Texte intégral
La Tribune : Quel jugement portez-vous sur le sommet du G7 à Lille ?
Marc Blondel : L'avantage que présente ce type de réunion est qu'on y parle « social », ce qui prouve que les conditions de l'internationalisation posent de sérieux problèmes et que les gouvernements sont obligés de le constater et de le reconnaître. D'une certaine façon, c'est un aveu implicite de l'échec des politiques gouvernementales sur des questions essentielles. Ceci étant, entre l'intention affichée et la concrétisation, il a effectivement un monde. Le fait que nombre de ministres des Finances aient boudé la réunion est significatif. On le voit bien, il n'est nullement question de discuter des bien-fondés des politiques économiques, voire même du degré de libéralisation. Un « G7 emploi » demeure annexe par rapport à u G7. Auparavant, on précise bien que ses conclusions ne seront pas contraignantes. Je dirais même que, pour être déçu, il fallait en attendre quelque chose d'important. Le G7 devrait être le contrepoids de Davos…
La Tribune : Dans sa déclaration finale, le groupe du G7 recommande d'« aménager des réglementations inadaptées » pour adapter le marché du travail à la mondialisation, bref d'accroître la flexibilité. Vous êtes farouchement opposé à cette voie. Ne risquez-vous pas de passer pour « archaïque » et d'apparaître une nouvelle fois comme l'éternel défenseur des avantages acquis ?
Marc Blondel : Je maintiens que la flexibilité est destructrice d'emplois. On le voit par exemple avec le recours aux heures supplémentaires. Quant à l'étiquette archaïque, cela me fait sourire. Vous noterez qu'elle provient souvent de ceux qui défendent des postions privilégiées et pour qui être modernes c'est surfer avec la mode du libéralisme économique, quitte à revenir à un mode de relations sociales digne du XIXe siècle. Mais je connais aussi des patrons qui ont conscience que la logique actuelle de la compétitivité est une logique quasi suicidaire. Ce qui est important, c'est de réfléchir à la pérennisation d'un système qui écarte de plus en plus de monde. Quelle est sa viabilité à long terme ? C'est à ce niveau que les gouvernements devraient avoir une responsabilité importante car c'est à l'État et aux pouvoirs publics, et non au marché, d'appréhender le long terme.
La Tribune : Que pensez-vous du « nouveau modèle social » prôné par Jacques Chirac et de son plaidoyer en faveur d'une « troisième voie » entre le chômage et la précarité ?
Marc Blondel : Peut-on concilier ce qu'on appelle communément un « modèle européen », c'est-à-dire des traditions en matière collective, avec une politique économique restrictive qui s'appuie sur la privatisation, la déréglementation et la libéralisation ? Tel est le problème de fond. En d'autres termes, peut-on marier le libéralisme économique version intégrale avec des règles sociales ? Je constate simplement que, dans l'état actuel des choses, ni le modèle américain ni le modèle européen ne fonctionnent correctement. La question des politiques économiques est donc fondamentalement posée, tant sur les aspects monétaires que budgétaires. En fait, l'internationalisation économique n'a pas son espace correspondant en termes de démocratie. C'est là l'enjeu et le risque des années à venir.
La Tribune : Les pays du G7 ont finalement reconnu, dans leur résolution finale, qu'il était « important de renforcer les normes sociales fondamentales à travers le monde ». Est-ce à votre avis un premier pas vers la clause sociale ?
Marc Blondel : C'est un premier pas qui demande à être confirmé et concrétisé. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics français appuient cette revendication qui vient du mouvement syndical, et plus particulièrement de la CISL (*). Ce qui importe maintenant, c'est que l'idée soit suivie d'effets et que tant dans les relations commerciales que dans l'activité d'organismes tels que le FMI, les critères sociaux soient pris en considération au même titre que les critères fondamentaux qui constituent la clause sociale sont la liberté d'association et de négociation, l'interdiction du travail forcé et du travail des enfants, la non-discrimination dans l'emploi.
(*) Confédération internationale des Syndicats Libres.