Texte intégral
FRANCE INFO : Le 14 janvier 1999
Patrick BOYER. – L'invité aujourd'hui, Alain KRIVINE, leader de la Ligue communiste révolutionnaire.
Alain KRIVINE, bonjour.
Alain KRIVINE. – Bonjour.
Patrick BOYER. – Alors à la fin de la semaine, la Ligue et Lutte Ouvrière vont réunir leurs militants et signer dimanche un accord politique pour une liste commune européenne, un ticket LAGUILLER/KRIVINE. Arlette, tête de liste ?
Alain KRIVINE. – Bien sûr. Et de toute façon dans ces élections comme vous le savez, il n'y a pas d'élu ou il y a quatre élus au bout de 5 %. Mais c'est tout à fait logique qu'elle soit tête de liste.
Patrick BOYER. – Voilà. Donc, ça sera une liste chababada, Arlette puis Alain et puis après toujours, LO-LCR, LO-LCR ?
Alain KRIVINE. – Ça sera une liste absolument moitié-moitié. À partir du moment où on fait cet accord, il y aura cette parité et il y aura en plus une majorité de femmes éligibles.
Patrick BOYER. – La gauche plurielle ne manque pas de listes. Alors entre COHN-BENDIT, Robert HUE, où allez-vous vous situer ?
Alain KRIVINE. – Mais nous, on est de gauche mais on ne se situe pas dans cette gauche plurielle qui est peut-être divisée mais qui a quand même la singularité d'être une gauche qui soutient et qui est solidaire de la politique du gouvernement. Et je crois qu'on sera effectivement la seule liste de gauche, pas par plaisir, mais par réalisme à s'opposer à la fois au type d'Europe qu'on est en train de nous construire, l'Europe de Maastricht et avec le pacte de stabilité et les 20 millions de chômeurs et en même temps, à nous opposer à la politique qui est une politique maastrichienne d'ailleurs menée par le gouvernement de cette gauche plurielle. Donc, je pense qu'aujourd'hui cette liste rassemblée au moment où tout le monde est divisé, c'est quand même une liste qui va rassembler toute l'extrême-gauche, peut apparaître comme un outil pour des millions de gens aujourd'hui qui sont tout à fait, comment dirais-je, mécontents de la politique qui est menée depuis un an et qui, finalement, n'a quasiment pas changé le sort des millions de chômeurs, des six millions de personnes aujourd'hui qui vivent des minima sociaux et qui ont envie véritablement de manifester parce qu'ils en ont vraiment assez de cette politique à l'heure actuelle.
Patrick BOYER. – Avec un autre nom mythique quand même venu de cette période et de l'extrême-gauche, c'est COHN-BENDIT à côté, tête de liste des Verts, celui que CHEVÈNEMENT appelle l'anarchiste mercantiliste.
Alain KRIVINE. – Oui. Je crois que la critique de CHEVÈNEMENT est malvenue. Il reproche à COHN-BENDIT d'abord de venir d'Allemagne. C'est un petit fumet nationaliste qui me déplaît fortement. Et puis, surtout, il lui reproche d'être partisan de l'économie de marché. Alors c'est tout à fait que COHN-BENDIT a changé de politique. Ce n'est plus du tout, les positions qu'il développait en 68. Mais enfin, CHEVÈNEMENT est mal placé pour lui reprocher de développer ou d'être pour l'économie de marché. Enfin, CHEVÈNEMENT est pour l'économie de marché et fait partie d'un gouvernement qui est pour l'économie de marché. Et je trouve que c'est un peu culotté comme critique de la part du ministre de l'Intérieur. Maintenant, c'est vrai que COHN-BENDIT aujourd'hui, il est un des leaders de la gauche gouvernementale.
Patrick BOYER. – Et donc, pour terminer sur CHEVÈNEMENT et ses positions sécuritaires, le saint laïc, St Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, il fait partie de votre Panthéon des grands hommes aujourd'hui dans la République ?
Alain KRIVINE. – CHEVÈNEMENT ne fait pas partie des grands hommes dans la République notamment parce que sa politique sur les sans-papiers ne lui permet certainement pas d'être un grand homme de la République surtout quand on voit la dernière proposition consistant à établir une responsabilité collective parentale par rapport à un problème qui est réel, qui est le problème aujourd'hui comme on dit de la sécurité. Mais d'y répondre en isolant encore plus dans des ghettos sociaux des familles en détresse, je trouve ça assez scandaleux. Il n'y pas de réponses policière à des problèmes qui sont effectivement dramatiques aujourd'hui.
Patrick BOYER. – Et quelle réponse vous feriez, vous, pour les jeunes délinquants ?
