Editoriaux de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Force ouvrière hebdo" des 4 et 11 juin 1997, sur les revendications de Force ouvrière auprès du nouveau gouvernement et sur les raisons de la non participation de FO à la manifestation européenne pour l'emploi du 10 juin, intitulés " Après le second tour" et "le 28 mai et le 10 juin, ce n'est pas pareil".

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Circonstance : Elections législatives des 25 mai et 1er juin 1997-formation du gouvernement Jospin le 4 juin

Média : FO Hebdo

Texte intégral

Force Ouvrière Hebdo : 4 juin 1997
Après le second tour

Les résultats des élections législatives constituent, de la part des citoyens, une sanction vis-à-vis d’orientations économiques et sociales qui n’ont pas réduit la fracture sociale.

Bien au contraire le chômage s’est accru, la part des salaires dans la répartition de la valeur ajoutée a encore diminué, les inégalités sociales se sont accentuées, la Sécurité sociale a été déstructurée.

Dès avant le premier tour, Force Ouvrière avait publiquement rappelé ses analyses et revendications. Sans bien entendu donner des consignes de vote, nous avons réaffirmé le rôle du syndicalisme indépendant.

C’est ainsi que nous avons souligné qu’il était nécessaire de redonner au social la priorité, que ce soit en matière d’emploi, de relance de l’activité économique, de réduction de la durée du travail, de pouvoir d’achat, de protection sociale collective, de modalités de la construction européenne, de services publics.

Sur tous ces points, nous réaffirmons nos analyses auprès du nouveau gouvernement et du Premier ministre auprès de qui nous allons solliciter une audience.
 
Les résultats électoraux passés, ce sont bien entendu les orientations exposées par le nouveau gouvernement qui sont attendues.

Force Ouvrière sera, comme à son habitude, un interlocuteur libre de son comportement, exigeant et loyal.

Nous attendons également une remise en selle du dialogue social, qui privilégie la transparence et la négociation sur les domaines relevant du contrat collectif.

Nombre de dossiers attendent, dont bien entendu celui de la Sécurité sociale dont le déficit présumé va nécessiter la prise de décisions financières de la part du Parlement et du gouvernement, comme cela est prévu par les textes.

Fondamentalement, se trouve ainsi posée la question essentielle des rapports entre la puissance économique et financière et les pouvoirs publics. Il appartient à ceux-ci de savoir retrouver des marges de manœuvre pour répondre aux attentes. C’est globalement une question de démocratie ainsi que de respect des valeurs républicaines qui sont en jeu.

Des rendez-vous internationaux importants sont également proches, qu’il s’agisse au niveau européen de la Conférence intergouvernementale, au plan international, du G7, qui se tiendra prochainement aux États-Unis.

Sur tous ces points, dès la composition du gouvernement, Force Ouvrière présentera ses analyses et revendications, celles qui depuis des mois ont été soulignées et développées par les différentes instances de l’organisation (Congrès, Comité confédéral national et Commission exécutive).

C’est ainsi que nous entendons jouer efficacement notre rôle de contrepoids et d’interlocuteurs.


Force Ouvrière hebdo : 11 juin 1997
Le 28 mai et le 10 juin, ce n’est pas pareil.

Le 28 mai, dans le cadre de la journée européenne pour l’emploi – il y a en effet vingt millions de chômeurs en Europe - lancée par la Confédération européenne des syndicats, nous avons rencontré, le Secrétaire général de la CES, les responsables CFDT et CFTC et le rédacteur de cet article, le président de la République, M. Chirac. Au cours de l’entretien, nous avons développé les revendications de la CES sur la modification des textes européens à la veille de la conférence intergouvernementale d’Amsterdam.

Le président de la République, après avoir écouté, devait se déclarer proche de nos positions et décidé à défendre le système français, voire européen, de relations sociales, de redistribution, globalement il affirmait regretter l’importance toute relative du social dans le débat et l’action européens. Si le mot déficit social n’a pas été employé,  il était dans tous les esprits, le président devait d’ailleurs, officiellement, confirmer sa position, suite à cette visite, en envoyant un courrier au Premier ministre néerlandais, M. Wim Kok, actuellement président du Conseil européen des ministres, pour lui spécifier qu’il soutenait officiellement les revendications exposées de la CES, le président de la République terminant son courrier ainsi : « la France soutient l’ensemble de ces propositions et souhaite encore renforcer le volet social de la conférence intergouvernementale ».

