Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à Europe 1 le 8 mars 1996, sur la journée internationale des femmes et les négociations sur la réduction du temps de travail.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M. Grossiord : Vous profitez de cette journée pour débattre des injustices professionnelles. Avez-vous le sentiment de faire exception dans un univers macho, celui du syndicalisme ?

N. Notat : Non, pas exception mais quand même pas la règle. Il y a encore beaucoup de progrès à faire, dans le syndicalisme comme ailleurs. La politique, c'est encore pire que nous. Ce n'est pas une raison pour nous consoler.

M. Grossiord : Vous faites face à une opposition farouche au sein de votre syndicat. Vous avez même été bousculée physiquement ?

N. Notat : C'est un moment qui a d'ailleurs été un peu étonnant dans l'histoire de la CFDT que d'avoir à subir des choses comme ça. C'est vrai que je pense que, un homme à ma place, même avec des gens qui avaient de bonnes raisons, après tout, d'être en désaccord avec ce que j'avais pu exprimer au nom de la CFDT, je crois qu'il n'aurait pas subi ce que j'ai subi ce jour-là.

M. Grossiord : Vous en gardez une rancœur ?

N. Notat : Une rancœur non, mais en tout cas la prise de conscience qu'une femme en situation de responsabilité ne subit pas seulement des agressions verbales, ne subit pas seulement des débats contradictoires mais subit aussi des agressions sexistes.

M. Grossiord : Quels sont les grands combats des femmes aujourd'hui dans notre pays ?

N. Notat : Je crois que le grand combat des femmes, il est de faire passer ce que nous avons gagné dans les textes ou dans les lois, c'est-à-dire en termes de droits légaux, les faire passer dans les faits car aujourd'hui, l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, c'est dans la loi ; l'égalité de traitement et de salaire, c'est dans la loi à l'initiative de l'Europe mais ce n'est pas encore dans les faits. On pourrait multiplier les exemples. En même temps, pendant une période de crise, alors que le chômage s'est installé, les femmes sont, d'une manière tout à fait importante et massive, entrées sur le marché du travail et je crois qu'elles n'ont pas l'intention d'en sortir. Simplement, elles y sont entrées et on regarde aujourd'hui – c'est pour ça qu'il faut y être attentif parce que ça ne saute pas aux yeux – les inégalités dont elles sont l'objet dans les métiers traditionnels ou dans les nouveaux métiers où elles entrent de manière importante.

M. Grossiord : Certains esprits essayent de pousser les femmes hors de la vie professionnelle en mettant en avant la préférence familiale par exemple ?

N. Notat : Oui, c'est vrai mais je crois qu'aujourd'hui, c'est vraiment une minorité et je pense qu'ils perdent leur temps parce que l'évolution culturelle, la détermination des femmes à rester sur le marché du travail et ne pas être à nouveau réduites simplement au rôle de mère et d'épouse, que par ailleurs elles veulent assumer pleinement, prouvent que les femmes ne sont pas prêtes à se laisser faire et à laisser faire des retours en arrière que certains pourraient avoir envie de provoquer.

M. Grossiord : Est-il vrai que les femmes sont plus touchées par la crise économique que les hommes, à savoir qu'elles vont d'emplois précaires en petits jobs ?

N. Notat : C'est peut-être un constat que nous faisions ce matin. Les femmes sont un peu au centre de tout ce qui bouge dans le travail, à la fois ce qui bouge du bon côté, elles progressent, elles avancent et en même temps dans le phénomène de précarité. Elles sont, plus que les hommes, victimes d'un temps partiel imposé, elles ont des petits contrats, avec des petits salaires, avec des conditions d'horaires qui font qu'elles font une gymnastique pas possible. Donc là, il y a vraiment un champ de revendications syndicales tout à fait nouveau pour continuer la marche en avant de l'égalité entre hommes et femmes dans le travail.

M. Grossiord : Vous avez une vision internationale des difficultés des femmes aujourd'hui ?

N. Notat : Elles sont d'ailleurs présentes aujourd'hui. Je pense à une amie algérienne qui est là. Nous avons beaucoup participé, en ce qui nous concerne, à la libération de Sarah. Donc, il y a, dans le monde entier aujourd'hui, des situations de violation des droits des femmes, de leur dignité, de leurs droits élémentaires. L'Algérie est vraiment pour nous quelque chose qui nous préoccupe au plus haut point. Ce n'est pas loin de nous et l'intégrisme islamique est un phénomène dont les femmes sont les premières victimes.

