Interviews de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à "Television Azteca" le 23 mai 1996, "Estereorey", "France 3" et "ECO" le 24, sur les relations franco-mexicaines, l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mexique, et les effets de la loi Helms - Burton.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de M. de Charette au Mexique du 22 au 24 mai 1996

Média : A pour affaires économiques - Canal 11 - ECO - Estereorey - France 3 - Presse étrangère - Télévision - Television Azteca

Texte intégral

23 mai 1996 - Television Azteca

Television Azteca : Au départ, le gouvernement français était contre l'ouverture de négociations pour établir le libre-échange...

Hervé de Charrette : Mais pas du tout. Au contraire. Comme vous devez le savoir, l'ouverture des discussions entre le Mexique et l'Union européenne procède d'une initiative française. On l'avait lancée au Mexique même, lors de la venue du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé en 1994. Ceci a débouché sur la Déclaration commune entre le Mexique et l'Union européenne en mai 1995, alors que la France était présidente de l'Union européenne. Cela, parce que nous attachions beaucoup d'importance à ce que s'ouvrent les discussions entre le Mexique - parce que pour nous c'est une priorité - et l’Union européenne. Ensuite, il a fallu examiner les modalités pratiques, c'est vrai, et le règlement de cette question a pris plusieurs mois. Maintenant, c'est chose faite, à la satisfaction générale. J'ai longuement parlé ce matin avec le ministre mexicain des Affaires étrangères, M. Angel Gurria, et nous sommes tombés d'accord pour dire que nous étions très satisfaits de la façon dont les choses se déroulent. Vous verrez que la France jouera un rôle très positif, et sera une sorte de maillon fort pour l'établissement de relations entre l'Union européenne et votre pays.

Television Azteca : Quelles sont les raisons pour lesquelles les Français font confiance aux Mexicains, malgré leurs difficultés, leurs mésaventures ?

Hervé de Charrette : Vous avez employé le mot juste : la France fait confiance au Mexique. Et il y a beaucoup de raisons à cela. D'abord entre la France et le Mexique, il y a une vieille histoire d'amour. Nos deux nations ont établi des rapports très étroits, très intimes, durant plusieurs siècles. Il y a aussi des raisons modernes, parce que le Mexique d'aujourd'hui est une des grandes nations du monde. La France et le Mexique doivent se tendre la main et travailler ensemble. Le général de Gaulle l'avait dit : "la mano en la mano". Pour aujourd'hui et pour demain, l'expression reste valable : le Mexique et la France doivent collaborer.

Television Azteca : On a parlé d'établir une relation saine au niveau économique, entre les deux nations. Mais on a parlé aussi de ''produits sensibles". Quels sont-ils ?

Hervé de Charrette : Vous savez, il faut regarder ce qui est important et ne pas s'attacher trop au détail. Ce qui est important, c'est la globalisation de l'économie mondiale. Le Mexique a choisi l'ouverture sur l'extérieur. Il a joué aussi le jeu du libre marché. C'est aussi notre intention. Et, dans cette économie globalisée, il arrive de temps en temps qu'il y ait des problèmes, que l'un ou l'autre ont des intérêts qui divergent. Pour l'essentiel, le destin de la France est le Mexique est d'être des partenaires plutôt que des concurrents.

Beaucoup d'entreprises françaises travaillent au Mexique, et elles ont le sentiment d'avoir des prêts et beaucoup de perspectives au Mexique. Elles veulent apporter notre savoir-faire, notre technologie, nos idées, notre capacité, sur le marché mexicain, et nous pensons que notre place actuelle peut être améliorée.

À l'inverse, le Mexique a certainement un grand nombre de positions à prendre en Europe, et notamment en France.

Television Azteca : Quels seraient les ''produits sensibles" ?

Hervé de Charrette : Je ne crois pas qu'il y ait des "produits sensibles". On a parlé des productions agricoles, parce que l'Europe est, vous le savez, un grand producteur agricole, mais il ne s'agit pas, pour l'essentiel, des mêmes produits.

Television Azteca : Dans quel secteur le Mexique pourrait-il apporter sa contribution à la France ? Autrement dit, pourquoi la France a-t-elle besoin du Mexique et inversement ?

