ses missions et de constater aussi l'élargissement du champ d'intervention des maîtres au sein des établissements.
Chacun sait que traditionnellement la répartition des tâches était claire : aux familles l'éducation, aux maîtres la formation. Mais ces données ont profondément changé. L'école ne peut plus ignorer la dimension sociale qui désormais lui incombe. La crise économique, le chômage, la destruction de certaines cellules familiales ont fait que, pour beaucoup d'élèves, la “maison” c'est aussi et surtout l'Ecole, autrement dit – et autant que faire se peut – un lieu d'écoute, de sérénité, de conseils indispensables à chaque enfant ou adolescent.
Qu'a démontré le dernier mouvement lycéen, sinon que les élèves ne concevaient plus l'école simplement comme un lieu formel où l'encadrement, les horaires, les programmes font la loi ? Les lycéens ont sans doute exprimer la nécessité d'une nouvelle relation avec les adultes, non par contestation des hiérarchies, mais par nécessité impérative pour leur équilibre, pour leur réussite, de trouver à l'Ecole une réponse à leur projet personnel.
Cette réalité, les enseignants la vivent depuis longtemps : beaucoup de profs, au-delà du service strict, consacrent du temps et de l'attention, non seulement à l'élève, mais à la personne qu'il est.
Mais ce qui se faisait cas par cas, dans les couloirs, par un temps arraché à la monotonie du quotidien, devient désormais une exigence collective. Ne faudrait-il pas aider les professeurs à assumer cette nouvelle mission ? Trouver des plages horaires libres, des lieux disponibles, des moyens pour que l'écoute ne soit pas à l'exception, mais la règle ?
N'est-ce pas là aussi un beau projet de “déconcentration”.
Réussir la déconcentration, c'est enfin tenir compte des spécificités du milieu rural. Notre pays compte beaucoup de petites communes et donc de petits établissements qui souffrent d'isolement et de désertification économique.
Le maintien d'un échelon communal barricadé ne laisse que peu d'espoirs de réforme aux classes primaires, bien sûr, mais aussi aux collèges et lycées ruraux.
La mise en réseau des écoles, dans un même “pays” ou “bassin de vie”, me paraît donc être la seule solution réaliste à la fin du moratoire sur la ruralité. Cette mise en réseau, articulée autour des projets d'établissements, reposerait sur un double principe : la solidarité financière et la mise en commun des équipements tant scolaires que culturels. Elle peut s'appuyer sur le développement des nouvelles technologies. On le sait, les outils multimédias judicieusement répartis, confiés aux enseignants pour qu'ils en valident le contenu, peuvent donner un formidable élan au développement du territoire.
Cette mise en réseau, elle pourrait être opportunément transposée dans les grandes agglomérations où des solidarités pédagogiques et financières doivent pouvoir être trouvées entre quartiers de caractéristiques différentes.
Enfin, plutôt que de discourir sur la nécessité d'une “démocratie lycéenne”, le gouvernement serait bien inspiré de donner un nouvel élan au système participatif.
Chacun sait que les structures participatives des établissements manquent de vie et de dynamisme. On en connaît les conséquences. Les familles s'interrogent sur l'utilité des élections et des conseils d'établissement. Sans débat, les relations parents/enseignants deviennent formelles et non pas les retombées nécessaires dans la pratique quotidienne. Cette panne du système participatif contribue, elle aussi, à l'atonie de la vie scolaire qui a du mal, au niveau de l'établissement, à faire émerger ses choix et ses besoins.
Reste, au-delà des questions liées aux structures, le débat sur les programmes.
En matière de savoir d'abord, il faut affirmer haut et clair l'évidence : on ne peut prétendre à l'exhaustivité. Or cette évidence, on l'ignore superbement. Le volume des contenus disciplinaires ainsi plus que doublé en vingt-cinq ans. On ne peut plus accepter cette boulimie encyclopédique, la multiplication à merci des options qui dérèglent et surcharge les emplois du temps.
L'alternative de Camus « gaver des oies au former des esprits » est plus que jamais d'actualité. Il faut structurer la transmission du savoir.
A condition de mener la réforme avec bon sens. A cet égard, les projets gouvernementaux de réforme du lycée me laissent perplexe.