C’est la concomitance avec la campagne électorale, le 28 mai se situant entre les deux tours de scrutin, qui nous avait conduits à annuler les manifestations prévues initialement (à Paris et Toulouse). Le 28 mai a donné lieu à différentes expressions dans l’ensemble des pays constituant l’Europe et au-delà. Celles-ci, nous devons le constater, ont eu des résultats contrastés. Si des manifestations ont eu lieu dans certains pays où l’action interprofessionnelle est usitée, comme la Belgique encore que le nombre de dix mille manifestants est nettement inférieur à celui de soixante-quinze mille pour Vilvoorde) et l’Espagne, dans d’autres, où elle n’est pas dans les pratiques courantes, cela s’est soldé par une conférence de presse.

Le fait n’est pas nouveau, nous avons assez souvent réclamé des initiatives de la CES pour noter une évolution positive en la matière, il faut cependant rappeler que les manifestations et grèves ne se décrètent pas de manière bureaucratique par quelques dirigeants, à Paris… ou Bruxelles.

Le Confédération Force Ouvrière n’est pas a priori opposé aux journées ou actions de caractère unitaire, à la condition que les objectifs et revendications soient clairs… et partagés.

Est-ce le cas pour le 10 juin 1997, que certains veulent présenter comme une manifestation se substituant à celle du 28 mai ?

Comme l’eût dit Monsieur de la Palisse, le 28 mai est le 10 juin ce n’est pas pareil, il s’est passé des choses entre les deux dates.

Ensuite, qu’on le veuille ou non, la connotation européenne (l’action le même jour sur l’ensemble de l’Europe) a perdu de sa vigueur dans la limite où il ne se passera rien dans les autres pays ce jour-là et où le sommet européen de la mi-juin aura lieu à Amsterdam et non à Paris.

Dès lors, et parce qu’il nous semble indispensable de ne pas laisser croire aux salariés que l’expression électorale suffit pour changer les choses, nous considérons que le label « Europe » risque d’être utilisé à d’autres desseins.

Notre préoccupation est claire : le nouveau gouvernement est-il décidé à rompre avec la politique économique suivie par le gouvernement précédent, notamment par rapport aux critères de convergence économique ?

Entend-il se redonner des marges de manœuvre pour restaurer la protection sociale collective et plus particulièrement accorder à la Sécurité sociale – notamment l’assurance maladie – une relative autonomie et garantir la notion de solidarité et d’égalité ?

Comment désire-t-il amplifier la croissance ? Nos revendications sur le pouvoir d’achat, la durée du travail et la relance de l’activité seront-elles prises en compte ?

Comment se comportera-t-il avec ses propres fonctionnaires ?

Personne n’ignore que le ministre des Finances et le Premier ministre sont en consultation avec leurs homologues européens et notamment l’Allemagne.

Nous sommes conscients des difficultés de l’exercice.

Nous serons informés des orientations du gouvernement le 19 juin, lors de la déclaration de politique générale du Premier ministre.

Dans ces conditions, le 10 juin apparaît quelque peu anachronique puisque limité à la France.

S’adressera-t-il au nouveau gouvernement ou à l’Europe ?

Nous sommes une des organisations syndicales qui ont fondé la CES, mieux, nous étions du Comité syndical européen, de l’Organisation européenne des syndicats libres, tous ancêtres de la CES.

Nous n’avons donc pas de ticket d’entrée à payer.

La journée du 10 juin, lancée par la CFDT avec le concours de la CFTC, verra l’association d’organisations syndicales qui, au moins publiquement, défendent des thèses opposées sur le plan Juppé, la loi Robien, la notion de service public.

Difficile, dans ces conditions, de dégager des revendications partagées.

Donc nous n’appellerons pas, au niveau confédéral et interprofessionnel. Il peut toutefois se faire que, dans certaines professions, des contentieux urgents se réveillent, les chauffeurs routiers par exemple.

Il n’est pas dons nos pratiques de condamner les mouvements, quels qu’ils soient.

Nous entendons jouer notre rôle de syndicat indépendant.

Au niveau européen, nous avons réaffirmé avec force nos analyses et revendications, y compris lors du comité exécutif de la CTS des 5 et 6 juin 1997.

Au niveau national, nous avons adressé au Premier ministre une lettre récapitulant nos revendications prioritaires (lire en dernier page).

Nous entendons être interlocuteur et jugeons le gouvernement sur ses actes.

Compte tenu de la situation économique et sociale, les choses se décanteront assez rapidement.

Libres de notre comportement, exigeants et loyaux, tels nous entendons rester fidèles à l’indépendance syndicale.

Et si cela nous apparaît nécessaire, nous n’hésiterons pas à prendre nos responsabilités, comme nous l’avons fait par le passé.