Hervé de Charrette : Ce qui nous rapproche, Mexicains et Français, c'est d'abord la volonté d'agir ensemble dans le monde. Ce sont d'abord des projets politiques que nous avons en commun, des rapports économiques dont je viens de parler à l'instant, et des rapports culturels, domaine dans lequel nous avons déjà beaucoup fait, et dans lequel il nous reste encore beaucoup à faire en commun. À Mexico, il y a un lycée franco-mexicain magnifique, il y a une vie culturelle franco-mexicaine intense. J'en ai parlé ce matin avec le ministre de l'Éducation nationale du Mexique, une personnalité remarquable. Il m'a demandé que la France fasse encore davantage. Et nous allons le faire.

Television Azteca : Du point de vue culturel, avant les années 1980, il y avait un grand effort en ce qui concerne les échanges culturels. Après cela, on a eu l'impression qu'il y en avait moins. Pensez-vous que la relation va retrouver son niveau antérieur ?

Hervé de Charrette : Vous avez raison, il faut relancer, "redynamiser" la relation culturelle. Nous sommes, ce matin, convenus d'organiser les jumelages entre les universités mexicaines et les universités françaises. Nous sommes convenus d'encourager la formation des professeurs de français dans les collèges et les institutions mexicaines.

Television Azteca : Quel sera le thème de l'entretien que vous aurez avec le Chancelier José Angel Gurria ?

Hervé de Charrette : J'ai déjà eu un long entretien avec lui ce matin. Nous aurons ce soir un autre entretien. Demain, nous allons présider en commun la commission mixte franco-mexicaine, et nous avons dans notre ordre du jour, deux grands sujets : d'abord les relations bilatérales entre la France et le Mexique, sur les plans politique, économique, culturel, dont nous avons parlé jusqu'à maintenant. Mais aussi, tous les grands sujets du monde qui intéressent la France et le Mexique, que ce soit l'aide au développement, dans la perspective du Sommet du G7, la réforme de l'ONU, ou l'avenir des relations entre l'Europe et l'Amérique latine, pour lequel Français et Mexicains ont un rôle de moteur à jouer.

Television Azteca : Pour terminer : pour l'instant, vous pensez que les espoirs que vous avez fondés dans le Mexique seront couronnés de succès, ou le seront dans un avenir plus lointain ?

Hervé de Charrette : Je crois que cette visite sera très réussie. J'en suis pleinement convaincu. Cela marquera le point de départ d'une relance vigoureuse du partenariat entre nos cieux pays.

J'espère que la prochaine étape sera la venue du Président mexicain en France. Tout cela contribue à montrer qu'entre les deux pays, nous sommes décidés à agir "la mano en la mano".

Television Azteca : Votre message pour les hommes d'affaires mexicains, pour les hommes politiques mexicains, et pour le peuple mexicain ?

Hervé de Charrette : La France est l'amie du Mexique. Votre pays vient de traverser beaucoup d'épreuves. La France souhaite aider le Mexique dans ses efforts, et elle souhaite travailler avec les gouvernants mexicains, avec les entrepreneurs mexicains, et aussi, naturellement, avec le peuple mexicain. Le Mexique est une nation remarquable dans le monde, et manifeste l'intention de tenir son rôle. Nous aussi. C'est pourquoi nous nous entendons bien.

 

24 mai 1996 - Estereo Rey

Estereo Rey : Comment a fonctionné l'Union européenne du point de vue français ?

Hervé de Charrette : Je crois qu'on peut dire que l'Union européenne est une grande victoire des européens sur eux-mêmes. Toute l'histoire de l'Europe, c'est l'Europe des guerres entre les uns et les autres pour dominer l'Europe. Les Espagnols ont cru dominer l'Europe, les Français, les Italiens, les Allemands, lors de la guerre de 14-18, puis celle de 39-40.

Mais, aujourd'hui, nous avons réussi à faire en sorte que l'amitié franco-allemande organise ce qui est désormais le "grand marché du monde", qui en même temps est en train d'exprimer une volonté politique au monde.