Si il s'agissait de corrections à la marge – ce qui semble être finalement le cas, ce n'était pas la peine de prendre le risque de déstabiliser l'ensemble des acteurs du système éducatif. Ni d'ailleurs de lancer, il y a plus d'un an, une grande consultation nationale…
En fait, le problème auquel nous sommes confrontés vient probablement du faite que les programmes et les méthodes sont entre les mains des mandarins des savoirs qui n'ont que faire, le plus souvent, de la contrainte pédagogique.
Et il en va trop souvent dans notre appareil éducatif, comme dans certaines entreprises : on fait du chiffre, mais on fonctionne à perte. On confond chiffre d'affaires et bénéfice. On privilégie la quantité et la qualité de ce qui est énoncé ; mais on fait moins de cas de ce qui peut être effectivement retenu.
La “leçon d'agrégation” demeure à jamais le symbole caricatural de ce malentendu, puisque dispensé hors la présence des élèves.
Alors même que le principe essentiel de la pédagogie est d'une grande simplicité. Une réponse ne sera assimilée que dans la mesure où elle correspondra à une question qu'on se sera posée, ou qu'on aura suscitée. Le terreau ne sera jamais fertile que s'il a reçu de l'engrais.
En 6ème, je m'en souviens, je me moquais totalement des Hittites qu'on cherchait à m'infliger et dont j'ai gardé d'ailleurs le plus flou des souvenirs.
En revanche, on sortait de la guerre. Et j'aurais aimé savoir pourquoi nous vivions dans des ruines, comme l'élève d'aujourd'hui pourra être interpellé par la retransmission à la télé du film sur Lucie Aubrac.
Rétablir un juste équilibre entre nécessité du savoir et contrainte pédagogique, voilà une belle priorité. Une priorité politique.
Mais si l'on veut aider les enseignants à pouvoir se recentrer sur l'acquisition des savoirs fondamentaux, encore faut-il s'interroger sur les limites de leur omnivalence.
Un enseignant doit-il en effet tout à la fois inculquer le français et les langues étrangères, l'informatique et la vidéo ? Presque tous les pays qui ont répondu non ont confié l'enseignement des langues, de l'éducation physique et sportive, de la musique souvent et de l'informatique parfois, soit à des spécialistes, soit à des bivalents.
Qu'attendons-nous pour en faire autant, en multipliant notamment les postes dits à profil ? D'autant qu'il faudra bien rattraper notre retard en matière de nouvelles technologies, alors que chaque jour rend plus urgente la nécessité de rendre nos enfants plus indépendants vis-à-vis du pouvoir de l'image.
Ne nous trompons pas toutefois de combat : les réformes portant sur le contenu des programmes ou la pédagogie n'ont de sens que si elles s'inscrivent dans une réflexion globale sur l'aménagement du temps scolaire.
L'élève français, on le sait,– et c'est vrai en particulier à l'école et au collège –, souffre d'une triple aberration en terme d'emploi de son temps : la journée est trop lourde ; la semaine mal répartie ; l'année scolaire trop courte. Les performances scolaires s'en ressentent et la machine de promotion sociale est en panne.
La réforme – que dis-je : la révolution – du temps scolaire est donc nécessaire. Elle doit poursuivre quatre objectifs : assurer une meilleure réussite scolaire, en facilitant les apprentissages et en répartissant mieux l'effort ; rendre l'école plus attractive, tout en développant les potentialités de l'enfant ; favoriser l'insertion sociale de l'enfant et son intégration dans la ville, en lui faisant découvrir et utiliser ses infrastructures et équipements culturels et sportifs ; réduire enfin les inégalités, en rendant les activités périscolaires gratuites et accessible à tous.
En somme, il s'agit de jeter les bases d'un esprit citoyen tout en facilitant l'acquisition des connaissances primordiale.
La réussite de l'opération repose sur deux principes : une répartition claire des rôles entre les enseignants, aides d'éducateurs et autres intervenants, une complémentarité entre les activités menées au sein même de l'école et celles conduites à l'extérieur, en partenariat avec le milieu associatif et les collectivités locales. Car il s'agit tout à la fois de respecter le rôle de l'enseignant, d'éviter la confusion des rôles et une trop longue journée à l'école.
