Texte intégral
Michèle Cotta
Bonjour. Message de Jacques Chirac au parlement. Ratification du traité d’Amsterdam, réunion à Milan des partis socialistes européens. Grande agitation européenne donc au moment où justement on a l’impression que l’Europe est un peu coincée avec une négociation sur la Politique agricole qui piétine, un sommet entre chefs d’Etat en Allemagne très difficile la semaine dernière, l’agenda 2000 sur le financement de l’Europe qui n’aboutit pas. Débat sur l’Europe donc dans la deuxième partie de cette émission. Mais tout de suite, avant de parler d’Europe, Dominique Strauss-Kahn est notre premier invité. Nous allons lui poser quelques questions avec Laurent Mauduit du journal Le Monde. Dominique Strauss-Kahn, bonjour.
Dominique Strauss-Kahn
Bonjour.
Michèle Cotta
Alors, grand débat sur la croissance. Finalement, on vous le demande souvent, mais c’est vrai aussi que ce n’est pas très clair. Quelle est votre prévision de croissance pour l’année prochaine ? Vous avez commencé à 2,7, on a l’impression que vous descendez, que vous nous préparez les uns et les autres à ce que la croissance soit inférieure et en même temps, vous voulez être optimiste contre vents et marées. Alors, où on en est ?
Dominique Strauss-Kahn
Lorsque le budget pour 99 a été préparé, c’était au mois d’août, nous avons évalué, l’ensemble des services techniques du ministère des Finances, l’INSEE, la direction de la prévision, la croissance de 99 à 2,7. Depuis, il y a eu la crise russe et on a bien senti au cours des mois de novembre, décembre qu’elle aurait une influence – peut-être d’ailleurs une influence exagérée de la part des chefs d’entreprise ? Mais, c’est la période, octobre/novembre, où les grandes entreprises font leurs prévisions d’investissements pour l’année qui vient. Et donc, elles ont été fortement marquées par une ambiance qui, à ce moment-là, effectivement, était assez difficile. Depuis, on est sorti de la crise russe. Il y a eu des séquelles en Amérique latine, au Brésil, chacun l’a vu.
Michèle Cotta
Sorti du trou d’air.
Dominique Strauss-Kahn
Et ma foi, l’environnement, oui, international ne reste pas très bon. Et donc, moi, j’ai émis cette idée qu’en effet nous passions un trou d’air c’est-à-dire qu’il y avait une période difficile mais je suis très profondément convaincu que la tendance naturelle de la croissance française est entre 2,5 et 3 et qu’une fois le trou d’air passé, nous allons la retrouver. Combien de temps durera le trou d’air ? C’est difficile à dire. Je pense que le deuxième trimestre 99 devra déjà être bien meilleur. Et les chiffres dont on dispose depuis quelques semaines semblent valider plutôt cette thèse.
Laurent Mauduit
Mais pourquoi est-ce qu’on est dans cette période d’incertitude ? Vous venez de le dire, les choses se sont un peu stabilisées à partir d’octobre et début novembre. Il y a une sorte de jeu, on dit sans arrêt 2,7 de croissance cette année ou 2,4. Est-ce que ça ne serait pas plus simple que vous disiez « bon voilà, on s’est un peu trompé. On ne voyait pas les choses assez clairement. On est sur un train de croissance maintenant de 2,4 ».
Dominique Strauss-Kahn
Non, mais le problème, c’est que, il y a des tas d’organismes privés ou publics qui font des prévisions, c’est leur affaire. Moi, je suis en charge d’un ministère qui fait deux fois par an une prévision à partir d’un appareil lourd, de modèles importants. C’est une fois à l’été pour préparer la loi de finance et l’autre fois au cours des mois de février/mars pour préparer les comptes de la nation. Et comme vous le savez, ils sont publics début avril. L’exercice est en cours. Et comme je l’ai dit depuis plusieurs mois, s’il y a une révision limitée à faire, elle sera faite à cette occasion-là.
Laurent Mauduit
Quand on dit 2,4, on n’est pas très loin de…
Dominique Strauss-Kahn
Je n’en sais rien, moi. J’attends de savoir ce que les experts en disent. Je ne vais pas sortir de mon chapeau un chiffre. Ce qui est clair, c’est que, comme je le disais à l’instant, je pense que nous allons retrouver le rythme de croissance qui est naturellement le nôtre, entre 2,5 et 3, sur la longue période et à partir disons du deuxième trimestre ou de l’été. Comme le premier trimestre, ça, c’est clair aussi pour tout le monde, aura été plutôt mauvais par rapport à cette tendance, la moyenne de l’année sera plutôt plombée vers le bas en dessous des 2,7. Très bien. De combien ? C’est cette estimation-là que j’attends. Je crois que ce qui est important, ce n’est pas tellement de savoir de combien sera le chiffre de 99 qui dépend donc de ce premier trimestre qui n’est pas très bon mais de savoir quelle est notre tendance.
Laurent Mauduit
Mais justement, là-dessus, la conjoncture française, il y a deux grandes tendances. Il y a, un, d’un côté les ménages qui sont très optimistes. Le comportement est assez dynamique en termes de consommation. Et puis, de l’autre côté, il y a des industriels qui sont plutôt pessimistes avec une situation industrielle en France comme d’ailleurs en Allemagne qui est assez mauvaise. Qu’est-ce qui fonde votre optimisme à savoir que c’est plutôt la tendance des ménages qui indique la tendance de l’avenir ?
Dominique Strauss-Kahn
Je ferai deux remarques à ce que vous dites. Le constat est tout à fait exact. Nous avons une sorte de divergence qui est un peu fréquente dans l’histoire entre un fort optimisme des ménages et qui se traduit d’ailleurs dans leur consommation et puis des chefs d’entreprise moins optimistes. Alors, les deux remarques sont les suivantes. La première, c’est que, même si les chefs d’entreprise sont sensiblement moins optimistes que les ménages, ils le sont à un degré qui reste par rapport aux années 90 plutôt bon. C’est-à-dire qu’ils sont moins optimistes que les ménages mais sensiblement plus qu’ils l’ont été pendant toutes les années 90.
Michèle Cotta
Le résultat de l’année 98 y est peut-être pour quelque chose.
Dominique Strauss-Kahn
Le résultat 98 comme vous le dites qui est à 3,2 % de croissance ce qui est même plus que ce qu’on avait prévu y est sans doute pour quelque chose ou on peut dire le contraire, c’est parce qu’ils ne sont pas si pessimistes que ce résultat est aussi bon. Donc, la première remarque, c’est qu’il y a une différence, vous avez raison, entre les chefs d’entreprise et les ménages et les consommateurs. Mais les chefs d’entreprise ne sont pas aussi déprimés qu’on peut le dire. Ils sont moins optimistes que les ménages. Ils sont moins optimistes que les ménages. La seconde remarque, c’est que beaucoup des observations que l’on fait concernent le secteur industriel et il reste évidemment très important. Mais on sait que, dans nos économies, la part qui concerne les services notamment les services à haute valeur ajoutée dans les nouvelles technologies, d’autres encore, est de plus en plus importante. Et celle-là va très fort. Si bien que, si on ne regarde que l’industrie, on se dit l’acier, l’industrie lourde, ça ne va pas très bien. Ce n’est pas faux. Mais en revanche, si on regarde l’ensemble de l’économie, là où justement se créent les emplois c’est-à-dire la partie qui concerne tous ces services nouveaux, alors là, on va très vite. Et donc, les deux réflexions me conduisent à penser que nous avons toutes les chances de sortir du trou d’air assez rapidement.
Michèle Cotta
Fiscalité peut-être puisqu’il faut en parler. Alors, on a cru, tout le monde a cru à une baisse d’impôts sur le revenu. Et au fond, par votre silence, vous avez accrédité cette croyance. Alors, où est-on ? Est-ce que vous voulez finalement y toucher à l’impôt sur le revenu ou pas ou, comme Martine Aubry, vous dites que ce n’est pas votre priorité actuelle ?
Dominique Strauss-Kahn
Vous me faites beaucoup d’honneur à penser que, simplement par mon silence, j’accrédite une idée. D’ailleurs, à vrai dire, par mon silence, je pourrais accréditer tout un tas d’idées parce que toutes les idées que je n’exprime pas par mon silence pourraient être ainsi soutenues.
Laurent Mauduit
Là, vous bottez en touche parce que, quand les socialistes ont fait la campagne pendant les législatives, ils ont toujours dit que l’impôt sur le revenu était hors débat et que leur souci, c’était la TVA. Et donc, on a vécu une période curieuse pendant un mois, un mois et demi où personne, ni vous, ni le Premier ministre, « attendez, l’impôt sur le revenu, c’est hors débat ». C’est ça, la surprise.