C'est un long chemin, il y a encore beaucoup à faire. Mais je crois que les résultats acquis au cours de ces 40 dernières années sont des résultats positifs.

D'ailleurs, dans le monde entier, on regarde l'Europe parce que c'est le premier marché du monde, parce qu'on a l'impression que c'est une puissance du monde en soi.

Les Mexicains étaient très intéressés à un dialogue politique et économique avec les Européens, qui le leur rendent bien.

Estereo Rey : Dans tout type de négociation, il y a toujours quelque chose qu'il faut sacrifier, et il y a des bénéfices. Dans cette Union, quel est le principal sacrifice que la France a dû consentir, et quel est le principal bénéfice qu'elle en a retiré ?

Hervé de Charrette : Je crois que tous les pays européens ont tiré une leçon de l'histoire : le premier bien, c'est la paix. C'est déjà un point très important. Sur le continent européen se sont déroulées deux guerres terribles entre les Européens.

Ensuite, ce que nous avons visé, c'est la prospérité, parce que nous avons connu d'autres périodes de pénurie. Nous connaissons dans l'ensemble un formidable développement, qui a été le résultat de notre travail en commun. Nous avons ouvert les frontières entre nous, parce que nous avons décidé de produire ensemble, parce que nous avons décidé de nous défendre dans le monde, sur le plan économique, ensemble. Je crois même que nous avons gagné Je veux dire par là que je ne vois pas ce qu'on a perdu. Sincèrement.

Estereo Rey : Est-ce vrai que la France a emprunté aujourd'hui une nouvelle voie, après le socialisme de Mitterrand ? En même temps, comment le peuple français a-t-il apprécié la tendance incarnée par ce gouvernement de centre-droit, dirigé par M Chirac ?

Hervé de Charrette : Écoutez, je vais vous dire. Il y a en effet un grand changement en France. Dans le système présidentiel français, tout dépend de l'élection du Président de la République. Et il est élu tous les 7 ans. Pendant 14 ans, c'est-à-dire deux fois de suite, nous avons eu le même Président, un Président socialiste, M. Mitterrand, qui était certainement un personnage d'une qualité personnelle exceptionnelle, mais... il était socialiste.

Et je crois que dans cette période, par exemple sur le plan diplomatique, surtout dans la dernière période, il y a eu une sorte de ralentissement, d'affaiblissement, comme si la France n'avait plus de grande politique étrangère, de grande volonté d'être présente dans le monde.

La grande différence, avec l'arrivée au pouvoir de M. Chirac, c'est que c'est un homme volontaire, un homme déterminé, qui a été élu Président de la République. Un homme tout à fait décidé à faire en sorte que la France soit très présente dans le monde. Il s'agit là d'un changement extrêmement important.

Sur le plan intérieur, je crois que la France est normalement dirigée par une majorité de centre-droit, qui a en face d'elle de très grands défis. Après 14 ans de socialisme, il a fallu prendre très vite de profondes réformes. Il fallait le faire maintenant. On avait attendu trop longtemps.

D'où les problèmes, notamment budgétaires, puisqu'il faut faire très vite des économies, redéfinir une politique extérieure rigoureuse, ce qu'on aurait peut-être pu faire progressivement. D'où la décision de procéder à des réformes économiques pour ouvrir davantage le secteur public aux activités privées. Et tout cela, bien évidemment, pose problème, mais je crois que nous allons réussir dans les deux ou trois années qui viennent. Nous allons obtenir une reprise de l'activité.

Estereo Rey : Que pensez-vous de la monnaie européenne ?

Hervé de Charrette : Ce qui va prochainement se produire, et va constituer un événement d'importance mondiale, c'est la création de la monnaie unique en Europe. Cette monnaie que nous n'aurons pas obtenue sans difficultés va, du jour au lendemain, devenir l'autre grande monnaie mondiale. À l'heure actuelle, il n'y a qu'une seule grande monnaie ; le dollar, que vous connaissez. Le premier janvier 1999, il Y en aura plusieurs : le dollar, le yen, et l'euro, la nouvelle monnaie qui va certainement constituer un élément très fort de l'influence et du rayonnement de l'Europe dans le monde.

