Déclaration de M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants, en hommage à Jean Moulin et à la Résistance, sur l'éducation civique des jeunes et sur l'importance de l'Europe pour construire la paix, Paris le 17 juin 1997.

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Circonstance : Hommage à Jean Moulin au Pantheon le 17 juin 1997

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes ici réunis pour rendre hommage à Jean Moulin.

Certains d'entre-vous ont été ses compagnons, ses amis. Moi, je n'étais pas né. Je ne vais donc pas vous parler de lui. Vous l'avez connu, pas moi.

Non, je vais plutôt vous dire ce que représente, pour les hommes et les femmes de ma génération, cet homme qui est entré dans l'Histoire le 17 juin 1940.

Je suis né en 1944. J'ai donc la chance d'appartenir à cette génération privilégiée qui n'a pas connu la guerre. Je suis conscient des devoirs que cela m'impose.

Je sais que c'est à vous que nous devons la paix que connaît notre continent depuis maintenant plus de 50 ans.

Pour moi, les valeurs et les idéaux républicains sont incarnés par Jean Moulin. Ce sont les vôtres et naturellement je dois à ma place les transmettre en m'appuyant sur votre mémoire et votre expérience.

Jean Moulin illustre la République française, la liberté de conscience face à l'adversité. Il appartient à notre Histoire.

La qualité admirable de Jean Moulin est la fidélité absolue à ses idéaux. Aux idéaux qui étaient aussi ceux de son père et de son grand père, tous deux républicains convaincus.

Le Général de Gaulle décrit ainsi Jean Moulin dans ses Mémoires : « homme de foi et de calcul, ne doutant de rien et se défiant de tout, apôtre en même temps que ministre. »

À l'âge de 16 ans, Moulin avait rédigé une composition française intitulée : Le héros préféré. Il y parle de Vercingétorix.

Je le cite : « Il avait compris que pour vaincre il fallait l'effort de tous. Par ses encouragements, il communiqua son ardeur aux Gaulois qui firent taire toutes leurs querelles et se rallièrent sous leur jeune chef. »

L'œuvre de Jean Moulin est ainsi décrite par lui-même.

C'est cela la Résistance. Un exemple extraordinaire de la puissance de la solidarité. Et c'est à Jean Moulin et au Général de Gaulle que nous devons cet exemple.

Avant eux, il y avait des résistants. Après eux, grâce à eux, il y a eu la Résistance.

Une Résistance qui faisait taire toute rivalité entre des hommes d’horizons politiques différents, mais animés d'une même flamme d'un même idéal : celui de leur République, démocratique et indépendante.

Cette solidarité était votre force, je le crois. Désunis, dispersés, désordonnés, les Résistants étaient fragiles. Unis, ils ont pu combattre les fascistes avec efficacité.

Vous avez pu vaincre la xénophobie, le nationalisme refermé sur soi, un nationalisme qui n'avait rien à voir avec votre patriotisme ouvert et tolérant.

Cet exemple est une leçon de vie. Aussi grave soit-elle, aucune crise n'est insurmontable. La solidarité des Résistants leur redonnait, face à l'adversité, le courage nécessaire à la victoire. L'humanisme de la Résistance était sa force et son ciment.

C'est cela que nous devons retenir, et transmettre aux jeunes de notre pays. C'est la mission que je me suis fixée : sans relâche, rappeler votre histoire et veiller à ce que des hommes comme Jean Moulin ne soient pas oubliés.

Hier c'était Jean Moulin que l'on calomniait, aujourd'hui ce sont d'autres grands résistants dont vous avez le nom à la mémoire. Or la calomnie, lorsqu'elle frappe des femmes et des hommes d'Honneur, leur cause une douleur qu'on ne peut admettre.

C'est au nom de la mémoire, celle des enfants, des femmes et des hommes, français ou étrangers, qui ont été anéantis dans la déportation, brisés par l'internement, au nom de celles et de ceux qui ont été la flamme de la Résistance que je m'unis à vous, dans le même esprit de vigilance autour des valeurs humaines qui sont et doivent demeurer les fondements de la République.