Dominique Strauss-Kahn
Nous avons au cours des lois de finance pour 98 et pour 99 fait des baisses de TVA. Je sais qu’elles ont été relativement peu ressenties par la population parce que la caractéristique d’une baisse d’impôt qui concerne tout le monde, c’est que ça ne fait pas beaucoup pour chacun. Et donc, on dit « mais attendez, les baisses de TVA que vous avez faites sur les compteurs EDF-GDF…
Michèle Cotta
C’est ridicule, oui, c’est ridicule.
Dominique Strauss-Kahn
Oui. Enfin, c’est moins ridicule quand on est RMIste que quand on est plus aisé. Mais enfin néanmoins, c’est vrai que ça ne fait pas beaucoup pour chacun si bien que c’est passé un peu inaperçu. Mais au total, il y aura eu plus de 10 milliards de TVA de baisse. Là-dessus, la question s’est posée pour la préparation du budget de l’an 2000, quelle va être la ligne fiscale ? Et j’ai dit qu’on allait s’intéresser aux impôts qui concernent les ménages. Alors, c’est la TVA, c’est la fiscalité immobilière, c’est bien entendu la taxe d’habitation, c’est aussi éventuellement l’impôt sur le revenu. Et on dit qu’on allait tout regarder, discuter, avoir une large concertation avec les parlementaires. Et à partir de là est montée une sorte de mousse dont je n’accuse aucun journaliste mais une sorte de mousse pour dire…
Michèle Cotta
Ni aucun ministre ?
Dominique Strauss-Kahn
Ni aucun ministre, sans doute, pour dire « ah voilà, c’est l’impôt sur le revenu », alors certains oui, certains non etc.
Laurent Mauduit
Pour la raison que je mentionnais, c’est que, pendant très longtemps, les socialistes ont dit l’impôt sur le revenu est hors débat. Donc, c’est pour ça qu’il y a eu…
Dominique Strauss-Kahn
Attendez, je ne crois pas… je ne mets pas en cause votre référence. Mais le problème n’est pas de savoir… rien n’est hors débat pour un gouvernement. Aucun sujet n’est tabou. Et notamment en matière d’impôt sur le revenu, il y a sans doute beaucoup de simplifications qu’il est possible d’apporter. Mais, après deux ans de gouvernement où ce qui était l’urgence à faire a commencé d’être entamé, il est normal de tout regarder. Et tous les impôts que paient les ménages sont aujourd’hui sous scrutin… Alors, le Premier ministre n’a pas été encore saisi par moi-même d’un certain nombre de propositions. Le gouvernement a encore moins délibéré. Cela viendra plus tard dans l’année. Et à ce moment-là, les choix seront mis en avant.
Michèle Cotta
Ceci étant, le président de la République dans son adresse au Parlement justement a dit que s’il y avait un domaine dans lequel l’Europe était obligée à quelque chose, c’était vraiment la baisse des prélèvements obligatoires. Alors ?
Dominique Strauss-Kahn
Oui, enfin, l’Europe existait déjà au cours de la législature précédente.
Michèle Cotta
Mais si tout le monde baisse les prélèvements obligatoires, ça va vous être difficile de ne pas les baisser?
Dominique Strauss-Kahn
Attendez, c’est un problème différent. Je faisais remarquer avec un peu d’ironie que l’Europe existait déjà à ma connaissance entre 93 et 97 et que les prélèvements obligatoires n’ont jamais autant augmenté dans notre pays. Donc, ça doit relativiser la pression des commentaires qui sont faits par les uns ou par les autres. Mais qu’il faille baisser les prélèvements obligatoires, nous en sommes bien d’accord. C’est moins facile que ça en a l’air. C’est moins facile que ça en a l’air parce que, dans le même temps évidemment, nos concitoyens demandent plus…
Michèle Cotta
Plus de choses ?
Dominique Strauss-Kahn
Plus d’instituteurs, plus de policiers ce qui est normal. Mais il faut les baisser. A tout le moins commencer par les stabiliser. Avant de baisser, il faut déjà stabiliser. La hausse a été très forte, plus de deux points. Vous vous rappelez de la hausse de la TVA entre 93 et 97. Donc, commencer par les stabiliser et les faire baisser. Le Premier ministre s’y est engagé dans son discours de politique générale en juin 97. J’espère que la phase de stabilisation est maintenant acquise et que nous allons avec un peu de chance arriver à les baisser.
Laurent Mauduit
J’aimerais avoir votre réflexion sur un autre dossier qui va faire un grand débat dans les mois qui viennent, c’est celui des retraites parce que, pendant très longtemps, la gauche était favorable, enfin a présenté comme un grand acquis social la retraite à 60 ans. Or, le commissaire au Plan à la demande du Premier ministre vient de remettre un rapport dans lequel il y a une proposition essentielle qui est de faire travailler les Français, public ou privé, 42 ans et demi pour avoir le droit à une retraite à taux plein. Il n’y a pas eu tellement de réaction au gouvernement. Vous êtes favorable à une disposition de ce genre ?
Dominique Strauss-Kahn
Ecoutez, c’est un dossier que ma collègue Martine Aubry a en charge et qui doit être largement débattu. C’est pour ça que le rapport de Jean-Michel Charpin vient à temps nommé. Le débat va s’engager. Donc, il ne s’agit pas pour le gouvernement de trancher, de prendre position avant qu’il y ait un débat. Sinon, on dirait à juste raison que ce n’est pas la peine d’engager le débat. Il reste que nous avons devant nous un vrai problème de retraite. Nous avons choisi au lendemain de la Libération un système par répartition que le gouvernement veut à tout prix maintenir qui est le gage de la solidarité entre les générations et dont on voit bien qu’il va passer une période, 2005, 2010 jusqu’à 2015, 2020 en gros assez difficile en raison de la bosse démographique que chacun connaît des suites du baby-boom ou des classes creuses. Bon, nous avons donc ce problème. On peut toujours dire qu’il aurait fallu s’en préoccuper plus tôt. C’est vrai pour les gouvernements de droite comme pour les gouvernements de gauche et c’est vrai, on aurait dû.
Michèle Cotta
Vous êtes en charge en ce moment…
Dominique Strauss-Kahn
On est en charge en ce moment… c’est pourquoi le Premier ministre a mis en place ce qu’on a appelé un fonds de réserve pour les retraites aujourd’hui doté de très peu d’argent parce qu’il vient de s’ouvrir mais qui va se remplir progressivement.
Laurent Mauduit
J’ouvre une parenthèse : avec quel argent ?
Michèle Cotta
Les privatisations ?
Dominique Strauss-Kahn
Par exemple ce que nous allons faire en matière de Caisse d’Epargne qui va viser à transformer le réseau des Caisses d’Epargne en une coopérative va permettre d’abonder…
Laurent Mauduit
Ca, c’est 20 milliards de francs.
Dominique Strauss-Kahn
20 milliards de francs à peu près, vous avez raison.
Laurent Mauduit
Et d’autres ? Il y a d’autres privatisations, enfin privatisations, ouvertures de capital qui pourraient abonder ce fonds ?
Dominique Strauss-Kahn
Bien sûr. Oui, il peut y avoir des ouvertures de capital qui peuvent abonder ce fonds puisqu’elles ont toutes été utilisées pour ne pas combler des trous des dépenses courantes mais chaque fois pour recapitaliser quelque chose. Donc, ça peut tout à fait aller dans la direction du fonds de retraite. C’est une idée d’ailleurs que Pierre Bérégovoy avait eu il y a bien longtemps et qu’on aurait dû suivre.
Laurent Mauduit
Ca veut dire qu’il pourrait y avoir plus de 20 ou 22 milliards de francs en fin d’année ?
Dominique Strauss-Kahn
En fin de cette année, je n’en sais rien. Au bout du compte, lorsque le problème va commencer à se poser vers 2005, les calculs que nous avons menés, c’est plusieurs dizaines de milliards de francs. Je ne prétends pas que ça résolve le problème des retraites, pas du tout, mais ça vient en appui de la répartition car ce sont plusieurs dizaines de milliards de francs pour aider le système de répartition qui sont un des éléments de réponse. Il y en a bien d’autres et c’est ceux-là qui doivent être débattus maintenant. Mais c’est vrai que c’est un très grand sujet. J’ai le sentiment que le consensus au moins sur le diagnostic qui s’établit autour du rapport de Jean-Michel Charpin est une bonne étape pour qu’on puisse discuter. Quand on commence à être d’accord sur le diagnostic, on a des chances d’arriver à un résultat. Et comme la retraite est vraiment quelque chose qui non pas qui passionne, c’est normal que ça passionne mais qui…
Laurent Mauduit
Ca touche les Français.
