Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, au congrès du PSE à Malmö (Suéde) le 6 juin, sur l'Europe sociale et le socialisme démocratique, paru dans "Libération" du 7 et "L'hebdo des socialistes" du 13 juin 1997 et intitulé : "Il faut remettre l'Europe sur les rails".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès du PSE (Parti des socialistes européens) à Malmö (Suéde) du 5 au 6 juin 1997

Média : L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

Libération : 7 juin 1997

Jospin : « L’Europe sociale »

« Le socialisme démocratique mes chers amis, est une idée qui gagne aujourd’hui en Europe. Une idée qui suscite l’adhésion des peuples. C’est surtout à mon sens une idée qui peut changer le visage de l’Europe, changer le cours de la construction européenne. C’est aujourd’hui possible. Le reflux de la vague conservatrice et libérale est avéré. Partout, dans l’Union, les peuples, lorsqu’ils sont appelés à se prononcer, font entendre leur voix clairement. Ils veulent une Europe plus proche de leurs préoccupations, plus solidaire, plus créatrice d’emplois, plus humaine.

Face à cette attente, la responsabilité du socialisme européen est toute particulière. En effet, une idée me frappe : plus nous soulignons le nombre des gouvernements qui sont dirigés actuellement par des socialistes ou en coalition avec des socialistes et plus nous conduisons nos peuples à estimer que cette Europe est donc la nôtre. Que c’est nous qui la faisons. Que nous en sommes responsable. Or, cette Europe est-elle aujourd’hui exactement celle que nous voulons ? Je ne le crois pas. Et c’est pourquoi notre responsabilité, surtout maintenant, va être considérable.

Contrôler le marché. Nous sommes tous attachés profondément à l’idéal européen. Quelles que soient nos divergences de vues, nos différences d’appréciation sur telle ou telle question  et il y en a , ce qui nous rassemble est plus grand, est plus fort que ce qui nous sépare. […] Bien des forces sont désormais à l’œuvre, et qui sont affranchie du cadre national. C’est surtout le cas des forces du marché. La mutation du capitalisme, la mondialisation qui a saisi notre économie, a libéré des énergies sur la planète. Mais nous devons y répondre par la solidarité, par la coordination, par la construction d’un cadre économique social et politique commun. Par une volonté de régulation. Sinon, c’est ma conviction, ces forces du marché, si elles sont libérées de tout contrôle, menaceront notre conception même de la civilisation. Se retrancher derrière d’illusoires barrières nationales ne résoudra pas nos problèmes […] Mais nous ne sommes pas disposés pour autant, du moins je l’espère, à laisser l’Europe s’enferrer dans une vision exclusivement monétariste et libérale.

Pas d’économie aux dépens du social. Il faut remettre l’Europe sur ses rails. Dès l’impulsion initiale, la construction de l’Europe a eu pour viser l’union politique. Mais trop longtemps, pour atteindre cet objectif ambitieux, la méthode utilisée a privilégié l’économie aux dépens du social, a contourné les peuples au mépris de la démocratie. […] Aujourd’hui, dans une situation de chômage fort, de croissance faible, de paupérisation croissante de couches de nos populations, l’Europe ne peut plus se construire ainsi dans le dos des peuples. Elle doit se faire pour les citoyens qui sont le cœur du projet européen.

L’Europe, en même temps, ne peut pas se substituer aux nations qui la composent. […] Si, lucidement à mon sens, les citoyens de l’Europe ne croient pas qu’un traité puisse apporter de solutions immédiates ou toutes faites à leurs difficultés, ils en attendent à juste titre le cadre qui permette son émergence. Et je ne suis pas sûr qu’on puisse apporter de solution immédiates ou toutes faites à leurs difficultés, ils en attendent à juste titre le cadre qui permette son émergence. Et je ne suis pas sûr qu’on puisse dire qu’il en aille ainsi au moins au stade actuel de la CIG. Nous voulons, car il y va de l’avenir de l’Europe, réconcilier les peuples de l’Europe avec l’idée européenne. Mais, précisément, de quelle Europe parle-t-on ? L’Europe, si elle ne devait être qu’un espace ouvert aux flux de marchandises et de capitaux, si elle devait être livrée aux seules forces du marché, perdrait alors son sens même. Comme l’a dit Tony, autrement, il y a un instant : le marché n’est tout de même pas aujourd’hui le seul emblème de modernité. […]

