Interview de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, dans "Le Nouvel Observateur" du 10 décembre 1998, sur le rapprochement entre la CGT et la CFDT, la nécessité de l'unité syndicale, notamment sur la réduction du temps de travail, et le syndicalisme de propositions envisagé par la CGT au congrès de Strasbourg en janvier 1999.

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Média : Le Nouvel Observateur

Texte intégral

 - Nouvel Observateur. – Pourquoi êtes-vous rapproché de la CFDT, l'ennemie d'hier ? Est-ce, comme dit Marc Blondel, par pure tactique ?

 - Louis Viannet. -  Ceux qui pensent cela se trompent lourdement. C'est l'avenir du syndicalisme qui m'intéresse. Nos deux organisations, en se rapprochant, gagneront en crédibilité, en autorité. Au total – et c'est le plus important -, le monde du travail y trouvera son compte. Lors de son meeting de Charléty, en mai, dernier, Nicole Notat a affirmé qu'aucun syndicat ne pouvait peser seul, sur tous les choix. J'ai saisi la balle au bond. Car cela correspond aux aspirations profondes des salariés.

 - N.O. - Qu'attendez-vous de Nicole Notat ?

 - L. Viannet. - La CFDT dit qu'elle est pour la négociation et qu'elle n'exclut pas pour autant le rapport de force pour se faire entendre. La CGT se retrouve complètement dans cette démarche.

 - N.O. - Pour vous, c'est la CFDT qui a changé ?

 - L. Viannet - Le poids des réalités s'impose à tout le monde. Si nous continuons d'accepter les divisions, les syndicats seront de plus en plus faibles vis-à-vis du patronat. Je prends la CFDT comme elle est ? Je ne lui demande pas de se renier. Nous avons une histoire et des sensibilités différentes. Mais aujourd'hui, notre intérêt, c'est de montrer ce que peut donner, en termes de résultats, une action syndicale convergente. Nous avons des comptes à rendre au monde du travail. Prenez les 35 heures. Quand les syndicats sont divisés, c'est un cadeau qu'ils font aux patrons.

 - N.O. - Quels sont les autres sujets qui vous rapprochent ?

 - .L.Vianney. - Avec les 35 heures, nous pouvons nous faire entendre sur l'organisation du travail, le droit et les libertés syndicales dans l'entreprise. Mais nous pouvons aussi démontrer notre capacité à faire des propositions, à trouver des solutions sur les conditions de travail, les retraites, l'emploi.

 - N.O. - Concrètement qu'est-ce que cela va changer ?

 - L. Viannet - Il y a cinq ans, tous les observateurs pensaient que le syndicalisme français se diviserait en deux pôles, l'un réformiste, l'autre contestataire. Ce n'était ni mon ambition ni ma conviction. Le rapprochement CGT-CFDT va changer profondément la donne syndicale. C'est sûr. Les rencontres régulières au niveau des deux confédérations vont transformer le climat social dans les entreprises.

 - N.O. - En quoi va consister cette unité d'action du troisième type ?

 - L. Viannet. - Nous nous réunissons pour parler des dossiers de l'heure, ou de ceux qui vont devenir d'actualité. Nous constatons nos convergences, mais aussi nos divergences. Et quand nous ne sommes pas d'accord, nous n'en faisons pas un drame, nous cherchons à comprendre pourquoi. Il faut arriver à des rapports normaux. Si, dans un premier temps, nous parvenons, sur des sujets lourds comme les retraites par exemple, à faire le point avant des négociations avec le Gouvernement ou le patronat, à trouver des angles d'attaque communs, ce sera une formidable avancée (...) Il n'est pas normal que les syndicats, pour connaître leurs positions respectives, aient besoin de la présence du patronat et du gouvernement autour d'une table. Nous sommes bien plus à l'aise quand nous sommes entre nous (...)

 - N.O. - Ce rapprochement avec la CFDT est-il exclusif ou cherchez-vous d'autres alliances ?