Dominique Strauss-Kahn
Exactement, qui concerne très directement nos concitoyens. C’est un des grands sujets qu’il faut absolument traiter je ne dirais pas d’ici la fin de l’année, c’est un problème à long terme, mais dans les mois qui viennent y compris dans l’année 2000. On doit absolument s’y atteler et je crois qu’on est en situation de le faire.
Michèle Cotta
Dominique Strauss-Kahn, à propos de vous, il y a un mot qui revient très souvent, on dit que vous êtes un pragmatique. Alors, qu’est-ce que ça veut dire pour vous, le pragmatisme ? Est-ce que ça consiste à avancer des idées comme par exemple sur la fiscalité des stock-options et puis après, à la retirer sous la pression de la gauche, du Parti socialiste ? C’est quoi, le pragmatisme ?
Dominique Strauss-Kahn
Je ne sais pas si je suis un pragmatique. Ca, c’est vous qui le dites. Mais je veux bien essayer de vous donner ma définition du pragmatisme. Ca consiste à avoir la conviction qu’il faut faire telle et telle chose, à l’inverse, il ne faut pas faire telle ou telle autre chose c’est-à-dire croire à ce qu’on veut faire mais être capable d’écouter lorsqu’on vous dit « ce que vous vouliez faire n’est pas une bonne idée », on peut tout à fait se tromper ou à l’inverse, il y a des choses auxquelles vous n’aviez pas pensé qui seraient une bonne idée. Et lorsque par exemple Laurent Mauduit me dit à juste raison que nous avons toujours beaucoup insisté en matière de fiscalité sur la TVA mais que, par ailleurs, je vois qu’une large part de la population dit il y a des problèmes d’impôt dans d’autres domaines que la TVA, le pragmatisme, c’est de dire, très bien, continuons ce que nous voulions faire sur la TVA mais soyons capables d’écouter le reste.
Michèle Cotta
Mais est-ce que le pragmatisme de temps en temps ce n’est pas la paralysie ? Philippe Seguin, le président du RPR, parle de la paralysie de la gauche plurielle. Est-ce que, par certains moments, vous n’êtes pas gêné par vos partenaires ou même par une partie du Parti socialiste ?
Dominique Strauss-Kahn
Non. Je crois que Philippe Seguin est expert en la matière. Donc, je ne vais pas me battre avec lui sur la paralysie. Je crois simplement que ce qu’a fait le gouvernement depuis 21 mois maintenant…
Michèle Cotta
Mais est-ce que vous continuez à réformer par exemple ?
Dominique Strauss-Kahn
Mais attendez. Toutes les semaines, le débat est ouvert sur une réforme ou sur une autre et toutes les semaines, certains sont conduits à bien. Le débat qui va s’ouvrir sur les cotisations patronales que mène Martine Aubry et qui consiste à savoir s’il nous faut ou pas abaisser la charge des cotisations sur le travail non qualifié parce que nous avons besoin d’employer des salariés non qualifiés est un débat majeur. Moi, je suis absolument d’accord sur l’idée qu’il faut avancer dans ce sens.
Laurent Mauduit
On avait cru comprendre, excusez-moi, on avait cru comprendre l’été dernier que vous freiniez plutôt.
Dominique Strauss-Kahn
Non. Moi, je pense qu’il faut avancer dans ce sens. Bon, le problème que je pose, parce que je suis responsable des comptes publics dans le pays, c’est de savoir comment nous le finançons. Et je pense qu’il faut arriver à le financer à l’intérieur de la sphère des cotisations sociales ou du moins de la Sécurité sociale. Là, il y a un débat sur le financement. Mais l’objectif est tout à fait louable et il faut essayer aller dans ce sens. Cette réforme si elle se met en œuvre dans l’année qui vient est une réforme majeure. De la même manière, la taxe professionnelle qu’on a commencée à réformer – je finis une phrase – la taxe professionnelle dont la première tranche a été réformée avec la loi de finance 99 et qui doit s’étaler sur cinq ans pour faire disparaître un tiers de la taxe professionnelle est une réforme qui s’étale dans le temps. Et donc, vous ne pouvez pas dire qu’elle ne se poursuit pas. Donc, je crois que, sur de très nombreux domaines, la parité qui vient d’être finalement votée par le Sénat, bien d’autres sujets que des sujets économiques, le gouvernement avance. Simplement, il avance à son rythme sans se laisser trop influencer par ce que l’opposition peut dire sauf quand elle dit des choses qui méritent d’être intégrées et que le rythme des réformes ne se ralentit pas.
Michèle Cotta
Deux petites questions pour finir. Avec Martine Aubry, ça va, ça baigne ?
Dominique Strauss-Kahn
Je ne sais pas si le vocabulaire est exactement celui que j’emploierai. Mais oui. Voyez-vous. Lionel Jospin a choisi de faire fonctionner son gouvernement en faisant débattre les ministres. Il y a eu des gouvernements précédents où tout le monde était en relation avec le Premier ministre, personne ne parlait entre eux. Alors, évidemment, quand on débat, il peut y avoir des points de vue différents. Et ça sort dans la presse et ça n’a rien de scandaleux. Et puis, lorsqu’on a fini de discuter, que le Premier ministre a tranché, tout le monde suit dans une seule direction. Moi, je préfère de loin cette méthode-là même si elle peut donner lieu à des commentaires en disant « ah, untel pense ça, l’autre pense cela ». Et alors ! C’est ça, un gouvernement qui débat. Et je crois que les Français préfèrent largement un gouvernement qui dit les choses, ses inquiétudes, ses difficultés, qui en discute et puis qui avance une fois que ça été tranché plutôt que de faire comme s’il y avait un général en chef qui décide de tout et que tout le monde soit, on ne voit qu’une seule tête derrière lui.
Michèle Cotta
Deuxième question d’actualité, le déballage autour de Roland Dumas, autour de son ex-compagne. Est-ce que vous pensez maintenant qu’on est arrivé à un point où quand même la situation du Conseil constitutionnel vous préoccupe ?
Dominique Strauss-Kahn
Ecoutez, le gouvernement est soumis aux décisions du Conseil constitutionnel et en conséquence, il n’est pas appelé à faire des commentaires sur la situation de tel ou tel de ses membres. Il reste que le déballage qui commence à exister devient un peu nauséabond.
Emission « Polémiques » diffusée sur France 2 le 7 mars 1999
Le débat : Quelle Europe pour demain ?
Etudiant
C’est une Europe des marchands qui essaie de se convertir en Europe sociale.
Etudiant
Pour le moment, c’est plutôt un bien pour les marchands. Mais je pense qu’à terme, ça sera un bien pour les citoyens dans la mesure où il y a déjà la création d’une citoyenneté européenne, d’une monnaie unique. Je pense qu’à terme, il y aura peut-être une identité européenne.
Etudiante
On n’évoluera pas dans un sens favorable aux citoyens vu que je pense qu’on va continuer dans la voie libérale.
Etudiant
L’Europe, c’est quelque chose de très humain au contraire. Ce n’est pas du tout l’Europe des marchands, des technocrates. Je pense que c’est une réalité concrète, par exemple, les échanges universitaires, la possibilité pour les jeunes Européens d’aller dans d’autres pays, de rencontrer d’autres Européens, de se rendre compte que l’Europe, c’est une communauté de destins, ce n’est pas quelque chose seulement de technocratique et d’abstrait.
Etudiante
Je pense qu’il y a du travail à faire pour qu’elle soit l’Europe des citoyens. Et il faudrait peut-être plus sensibiliser les gens pour qu’on arrête de nous faire peur avec l’Europe, de nous dire que c’est l’Europe des dirigeants, des technocrates et il faudrait sensibiliser les gens pour qu’ils participent plus à l’Europe.
Jean-Michel Mercurol
Alors, le fait que beaucoup de gouvernements sont dits de gauche actuellement en Europe, est-ce que ça va accélérer l’Europe sociale ?
Etudiant
On aura pu le penser mais quand on s’aperçoit des divergences qui existent actuellement entre Schröder, Jospin, Blair, même on peut parler des Italiens, il me semblerait que l’Europe actuellement est peut-être plus divisée de ce qu’elle était sous le tandem Kohl/Mitterrand.