Une chance à saisir. Pour rendre l’espoir aux citoyens européens, nous voulons, avec vous, bâtir une nouvelle Europe. Les peuples de l’Europe ont les yeux tournés vers nous. […] Saisissons cette chance ensemble, mes amis. Cette nouvelle Europe, que les peuples appellent de leurs vœux, je la définirais par trois mots : emploi, solidarité, citoyenneté. […] Pour ce qui concerne l’Europe elle-même, il faut une solidarité et une coopération accrue pour retrouver une nouvelle croissance. Dans toutes l’Europe, les besoins […] sont, devant nous, considérables et offrent des perspectives de développement et d’emplois majeures, si nous voulons. L’Europe ne retrouvera un sentier de croissance plus forte et équilibrée que si des investissements non rentables à court terme et pourtant indispensables à la prospérité des générations futures sont engagés dès aujourd’hui. […]

Pour être fidèle à sa vocation, l’Europe doit être sociale et je n’ai personnellement jamais séparé l’économique et le social. Grâce à la brillante victoire de notre ami Tony Blair, des perspectives nouvelles se présentent. Soyons capables de les concrétiser dès le sommet d’Amsterdam. Citoyenneté, enfin. En France, mais pas seulement en France. Citoyenneté rime avec égalité, égalité d’accès et de traitement au regard des services publics. Je suis très attaché à ce que cette notion de service public reste un élément central de notre modèle de civilisation. […]

Idéaux commun. Plusieurs rendez-vous importants nous attendent. La conclusion des travaux de la CIG. Les perspectives encore délicates aujourd’hui, de l’UEM, et qu’il conviendra donc de clarifier. Les interrogations sur les conditions de l’élargissement de l’Union. Sur tous ces sujets, le groupement français entend rester fidèle aux enseignements pris durant la campagne électorale devant le pays et souhaite nouer les dialogues nécessaires pour déboucher sur des solutions positives. Celles-ci devraient s’inspirer de nos idéaux communs et prendre en compte les préoccupations les plus fortes de nos peuples : le chômage, la précarité, les inégalités, la défense de nos intérêts économiques dans la bataille mondiale. […] C’est avec ce souci, mes chers amis, que j’ai participé à notre congrès. C’est avec cette espérance que je participerai aux très prochaines discussions européennes. »


Date : 13 juin 1997
Source : L’Hebdo des socialistes

Lionel Jospin, Premier ministre, au congrès du PSE à Malmö (vendredi 6 juin 1997) - Extraits

« Il faut remettre l’Europe sur les rails »


Chers camarade

Le socialisme démocratique est une idée qui gagne en Europe, une idée qui suscite l’adhésion des peuples. C’est surtout une idée qui peut changer le visage de l’Europe. Changer le cours de la construction européenne est aujourd’hui possible.

Quelle que soient nos différences d’appréciation sur telle ou telle question  et il y en a , ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous sépare. À la globalisation de l’économie, à la libération des énergies sur la planète, nous devons répondre par la solidarité, la construction d’un cadre économique, social et politique commun, la volonté de régulation. Sinon ces Forces du marché, libérées de tout contrôle, menaceront notre conception même de la civilisation.

Se retrancher derrière d’illusoires barrières nationales ne résoudra aucun de nos problèmes, ni celui du chômage, ni celui de la sécurité, ni celui de la protection de l’environnement.

Mais nous ne sommes pas disposés pour autant à laisser l’Europe s’enferrer dans une vision monétariste et libérale. Être fidèle à l’idéal européen, c’est lutter pour une Europe de la croissance, de la démocratie, de la solidarité. Oui, nous sommes toujours le fer de lance de la construction d’une Europe unie, forte, généreuse, solidaire. Mais pas de n’importe quelle Europe !

Je partage avec vous une conviction profonde : il faut remettre l’Europe sur les rails.

Dès l’impulsion initiale, la construction de l’Europe a eu pour visée l’union politique. Trop longtemps, pour atteindre cet objectif ambitieux, la méthode utilisée a privilégié l’économie aux dépens du social, a contourné les peuples au mépris de la démocratie. Le démarrage du projet européen justifiait vraisemblablement le procédé, et le progrès économique et matériel faisait accepter tout cela à nos peuples. Elle doit le faire avec les citoyens  en suscitant et en recueillant leur adhésion leur adhésion  et pour les citoyens, qui sont le cœur du projet européen.