L'expérimentation lancée par le précédent gouvernement sur l'initiative du Président de la République, dans l'esprit de ce que nous avions fait à Epinal, a été largement positive. Un récent rapport vient d'ailleurs de le confirmer.
C'est, je l'avoue, avec un certain plaisir que je cite quelques unes des conséquences relevées par cette étude, menée auprès de 230 sites pilotes :
Une école plus attractive et un temps rééquilibré pour le bien-être des enfants, le développement de leur autonomie est une socialisation accrue, une adhésion massive des parents, une réelle démocratisation de l'accès aux activités culturelles et sportives, une dynamique locale renforcée grâce a une forte mobilisation des acteurs.
Ce n'est pas rien… Et c'est bien sûr perfectible.
Et à cet égard, ce que je viens dénoncer en terme de réseaux d'écoles constituait une réponse à l'objection souvent formulée quant à l'inégalité des moyens disponibles dans les communes. D'autant qu'il revient à l'évidence à l'Etat de prendre sa part au financement de ses formules, d'abord parce qu'il est comptable en terme d'égalité des chances, ensuite parce qu'il ne saurait rester indifférent à leur impact prévisible en termes d'emploi…
Pourtant, au lieu d'étudier les moyens de généraliser cette expérimentation et d'y apporter aux besoins les correctifs nécessaires, on a préféré y mettre fin, en entretenant qui plus est un certain flou – qui demeure – sur d'éventuelles formules de substitution. Or la réforme et la maîtrise du temps scolaire peuvent être une vraie ambition nationale.
Une ambition qui nécessite, il est vrai, et je le répète, des moyens. Mais ce coût – dont il ne faut d'ailleurs pas exagérer les montants —, c'est celui de l'égalité des chances… Il me semble très largement compensé par les résultats. Et il me paraît au demeurant largement inférieur, à moyen terme, à toutes les démarches qui consistent, lors de chaque “crise lycéenne”, à accéder à l'impératif des toujours plus budgétaire…
J'ajoute que l'on peut préférer sans risque une démarche où il y aurait 350 000 à 400 000 postes de travail à créer, aisément définissables, ouverts en particulier aux jeunes, à celle qui consiste à créer 350 000 emplois-jeunes, et à se demander ensuite à quoi ils pourraient bien servir.
Voilà donc, quelques-unes des idées-forces qui me paraissent devoir prévaloir temps à l'école primaire, qu'au collège et au lycée…
— une école tout à fait imperméable aux fausses bonnes idées à la mode est ouverte sur la nécessaire modernisation ;
— une école tout à la fois imperméable aux fausses bonnes idées à la mode et ouverte sur sa nécessaire modernisation ;
— une école revalorisée qui ne s'essouffle plus derrière des réformes jamais maîtrisées, dont les missions soient reconnues comme étant au coeur de notre modèle républicain ;
— une école qui saisisse l'occasion de la déconcentration comme une chance de modernisation et pas comme un moyen pour l'Etat de se défausser de ses responsabilités, au prétexte d'une décentralisation qui ne dirait pas son nom mais qui aboutirait inexorablement à défaire notre Nation.
Ces principes valent bien évidemment aussi pour l'enseignement supérieur. Car il ne saurait être question de cloisonner les différents degrés d'enseignement. L'Ecole — dans son acceptation plus restreinte — et l'enseignement supérieur participent d'un tout. De la réussite de l'un dépend celle de l'autre ; et leurs échecs respectifs iraient également de pair.
Comme la plupart des pays développés, notre enseignement supérieur, plus encore que les enseignements primaire et secondaire, a dû faire face à de nombreux défis et d'abord à une augmentation sans précédent de ses effectifs.
Un fait incontournable s'impose en effet : une majorité de jeunes d'une classe d'âge s'inscrit désormais chaque année dans l'enseignement supérieur.
L'Université doit ainsi répondre à une massification imposée à la fois par le choix politique de la non sélection, par l'évolution démographique et par la généralisation du baccalauréat.
Il faut en prendre acte et en tirer toutes les conséquences.
On ne peut réclamer à cor et à cri l'égalité des chances à l'école et faire l'impasse sur le droit à l'éducation supérieure pour tout bachelier, c'est-à-dire une majorité de jeunes d'une classe d'âge donnée.