Estereo Rey : Comment appréciez-vous, comme gouvernement, la réaction du peuple français dans le cadre de la grève qui a à moitié paralysé la France, et qui peut être appréciée comme une réaction spontanée du peuple français au début du gouvernement Chirac ?

Hervé de Charrette : Je ne suis pas sûr que tous ceux qui nous écoutent savent qu'en France il y a eu un mouvement de grève en décembre dernier.

Estereo Rey : Si, ils le savent.

Hervé de Charrette : Eh bien, à mon avis, cela n'a pas constitué un événement tragique. Il y a des moments où le corps social réagit... C'est souvent parce qu'il y a eu des maladresses de la part des gouvernants, Je crois que c'est comme cela qu'il faut voir les choses. Nous procédons à un redressement. Les Français, plus ou moins, savent que les réformes ont été faites, Peut-être y a-t-il eu de notre part des erreurs qui ont été exploitées par nos adversaires, Mais cela reste au niveau de l'anecdote.

Je crois que nous sommes sur la bonne voie pour la récupération économique française.

Estereo Rey : Quelle est la position de la France après la fin de la série d'essais nucléaires, et qu'avez-vous gagné avec ces essais ?

Hervé de Charrette : Ces essais nucléaires étaient indispensables pour permettre à la force dissuasive française d'être fiable et d'être techniquement au point, et aussi pour nous permettre de nous préparer à une situation nouvelle dans laquelle il n'y aura plus d'essais, au cours de laquelle il faudra quand même être en état de tester la fiabilité de l'arme nucléaire.

En même temps, nous avons décidé, une fois que serait terminée cette courte campagne d'essais nucléaires, d'interrompre définitivement les essais nucléaires.

C'est le plus important. On le voit bien, ce qui a frappé les gouvernements de nos partenaires, c'est que nous avons annoncé l'arrêt définitif de toutes les explosions nucléaires,

Estereo Rey : Quelle est la situation aujourd'hui ?

Hervé de Charrette : Nous avons décidé de fermer le centre d'expérimentation nucléaire français dans le Pacifique. Nous n'avons plus de centre d'essai. Quand nous disons qu'il n'y aura plus d'essais nucléaires français, c'est que nous n'avons plus d'endroit où les mener.

Il y aura toujours des armes nucléaires et, bien sûr, la technologie évolue. Mais on ne peut pas, comme les Chinois, annoncer la suspension pour reprendre les essais tous les trois mois, Nous, nous avons mis la clé sous la porte.

Donc, le plus important, c'est que nous apportions la preuve de la détermination de la France et du caractère permanent de notre décision, Désormais, nous sommes les défenseurs les plus ardents de l'arrêt des essais nucléaires. C'est nous qui avons proposé "l'option zéro", alors que beaucoup de nos partenaires voulaient continuer à procéder à de "petits essais". Nous considérons que cela est impossible, qu'il faut tout arrêter. Nous espérons que tout le monde tombera d'accord sur l'option zéro, qui est une idée française.

Estereo Rey : L'un des thèmes est : comment le monde apprécie-t-il le vote de la Loi Helms-Burton, qui se caractérise par l'extra-territorialité ? Quelle est l'interprétation de la France, et quelle sera sa réaction par rapport à l'application de ce texte contre les Cubains ?

Hervé de Charrette : Nous avons été très choqués par cette initiative. Pour une raison simple : c'est que désormais, dans un monde ouvert comme est le nôtre, le commerce, et notamment le commerce international, obéit à des règles qui ne sont plus du ressort d'un pays ou d'un autre, mais de l'Organisation mondiale du Commerce.

Ce sont ces règles-là qu'il faut appliquer. Si chaque pays se met à édicter les règles qui lui conviennent, prévoyant des mesures coercitives, cela revient à dénaturer la signature qu'on a apposée lors de la création de l'OMC. Ce serait le retour à la loi du plus fort, qui peut imposer n'importe quelle décision.

C'est une situation que la France n'est pas prête à accepter, et nous en avons parlé avec les autorités mexicaines qui, je le crois, partagent cette même analyse.