Alain KRIVINE. – Moi, je crois qu'aujourd'hui, si la délinquance se développe avec une telle intensité, elle est liée d'abord et fondamentalement au fait qu'il y a eu un développement avec la même intensité du chômage. On n'avait pas cette délinquance quand il n'y avait pas de chômeurs. Aujourd'hui, on a près de 5 millions de personnes qui sont privées d'emploi, 7 millions qui sont touchées par le chômage. Et on a – et ce n'est pas du tout pour justifier ce qui est fait par certains jeunes dans les cités parce que c'est évident que de voir sas voiture brûler ou voir les enseignants qui se font agresser pas seulement par ALLÈGRE mais par des jeunes lycéens-là au niveau physique, ça n'est jamais acceptable – mais la réponse policière ne sert à rien. Je veux dire, on a aujourd'hui des jeunes qui vivent entassés dans des cités avec, souvent, des parents qui sont chômeurs ou qui ont des horaires absolument impossibles. Ce qu'il faut aujourd'hui, moi, je crois, c'est d'une part répondre au problème de l'emploi. Ça, c'est la réponse générale. Et deuxièmement, par exemple au niveau des lycées, augmenter considérablement les effectifs d'enseignants, de surveillants, d'assistances sociales, d'infirmières et permettre enfin qu'on ait les moyens d'avoir disons un déroulement normal.
Patrick BOYER. – Alors, aux européennes, quel genre de campagne allez-vous mener ? Est-ce que c'est pour ratisser large en direction de tous les mécontents, que vous « pacser » avec Arlette et son organisation très populiste on va dire ?
Alain KRIVINE. – Mais non. Aux européennes, on va essayer d'être le porte-parole de toutes les revendications qui sont portées aujourd'hui par toutes les mobilisations. Je veux dire, vous avez des chômeurs qui descendent dans la rue pour demander une augmentation, par exemple, des minima sociaux de 1 500 francs, ce qui est quand même le minimum quand on sait qu'aujourd'hui il y a 6 millions de personnes qui vivent à peu près avec 3 000 francs par mois ce qui est quasiment impossible. On va essayer de porter aussi la revendication de tous les licenciés qui se multiplient. Il faut quand même savoir, au moment où hier JOSPIN se flattait d'avoir sauvé 4 000 emplois à EDF/GDF, j'ai dit tant mieux, 4 000 emplois, mais c'est un pipi de chat dans l'océan. Quand on voit aujourd'hui notamment dans le privé qu'il y a eu 3 000 licenciements à THOMSON, 2 700 à RENAULT, 337 à ROUSSEL UCLAF, 1 200 à RHÔNE-POULENC, 3 000 à PSA et on peut multiplier, eh bien il est normal que tous ces gens aient envie aujourd'hui d'exprimer non seulement leur colère mais de dire qu'ils veulent une autre politique. Et notamment, nous, nous allons nous battre à ces élections européennes pour une toute autre loi sur les 35 heures qui force le patronat à embaucher et non pas ce qui est fait aujourd'hui, une espèce de loi indicative pour interdire les licenciements collectifs ce qui est tout à fait possible et notamment pour imposer une véritable révolution fiscale ce qui est le seul moyen aujourd'hui de financer réellement des mesures sociales radicales.
Patrick BOYER. – Et vous vous sentez à l'aise encore une fois avec cette organisation très populiste, les campagnes très protestataires d'Arlette à la tête de LO, certains disent franchement démagogues en fait, attrape-tout quoi ?
Alain KRIVINE. – Ce n'est pas un problème de démagogie. Je veux dire, on peut avoir des désaccords avec Lutte Ouvrière. Moi, j'en ai. Sinon, on serait dans la même organisation. Mais je veux dire, fondamentalement, par rapport à la défense de tous ceux et celles dont on vient de parler et par rapport à la nécessité de mettre en avant une autre politique aujourd'hui sur le plan européen comme sur le plan français, je pense qu'il y a un accord qui est très grand. Je me sens mille fois plus proche d'Arlette LAGUILLER que de Lionel JOSPIN et de Robert HUE en tout cas pour ce qui est de la défense de ces revendications.
Patrick BOYER. – Et donc, vous ne craignez pas les dérives d'un populisme d'extrême gauche ?
Alain KRIVINE. – Il n'y a pas de populisme d'extrême gauche aujourd'hui. Je crois malheureusement que la gauche n'est pas divisée en cinq mais en deux. Il y a ceux qui participent au gouvernement et qui, avec quelques gouttes de social, finalement, gèrent cette société libérale avec les lois du marché, du CAC 40 ou de l'indice Nikkei. Et puis, vous avez aujourd'hui des millions de gens qui sont victimes de cette politique, qui essaient de s'en sortir et qui veulent faire entendre leur voix. Et ça sera l'occasion.
