Texte intégral
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé DE Charette, avec Europe 1, à Tel-Aviv, le 8 mars 1996
Q : Pourquoi donc Jacques Chirac sera-t-il présent à ce sommet antiterroriste ?
R : Le sommet antiterroriste, c'est naturellement une bonne initiative. Je vous appelle d'Israël où je me suis rendu, où je me suis entretenu avec Shimon Peres, le Premier ministre, avec Yasser Arafat que je suis allé voir à Gaza, avec le ministre des Affaires étrangères, M. Ehud Barak, et ce que j'ai ressenti ici c'est une très profonde émotion populaire. Israël est bouleversé par la longue série d'attentats de ces dernières semaines qui ont fait des morts en nombre incalculable, et qui ont surtout laissé ce pays complètement bouleversé.
Q : Alors pour revenir sur ce sommet anti-terroriste de mercredi, Monsieur le Ministre, est-ce qu'on peut en attendre des mesures concrètes, est-ce que ça n'est pas d'abord l'occasion pour Yasser Arafat de se refaire une très bonne image en Israël ?
R : C'est d'abord pour les dirigeants internationaux et les dirigeants de la région, bien sûr, mais pour les plus grands dirigeants du monde de marquer leur détermination à lutter contre le terrorisme partout où il se trouve et partout où il trouve les soutiens, les financements et les ordres. Je vous rappelle que la France sait ce qu'est que le terrorisme, et elle sait bien que le terrorisme qu'il y a eu sur son territoire, et dont nous ne sommes malheureusement jamais exonérés, a des appuis à l'extérieur.
Q : Mais vous pensez que la France a été en pointe justement dans la dénonciation du terrorisme international, puisque très vite la France a dénoncé l'attitude de l'Iran, par exemple ?
R : Ensuite, il y a la question des moyens. Mais oui la France a toujours été en pointe dans la lutte contre le terrorisme à travers le monde, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais bien entendu. Alors ensuite on peut discuter sur la meilleure méthode. Mais ce dont nous avons besoin, c'est d'une solide coopération internationale et d'une volonté forte qui soit donnée par les chefs d'État et de gouvernement, je crois que de ce point de vue c'est ... (?)
Q : Monsieur le Ministre, il s'agit en fait au cours de ce sommet de condamner en clair le terrorisme d'Etat qui existe, on le sait, vous l'avez évoqué d'ailleurs ?
R : Oui, il s'agit de condamner toutes les formes de terrorisme bien entendu, mais il s'agit aussi de condamner ceux qui inspirent ou soutiennent des mouvements terroristes.
Q : Monsieur le Ministre, vous êtes sur le départ maintenant, vous allez rentrer en France, est-ce que vous êtes optimiste ou pessimiste sur la suite du processus de paix au Proche-Orient ?
R : Je vous dirai que je suis en réalité inquiet. Le processus de paix est en danger, il faut bien en prendre conscience et si on veut surmonter cette inquiétude, il y a deux choses à faire. D'abord, il faut rassurer les populations et pour cela il faut agir sur le front de la sécurité. Israël a pris des mesures. Arafat a pris aussi un certain nombre de mesures très courageuses. Il faut poursuivre cela et l'accompagner par une détermination internationale. Il faut d'autre part rétablir la confiance, car je crois qu'elle est un peu atteinte entre les dirigeants israéliens et les dirigeants palestiniens, les partenaires de la paix comme ils s'appellent eux-mêmes, pour qu'ils puissent retrouver la voie du dialogue entre eux.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec RTL, à Paris, le 8 mars 1996
Q : Le Président Jacques Chirac assistera-t-il au sommet antiterroriste en Égypte ?
R. : Oui bien sûr. La France a toujours été à la pointe du combat contre le terrorisme. Pour une raison bien simple, c'est qu'il s'agit d'une question essentielle à la paix et à la sécurité dans le monde et parce que nous-mêmes, Français, nous savons de quoi il retourne. Nous avons été nous-mêmes victimes du terrorisme et comme vous le savez, on n'est jamais tout à fait exonéré, hélas, de cette menace.
Q : Qu'est-ce que vous en attendez ?