Nous n'avons pourtant cessé de nous effrayer de cette “massification”. Mais qu'est donc la « massification » sinon une démocratisation non maîtrisée ! Comment peut-on oublier que si certains diplômes souffrent d'une crise de reconnaissance, tout diplôme est un atout dans le processus d'intégration, d'accès au monde du travail et de l'entreprise. Plus un pays a d'étudiants, mieux il se porte, plus sa culture trouve de nouvelles déclinaisons.
Ces défis, la France, cinquième puissance économique mondiale, peut et doit les relever.
L'objectif est de passer de la massification à la démocratisation. Sa réalisation passe par l'orientation. Faute d'orientation sérieuse, le libre accès à l'Université s'avère en effet trop souvent une impasse, ainsi que l'illustre le taux élevé d'échecs au DEUG.
Les frustrations des nouveaux promus à l'enseignement supérieur sont aujourd'hui d'autant plus vives qu'ils ont le sentiment de ne pas avoir eu de “retour sur investissement” ce qu'on leur avait pourtant présenté comme un droit, résultant du succès au baccalauréat.
L'université est encore trop souvent une vieille dame digne, qui aveugle de sa toge ceux qu'elle accueille. Mais ce n'est pas cette protection hautaine que demandent les étudiants. Ils demandent attention, encadrement, et — je le répète — orientation.
Au lendemain de l'obtention d'un baccalauréat général, le nouvel étudiant, on le sait, s'engage dans une spécialisation étroite qui se solde plus d'une fois sur deux par un échec.
La non sélection a donc bien pour indispensable corollaire l'orientation. Or, déjà insuffisante au lycée, où le rôle du conseiller d'orientation se limite trop souvent à gérer les échecs, la politique d'orientation est totalement balbutiante dans l'enseignement supérieur. Je rends d'ailleurs hommage, au passage, aux quelques universités, qui bien avant l'Etat, ont pris la mesure du problème et su donner l'exemple de l'efficacité.
A la sortie du lycée, tout se passe comme si le besoin d'orientation disparaissait pour laisser la place à des effets de mode ou d'engouements collectifs. Ce fut le cas, par exemple, pour la sociologie, et ça l'est encore depuis quelques années pour les sciences et techniques des activités physiques et sportives. Or, l'orientation ne saurait être une simple information, mais un dépistage des talents, un passe obligé, voire obligatoire vers un choix raisonné ou enthousiaste, même si, en fin de compte, il appartient à chacun de juger en son âme et conscience.
Si on a, à ce point, diversifié les baccalauréats, c'est précisément pour inciter les talents, alors de grâce tirons-en les conséquences logiques.
L'objectif devrait être plutôt de faire du DEUG un pôle d'orientation et d'initiation au travail universitaire. Il s'agirait d'aider les nouveaux étudiants à s'adapter au haut niveau et aux méthodes de travail de l'enseignement universitaire. La démocratisation, la fin de la massification, passent obligatoirement par cette stratégie.
Stratégie qui doit prendre appui sur les villes moyennes. Les DEUG doivent rester dans le cadre de l'Université. Il n'est pas nécessaire qu'ils se déroulent au siège de l'Université.
Déjà, je le sais, des initiatives ont été prises pour renforcer le tutorat, l'orientation et l'encadrement. Mais l'université ne peut pas faire seule face à une tâche aussi immense. C'est l'Etat et la Nation qui ont choisi la démocratisation. A eux donc d'en faire une vraie politique, qui doit reposer sur un engagement explicite de l'Etat et une juste répartition entre les universités des moyens indispensables.
Ce sont de telles situations de choix positifs qu'il faudrait créer au début et à la fin d'un premier cycle devenu à la fois un socle et une sorte d'échangeur. Le choix de l'autoroute viendrait après.
Or que nous propose-t-on avec le déjà trop fameux 3/5/8 ?
Au nom d'une harmonisation européenne de l'Education qui n'existe que dans les rêves d'un ministre français, faut-il vraiment faire entrer tous les diplômes dans un moule unique ?