Michèle Cotta
Alors, l’Europe, il y a beaucoup de questions posées par ce micro-trottoir de Sciences-po mais, pour commencer, alors l’Europe se heurte aux réalités, on le voit avec les agriculteurs. Est-ce que vous diriez que les intérêts nationaux sont prioritaires et restent prioritaires malgré tous les efforts, tous vos efforts par rapport aux intérêts de l’Europe ?
Dominique Strauss-Kahn
C’est moi qui démarre ?
Michèle Cotta
Oui, vous redémarrez mais là, vous avez des contradicteurs ou des partisans, je n’en sais rien.
Dominique Strauss-Kahn
Il y a les deux. Il y a les intérêts nationaux et il est normal que chacun les défende et dans la défense des intérêts nationaux, chacun essaie de faire en sorte que l’on tienne compte de l’intérêt de l’Europe. Ce n’est pas une réponse langue de bois, je crois que c’est la réalité quotidienne de la gestion de l’Europe. Vous parliez de l’Agenda 2000 tout à l’heure. Il y a un problème difficile. Il y a un problème agricole difficile…
Michèle Cotta
Alors, l’agenda 2000, il faut le répéter, c’est donc le financement… la prévision du financement…
Dominique Strauss-Kahn
Des années 2000/2006.
Michèle Cotta
On a l’impression que personne ne veut sortir son portefeuille, là pour…
Dominique Strauss-Kahn
Honnêtement, toutes les discussions européennes ont pris longtemps. Les marathons agricoles, c’est devenu un grand classique. Quand a-t-on vu une discussion agricole à Bruxelles se trancher en quelques heures ? Cela a toujours été comme cela, on en est toujours sorti. Et donc, ce sont des problèmes sérieux, compliqués, parce qu’ils engagent des sommes importantes mais les ministres des finances qui, avec les ministres de l’agriculture gèrent cette affaire, le font, je crois dans des conditions qui sont loin d’être plus difficiles que cela a été le cas l’an passé. Et donc, je reprendrai un point que vous aviez évoqué en introduction, je ne crois pas que la rencontre qui s’est passée en Allemagne des chefs d’Etat et de gouvernement il y a quelques jours ait été si difficile. Au contraire, j’ai l’impression qu’elle a pas mal dégonflé la baudruche…
Michèle Cotta
Elle a plutôt calmé ?
Dominique Strauss-Kahn
Absolument, qu’elle a calmé et qu’elle a fait avancer le débat. Il n’est pas tranché encore et nous en sommes loin mais il sera tranché dans les délais normaux. Peut-être que c’est bien peut-être que c’est mal mais l’Europe n’a jamais avancé comme sur un lit de roses, il y a toujours eu des conflits assez virils.
Michèle Cotta
La parole à l’accusation, Paul-Marie Couteaux, Jean-Jacques Rosa ?
Paul-Marie Couteaux (Essayiste)
Il y a quelque chose d’assez neuf, monsieur le ministre et je voudrais vous mettre en garde contre un phénomène qui apparaît et qui est apparu à l’occasion de la renégociation de la PAC. Le raisonnement consiste à dire – et je l’ai vu dans un journal du soir, celui de Laurent Mauduit Le Monde – un éditorial en plus, ce qui n’était pas rien, on ne peut pas compromettre la grande entreprise européenne pour quelque milliards de francs destinés à l’agriculture française. Alors, ça, c’est tout de même un raisonnement très dangereux, parce que, au fond, nous sommes tenus de suivre au coup par coup, quelles que soient les initiatives que prend en l’occurrence l’Allemagne, c’est l’Allemagne qui s’estime chargée des responsabilités particulières dans le cadre européen qui prend des initiatives, qui estime qu’elle-même joue un rôle dirigeant que personne ne lui a donné d’ailleurs et la France… comme d’autres pays d’ailleurs mais la France surtout est mise en demeure de suivre ou alors de tout faire craquer. Ca, c’est un raisonnement… enfin, il y a un danger. Je crois que vous le mesurez. Je ne veux pas employer de grands mots mais on a déjà connu dans l’histoire des situations où l’on cédait… tout le monde a le précédent de Munich au moins un Munich social, ou un Munich financier comme peut-être le dira un jour Philippe Seguin pour décliner son vieux, son ancien Munich social qui reste d’actualité d’ailleurs, il y a une situation de chantage permanent qui risque de nous mener très loin. Il est impossible de considérer que quelle que soit l’initiative que prend l’Allemagne, la France doit suivre sous peine de prendre la responsabilité, c’est comme cela que l’on est mis en accusation dans la presse allemande… la responsabilité de faire craquer l’Europe.
Dominique Strauss-Kahn
Si vous permettez, le monde européen que je vis n’a strictement rien à voir avec ce que vous venez de décrire. Il se trouve que l’Allemagne préside pendant six mois…
Paul-Marie Couteaux
Je ne vis pas le même en effet, oui.
Dominique Strauss-Kahn
Vous ne vivez pas le même, c’est bien possible oui enfin il se trouve que pour ma part, par fonction, je le vis au cœur en ce moment et je ne vois pas du tout ce que vous dites. L’Allemagne préside l’union pendant les 6 mois qui vont de janvier à juin et donc, elle a des initiatives à prendre. Ensuite, ce seront les Finlandais et personne n’a l’intention de céder un « Munich finnois » donc, tout ceci n’a pas beaucoup de sens, pas plus que le Munich social quand il était évoqué par Philippe Seguin. La réalité est que nous avons un débat…
Paul-Marie Couteaux
Munich financier, j’ai dit…
Dominique Strauss-Kahn
Mais oui, mais ce Munich financier que vous annoncez n’a plus de sens, disais-je, que le Munich social. La réalité, c’est que personne n’a envie de céder à tel ou tel. Personne n’est plus dominant qu’un autre et ailleurs, j’aurais tendance – mais par un cocorico bien national – à considérer que, aujourd’hui, s’il y a un pays qui conduit l’Europe, c’est plutôt les Français que les autres mais enfin, je referme cette parenthèse. En tout cas, en tout cas, nous avons un débat et ce débat se tranchera comme se sont tranchés tous les débats précédents avec des compromis, chacun faisant un pas pour avancer vers l’autre. La nature d’un compromis, ce n’est pas que l’on force l’autre à passer sous ses fourches caudines. La nature d’un compromis et c’est comme cela que l’Europe se fait, c’est que chacun fait un effort pour essayer de comprendre les problèmes du voisin.
Paul-Marie Couteaux
Oui mais sur quel point la France mène la danse ? Sur quel point ? J’aimerais bien savoir !
Dominique Strauss-Kahn
Sur un grand nombre de points ! Que ce soit la création du Conseil de l’euro, que ce soit les initiatives qui peuvent être prises en matière de relance de la croissance…
Paul-Marie Couteaux
Dépourvu de pouvoirs, oui…
Dominique Strauss-Kahn
Non mais pas du tout dépourvu de pouvoir. Pourquoi tenez-vous absolument à décrire l’Europe sous la couleur qui vous plaît parce que c’est la description que vous en avez fait depuis des années même quand cela n’a plus aucun rapport avec la réalité ?
Paul-Marie Couteaux
Ecoutez, quels sont les pouvoirs du Conseil ?
Dominique Strauss-Kahn
La coordination des politiques économiques, l’harmonisation fiscale, ce n’est pas rien !
Michèle Cotta
Oui, Jean-Louis Bourlanges, vous, est-ce que vous trouvez que le souffle européen… on a l’impression quand même que l’on accepte l’Europe telle qu’elle est mais sans beaucoup l’envie de la fortifier…
Jean-Louis Bourlanges (Député européen UDF)
Non, on ne peut pas accepter. Oui, il y a un vrai problème de souffle européen, ça, c’est vrai. On ne peut pas accepter, je crois, de parler de Munich financier, social, c’est comparer le chancelier Kohl au chancelier Schröder à Adolf Hitler à des méthodes qui n’ont absolument rien à voir et je crois que c’est grave de donner aux Français le sentiment et aux Européens, le sentiment que les relations entre les Etats européens sont fondées sur ce type de rapports de force fondés sur l’intimidation et la violence. Vous avez parlé d’intérêt national. Je crois que c’est au cœur… la défense des intérêts nationaux est au cœur de la construction européenne. Simplement, ce que nous avons décidé, les 15 peuples européens, c’est que ces intérêts nationaux devaient se défendre dans un cadre juridiquement organisé en passant des compromis, en négociant et en évacuant les rapports de force, l’intimidation et la violence. C’est quelque chose de fondamentalement différent. Ce n’est pas, il y a moins de France, pas moins d’intérêt national mais il y a une façon de défendre l’intérêt national qui est tout autre. Alors, en revanche, sur le souffle européen, là, vous avez un problème. Moi, je suis un peu de l’avis de Dominique Strauss-Kahn sur le fait que, Agenda 2000, ce n’est pas aussi dramatique que ce que l’on veut bien dire. Nous avons effectivement une négociation avec tensions, on a toujours eu des négociations avec tensions sur les grands paquets agricoles et financiers de l’Europe. En revanche, il me paraît grave – et ça, ce n’est pas les institutions européennes, ce sont les citoyens européens, il me paraît grave que nous envisagions de construire l’euro avec un budget qui reste relativement limité par rapport au budget national. Je crois qu’il devrait y avoir un transfert et, surtout, que nous envisagions d’accueillir l’autre moitié de l’Europe qui est dans une situation de pauvreté dramatique par rapport à notre moitié opulente sans faire des efforts de solidarité accrue. Il y a un égoïsme des Européens qui est actuellement préoccupant.