L’Europe ne peut pas se substituer aux nations qui la composent. Bien des questions  et parmi les plus importantes  doivent être saisies et peuvent être résolues dans le cadre national, qui reste le lieu de la démocratie et de la souveraineté des peuples. Certes, l’Europe ne peut offrir une réponse adaptée à tous les problèmes, à toutes les inquiétudes, les angoisses, les aspirations aussi des citoyens de nos pays. Mais elle ne doit en aucun cas être un obstacle à leur prise en compte. Si les citoyens de l’Europe ne croient pas qu’un traité puisse apporter de solution immédiate ou toute faite à leurs difficultés, ils en attendent à juste titre le cadre qui permette son émergence. Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire qu’il en aille ainsi au stade actuel de la Conférence inter-gouvernementale.

Nous voulons réconcilier les peuples de l’Europe avec l’idée européenne

Mais, précisément, de quelle Europe parle-t-on ?

L’Europe, si elle ne devait être qu’un espace ouvert aux flux de marchandises et de capitaux, si elle devait être livrée aux seules forces du marché, perdrait son sens même. Par nature, l’Europe est un pôle de civilisation que nous voulons en marche vers une forme d’unité qui sache préserver sa richesse la plus grande : la vitalité et la force des nations et des citoyens qui la composent.

Pour rendre l’espoir aux citoyens européens, nous voulons bâtir une nouvelle Europe. L’arrivée toute récente de majorités de gauche  au Royaume-Uni et en France  offre une chance supplémentaire à tous ceux qui ne se résignent pas à la dérive actuelle de l’Europe. Saisissons-là ensemble. Un espoir, celui de construire une Europe différente, une Europe nouvelle, est ainsi né. À nous de le porter et de le faire vivre.

Cette nouvelle Europe que les peuples appellent de leurs vœux, je la définirai par trois mots : emploi, solidarité, citoyenneté.

Emploi

Nous devons opérer un véritable renversement de perspective. L’emploi doit ainsi se trouver au centre de toutes nos politiques, qu’elles soient nationales ou communautaires. Pour ce qui concerne l’Europe elle-même, il faut une solidarité et une coopération accrue pour retrouver une nouvelle croissance. Dans toute l’Europe, les besoins en éducation, en formation des hommes, en infrastructures de transport, en réseaux de télécommunication, en rénovation des villes sont considérables. L’Europe ne retrouvera un sentier de croissance équilibrée que si ces investissements non rentables à court terme, et pourtant indispensables à la prospérité des générations futures, sont engagés dès aujourd’hui. Nous avons déjà pris du retard sur ce point par rapport aux grands blocs politiques et économiques que sont les États-Unis d’Amérique ou l’Asie orientale. Les réflexions conduites par Jacques Delors dans son livre blanc demeurent plus que jamais d’actualité.

Solidarité

Nous devons également faire porter l’effort sur la reconnaissance des droits sociaux fondamentaux. Pour être fidèle à sa vocation, l4europe doit être sociale. Grâce à la brillante victoire de notre ami Tony Blair, des perspectives nouvelles se présentent. Soyons capables de les concrétiser, dès le sommet d’Amsterdam.

Citoyenneté

En France  mais pas seulement en France  citoyenneté rime avec égalité, et une forme d’égalité est au cœur de notre modèle républicain : l’égalité d’accès et de traitement au regard des services publics. Je suis très attaché à ce que cette notion de service public reste un élément central de notre modèle de civilisation. Je souhaiterais qu’il en soit tenu compte dans les discussions en cours. Source d’efficacité et de création de richesse, le marché ne peut résumer à lui seul la vie en société ; il doit être tempéré, canalisé, maitrisé par les instruments mis au service de l’intérêt général, au premier rang desquels se trouvent les services publics.

Plusieurs rendez-vous importants nous attendent : la construction des travaux de la CIG ; les perspectives, plutôt délicates, de l’UEM ; les interrogations sur les conditions de l’élargissement de l’Union.

Sur tous ces sujets, le nouveau gouvernement français entend rester fidèle aux engagements pris durant la campagne électorale devant le pays et souhaite nouer les dialogues nécessaires pour déboucher sur des solutions positives. Celles-ci devront s’inspirer de nos idéaux communs et prendre en compte les préoccupations les plus fortes de nos peuples : chômage, précarité, inégalités, défense de nos intérêts économiques, maintien de notre protection sociale, épanouissement de notre modèle de civilisation.

C’est avec ce souci que j’ai participé à notre congrès. C’est avec cette espérance que je participerai aux très prochaines discussions européennes. En mesurant notre responsabilité : une nouvelle Europe.