Avec d'autres pays, il convient de réfléchir aux moyens de s'opposer à la mise en œuvre d'une décision unilatérale qui va à l'encontre de l'intérêt général du monde.

Estereo Rey : (Sur Cuba).

Hervé de Charrette : En tant que ministre français des Affaires étrangères, je me garde d'émettre des opinions sur les régimes ries pays que je suis amené à visiter. De la même façon que nous ne pouvons tolérer des ingérences dans les affaires intérieures françaises, nous pratiquons la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

C'est pourquoi, si vous me le permettez, en tant que ministre français des Affaires étrangères, je n'ai pas d'opinion sur le régime cubain.

Estereo Rey : (Sur l'accord commercial). Nous avons, ici, pensé que l'accord commercial et politique entre le Mexique et l'Union européenne n'était pas bien vu de la France. Le premier antécédent fut lorsque le Président Zedillo, effectuant un voyage en Europe avec l'objectif de promouvoir cet accord, n'est pas passé en France. Ensuite, au moment du lancement de l'initiative, la France aurait poussé une sorte de cri d'alarme, avertissant que cet accord pourrait en amener d'autres, et l'Union européenne commencerait à signer des accords à tort et à travers...

Hervé de Charrette : Écoutez, c'est un exposé très brillant que vous venez de faire. Mais maintenant, j'aimerais qu'on en vienne aux faits très concrets. Premièrement, c'est la France qui a pris l'initiative, par M. Juppé qui avait lancé ici, au Mexique, l'idée d'un dialogue entre les Européens et les Mexicains. En plus, c'est sous la présidence française de l'Union européenne, en mai 1995, qu'a été adoptée la première amorce de dialogue, c'est-à-dire la Déclaration commune entre le Mexique et l'Union européenne qui donnait le coup d'envoi de ce dialogue.

En fait, il y a eu des discussions, cela est normal, durant 1995 et 1996. Quelle en était la réalité ?

La France était favorable à l'idée d'un accord à la fois politique et commercial avec le Mexique. Mais nous avions un problème normal, non pas avec vous, mais avec la Commission européenne, qui était susceptible de définir le contenu de cet accord.

Il convient de procéder à une analyse globale des relations de l'Union européenne avec d'autres pays : ces relations peuvent être de toute sorte, allant jusqu'au partenariat économique. Il faut tout d'abord construire une théorie globale pour savoir où l'on va.

Si vous avez suivi la réaction de la presse européenne sur cette question, et vous l'avez sûrement fait, vous aurez constaté que beaucoup de pays européens n'étaient pas intéressés par un accord avec le Mexique. Beaucoup de pays étaient bloqués dans une espèce d'attentisme.

Aujourd'hui, nous sommes très contents de l'accord qui est intervenu, parce qu'il est bon pour le Mexique et bon pour l'Europe. Nous pouvons compter que dans les années qui viennent, quand il y aura des discussions sur l'organisation pratique des choses, bien entendu, et notamment l'ouverture des marchés, la France aura un rôle à jouer pour encourager les échanges commerciaux ; et faire en sorte que le Mexique établisse avec l'Europe une étroite association.

Ce que nous pensons, c'est que c'est de l'intérêt de la France, au sein de l'Europe, que d'avoir des liens très étroits avec le Mexique.

C'est une grande nation, une des premières nations en Amérique, une nation indépendante. Nous sommes sensibles à cela. Nous avons beaucoup de choses en commun, non seulement par l'effet des générations, qui ont tissé des relations d'amitié intime entre le Mexique et le France, mais aussi parce que nous pensons aussi que c'est de l'intérêt français d'établir des liens privilégiés avec le Mexique. "La mano en la mano", comme disait le général de Gaulle quand il est venu en 1964.

Estereo Rey : Nous avons eu la visite au Mexique de Danielle Mitterrand, qui s'est entretenue avec Marcos. Pourquoi ? Pouvez-vous nous dire pourquoi ? Pourquoi cet intérêt particulier pour venir voir à quoi ressemble la guérilla ? On a pu penser que la France, ou une institution française, pourrait soutenir le mouvement rebelle du Sud-Est mexicain. Quelle est votre interprétation ?

