Interviews de M. Charles Millon, ministre de la défense, à RTL le 27 mai 1997, sur le résultat du premier tour des élections législatives, le bilan du gouvernement Juppé et le rôle du président de la République dans la nomination du prochain Premier ministre.

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Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1°juin 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Lefèbvre : Qu'attendez-vous des propos présidentiels dans ce contexte, où la majorité a perdu le premier tour, et l'annonce surprise du départ d'A. Juppé dans tous les cas de figure ?

C. Millon : Tout d'abord, la majorité n'a pas perdu le premier tour. Au premier tour il y a un vote protestataire qui s'est exprimé. J'attends du Président de la République qu'il vienne rappeler quels sont les grands objectifs de la politique engagée depuis 1995 - la France pour tous - quelle est la situation qui avait été trouvée - des trous béants, des déficits qui avaient été accumulés - quelle est la politique de remise en ordre qui a été menée par A. Juppé et quelle est, maintenant, la politique de redressement qu'il convient de développer, avec les deux principaux thèmes : d'une part la liberté : liberté d'initiative, libération des énergies, libération des investissements, baisse des charges fiscales et sociales. Et deuxièmement, la sécurité : la sécurité au niveau de l'ordre public. C'est la lutte contre la délinquance ou contre l'immigration clandestine et, d'autre part, la sécurité pour chaque personne, au niveau de l'égalité des chances - égalité devant la retraite, égalité devant la maladie, etc.

J.-M. Lefèbvre : En quoi ces propos sont autres choses que la continuité, par rapport au « nouvel élan » annoncé ?

C. Millon : Mais c'est un nouvel élan puisqu'il y a des étapes dans une vie politique. La première étape, qui a été menée par le gouvernement Juppé, est une étape de remise en ordre. Il a fallu remettre de l'ordre dans la maison. C'est quasi chose faite et ceci a été démontré au cours de la campagne électorale précédent le premier tour. Un certain nombre de françaises et de français ont exprimé un vote de protestation, en disant : vous avez remis en ordre, mais vous n'avez pas aussi rapidement que voulu redressé la situation. Maintenant on leur dit : maintenant nous allons la redresser ; nous allons la redresser ensemble, vous allez y participer ; nous allons engager des grandes réformes. Et je peux en parler en connaissance de cause, car je crois avoir mené une grande réforme ; je crois l'avoir initiée et l'avoir fait porter par celles et ceux qui étaient concernés. Je crois que maintenant il va falloir les mettre en œuvre dans tous les secteurs, et c'est ce que le Président de la République, je pense, va annoncer ou va rappeler.

J.-M. Lefèbvre : Le chef de l'État est plus que jamais le chef de la majorité : quelles conséquences, en cas de cohabitation pour lui, donc d'échec, dimanche.

C. Millon : Le Président de la République n'est pas chef de la majorité, il est le Président de la République française. Il a lui-même provoqué la dissolution, pour provoquer ce second souffle, ce nouvel élan, cette nouvelle étape. C'est lui qui juge que si la France veut rentrer en position de force dans l'Europe ; si la France veut garder son rang et avoir les moyens économiques, financiers, sociaux de garder son rang ; si la France veut véritablement recréer sa cohésion sociale et réduire la fracture sociale, il convient maintenant d'engager une deuxième étape, avec une mobilisation de tous les citoyens. Je crois que J. Chirac a raison de venir rappeler le choix ; ce choix entre une France de l'initiative et de la solidarité ou une France de la réglementation et de l'étatisme. Il faudra que les Français choisissent, mais qu'ils prennent bien conscience du poids et de l'importance de leur vote. »

J.-M. Lefèbvre : Une seconde étape avec, en cas de victoire, qui à Matignon : E. Balladur, P. Séguin ?

C. Millon : Il faut d'abord gagner les élections. Ensuite, après avoir gagné les élections, c'est au Président de la République de choisir le Premier ministre. Ce n'est ni l'opinion publique, ni l'opinion de tel ou tel, ni les circonstances qui en décident. C'est un choix que le Président de la République sait en conscience après avoir écouté les Français, et après avoir pris la mesure des objectifs qu'il convient de poursuivre.

J.-M. Lefèbvre : Nous avons senti dans cette campagne de la part des français et des françaises un appel à l'autorité de l'État", disait, ce matin, A. Juppé sur RTL. Donc on a le sentiment que le Premier ministre s'éloigne d'un libéralisme excessif. Cela va être déjà un sens du nouvel élan ?

C. Millon : Il existe un modèle français. Dans le modèle français, il faut tenir les deux bouts de la chaîne. D'un côté l'autorité de l'État - ce sont par exemple les lois Debré pour lutter contre l'immigration clandestine - et permettre ainsi dans notre pays une vraie cohésion sociale. Et puis de l'autre côté, la liberté d'initiative, la liberté de création, la liberté d'investissement. Je crois qu'il faut tenir ces deux bouts de la chaîne, et la France a trop souvent l'habitude de privilégier l'une ou l'autre de ces valeurs. Maintenant, il convient, dans la deuxième étape, de tenir une part égale pour ces deux valeurs.

J.-M. Lefèbvre : Vous avez qualifié de "très beau geste" la décision d'A. Juppé. L'électrochoc c'est pour la mobilisation de la majorité, pour faire revenir les abstentionnistes ?

C. Millon : Non, c'est A. Juppé qui a simplement tiré les conclusions du premier tour et qui a dit : puisqu'il y a une deuxième étape, je donne la possibilité au Président de la République de mettre en place une équipe avec un nouveau chef, un nouveau Premier ministre pour un nouvel élan, C'est, en fait, un signe très fort donné aux électeurs pour bien leur dire : nous vous avons compris et nous allons, effectivement, engager une nouvelle étape. Il a démontré que le discours n'était pas un discours fictif, n'était pas un discours artificiel, c'était un discours qui s'ancrait dans la réalité, et il en a donné le premier signe.

J.-M. Lefèbvre : Le 27 avril au Grand jury RTL-Le Monde vous disiez : l'hypothèse de l'échec ne peut être envisagée. Est-ce que vous rediriez la même chose aujourd'hui ?

C. Millon : Bien sûr, si je pense à la construction européenne, si je pense à la France et son rang, si je pense aussi à la cohésion sociale, je pense que l'échec ne peut être envisagé. D'ailleurs, quand vous reprenez les résultats, vous vous apercevez que les socialistes ont atteint leur étiage de 1988, et que les variations électorales proviennent d'électeurs qui ont protesté, car ils trouvent soit la réforme trop lente, soit la réforme difficile à supporter. Mais je crois qu'il convient, maintenant, d'avoir encore durant les heures qui viennent et les jours qui viennent, un travail d'explication. La France ne va pas être le seul pays du monde à rentrer dans l'avenir à reculons.

J.-M. Lefèbvre : D'un mot, vous avez vu, hier, le Président Chirac : comment vous l'avez trouvé ?

C. Millon : Je l'ai trouvé préoccupé, bien sûr, par la situation de la France mais aussi, très décidé à faire valoir le choix tel que je viens de l'exposer, et tel que je pense qu'il le rappellera ce soir. Le Président Chirac a mené une campagne électorale présidentielle avec un thème : la France pour tous. Il voudrait, il souhaiterait, il demandera, il proposera que tous les Français se réunissent autour d'une solidarité accrue et une liberté renforcée.