Je ne suis évidemment pas hostile au concept d'universités européennes. Au Moyen-Age, le réseau des monastères en faisait office. On peut penser les rétablir même si d'autres priorités me semblent s'imposer : comme la reconnaissance mutuelle des diplômes, les jumelages de classes primaires, l'apprentissage des langues… De toute façon, on ne peut utilement y réfléchir que sous réserve qu'elles prennent en compte les intérêts communs d'une communauté géographiquement et culturellement cohérente.
Sinon, on ne fera que mettre de nouvelles couches sur le mille-feuilles de nos formations…
Et puis la mise en place de la réforme Bayrou sur les diplômes de Mars 1997 n'est pas encore achevée qu'il faudrait déjà se lancer dans une sédimentation de plus, et qui plus est, cette fois très aventureuse. La réforme Bayrou tente pourtant d'apporter des réponses intéressantes en matière d'organisation des enseignements, de lutte contre l'échec, d'ouverture en direction du monde de l'entreprise et de l'Europe. Prenons le temps d'évaluer ces réponses voire de les compléter grâce aux expériences de terrain.
D'autant que le 3/5/8, risque de surcroît de désorganiser ce qui marche, à savoir la charnière maîtrise — 3ème cycle. Il me paraît donc être une expérimentation dont notre université risque de pâtir. Et ce d'autant plus qu'à aucun moment ni les brillants esprits qui en sont les inspirateurs ni même, pire, le Ministre qui en est le promoteur n'ont évoqué les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre.
Notre université ne mérite pas un tel traitement. Elle a accompli de grandes avancées au cours de ces dernières années afin de répondre aux besoins économiques, en particulier pour ce qui est de la professionnalisation, du partenariat développé avec les collectivités locales, qui trouve là tout son sens, ou avec des liens créés avec les entreprises.
Des progrès sont encore bien sûr possible, mais il y a des limites à l'exercice. Car l'université n'a pas vocation à être calquée sur les besoins du monde économique.
Le nouveau modèle universitaire, devra également s'appuyer sur le principe d'une Université qui serait celle de toute une vie. Seule la formation continue peut en effet aider à relever les défis prévisibles pour chaque individu. Flexibilité, fluidité, adaptabilité, employabilité autant de nouveaux concepts du travail qui montrent bien qu'il n'y aura plus de linéarité des parcours. Car nul ne peut prévoir ce que seront les métiers de demain, ou ce que deviendront les métiers d'aujourd'hui.
L'éducation doit donc impérativement accompagner le citoyen tout au long d'une vie de manière à l'enrichir durablement par des acquis professionnels à jour et surtout par l'offre de nouvelles pistes, de nouvelles chances qu'offrira l'évolution de notre civilisation.
Mais comment pourrions-nous renforcer des formations ou créer des pôles d'excellence compétitifs au plan international si nous laissions se développer sur notre territoire des universités “fortes” et des universités “faibles” ? C'est l'une des questions qu'il faut se poser d'urgence. Il y a déjà en France des universités en difficulté. C'est notamment le cas des universités nouvelles. Il faut une justice, donc des clés de répartition équitables. Ce n'est pas toujours le cas et le travail d'évaluation doit être strict et précis. On a progressé en la matière, mais je crains toujours que le soufflé ne retombe.
C'est dans ce cadre, me semble-t-il, que doit être également posée sur la place publique la question de la place de la recherche dans notre pays.
Or, nos universités, malgré de réels progrès accomplis ces dernières années, n'ont qu'une faible capacité propre de recherche. Notre système qui repose sur un mode de fonctionnement datant des années soixante-dix, souffre d'une trop grande dispersion et d'une faiblesse d'organisation, ceci malgré l'importance des moyens financiers engagés ainsi que la qualité de l'implication des femmes et des hommes qui y travaillent.
Là encore, il ne s'agit pas de tout bousculer, mais au contraire de prendre le temps nécessaire pour engager une évolution durable. Une évolution menée dans la concertation et qui ne serait en aucun cas une simple transposition d'un modèle étranger. Les réactions aux initiatives brutales et partielles prises par le gouvernement – et qui plus est par voie de décret – sur l'organisation du CNRS et de l'INSERM montrent précisément ce qu'il ne faut pas faire…
Cette évolution passe notamment par une simplification de l'organisation et une définition plus précise des missions respectives des différents établissements, une coopération renforcée entre les établissements de recherche, les universités et les entreprises, enfin la mise en oeuvre d'une vraie politique de gestion des ressources humaines au sein des établissements publics de recherche et des universités.