Hervé de Charrette : Écoutez, je crois que cette interprétation serait totalement erronée. Mme Mitterrand, comme vous le savez, n'est plus la première Dame de France, et elle est libre de ses activités comme toutes les autres. Donc, vous ne pouvez pas m'interroger sur les raisons de sa présence ici. Elle est libre d'aller où elle veut, dans les limites du respect de vos lois.

Mais elle n'est pas mandatée par le gouvernement français et elle n'est pas une représentante du gouvernement français. Je ne crois pas qu'on puisse même dire que Mme Mitterrand représente une sensibilité aujourd'hui importante en France.

Elle a pu dire des choses qui vous ont paru déplacées. Elle n'aurait pas pli le faire comme membre du gouvernement.

Estereo Rey : Votre présence comme représentant suprême de la diplomatie française constitue pour nous un motif de réflexion, de façon à vous faire sentir que, comme peuple, nous avons été très liés aux Français, et que pour vous, il est très important de diversifier nos "formes" diplomatiques, pour ne pas dépendre exclusivement de notre grand voisin du nord. Je crois que vous comprenez très bien.

Hervé de Charrette : Je comprends très bien. Je pense qu'il y a entre Français et Mexicains des générations et des générations d'amitié, et nous voudrions maintenant leur donner une nouvelle impulsion, un nouveau dynamisme, une nouvelle vie.

Nous avons des traits communs. Vous êtes très attachés à la nation mexicaine. Nous, de notre côté, sommes très attachés à la nation française. Nous n'aimons pas que nos amis ou nos voisins nous disent ce que nous devons faire, et vous non plus.

Nous comprenons parfaitement la situation qui est la vôtre. Nous entendons aussi que vous avez des partenaires très amicaux, appuyés sur une longue histoire, et qui sont susceptibles de vous aider à faire beaucoup de choses à l'avenir.

C'est pour cela que tout à l'heure, je faisais référence et l'expression du Général de Gaulle : "la mano en la mano", pour définir ce que doivent être les relations entre la France et le Mexique.


24 mai 1996 - FR3

FR3 : Monsieur le Ministre, vous êtes sur la place où le Général de Gaulle avait invité Mexicains et Français à œuvrer "mano en la mano".

Hervé de Charrette : C'était en effet les paroles qu'avait prononcées le Général de Gaulle sur cette même place que l'on voit derrière moi, en 1964, devant 300 000 Mexicains. Il était venu tendre la main au Mexique et il avait aussi tiré la barbe au grand voisin américain qui est ici très influent, puisque 80 % du commerce extérieur mexicain, dans un sens ou dans l'autre, se fait avec les États-Unis. L'économie mexicaine est très marquée par l'influence américaine.

Est-ce qu'aujourd'hui nous sommes dans le même état d'esprit, nous les Français ? Je dirai oui et non. Ce voyage n'est pas une démarche agressive, anti-américaine, pas du tout. Les Américains sont nos partenaires, nos amis, et nous sommes même, je le crois, des amis très intimes.

En même temps, il est vrai que nous partageons avec les Mexicains l'idée que dans le monde d'aujourd'hui, il est important de préserver la différence, comme il y a 30 ans essayait de le faire le Général de Gaulle. Cela nécessite des efforts.

La France et le Mexique pensent que doivent subsister plusieurs puissances entre lesquelles s'établit un équilibre qui permet un dialogue, où chacun a sa place. Je sais que les Mexicains y tiennent, et ils se tournent volontiers vers nous.

Cela va même au-delà de la très vieille amitié franco-mexicaine, qui a un siècle et demi. Il y a aussi l'esprit d'indépendance des Mexicains.

Nous avons donc un partenariat amical, chaleureux, avec les Mexicains, et je disais que cela ne change rien à notre amitié chaleureuse avec les Américains

FR3 : Vous proposez une alternative économique et aussi une alternative politique. Avez-vous l'impression que cette alternative est d'abord celle de la France, ou n'est-elle pas celle de l'Union européenne ?