Michèle Cotta
Jean-Jacques Rosa puis monsieur Vanryb…
Jean-Jacques Rosa (Economiste, professeur à Sciences-po Paris)
Je crois qu’après la phrase d’euro-euphorie qui a précédé le lancement de l’euro, nous commençons à percevoir les difficultés. Les difficultés ont été prévues, on pouvait les analyser à l’avance et elles se manifestent exactement comme prévu et comme analysées, à savoir, les intérêts nationaux en matière de politique macro-économique, monétaire et budgétaire sont contradictoires parce que nos économies ne sont pas toutes dans la même situation. Entre l’Irlande qui est en forte croissance, l’Allemagne qui entre en récession, la France qui entre en déflation, situation beaucoup plus grave que ce que disait le ministre, il y a évidemment des conflits d’intérêts sur ce que doit être la politique monétaire et la politique de change. Donc, nous voyons aujourd’hui commencer à se manifester un certain désenchantement à l’égard de cette construction artificielle et les gouvernements se déchirent. Non seulement les gouvernements se déchirent mais nos responsables des finances sont en contradiction avec monsieur Duisenberg, le gouverneur de la Banque centrale, ils remettent en cause la constitution monétaire qui a été convenue à Maastricht. Donc, nous sommes dans un jeu qui est totalement opaque et nous ne savons pas ce qui va se passer dans une conjoncture très difficile.
Michèle Cotta
Avant que vous répondiez, on entend les points de vue qui sont, je pense, différents, vous monsieur Vanryb et vous, monsieur Trogrlic…
Bruno Vanryb (Président de l’Association « Croissance plus »)
Je crois que vis-à-vis d’un débat très technique sur l’Europe qui commence à s’esquisser…
Michèle Cotta
Donc, je répète, vous un êtes un patron…
Bruno Vanryb
Oui, un entrepreneur…
Michèle Cotta
Et le syndicaliste est de l’autre côté.
Bruno Vanryb
Pas un patron, en entrepreneur qui fait partie d’une association qui crée des milliers d’emplois, sans subventions je dois le dire, et dans les conditions de l’environnement économique français et ce depuis des années. Alors, ce qui est important, deux choses, par rapport à un débat qui s’esquisse, qui devient très technique dès le démarrage et où peut-être les Français qui nous écoutent ne vont pas tout comprendre, j’aimerais quand même dire une chose, dans un pays où il est de plus en plus difficile de faire des réformes, la moindre réformette – vous aviez parlé des stock-options, c’est un sujet qui tient très à cœur à « Croissance Plus », qui n’est pourtant pas…
Michèle Cotta
Oui, les stock-options, c’est donc un moyen de rémunération…
Bruno Vanryb
C’est aussi un moyen de partager la richesse de l’entreprise avec les salariés. Ca va beaucoup plus loin. On voit que pour une réformette aussi finalement mineure au plan national, on suscite des oppositions violentes à gauche comme à droite, des conservatismes de tous les bords et en fait, la France semble un pays mobile. Or, en réalité, qu’est-ce qui s’est passé dans les dernières années ? Eh bien, tous les gouvernements d’Europe se sont mis d’accord pour créer une grande puissance qui s’appelle l’Europe, pour créer une monnaie unique qui s’appelle l’euro et encore une fois, dans ces débats techniques, on va polémiquer sur l’importance de telle ou telle discussion dans telle ou telle commission mais enfin, voyons les choses. Il y a eu, là récemment, une révolution des pays qui, au sein de leur propre territoire, ont un immobilisme grand et une grande difficulté à réformer, ont réussi à faire une grande réforme. Donc, je crois qu’il faut quand même le saluer parce que ça, c’est de la politique, c’est du souffle puisque vous parliez de souffle politique. Ca, c’est un premier point. Deuxième point et c’est à propos du débat technique, j’aimerais quand même donner quelques chiffres. L’Europe, ce qui compte, c’est les entreprises. Qu’est-ce que nous avons besoin en Europe ? Nous avons besoin d’emplois. Par exemple… une petite quinzaine de millions d’emplois nous rendrait service, surtout dans l’état actuel de l’Europe et de l’état du chômage en Europe. Or, qu’est-ce que l’on voit ? On voit qu’au milieu de ces grandes entreprises et de ces petites PME plus patrimoniales – je vais être court, excusez-moi – vous avez des entreprises de croissance qui créent des milliers d’emplois. Je vais donner un chiffre, dans les 5 dernières années, sur les millions d’entreprises européennes, les 500 premières entreprises de croissance ont créé 180 000 emplois, comparé simplement à la dernière estimation sur la loi Aubry des 35 heures, de 40 000 emplois créés en 99, et vous verrez qu’au travers de l’entreprise le souffle de l’Europe, c’est là qu’il va se créer. C’est avec les entreprises de croissance qui créent de l’emploi, que l’on va réussir à faire avancer ce débat et qui résoudra tous nos problèmes budgétaires.
Michèle Cotta
Alors, quand même, 150 emplois sur plus de 12 millions de chômeurs, est-ce que c’est à la mesure ?
Jean-François Trogrlic (Secrétaire national de la CFDT)
Non, ce n’est pas à la mesure. Le chômage en Europe est le premier problème auquel on est confronté mais, je dois dire que moi, de mon point de vue, je suis engagé dans une aventure européenne avec d’autres syndicalistes européens qui, rassemblés dans la Confédération européenne des syndicats, fabriquent du protocole social en Europe, fabriquent du dialogue social en Europe parce que d’abord…
Michèle Cotta
Et à votre avis, votre voisin, le ministre, en fabrique autant que vous le souhaiteriez, du social ?
Jean-François Trogrlic
Je vais vous le dire, je vais vous le dire… je pense que sur le plan économique, il y a besoin, notamment quand on considère le problème de l’emploi, il y a besoin de gros efforts encore pour que l’on définisse au même niveau de préoccupation les problèmes de l’emploi qu’au niveau où l’on a défini auparavant les problèmes de la monnaie. Il y a là un rattrapage à effectuer. Il faut s’y employer et il faut que la création de richesses en Europe serve désormais la dynamique de l’emploi. Donc, il faut pour cela que le Conseil des ministres, les Conseils des ministres de l’ECOFIN ou généraux se donnent les moyens de le faire pour une plus grande coordination économique mais, ce que l’on a en commun et qu’il ne faut jamais perdre de vue, dans les 15… européens, c’est un modèle social européen fait d’ingrédients identiques de protection sociale solidaire dans tous les pays, de libres négociations acquises dans tous les pays, de services publics accessibles à tous et ça, ça ne peut pas exonérer chaque pays des avancées à faire dans ce domaine et de ce point de vue, du point de vue par exemple de la négociation collective, aujourd’hui l’atypisme français est sans doute quelque chose qu’il faut regarder…
Michèle Cotta
L’exception française vous voulez dire ?
Jean-François Trogrlic
… L’exception française en matière de relations contractuelles et en matière de relations sociales est sans doute quelque chose qui va peser lourd dans le débat. Par exemple, quand les Allemands, les Italiens ou les Belges sont en train de débattre du contenu d’un pacte pour l’emploi, nous nous interrogeons sur l’opportunité ou sur la qualité du mot « pacte ». Alors, il va falloir que l’on converge plus avec nos voisins si l’on veut rester dans le peloton qui fait avancer l’Europe.
Michèle Cotta
Alors les jeunes gens de Sciences-po disaient tout à l’heure, que l’Europe au fond, dans leur esprit, était plus spontanément libérale que sociale. Alors, est-ce que vous ajoutez assez de social à cette Europe qui avait été construite au fond sans vous au début ?