 - L. Vianney. -  Il n'est pas exclusif. Notre ambition, c'est de rassembler tous les syndicats. A condition qu'ils soient d'accord !

 - N.O. - Et avec Marc Blondel, qui vient de vous traiter de « pépère à la retraite » ?...

 - L. Viannet. - Je comprends encore moins Marc Blondel aujourd'hui qu'avant. A certaines périodes, nous n'étions pas d'accord, mais nous savions pourquoi. Il me semble évident qu'une stratégie d'isolement affirmée n'est pas mobilisatrice. Je suis convaincu au contraire que les salariés qui nous verront travailler ensemble se feront une idée positive du syndicalisme et de sa capacité à peser sur les choix et les événements.

 - N.O. - Comment cette nouvelle ligne passe-t-elle à l'intérieur de la CGT ?

 - L.Viannet. - On ne gomme pas des décennies de divisions en claquant des doigts. A la CGT comme à la CFDT, toute cette période a induit des pratiques, des comportements. Chez nous, et je crois aussi à l'intérieur de la CFDT, ce rapprochement suscite des débats très vifs. C'est inévitable. Un certain nombre de camarades oublient que le syndicalisme, en France, a bien du mal à regrouper 10 % des salariés. Mais si on oublie cela, on oublie aussi quelles sont les responsabilités du syndicalisme aujourd'hui.

 - N.O. - Lors du prochain congrès de la CGT, fin janvier, à Strasbourg, vous et votre successeur, Bernard Thibault, allez prôner un syndicalisme de revendications, mais aussi de propositions. La contestation pure et simple, les grèves presse-bouton, c'est fini !

 - L.Viannet. -  Franchement, les grèves presse-bouton c'est fini depuis longtemps. Les fédérations qui en ont abusé ont d'ailleurs été sanctionnées par les salariés. Mais nous avons toujours été plus prompts à nous mobiliser « contre » qu'à faire avancer nos objectifs. Pendant très longtemps, notre action ne visait pas à défendre nos positions, mais à nous opposer au gouvernement et au patronat. Je ne dis pas qu'aujourd'hui il faut être d'accord avec tout. Mais notre repère essentiel, c'est la prise en compte des intérêts des salariés.

  - N.O. - Une révolution !

 - L.Viannet. - Pour un certain nombre de militants et de militantes, oui. Cela implique là aussi un changement significatif de nos pratiques. Il va falloir bousculer un certain nombre de choses dans la vie de la CGT !

 - N.O. - La CGT tout entière y est-elle Prête ?

 - L.Viannet. - dans ses forces vives, oui. Est-ce que toute la Confédération est d'accord ? Non. Je ne connais pas dans l'histoire d'évolution, de changement de cap qui se fassent de manière monolithique. Ce changement va forcément se traduire lui aussi par des débats très vifs. Nous ne pouvons l'éviter. Et d'ailleurs, nous ne le souhaitons pas. Mais le changement se fera, je n'en doute pas.

 - N.O. - Pourquoi intervient-il seulement maintenant ?

 - L. Viannet. - C'est le fruit d'une longue réflexion. Nous avons tiré les enseignements du comportement de la CGT du temps du Programme commun. Ils sont négatifs. Nous avons tiré aussi les leçons de ce qui s'est passé dans les pays de l'Est. Elles sont négatives. Et nous sommes aujourd'hui convaincus que la CGT doit aborder une démarche autonome, indépendante – ce qui ne veut pas dire neutre – à l'égard des partis politiques. Aujourd'hui, c'est notre rapport aux salariés qui devient déterminant. C'est un élément décisif qui fera que la CGT aura un rôle différent, mais puissant.

 - N.O. - Vous allez quitter la CGT. Dans quel état la laissez-vous ?

 - L.Viannet. - J'ai vraiment le sentiment que notre organisation est largement en aussi bonne santé que lorsque je suis arrivé...