R : Deux choses. La première c'est l'expression par les Chefs d'État et de gouvernement de la communauté internationale, au plus haut niveau, d'une forte détermination et d'une impulsion donnée tous azimuts pour lutter contre le terrorisme. Celui-ci vient de s'exercer dans des conditions absolument épouvantables en Israël, qui ont bouleversé le peuple d'Israël, ce qu'on peut évidemment comprendre et partager. Mais vous savez qu'il frappe ailleurs et qu'il frappe aussi chez nous. Donc il faut qu'il y ait cette volonté clairement exprimée et cette détermination qui fassent pression. Et puis, il faut en même temps naturellement que cela débouche sur des mesures concrètes, pratiques, qui permettent une coopération plus étroite encore entre les services spécialisés, entre les gouvernements, pour l'information, pour l'action, de façon que le terrorisme se sente pourchassé partout où il est.
Q : Il y a un peu d'ironie de l'histoire de voir que Yasser Arafat a été, après Bill Clinton, à l'origine de cette réunion.
R : Oui, sans doute mais vous savez, aujourd'hui, on ne peut pas contester que Shimon Peres et Yasser Arafat se sont désormais clairement engagés dans la voie de la paix. Ce processus de paix, aujourd'hui, est en danger. Je viens de parler longuement avec Shimon Peres et avec Yasser Arafat, j'en ai retiré l'impression qu'il y avait un vrai danger pour ce processus de paix. Le danger ne peut être surmonté que si l'on est capable de rétablir des conditions de sécurité. Les Israéliens ont pris des mesures énergiques que nous approuvons. Yasser Arafat a pris des mesures très courageuses, et je l'ai encouragé, poussé à en faire encore plus, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi rétablir la confiance car, pour vous dire les choses franchement, j'ai eu le sentiment que cette confiance aujourd'hui était quelque peu ébranlée par tout ce qui s'est passé. Cette confiance mutuelle, et donc ce que vont faire les chefs d'État et de gouvernement, sera, il me semble, déterminante pour sauver le processus de paix.
Q. : Est-ce qu'à votre avis la Syrie va venir ?
R : Écoutez, la liste des invités n'est pas faite. Tout ceci se décide d'heure en heure, de jour en jour. Plus il y aura de pays autour de la table, et qui s'engageront clairement dans la lutte contre le terrorisme, mieux les choses iront et plus la paix sera prochaine.
Q : Hervé de Charette, vous avez défendu l'idée d'un « dialogue critique » de la France avec l'Iran. Shimon Peres lui, voudrait que les Européens en fassent plus et arrêtent ce qu'il appelle « le flirt » avec l'Iran.
R : Oui, c'est un mot qui est tout à fait déplacé, si vous me permettez de dire les choses franchement. En réalité la question des moyens se pose assez souvent. Dans le cas de l'Iran que vous évoquez, le cas Rushdie que tout le monde connaît, il y a deux attitudes, ou bien on dit : « On coupe tous les rapports avec un pays » parce qu'on le soupçonne. Moi, je dis aux Américains ou à tous les autres : « si vous avez des preuves apportez-les nous. » C'est très important dans le travail que nous avons à faire ensemble. Alors ou bien on coupe tous liens et on risque d'encourager les mouvements et les pouvoirs les plus extrémistes. Ou bien au contraire, tout en interdisant toute relation normale, on s'autorise à parler, à faire pression. Dans le cas de Rushdie, nous avons exigé depuis des mois qu'il y ait une déclaration écrite ou orale, mais nous la voulons écrite, des autorités iraniennes, disant que la fatwa n'a pas à s'appliquer. Nous avons aujourd'hui des déclarations orales. C'est déjà un progrès. Je suis persuadé que nous finirons par avoir ces déclarations écrites. Voilà le type de discussion. Sur l'objectif, il n'y a aucun doute, il faut l'union, l'unité de la communauté internationale et, je le répète, plus il y aura de chefs d'État et de gouvernement mercredi prochain qui marqueront leur détermination commune, et qui donnent à leurs services des instructions précises, plus nous nous rapprocherons du jour .de la paix au Proche-Orient et au Moyen-Orient et plus nous contribuerons à ce que la paix règne dans le monde, notamment dans la Méditerranée.