Dominique Strauss-Kahn
Les jeunes gens de Sciences-po – comme il est normal – disent ce que leurs professeurs leur apprennent comme ils l’ont eux-mêmes appris quand ils étaient étudiants. Il y a toujours un décalage. La réalité est que nous sommes très loin de faire suffisamment d’Europe sociale. Mais ce que vient de dire monsieur Trogrlic à l’instant est fondamental. Le modèle social européen est quelque chose qui existe même s’il est différent en France, en Allemagne, au Danemark, il y a une réalité, une volonté de solidarité qui n’existe nulle part ailleurs sur la planète. Et, ce que nous pouvons faire comme pas en avant dans la réforme des services publics, dans le fait que la négociation sociale soit européenne, ce sont des pas considérables, on a réussi en disons 15 ans à vaincre l’inflation et à avoir une monnaie commune. Le même effort aujourd’hui doit être fait en matière d’emploi et ce que je constate à Milan par exemple il y a quelques jours, lorsque l’ensemble des partis socialistes européens se sont réunis, c’est cette volonté clairement affirmée, chacun avec sa spécificité nationale et ça, ça répond, je crois, et c’est légitime, au fait qu’il y a des histoires nationales, des intérêts nationaux à préserver mais, malgré ces différences-là, l’ensemble des grands leaders européens ont clairement mis l’accent sur la croissance, sur l’emploi et ça, c’est un changement dans l’Europe qui peut paraître presque rien, pourquoi est-ce que, il y a 5 ans, on ne parlait pas principalement d’emploi ? C’était comme cela. Aujourd’hui, on parle principalement d’emploi.
Paul-Marie Couteaux
On parlait déjà de l’emploi il y a 5 ans, excusez-moi, et vous avez dit une phrase, monsieur, qui m’a frappée, vous dites, dans l’Europe, ce qui compte, ce sont les entreprises.
Bruno Vanryb
Je dis que c’est par elles que viennent les emplois et que c’est par elles que vient la solution au principal problème que rencontre l’Europe qui est 15 millions de chômeurs.
Paul-Marie Couteaux
Oui mais quand même…
Bruno Vanryb
Ce n’est pas la même chose.
Jean-Jacques Rosa
Ecoutez, quand on compare le modèle européen dont vous parlez au modèle américain, mais enfin, nous avons une mauvaise politique macro-économique, nous avons beaucoup de chômage, nous avons une faible croissance…
Dominique Strauss-Kahn
Monsieur Rosa, vous ne pouvez pas dire des choses pareilles !
Jean-Jacques Rosa
Comment non ?
Dominique Strauss-Kahn
Nous avons une très bonne politique macro-économique…
Jean-Jacques Rosa
Très mauvaise ! Très mauvaise ! La preuve, c’est que nous une faible croissance…
Dominique Strauss-Kahn
… Moyennant quoi nous avons eu en 98 la plus forte croissance des années 90…
Jean-Jacques Rosa
Mais regardez les Etats-Unis, regardez le chômage américain ! Vous parlez de modèle social, regardez le modèle social américain !
Dominique Strauss-Kahn
Non mais « regardez les Etats-Unis » … je suis heureux qu’il y ait en France des tenants du modèle américain, ça les regarde, mais on ne peut pas à la fois être un tenant du modèle américain et vouloir à tout prix défendre notre identité nationale. Il y a quand même une petite contradiction. La réalité, c’est que la politique économique qui est menée en Europe et particulièrement en France depuis un an et demi qui consiste à avoir une politique budgétaire rigoureuse, à réduire les déficits et à avoir un soutien par la politique monétaire, d’une part est efficace – la croissance 98 le montre – et d’autre part est exactement la politique, de ce point de vue-là, qu’ont conduite les Américains depuis 92 et qui leur a donné huit années de croissance, donc…
Jean-Jacques Rosa…
Pas du tout…
Dominique Strauss-Kahn
« Pas du tout », c’est peut-être votre appréciation…
Jean-Jacques Rosa
En matière de taux de change et de taux d’intérêt, les Américains ont mené une politique tout à fait différente…
Dominique Strauss-Kahn
Attendez, nous avons des taux d’intérêt plus faibles que les Américains, monsieur Rosa, on ne peut pas dire des choses qui sont contraires à la réalité. Je ne suis pas sûr que cela intéresse beaucoup nos téléspectateurs mais…
Jean-Jacques Rosa
Mais c’est la clef de l’emploi, c’est la clef de l’emploi !
Michèle Cotta
Et l’avenir de l’Europe, oui, quand même…
Dominique Strauss-Kahn
Il y a une seule chose que vous ne pourrez pas, quel que soit le désir de polémique, mettre en doute, c’est le fait qu’en 98, la croissance a été la meilleure de ces dix dernières années, la création…
Jean-Jacques Rosa
C’est une surprise…
Dominique Strauss-Kahn
Mais non pas de surprise ! Surprise pour ceux qui ne l’ont pas bien analysée mais pas surprise pour les autres !
Paul-Marie Couteaux
… Elle a été la meilleure de tous les pays européens de toute façon…
Dominique Strauss-Kahn
Elle a été la meilleure des grands pays européens, on ne parle pas des petits qui ont des économies très différentes, la meilleure des Anglais, des Allemands, des Italiens…
Jean-Jacques Rosa
Mais vous êtes dans la béatitude permanente monsieur le ministre !
Dominique Strauss-Kahn
Mais pas du tout dans la béatitude…
Jean-Jacques Rosa
… Quand on voit le chômage en Europe depuis des années…
Dominique Strauss-Kahn
… Quand il y a 4 millions de chômeurs en Europe, personne ne peut-être dans la béatitude mais il ne suffit pas de se replier sur soi-même en disant « tout ceci ne marche pas », pour espérer faire avancer les choses !
Michèle Cotta
Monsieur Bourlanges, monsieur Bourlanges…
Jean-Louis Bourlanges
Je suis assez fasciné de voir Paul-Marie Couteaux qui passe six jours sur sept de la semaine à agresser nos amis américains en disant que c’est l’abomination de la désolation, le dimanche, le septième jour, se mettre tout à coup à faire l’éloge du modèle américain… En vérité…
Paul-Marie Couteaux
Non, écoutez, vous êtes en train de me verser vers la caricature… Il n’est pas question de modèle, je dis qu’il n’y a aucune raison de verser dans la béatitude, c’est tout…
Jean-Louis Bourlanges
… Je ne vous ai pas interrompu, ayez l’amabilité de faire de même. Nous sommes… ce qui caractérise l’Union européenne, je crois, c’est effectivement que nous traitons ensemble, nous agissons ensemble pour traiter un certain nombre de problèmes d’une manière équilibrée. Toutes les orientations et les jeunes gens de Sciences-Po ont tout à fait raison de le dire, monsieur Rosa, toutes les orientations fondamentales de l’Europe ont été dans le sens d’un certain libéralisme notamment la modération budgétaire, une flexibilité accrue, la confiance dans le libre-échange et, en même temps, nous avons tenu, les uns et les autres, parce que c’est l’équilibre fondamental de nos sociétés, à maintenir un haut niveau de protection sociale et à l’adapter au monde moderne. C’est très exactement ce point d’équilibre qui doit être trouvé entre les 15…
Jean-Jacques Rosa
Il ne s’agit pas de modèle libéral…
Jean-Louis Bourlanges
… Et que nous soyons libéraux ou sociaux d’un côté ou sociaux-démocrates de l’autre, nous savons bien qu’au plan européen, nous devons chercher ce point d’équilibre car c’est celui qui nous permettra de rester nous-mêmes tout en nous adaptant fondamentalement à une économie en mutation.