Patrick BOYER. – Au fait, avec qui avez-vous signé ? Avez-vous rencontré le vrai dirigeant de LO, le gourou, le fameux HARDY (phon) nommé Robert BARKIR (phon) selon L'EXPRESS ?
Alain KRIVINE. – Mais HARDY est un des fondateurs de LO qui, aujourd'hui…
Patrick BOYER. – Vous le connaissez ?
Alain KRIVINE. – Bien sûr. Qui aujourd'hui joue un rôle moins important qu'avant. Et aujourd'hui, quand on discute, c'est avec la direction de Lutte Ouvrière dont Arlette LAGUILLER d'ailleurs est une des porte-parole.
Patrick BOYER. – Les bans sont publiés dimanche au Concorde Lafayette. C'est très chic.
Alain KRIVINE. – On a pris un lieu qui est ouvert le dimanche. Je veux dire, si on a l'idée que les révolutionnaires doivent se réunir dans des caves, c'est tout à fait faux. Les militants d'extrême gauche aujourd'hui, je crois, sont assez représentatifs de millions de gens. Il est normal qu'ils se donnent les moyens de faire entendre le programme pour lequel ils se sont mis d'accord dans les meilleures conditions.
Patrick BOYER. – Mais vous savez que, pour les gens de LO, Alain KRIVINE, vous êtes un petit bourgeois ?
Alain KRIVINE. – Je ne crois pas que je sois ni un petit bourgeois, ni un ouvrier…
Patrick BOYER. – C'est le pacte chez les petits bourgeois peut-être.
Alain KRIVINE. – Je n'ai jamais eu la prétention d'être un ouvrier. Je crois que, comme Arlette LAGUILLER, on est des militants vraiment à gauche qui avons un casier judiciaire vierge et c'est très important en politique.
Patrick BOYER. – Merci. Alain KRIVINE, leader de la Ligue communiste révolutionnaire, était l'invité de FRANCE INFO.
France Soir : 15 janvier 1999
France Soir. – Quel est l'objectif de cette union avec LO ?
Alain Krivine. – Ce n'est pas la première fois que nous faisons liste commune. En 1979 déjà, pour la bataille des européennes, nous avions fait campagne ensemble. Mais ce n'est pas une manoeuvre électorale. Nous pensons que pour la première fois depuis plus de 30 ans, l'extrême gauche peut faire une réelle percée. Jospin ne pratique pas une politique de gauche et la droite est exsangue.C'est une opportunité exceptionnelle. De toute façon, nous sommes plus proches de LO que de la majorité plurielle.
F. S. – À plus long terme, qu'attendez-vous de cette union ?
A. K. – Depuis le mouvement de décembre 1995, un esprit nouveau souffle dans le pays. La grève des cheminots a laissé des traces, les problèmes sociaux mobilisent les Français. On le voit avec le mouvement des sans-papiers, on l'a vu aussi avec celui des chômeurs. Nous sommes favorables à l'instauration d'un SMIC européen, nous allons organiser une marche européenne des sans-emploi. Elle arrivera le 5 juin à Cologne, juste avant les élections. Il existe en Europe une classe ouvrière jeune qui n'a pas l'intention de baisser les bras. Pour elle, voter le plus à gauche possible, c'est lutter contre un sentiment d'injustice.
Sociale
F. S. – Vous étiez contre Maastricht, LO s'était abstenue…
A. K. – C'est vrai, mais c'est surtout parce qu'Arlette LAGUILLER ne voulait pas se retrouver du côté d'une droite nationale. Nous, nous sommes favorables à l'Europe mais, pour l'instant, les politiques construisent une Europe monétaire, une Europe du capital et non une Europe sociale. Nous voulons faire exactement l'inverse.
F. S. – Militez-vous de la même façon que LO ?
A. K. – Non, les militants de LO sont très présents dans les entreprises, mais nous nous le sommes plus dans les mouvements sociaux contre le fascisme, pour les sans-logis.
F. S. – Électoralement, vous ne représentez pas grand-chose…
A. K. – C'est vrai qu'il y a une disproportion entre les mouvements sociaux dans lesquels nous sommes souvent des animateurs importants et notre implantation électorale.D'une part car nous n'avons pas toujours fait le choix de nous présenter, mais aussi car, quand nous l'avons fait, ce n'était pas toujours sous la bannière de la LCR. Arlette Laguiller a fait un autre choix et c'est vrai qu'elle est très forte. Tout le monde l'a connaît.