M. Grossiord : J. Chirac a dit ce matin qu'il ne fallait pas ignorer les contraintes sociales. C'est une phrase qui n'est pas critique puisqu'il appelle à la concertation avec les syndicats pour toute avancée en matière de flexibilité du travail. Êtes-vous satisfaite d'entendre le chef de l'État tenir ce genre de propos ?

N. Notat : Oui, mais j'aimerais mieux l'entendre directement parler de négociation que de concertation. Je suis en train de me dire qu'entre son passage à Niort et son arrivée dans le Doubs, il y a une certaine évolution du discours. À Niort, il disait : les chefs d'entreprises ont eu la réduction du coût du travail et il faudrait qu'ils renvoient l'ascenseur du point de vue de l'emploi. Je ne l'entends plus dire aujourd'hui. J'ai l'impression qu'il veut les rassurer, mais il ne faudrait pas qu'il oublie la partie de son discours à Niort. Je l'entends dire qu'il faut aménager le temps de travail : bien sûr, mais il faut l'aménager en réduisant le temps de travail. Je me demande s'il n'y a pas une petite inflexion dans le discours du président de la République. Je ne vais pas manquer de voir si elle est réelle ou si c'est simplement une affaire de circonstance.

M. Grossiord : Travailler moins, c'est une bonne chose pour la vie familiale, pour la vie tout court. Cela a également des avantages économiques et c'est là-dessus que vous avez l'intention de faire porter le débat dans les mois qui viennent ?

N. Notat : Oui, de faire porter le débat, l'action, et en particulier dans les négociations puisqu'il y a 80 branches professionnelles qui, aujourd'hui, ont ouvert des négociations sur l'organisation et la réduction du temps de travail.

M. Grossiord : On a l'impression que ça ne progresse pas vite et qu'il faudrait un nouvel élan, peut-être gouvernemental ?

N. Notat : D'abord, laissons les négociations se dérouler, nous sommes à la toute première période d'une négociation où le patronat a enfin accepté qu'il puisse être question de réduction du temps de travail. Il va falloir pousser fort car M. Calvet n'est pas isolé dans son point de vue, chez les patrons. Il va falloir forcer le destin pour que les patrons acceptent d'aller jusqu'à la réduction de la durée du travail. Ce qu'on a entendu sur votre antenne, c'est la démonstration que finalement, il peut y avoir des opérations de changement d'organisation du travail qui intéressent l'entreprise, avec des réductions du temps de travail qui intéressent les salariés et dont, en plus, l'emploi est victorieux. Puisque ça existe, puisqu'il y a des démonstrations, puisqu'il y a des expériences en ce genre, qu'est-ce qui fait qu'on ne peut pas généraliser, qu'on ne peut pas s'engager dans un mouvement d'ensemble dans ce sens-là ? C'est maintenant l'étape qu'il faut franchir.

M. Grossiord : M. Chirac, M. Calvet et bien d'autres, ont parlé de la réduction du temps de travail et dit que ça devait s'accompagner d'une plus grande flexibilité. Flexibilité, ça peut vouloir dire, selon les entreprises, travail de nuit, travail du samedi, du dimanche, présence sur les lieux de travail sur un simple coup de fil. Est-ce que vous pensez que la plupart des salariés sont prêts à accepter cette façon de travailler ?

N. Notat : J'observe que les salariés, à partir du moment où ils sont eux-mêmes les témoins d'une nécessité du changement de l'organisation du travail de leur entreprise, pour que leur entreprise se développe et que donc l'emploi se développe, les salariés ne sont pas des idiots, ce sont des gens qui savent comprendre qu'il y a des évolutions possibles. Mais ce qu'ils ne veulent pas, c'est que ces évolutions se fassent sans négociations, se fassent sans contreparties et en particulier, sans contreparties positives en matière de garanties individuelles et collectives et en matière d'emploi. Ce sont des négociations donnant-donnant. Oui, il faut changer l'organisation du travail et on ne peut pas réduire le temps de travail, on ne peut pas créer des emplois si on ne change pas l'organisation du travail et je crains que là-dessus, les patrons soient des paresseux.

M. Grossiord : Vous travaillez combien d'heures par semaine ?

N. Notat : Je n'ai pas fait le compte, mais ça me ferait du bien de réduire un peu mon temps de travail.