Michèle Cotta
Monsieur Vanryb, vous, vous êtes partagé…
Bruno Vanryb
Je voudrais réagir oui parce que d’abord j’ai entendu que les entreprises étaient soufflées, j’ai entendu dire un certain nombre de choses… ce n’est pas possible. Il faut comprendre, je représente…
Michèle Cotta
« Soufflées » ? Enfin fatiguées, essoufflées…
Bruno Vanryb
Oui essoufflées, elles sont essoufflées. C’est ce que vous avez dit, excusez-moi. Il faut comprendre que je ne viens pas ici en tant que technicien, je viens pour représenter les gens qui savent créer de la richesse et de l’emploi. Le problème est celui de l’emploi, je viens parler des gens qui sont des professionnels et je crois autour de cette table que nous sommes finalement peu nombreux à être confrontés tous les jours à cette réalité qui est de créer de l’emploi, en créer des nouveaux, sur le plan non théorique mais sur le plan pratique, sur le plan du quotidien. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il existe aujourd’hui un nouveau modèle d’entreprise. Ce nouveau modèle d’entreprises que l’on a appelé les entreprises de croissance. Ce n’est pas du tout un petit sujet, c’est un énorme sujet. Vous avez dit 180 000 emplois, ce n’est pas assez, sachez que pour chaque entreprise de croissance, il y a 3 emplois induits donc on parle… et je ne parlais pas que de 500 entreprises sur des millions, je crois que vous n’avez pas compris ce que je voulais dire, je parlais de millions d’emplois, je parlais de millions d’emplois, que ces nouvelles entreprises, elles ont à la fois la capacité à créer des emplois dans un modèle européen qui fonctionne, ça, c’est un premier point et deuxième point et c’est le plus important, elles répondent au modèle social que vous appelez de vos vœux puisque ces jeunes entreprises qui créent de l’emploi ont des relations sociales nouvelles et complètement innovantes vis-à-vis de tout ce qui s’est fait jusqu’à aujourd’hui dans les entreprises traditionnelles. Alors, le problème, et je terminerai là-dessus, c’est que les débats tournent toujours autour de la grande entreprise et de ce qu’elle va impliquer. Sachez, messieurs, puisque vous ne semblez pas le savoir, qu’aujourd’hui, des milliers d’entreprises sont en train de créer les 15 millions d’emplois que vous attendez. Elles le font. Elles le font sans subventions et sans aide, et il faudrait peut-être, maintenant qu’on en parle et que vous les connaissiez.
Dominique Strauss-Kahn
Juste un mot, je crois que monsieur Bourlanges et monsieur Vanryb sont la parfaite synthèse de ce qu’il faut que nous fassions. Le premier lorsqu’il dit « l’Europe, c’est construit de façon très libérale », aujourd’hui, ce qui est au centre de nos débats, c’est d’arriver à valoriser et à faire valoir le modèle social européen, je partage…
Michèle Cotta
Qu’est-ce qui vous sépare de monsieur Bourlanges ? Rien alors !
Dominique Strauss-Kahn
Beaucoup d’autres sujets, pas obligatoirement chacune des paroles.
Jean-Louis Bourlanges
Le point d’équilibre n’est pas tout à fait le même !
Dominique Strauss-Kahn
Le point d’équilibre n’est pas obligatoirement le même mais la préoccupation de faire que l’Europe soit sociale est, je crois, aujourd’hui largement répandue. Et monsieur Vanryb a absolument raison et il apporte la réponse à une des questions qu’évoquait monsieur Rosa tout à l’heure. Pourquoi est-ce que la croissance française en 98 a été si forte ? Notamment parce que nous entrons de plain-pied dans ce monde nouveau qui est celui des entreprises de nouvelles technologies. Aux Etats-Unis, puisqu’on en prenait l’exemple tout à l’heure, chacun décrit volontiers le fait que la moitié de la croissance vient de ces entreprises. Nous n’en sommes pas là encore en France, loin de là mais, il faut que nous prenions le chemin du soutien de ces entreprises qui créent effectivement aujourd’hui des milliers, peut-être demain des dizaines, des centaines de milliers d’emplois. Elles ne seront pas les seules à créer des emplois mais elles en font formidablement partie et ce monde des technologies nouvelles, technologies de l’information, biotechnologies est celui qu’il faut que nous soyons capables de chevaucher maintenant. Je crois que la France commence à réussir à le faire. Je ne sais pas quelle est l’opinion de monsieur Vanryb là-dessus, mais c’est une des explications de la forte croissance de 98.
Michèle Cotta
Monsieur Trogrlic et puis la parole sera quand même…
Bruno Vanryb
Juste un point, le monde est européen pour nos entreprises. Il faut que vous le compreniez, c’est ça qui est essentiel. Ce sont des PME multinationales, c’est une grande innovation. Une PME multinationale, c’est nouveau.
Jean-François Trogrlic
Loin de moi l’idée de négliger ce qui peut être fait et des chiffres annoncés par monsieur Vanryb. Je les mettais simplement en relation avec le problème des 18 millions de chômeurs mais, je pense incontestablement qu’il faut que l’on change de modèle. Le modèle industriel massif sur lequel on a centré le développement de l’emploi en permanence est un modèle qui aujourd’hui a du plomb dans l’aile et il faut que l’on regarde la façon dont on peut justement mettre des moyens supplémentaires sur les grandes infrastructures de la société de communication par exemple ou de la société de l’information pour redynamiser ce mouvement. Je suis d’accord avec ça. L’avenir n’est pas dans les grandes conquêtes industrielles du passé. Il faut inventer l’avenir du siècle qui vient.
Michèle Cotta
Monsieur Couteaux ? Monsieur Rosa ?
Paul-Marie Couteaux
Oui, c’est très significatif, Michèle Cotta, notre débat. Nous parlons d’Europe depuis une demi-heure et de quoi parlons-nous finalement ?
Michèle Cotta
Pas tout à fait, pas tout à fait…
Paul-Marie Couteaux
Et hélas, cela risque de continuer, de quoi parlons-nous ? D’argent.
Bruno Vanryb
D’emplois !
Paul-Marie Couteaux
Attendez, attendez… oui, parlons-en de l’emploi, il y a 18 millions de chômeurs, je me demande si… combien de temps il va falloir attendre pour résoudre ce problème qui traîne depuis 10 ans dont tout le monde se moque finalement, et le gouvernement se moque du chômage !
Dominique Strauss-Kahn
Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ?
Paul-Marie Couteaux
Mais si c’est une…
Dominique Strauss-Kahn
Vous claquez dans les doigts en disant « il faut le résoudre » mais qu’est-ce que vous proposez pour le faire ?
Paul-Marie Couteaux
Beaucoup de choses monsieur le ministre mais là, ça ne nous intéresse pas.
Dominique Strauss-Kahn
Si des propositions que vous me… qualifiez de pragmatiques tout à l’heure…
Paul-Marie Couteaux
… Ecoutez, les propositions de Charles Pasqua, ça pourrait vous intéresser de temps en temps…
Dominique Strauss-Kahn
… Les propositions de Charles Pasqua malheureusement sont aussi transparentes que ce qu’il dit sur l’Europe ! Aucun…
Paul-Marie Couteaux
Vous ne vous y intéressez pas.
Dominique Strauss-Kahn
Mais je m’intéresse aujourd’hui à tout ce qui existe aujourd’hui et qui peut être utilisé. Pour lutter contre le chômage comme le disait monsieur Vanryb, tout doit être utilisé. Il n’y a aucune mesure d’où qu’elle vienne qui doive être rejetée si elle permet d’améliorer l’emploi. Toutes les propositions sont les bienvenues mais il ne suffit pas de claquer dans les doigts en disant, puisque nous ne résolvons pas le problème de l’emploi suffisamment vite, ce qui est exact, alors, c’est que vous vous en désintéressez.
Paul-Marie Couteaux
Mais monsieur le ministre, vous devriez écoutez ce que je dis…
Dominique Strauss-Kahn
C’est une accusation qui est au moins aussi caricaturale que ce que vous reprochiez à monsieur Bourlanges tout à l’heure. Je vous écoute.
Paul-Marie Couteaux
Vous devriez écouter ce que je dis parce que cela peut vous faire du bien, excusez-moi de l’immodestie du propos mais je vous mets en garde parce qu’évidemment comme vous dites, vous êtes au cœur d’une certaine Europe, vous êtes finalement assez heureux de la manière dont les choses se passent mais je vous mets en garde contre le fait que l’état d’esprit des Français est assez différent du vôtre et que le scepticisme européen croît, il a beaucoup…
Dominique Strauss-Kahn
C’est inexact… tous les sondages montrent que les soutiens à l’Europe sont croissants.
Paul-Marie Couteaux
Mais ce n’est pas vrai !
Jean-Louis Bourlanges
Monsieur Couteaux, le scepticisme français…
Paul-Marie Couteaux
Attendez, est-ce que je peux finir une phrase ? Pour les Français, je crois que l’on n’a pas intérêt…
Michèle Cotta
Ne parlez pas tous en même temps !
Jean-Louis Bourlanges
Le scepticisme français, quand il existe, est fondé sur le fait qu’ils ont le sentiment que l’Europe ne tient pas toujours ses promesses. Quant au Kosovo, nous sommes impuissants comme nous le sommes, effectivement, les Français ont le sentiment qu’ils n’en ont pas pour leur argent. C’est « Europe + » et pas seulement « croissance + »
Paul-Marie Couteaux
Prenez en compte l’état d’esprit des Français…
Michèle Cotta
Monsieur Couteaux a la parole, monsieur Trogrlic ! Monsieur Couteaux a la parole puis monsieur Rosa.