Q : La question iranienne, la question du sommet de Charm-el-Cheikh y a-t-elle être évoquée lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères à Palerme ?
R : Oui, parce que, comme vous le savez, l'attitude que vous évoquiez comme étant celle de la France est celle de l'Union européenne. Ce n'est pas particulièrement celle de la France. Ces questions vont donc être évoquées et débattues entre nous, ministres des Affaires étrangères, à la lumière de toutes nos expériences. Mme Agnelli qui assure la présidence de l'Union européenne était en Israël il y a quelques jours, aujourd'hui même j'y étais et M. Kinkel, mon collègue allemand y était également. Nous avons donc à partager avec nos partenaires et amis de l'Union européenne cette expérience et ces informations.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé DE Charette, avec France Inter, à Paris, le 10 mars 1996
Je crois que nous avons dit en effet de façon très claire et très ferme que l'Iran, comme la Libye d'ailleurs, sont des pays qui ne peuvent pas faire impunément des déclarations de soutien au terrorisme sans penser que cela aurait des conséquences importantes, voire sérieuses sur les relations avec le reste du monde, y compris bien entendu avec l'Europe. Nous avons donc dit des choses extrêmement précises et la troïka – c'est-à-dire la présidence italienne et les représentants de l'Union européenne – iront le dire dans tous les pays de la région, naturellement en termes particulièrement fermes à l'égard de l'Iran.
Q. : Le dialogue critique se poursuit mais avec des menaces ?
R : Ce n'est pas cela qu'il faut dire. Le dialogue ferme, critique, en effet, et critique sur quoi en l'occurrence ? Sur le fait que nous avons vu des déclarations de l'agence officielle iranienne et les déclarations de Kadhafi lui-même s'agissant de la Libye, qui sont des déclarations inacceptables puisqu'elles approuvent les actes de terrorisme.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé DE Charette, avec RTL, à Paris, le 10 mars 1996
Non seulement nous irons à cette conférence, mais en plus, nous sommes convenus que l'Europe – c'est-à-dire ce que l'on appelle la troïka : la présidence et deux autres pays – ira au nom des Européens expliquer la position européenne dans l'ensemble des pays de la région. La Libye, par la voix du colonel Kadhafi, a tenu des propos qui ne sont pas acceptables à nos yeux, puisqu'ils ont approuvé bruyamment les attentats commis en Israël. Et cela, ça n'est pas acceptable. De même, nous irons en Iran protester, comme nous l'avons déjà fait d'ailleurs du côté français, pour marquer notre désapprobation des propos tenus par l'agence officielle d'information iranienne qui a tenu des propos qui, également, nous paraissent inacceptables.
Q. : Tripoli a menacé la France de mesures de rétorsion suite à vos propos citant la Libye parmi les pays qui posent problème en matière de terrorisme.
R : Non, non, je n'ai pas dit les choses de cette façon. J'ai dit très exactement que les propos tenus à Tripoli, très officiellement, étaient des propos qui, à nos yeux, ne sont pas acceptables, ce que je confirme.
Q. : Qu'est-ce que vous pensez de la réaction de la Libye ?
R : La troïka ira là-bas, elle s'expliquera et nous aussi. Ce n'est pas plus compliqué que cela.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé DE Charette, avec LCI, à Charm el-Cheikh, le 13 mars 1996
Ce qui est important, c'est que l'on ne punisse pas collectivement la population de Palestine car l'idée d'une punition collective n'a pas de sens. La population palestinienne n'est pas responsable de ces actes. Si les terroristes le sont, la population ne l'est pas. Il faut par conséquent avoir dans l'esprit que les allégements ont déjà été faits pour les pêcheurs de Gaza qui peuvent, désormais, aller pêcher en mer. Certains produits alimentaires commencent à entrer.
Il est vrai que nous avons dit, cela se retrouve dans la déclaration adoptée en commun, qu'il faut, dès que possible, alléger puis supprimer tout bouclage qui interdise l'accès des produits alimentaires à la population de Palestine.