Notre combat pour les valeurs que vous avez défendues, et je dis bien notre combat, nécessite en effet une vigilance constante.

Et un effort particulier d'enseignement. Je veux être un pont entre les générations : la vôtre, celle qui a combattu et a défendu la patrie ; la mienne, celle qui vous doit la liberté ; celle de nos enfants et souvent de vos petits-enfants. Parce qu'ils sont notre avenir, ils ne doivent pas oublier ce que vous avez fait.

Ils ne doivent pas  ou plus  ignorer que vous avez consenti aux plus grands sacrifices pour qu'ils soient libres.

Le message que vous leur donnez, est essentiel pour qu'ils puissent construire leur avenir. Vos idéaux, vos valeurs, ce sont celles de notre République, ce qui fait de la France le symbole des Droits de l'Homme et une société au modèle unique et exemplaire à laquelle on ne doit pas renoncer.

Liberté, tolérance, solidarité, courage, engagement : voilà vos valeurs, nos valeurs. Voilà ce que nous devons transmettre.

La solidarité régnait dans la Résistance. C'est elle qui a permis la victoire. Désunis les Résistants étaient fragiles. Unis, solidaires, ils ont gagné. C'est ce que symbolise Jean Moulin.

La liberté est ce que vous avez défendu, chaque jour, chaque heure, sans relâche, sans perdre espoir, ni courage.

La tolérance aussi, bien sûr. Accepter l'autre, avec ses différences, jusqu'à les ignorer, ne plus voir que nos points communs qui, seuls, sont essentiels.

Ces valeurs sont le gage, la garantie de la paix dans notre continent, et de l'harmonie dans notre société.

Les occasions de s'engager pour son pays sont moins nombreuses aujourd'hui. Il est vrai que la sécurité de notre pays est moins menacée. Mais cela risque surtout de distendre les liens qui existent entre l'armée et la nation.

Ainsi en est-il avec la suppression de l'armée de conscription au profit d'un rendez-vous citoyen aux contours encore bien flous.

C'est justement l'un des dossiers auxquels je m'intéresse aujourd'hui. Profiter de ce rendez-vous et en faire un moment privilégié d'instruction civique et de perpétuation de votre mémoire, de votre expérience. Chaque garçon, chaque fille, entendra ainsi parler de ce que vous avez fait pour eux et que trop souvent ils ignorent.

Je ne peux pas encore vous dire de quelle manière cela se fera. Mais pourquoi pas avec des témoignages de résistants, de déportés et de combattants ?

Certains d'entre-vous vont déjà, d'eux-mêmes, dans les écoles, collèges et lycées. Cette expérience précieuse doit être poursuivie et généralisée à travers le rendez-vous citoyen.

D'autres méthodes peuvent être employées. En tout cas nous ne resterons pas inactifs, je vous le garantis.

La paix militaire de notre pays semble assurée. Mais sa paix sociale reste fragile. Elle nécessite un effort constant.

Et la paix dans le monde doit aussi être un de nos principaux objectifs. La Bosnie, le Rwanda, le Congo ont vécu ou vivent des drames insoutenables avec ce qui s'appelle maintenant la "purification ethnique”.

Le fanatisme meurtrier est toujours présent. Et nos institutions internationales, comme l'ONU, semblent impuissantes.

Mais c'est sur une note d'espoir que je voudrais conclure.

Par deux fois notre continent a connu la guerre mondiale durant ce siècle. Par deux fois des nations se sont affrontées dans des combats fratricides.

Pourtant depuis cinquante ans, la paix est chez nous assurée. Nous avons enfin compris que les points communs entre nos nations étaient les plus importants. Nous avons enfin compris que l'union de nos nations était leur intérêt à toutes.

C'est la véritable justification de la construction européenne. Cette construction a été imaginée, désirée et initiée par des Anciens Combattants. Ses institutions ont été dessinées par eux.

L'Europe est fondée sur leurs valeurs, vos valeurs. Elle reste perfectible, bien sûr. On peut ne pas en avoir la même conception. Mais l'essentiel c'est qu'elle existe. Et c'est à vous qu'on le doit.

Mesdames, messieurs, au nom de la France, au nom de nos concitoyens, je vous salue !