F. S. – Quels sont vos atouts pour convaincre ?
A. K. – Arlette Laguiller comme moi disposons de quelque chose de très précieux : un casier judiciaire vierge. Nous avons pour nous aussi la sincérité : on mène des combats et on ne retourne pas nos vestes.
Extraits de la déclaration d'Alain Krivine – 17 janvier
Au moment où les courants politiques se divisent – le FN en 2, la droite en 4 ou 5, la gauche plurielle en 3 ou 4 -, la gauche anticapitaliste se rassemble et va présenter aux élections européennes de juin prochain une liste commune.
Les enjeux sont de taille, et ne sont pas seulement européens, puisqu'il semble que les secrétaires généraux des grands partis français veuillent se lancer dans la compétition.
Si nous avons fait cette liste commune, c'est parce qu'il y a urgence.
Urgence en Europe, face à une offensive patronale de grande envergure, qui se traduit par 20 millions de chômeurs, le développement partout de la précarité, de la flexibilité, des privatisations du service public, de l'exclusion, des attaques contre l'environnement.
À travers les traités de Maastricht, d'Amsterdam, ou le pacte de stabilité, l'idée de l'Europe est discréditée. C'est une Europe monétaire avec des critères monétaires que l'on construit, au lieu d'une Europe sociale sur critères sociaux comme les 35 heures, un SMIC européen, une harmonisation par le haut des législations sociales. Et c'est une Europe non démocratique, sans aucun contrôle populaire. Cette Europe, nous la refusons parce que nous sommes pour une Europe des travailleurs.
Urgence en France, avec ses 6 millions de personnes qui survivent avec les minima sociaux, ses 3 millions de chômeurs déclarés, ses 2 millions de mal-logés, ses 60 000 sans-papiers repoussés dans la clandestinité. La gauche plurielle se refuse à prendre les mesures radicales qui s'imposent, pour ne pas rompre avec les lois du marché et les pleins pouvoirs du patronat. Ses concessions et ses reculs ont fourni la clientèle du Front national, notre principal adversaire.
Ni les coups de menton de Chevènement contre les « sauvageons », ni les coups de Bourse de Strauss-Kahn contre les « irréalistes », ni les coups de gueule d'Allègre contre les enseignants, pas plus que les couleuvres nucléaires avalées par Dominique Voynet, sans oublier les privatisations faites à l'insu de son plein gré par notre ami Gayssot, ne constituent une réponse à toutes celles et tous ceux qui ne peuvent plus et ne veulent plus vivre dans cette société dominée par le CAC 40, le Dow Jones ou l'indice Nikkei.
Nous affirmons quant à nous qu'un gouvernement de gauche digne de ce nom devrait décréter « l'état d'urgence sociale » en s'appuyant sur la mobilisation populaire, pour interdire tous les licenciements collectifs, imposer au patronat une véritable loi sur les 35 heures créant des emplois sans perte de salaire, sans flexibilité ni annualisation ; refuser les privatisations et le démantèlement du secteur public ; trouver l'argent là où il est, en taxant les grandes fortunes, les grands capitaux, les profits financiers.
Or, depuis les grandes grèves de 1995, un nouveau climat de résistance sociale se développe, radical et combatif, avec le développement géographique de nouveaux mouvements comme ceux des chômeurs, des sans-papiers, des femmes ou des comités antifascistes. Mais ce nouveau mouvement social est orphelin d'un débouché politique, au moment où le PS satellise de plus en plus les directions du PCF et des Verts. Lors de la dernière présidentielle et surtout lors des régionales, cette radicalité sociale a commencé à se manifester sur le plan électoral par les scores d'Arlette Laguiller ou ceux de LO et de la LCR, tournant autour de 5 %.
Désormais le vote pour la gauche anticapitaliste cesse d'être un vote de témoignage, pour devenir utile et crédible.
Notre but, lors de ces élections, est de construire une force électorale ancrée le plus à gauche possible, capable de montrer qu'il existe une alternative à la politique de résignation.
En dépassant les 5 %, nous changerons les rapports de forces au sein de la gauche, avançant ainsi vers la construction d'une force anticapitaliste, féministe et écologiste. Un succès de notre liste serait un encouragement à la lutte pour les millions d'opprimés, d'exploités, d'exclus, souvent dans la détresse.
Certains nous accuseront peut-être de rêver. Mais cela fait longtemps que la gauche ne fait plus rêver, car elle se contente de gérer dans le cadre existant.
Nous voulons réapprendre à rêver d'une autre société, une société de justice et d'égalité, débarrassée du chômage, du racisme et de la misère. À travers toutes les luttes à venir et à travers cette échéance électorale, nous voulons commencer à reconstruire l'espoir.