Paul-Marie Couteaux
Prenez en compte l’état d’esprit des Français. A mon avis, c’est très grave parce qu’il y a une espèce de divorce croissant qui risque de mener loin… encore une fois ce que je dis, cela devrait vous mettre en garde, il ne faut pas uniquement parler d’argent, il ne faut pas uniquement donner l’impression que l’Europe se construit autour d’une banque et autour d’une monnaie parce que le scepticisme est général. Un minuscule sondage mais je crois que monsieur Bourlanges aurait grand profit à écouter, même si les sondages que vous avez, cher ami, vous confortent…
Michèle Cotta
Prenez des notes monsieur Bourlanges !
Paul-Marie Couteaux
Le mensuel Phosphore en janvier dernier a publié un sondage demandant… qui a demandé à des jeunes de 18 à 25 ans quelle était leur appartenance fondamentale. Je vais vite, Michèle, mais c’est très important, je vous assure. Quelle était leur appartenance fondamentale. Ils avaient le choix entre 6 appartenances. Bon, le monde, l’Europe, la France, la région, la cité et le quartier, enfin la ville, le quartier. Sont arrivés en tête à peu près ex aequo la France et le monde. C’est-à-dire qu’ils ne s’excluent pas du tout parce qu’à mon avis, l’appartenance fondamentale, c’est la France dans la mesure où elle est une porte ouverte vers l’universel et vers le monde comme dit Jean-Pierre Chevènement. 28 % et 26 % pour ces deux appartenances qui arrivent en tête. Et qui arrive en dernière position chez les jeunes de 18/25 ans ? C’est l’Europe avec 7 % ! Bien. Ne dites pas qu’il y a une espèce d’engouement général de la population française et même pas des jeunes et encore moins des jeunes d’ailleurs parce que le thème européen est très vieux, très daté, c’est une affaire de génération qui est en train de passer. Ce qui est important pour les jeunes, c’est le monde, tout simplement.
Jean-Jacques Rosa
Je crois bien sûr, il y a des problèmes de culture, de civilisation de nations mais malgré tout, dans un continent où nous avons 11 % de chômeurs, où la croissance est faible, il existe un vrai problème de politique macro-économique. Vous ne m’avez pas compris. Je n’accuse pas les entreprises de ne pas créer d’emplois. Je dis que les entreprises répondent aux conditions de l’environnement et l’Etat a une responsabilité. Je propose à monsieur Strauss-Kahn de suivre l’inspiration du ministre des Finances français qui critique le gouverneur de la Banque centrale européenne pour ne pas assez baisser les taux d’intérêt avec monsieur Lafontaine…
Dominique Strauss-Kahn
A ma connaissance, mais vous êtes… le ministre des Finances français, c’est moi.
Jean-Jacques Rosa
Justement ! Avec monsieur Lafontaine, vous demandiez des recettes, les voilà les recettes, vous en êtes parfaitement conscient, la politique monétaire et le change qui est mené par la Banque centrale européenne n’est pas la bonne. Elle étouffe les entreprises et la croissance. Vous voulez des solutions ? On peut les changer…
Michèle Cotta
Un fait, l’euro, depuis sa création voit son niveau baisser par rapport au dollar. Alors, est-ce que c’est bien d’avoir un euro faible parce que cela autorise à exporter ou est-ce que c’est pénalisant d’avoir un euro faible parce que cela démontre une certaine fragilité ?
Dominique Strauss-Kahn
Sur un moyen terme, je suis sans ambiguïté pour un euro fort. Mais je suis très surpris de voir la polémique ou le débat qui existe. Nous sommes aujourd’hui à une valeur de l’euro par rapport au dollar qui équivaut si on compte en francs à grosso modo 6 francs. Cela a été la valeur dans la plus grande partie de l’année 98. Personne ne disait que le franc était faible. Pourquoi dirait-on aujourd’hui que l’euro est faible ? Cela n’a pas beaucoup de signification, la réalité…
Michèle Cotta
C’est la tendance qui est quand même…
Dominique Strauss-Kahn
Oui, c’est la tendance sur deux mois… il y aura des fluctuations dans un sens, il y aura des fluctuations dans l’autre sens, nous avons grosso modo une situation qui est équilibrée et il y aura toujours à 5 ou 10 % près, des fluctuations dans les deux sens. Ce qui compte, on ne va peut-être pas passer toute la discussion sur l’Europe sur les questions économiques car en effet il y a bien d’autres sujets, mais…
Michèle Cotta
Allez-y parce qu’on est à deux minutes de la fin, monsieur Strauss-Kahn !
Dominique Strauss-Kahn
… Lorsque monsieur Rosa m’y ramène en disant que nous devrions avoir des taux d’intérêt plus faibles, je lui réponds volontiers que oui. J’aimerais autant que nous ayons des taux d’intérêt plus faibles. Il reste que nous avons les taux d’intérêt les plus faibles du monde, à part le Japon qui n’est pas aujourd’hui une référence, nous avons… même en termes réels…
Jean-Jacques Rosa
Pas en terme réels !
Dominique Strauss-Kahn
… Même en termes réels, les taux d’intérêts les plus faibles du monde et j’aimerais autant qu’ils soient plus faibles mais nous avons choisi un système dans lequel il y a une distinction d’autorité entre la politique monétaire et la politique budgétaire et donc, nous respectons ce système même si on peut avoir des souhaits. Maintenant, il y a bien d’autres choses effectivement dans l’Europe que l’euro, saut que c’est tellement récent que c’est normal qu’on en parle, il y a bien d’autres choses et notamment la volonté que nous avons tous de faire que cette citoyenneté européenne existe. Vous vouliez qu’on en parle, votre sondage n’est significatif de rien. Il est simplement l’idée simple que l’on ne peut pas choisir…
Paul-Marie Couteaux
… Simplement d’une appartenance flageolante.
Dominique Strauss-Kahn
Très bien ! Donc, vous vous rendez compte du chemin que nous avons à parcourir pour créer cette citoyenneté européenne et puisque vous aviez l’air de regretter qu’il y ait si peu de pourcentage qui se porte sur l’Europe, venez travailler avec nous pour créer cette citoyenneté européenne.
Paul-Marie Couteaux
Pas du tout, je constate que ce n’est pas un lien de solidarité pour les jeunes.
Dominique Strauss-Kahn
Moi, je suis depuis que l’euro existe aussi Français que je l’étais avant et je me sens un peu plus européen. Et je pense que petit à petit, les Français se sentiront un peu plus européens.
Michèle Cotta
Un mot, nous sommes arrivés à la fin…
Paul-Marie Couteaux
Puisque tout va très bien madame la marquise, comment se fait-il que l’on ne consulte pas le peuple ? Pourquoi il n’y a pas de référendum sur Amsterdam par exemple ? Vous laissez les peuples sur la touche, alors après vous dites « tout va très bien » !
Dominique Strauss-Kahn
On a consulté le peuple par référendum en 92 et il est consulté régulièrement, encore il y a quelques jours à l’Assemblée pour le vote d’Amsterdam !
Paul-Marie Couteaux
L’Assemblée, excusez-moi de vous le dire…
Dominique Strauss-Kahn
Ah, vous considérez que l’Assemblée n’est pas représentative de la population vous ?
Paul-Marie Couteaux
Oui, elle n’est pas représentative…
Dominique Strauss-Kahn
Ah, là, là nous avons un autre…
Michèle Cotta
Pays légal, pays réel… un mot…non, c’est terminé… un mot ? Un mot ? Le générique part, un mot ?
Bruno Vanryb
Un mot pour dire qu’on ne parle pas d’argent, le social suit l’économie. On ne pourra pas faire une belle politique sociale sans une économie qui marche fort et les entreprises comme Airbus n’auraient pas existé sans une volonté européenne et n’auraient pas pu être les meilleurs concurrents de Boeing. Il faut le rappeler et ce sont des milliers d’emplois à chaque fois.
Michèle Cotta
Pour assister à l’émission, vous tapez 36 15 Code France 2. A 13 heures, le journal est présenté par Béatrice Schönberg. Dimanche prochain, vous retrouverez « Argent public » donc, je vous retrouve, moi, dans 15 jours avec Daniel Cohn-Bendit, le 21 mars à midi. Merci beaucoup.