Les enjeux sont de taille. La guerre économique, la compétition scientifique et technologique impose à notre pays un défi d'adaptation qui ne rend que plus urgente une impulsion politique nouvelle, sans parti pris idéologique, à l'image de ce qu'avait engagé avec succès le Général de Gaulle dans les années soixante. Il faut être lucide : si cet effort national n'est pas mener à bien, la France ne peut espérer venir à bout des problèmes d'emploi et d'intégration sociale qu'elle connaît.
Mais notre modèle culturel repose aussi sur une complémentarité qui a fait ses preuves entre l'Université et l'enseignement délivré dans les grandes écoles.
La force de notre système éducatif repose sur ces deux socles. Ce serait une erreur de le remettre en cause.
Les deux systèmes peuvent se nourrir mutuellement et des passerelles doivent être créées pour favoriser les échanges d'enseignants et d'étudiants. Les grandes écoles doivent développer leurs activités de recherche en relation avec les universités et s'ouvrir à l'international, les universités devant elles-mêmes assurer une meilleure prise en charge de leurs étudiants.
A cet égard, il me semble que la façon dont le gouvernement procède actuellement n'est pas la bonne.
D'abord parce que l'on ne discerne pas bien quelles sont ses intentions réelles.
Ensuite et surtout parce que l'un de ses premiers actes concrets aura été de fragiliser le système des classes préparatoires.
D'autres que moi ont dit combien la méthode employée a déconcerté le milieu enseignant. Comment en effet ne pas être troublé par la façon dont on a procédé à la réforme de la procédure des concours ou à la diminution des crédits alloués au financement des heures supplémentaires ?
Au-delà de la méthode, il reste le fond.
Les classes préparatoires constituent le meilleur facteur de promotion sociale. Le recrutement est moins homogène que l'on voudrait nous le laisser croire. Les classes ouvertes aux élèves issus des filières techniques et technologiques se sont développées. L'existence de classes de proximité dans les villes moyennes où il n'a pas été possible d'établir un pôle universitaire permet à des jeunes d'accéder aux études supérieures dans des conditions qu'ils ne pourraient pas trouver autrement.
La préparation de concours aux exigences élevées constitue en elle-même une formation qui permet à des étudiants de construire un parcours rapide et solide à l'Université. Dans les filières littéraires en particulier, nombre d'élèves sont admis à s'inscrire en licence après leurs deux années de classes préparatoires. Pourquoi ? Tout simplement parce que leur niveau est bon.
La menace qui pèse sur les classes préparatoires n'est pas nouvelle. Elle trouve sa source dans une méprise, qui consiste à confondre excellence et en élitisme. C'est le piège dans lequel il ne faut surtout pas tomber…
Voilà, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
J'en termine en ayant le sentiment d'être parvenu à être à la fois trop long et bien incomplet.
J'espère du moins vous avoir fait partager ma conviction que ce sont des faux-procès qu'on fait à l'Ecole.
Il n'est pas de corps ou d'institutions qui aient autant évolué qu'elle au cours des trente dernières années.
En dépit de toutes les réformes dont on l'a accablé, elle a évolué en fait grâce à l'extraordinaire énergie, l'extraordinaire capacité de mobilisation et d'adaptation de ceux et celles qui la font vivre au quotidien.
Ce qu'il faut, c'est l'aider à continuer à progresser.
En défendant sa cause devant les Français.
En la convaincant elle-même du rôle qu'elle a à jouer.
Car ce n'est pas par le repli sur elle-même que la communauté éducative obtiendra la reconnaissance qu'elle mérite, reconnaissance au sens le plus fort du terme. C'est par l'ouverture et le service des projets que se donnera notre Nation.
Aujourd'hui, dans le monde tel qu'il est, l'Ecole n'est plus seulement une institution de la République. Elle est le coeur de la République. Et c'est d'elle et d'elle seule qu'il dépend qu'il y ait une République. En tout cas, sur les tableaux noirs, c'est tout à la fois notre passé que l'on retrace et notre avenir que l'on dessine.