Texte intégral
Question
Quel est l'état d'esprit des enseignants, selon vous, après dix-neuf mois de votre action au ministère de l'éducation nationale ?
Claude Allègre
- Quand on réforme, on rencontre des oppositions. Il y a une résistance innée à la réforme. Tout le monde est partisan de la réforme du voisin... Mais je crois que, dans les réformes qui vont se faire, tout le monde sera gagnant. L'élève, d'abord, qui est au centre du dispositif l'éducatif ; et puis les enseignants, car ce qui est en train de se modifier, c'est la manière d'enseigner, mais aussi qu'ils aient plus de liberté pour enseigner et plus de temps. Le métier d'enseignant, aujourd'hui, et plus difficile qu'hier. Les classes sont plus difficiles ; le fait est qu'il y a une agressivité ambiante, dans la société laquelle nous vivons, qui rejaillit sur l'enseignant.
Je crois, en outre que, dans ce métier, c'est un peu comme dans la recherche scientifique : il y a trente ou quarante ans, c'était un acte individuel : aujourd'hui, c'est un travail d’équipe : de plus en plus demain, l'enseignant sera, à l'école, un coordinateur d'équipe. Au lycée, il travaillera avec ses collègues, parce que les frontières des disciplines s’estompent. C'est ainsi que les enseignants remédieront au fait qu'ils sont un peu isolés et qu'ils se sentent, parfois, menacés par les changements.
Question
- Est-ce que vous n'avez pas contribué, par vos déclarations, à les inquiéter ?
Claude Allègre
- J'ai dit des choses, sur des dysfonctionnements de l'éducation nationale, qui ont été tronquées et amplifiées. Je n'ai jamais attaqué les enseignants ! L'absentéisme existe dans l'éducation nationale, et nous venons de le réduire. Nous avons dit : pas de classe sans enseignant ! Aujourd'hui, il n'y en a plus que 2,5 %. L'absentéisme, je l'ai expliqué, ne venait qu'en partie des enseignants. Ce problème est en cours de solution, sans qu'on mette en cause l'absentéisme individuel des enseignants.
- Il y a eu l'affaire des heures supplémentaires, qui il aussi donné aux enseignants l'impression d'être “dans le collimateur”...
- Il y a eu des fuites sur un pré-rapport de la Cour des comptes, qui expliquait que ces heures supplémentaire étaient indûment payées. On allait se les faire enlever. Au lieu de cela, on a pris les devants, on a récupéré ces heures supplémentaires, on a créé 1 500 postes de professeur, 20 000 emplois-jeunes. Est-ce que vous croyez que ce n’était pas de la bonne gestion de ma part de faire cela ?
- Alors, que cela ait été mal compris, je suis d'accord ; que je l'ait mal expliqué, je suis d’accord. Si vous voulez dire que cela a eu un effet désastreux, je suis d’accord. Si vous voulez me faire dire que j'avais mal évalué l'effet que cela aurait sur les professeurs de classes préparatoires, je suis d'accord aussi.
- Lorsqu'on s’attaque à des habitudes, les gens sont craintifs parce qu’ils ont peur de perdre ce qu’ils ont et de ne pas s’y retrouver. Ce que je leur dis, c’est qu’ils s’y retrouveront. Ces dernières années, ils ont perdu la place qu'ils doivent avoir dans la société française, une place centrale. Eh bien, cette place, ils vont la retrouver. Ils la retrouvent déjà, car depuis combien de temps n'y avait-il pas eu de débats centraux sur l'école ?
- Moi, je veux que les enseignants redeviennent le centre, mais je veux que, pour cela, l'école publique soit impeccable. Je pense que nous avons une école qui peut devenir la meilleure du monde. Vous savez, le ricanement, on l'a vu dans le milieu sportif aussi, avant un certain nombre d'échéances, pour dénigrer nos affaires. Moi, je crois qu'on peut avoir la meilleure école publique. Je suis attaché à l'école de la République...
Question
- Vous êtes l'Aimé Jacquet de l'éducation nationale ?
Claude Allègre
- J'espère l'être...
Question
- Ce qui inquiète les enseignants, n'est-ce pas de voir cette part essentielle de métier qu'est la transmission du savoir se réduire au profit d'autres taches ?
Claude Allègre
- Il y a trente ans, dans les lycées, il y avait huit heures de cours, par semaine, qu'aujourd'hui. Je pense que l'accroissement des heures de cours et des programmes conduit à déstructurer. Je suis pour un enseignement plus rigoureux, et non pas plus laxiste. Je suis pour un enseignement plus exigeant ; mais je suis contre l'enseignement mou, dans lequel il y a des programmes immenses, qu'on ne connaît pas bien, qu'on connait à peu près. Je pense que l'à-peu-près est la calamité de notre société. Il faut être basé sur des repères durs, qu'on sait bien, qu'on maîtrise bien et intellectuellement qu'on pratique bien.
Question
- La question des programmes inquiète beaucoup d'enseignants. Ceux de philosophie, par exemple, s'interrogent sur l'avenir de leur discipline ; Luc Ferry, président du Conseil national des programmes...
Claude Allègre
- Les opinions personnelles de Luc Ferry, qui est un philosophe, lui appartiennent. Je crois qu'il souhaite qu'on n’ait pas seulement de la philosophie “crue”, mais qu'on parle aussi de l’histoire des idées . Si l’on veut parler de l’amour, de la mort, de la responsabilité, de la justice, il faut avoir une connaissance de l’évolution des idées sur ces sujets. Je ne crois pas qu’il veuille substituer l’histoire des idées à la philosophie.
Question
- Les enseignants s’interrogent aussi sur les moyens…
Claude Allègre
- Je voudrais vous donner une information : en 1998, le pouvoir d’achat des Français a augmenté de 2,5 %, mais celui des enseignants a augmenté de 3,8 %, parce qu’il y a eu la revalorisation Jospin de 1989 qui est entrée en ligne de compte, plus la revalorisation Zuccarelli de février 1998. Donc, les enseignants n’ont pas été maltraités dans le système. Deuxièmement, nous sommes dans une décroissance démographique. Or, nous maintenons les moyens, ce qui veut dire que nous accroissons.