Texte intégral
A. Ardisson : La France s'implique de deux manières dans ce que l'on appelle aujourd'hui la guerre au Sud-Liban à savoir dans le domaine diplomatique et humanitaire. En ce qui concerne l'aide humanitaire, que faisons-nous, que pouvons-nous encore faire ?
Xavier Emmanuelli : Nous avons envoyé, tout de suite, immédiatement, dès que l'on a compris qu'il y avait des milliers de personnes sur les routes, un avion avec de la nourriture supplémentaire, des couvertures, des kits médicaux. C'est un premier envoi, l'envoi de base. Et en fonction de ce que va nous indiquer notre ambassadeur, nous allons essayer de plus ciblé en fonction des besoins. Mais je crois que tous ces gens, qui sont sur les routes, vont avoir besoin d'assistance.
A. Ardisson : Est-ce que ce n'est pas une installation à long terme qu'il faut envisager ?
Xavier Emmanuelli : On ne sait jamais. Je ne sais pas vous répondre car je ne sais pas comment cela va tourner. Tout ce que l'on peut dire, c'est que tous ces gens qui sont jetés sur les routes et qui vont dans des centres autour des villes vont s'y installer et on ne peut pas prévoir pour combien de temps. Il faut s'organiser pour leur venir en aide en sachant bien que c'est toujours les populations les plus fragiles c'est-à-dire les enfants, les femmes et les vieux qui sont touchées en premier. C'est une idée que l'on peut se faire. Les problèmes qui vont se poser, on les connaît bien. Les conditions d'hygiène et de promiscuité vont être difficiles comme dans tous les grands regroupements de population, les problèmes nutritionnels et médicaux vont se poser au fur et à mesure que les jours vont passer.
A. Ardisson : Le fait que le Premier ministre israélien dise qu'il ne veut qu'un seul médiateur, à savoir les Américains, c'est quand même un camouflet pour la France ?
Xavier Emmanuelli : Vous croyez qu'il a dit cela ?!
A. Ardisson : Enfin c'est perçu comme cela…
Xavier Emmanuelli : Je ne crois pas que ce soit aussi simple. Je pense que la France et l'Europe ont quelque chose à dire au Moyen-Orient et ne serait-ce que par la proximité. Je ne crois pas que ce soit aussi évident que cela qu'ils disent que leur seul interlocuteur sont les Américains. Et d'ailleurs, le voyage du Président J. CHIRAC montre bien que la France va pouvoir jouer et a envie de jouer une carte au Moyen-Orient.
A. Ardisson : Parce qu'elle reconquit l'oreille des pays arabes ; mais il faut être deux dans une médiation, non ?
Xavier Emmanuelli : Pas seulement, pas seulement. Je pense que la place de la France dans le monde, la volonté diplomatique fait que l'on sera sans doute amené à avoir notre part dans cette médiation.
A. Ardisson : Aujourd'hui, l'ONU a rendu publique une statistique admettant le fait que deux millions d'enfants ont été tués, cinq millions mutilés en dix ans de guerre. Face tout cela, l'ONU propose tout simplement de porter les droits de l'enfant de 15 à 18 ans comme âge minimum pour le recrutement des forces armées : n'est-ce pas dérisoire ?
Xavier Emmanuelli : Dans ce domaine, chaque petite victoire est une victoire. Déjà de faire abaisser l'âge d'enrôlement dans les forces armées, c'est déjà une toute petite conquête. Le nombre d'enfants qui sont blessés, tués dans les guerres ou après les guerres, je pense que c'est aussi à cause des mines anti-personnel.
A. Ardisson : Ça c'est votre combat ?
Xavier Emmanuelli : C'est le combat dans lequel je m'investis complètement. Je crois qu'il y a des choses à faire et dans l'immédiat, d'abord interdire la pause des mines anti-personnel, trouver le moyen des déminages, informer, réparer, lutter contre la douleur. On vient de loin et je pense que c'est une lutte qui n'est pas prête d'aboutir mais qui se fait par toute petites étapes.
A. Ardisson : La médecine d'urgence est une philosophie s'il l'on en croit le petit livre que vous faite sortir chez Gallimard ?
Xavier Emmanuelli : Disons que c'est un concept qui est apparu sur les champs de bataille parce qu'il fallait réparer les combattants. Elle a du mal à venir dans le monde civil et c'est la médecine des premières minutes. En général, en médecine, on a du temps ; on voit le temps de la cicatrisation, de la réparation. Cette médecine-là, c'est la médecine des premières minutes. Elle sauve la vie et ça permet de remettre les gens sur le chemin de la guérison.
A. Ardisson : Est-ce que la France est en pointe dans ce domaine ?
Xavier Emmanuelli : La France est en pointe. Un système tel que le SAMU, il n'y a pas d'autres exemples à travers le monde. C'est tout un système qui va chercher des victimes à domicile ou sur la route. C'est une couverture comme il n'y en a pas dans le monde. Et puis de la médecine d'urgence, le SAMU, on est passé à la médecine de catastrophe. Là encore la France a des personnels, des techniques, du matériel qui sont sans équivalent dans le monde. La France est très en avance là-dessus.
A. Ardisson : Beaucoup de jeunes voudraient s'engager dans l'action humanitaire. Que leur dites-vous ?
Xavier Emmanuelli : Dans l'humanitaire, il n'y a pas que la médecine. Il y a la santé, oui, mais il y a aussi la nutrition, la sanitation. Par exemple, le traitement de l'eau, l'eau propre, l'eau sale, les tuyaux. Dans un camp de réfugiés, j'ai toujours l'habitude de dire que les tuyaux sont plus importants que les docteurs, parce qu'ils vous donnent l'eau propre, l'arrivée de l'eau et l'évacuation des eaux sales. Ca permet de donner à boire aux gens et d'éviter les épidémies. Tous les services, la communication, les abris, la distribution de nourriture, tout ça, c'est des métiers de l'humanitaire. C'est à la portée de bien des gens.