Hervé de Charrette : Je le répète. Ce n'est pas une alternative de combat. Simplement, les Mexicains souhaitent avoir plusieurs partenaires dans leur vie économique, mais aussi dans leur vie politique. La France fait partie de cela, et certainement avec une place à part. Je répète, il y a dans le cœur des Mexicains une place tout à fait à part, originale et chaleureuse pour nous.

Alors, que représentons-nous ? Bien entendu, comme partout dans le monde, quand on voit la France, on voit se profiler l'Union européenne et cela intéresse beaucoup nos partenaires parce que l'Union européenne, c'est le plus grand marché du monde et c'est aussi virtuellement une puissance politique qui montera sans doute dans les temps qui viennent.

Le processus d'unification monétaire sera considéré ici avec beaucoup d'intérêt. Pour les Mexicains, la France représente quelque chose de très intéressant pour eux, pour établir un autre dialogue et des relations avec un grand marché possible, le désir d'un dialogue politique, économique et culturel, bien sûr.

FR3 : À Mexico, sont réunis, ce jour, tous les ambassadeurs de France en Amérique latine ? On avait posé l'Asie comme le premier grand chantier diplomatique du nouveau septennat. Votre présence ici est la première depuis que vous êtes ministre des Affaires étrangères. Est-ce que c'est le signe d'une nouvelle politique française en Amérique latine ?

Hervé de Charrette : Pour la France, l'Amérique latine est un partenaire très important. Parce que l'Amérique latine, d'abord, c'est un monde de cultures très imprégnées d'Europe, de cette latinité européenne à laquelle nous sommes nous-mêmes très attachés.

Ensuite, parce que l'Amérique latine, qui a connu des périodes troublées sur le plan politique, des périodes agitées comme beaucoup de pays européens après la guerre, vient ou est en train de trouver une stabilité politique, avec de nouvelles institution qui se mettent en place progressivement dans tous les pays, notamment dans les plus grands d'entre eux : je pense à l'Argentine, au Brésil, au Mexique, au Chili, alors que dans les années 60-70, et le début des années 80, beaucoup de tensions, de difficultés, parfois de drames, entachaient l'histoire de ces pays. Du même coup, dès lors qu'ils ont trouvé une certaine stabilité politique, qu'ils ont fait le choix de l'économie de marché, la plupart d'entre eux connaissent une croissance économique forte (6, 7, parfois 8 % par an).

Et, naturellement, nous Français, trouvons combien il est important de nous tourner vers ce monde de l'Amérique Latine pour le dialogue politique. Ces pays cherchent des grands partenaires dans le monde et naturellement l'Europe, et toujours la France, les intéressent particulièrement, pas seulement pour des raisons économiques, mais parce que c'est un grand espace dans lequel ils peuvent se déployer.

La vision de Jacques Chirac fait de l'Amérique latine, à côté de l'Asie, une sorte de grand chantier, qui témoigne du renouveau de la France et de sa détermination à être présente, avec énergie et volonté, sur tous les chantiers du monde.

 

24 mai 1996 - Canal 11

Canal 11 : Tout d'abord, je voudrais vous dire que nous sommes très heureux que vous vous trouviez chez nous ...

Hervé de Charrette : C'est très gentil. Je suis moi-même très heureux du contact très chaleureux et très amical que j'ai eu au cours de ma visite avec le gouvernement mexicain, et avec votre pays : pour la France, un pays plein de souvenirs et de traditions, plein d'amitié...

Canal 11 : Je crois que vous avez un emploi du temps très chargé. Quels sont les points les plus importants que vous avez abordés lors de cette rencontre, et qu'est-ce que vous en tirez ?

Hervé de Charrette : Vous savez que je viens à l'occasion de la première réunion de la grande commission mixte franco-mexicaine, présidée à la fois par mon collègue José Angel Gurria et par moi-même. Nos collaborateurs, qu'ils soient mexicains ou français, ont beaucoup travaillé sur trois sujets :

Premier sujet : le renforcement des rapports politiques entre nos deux pays. Le Mexique est un grand pays dans le monde, et la France aussi. Nous avons des sujets de portée mondiale qui nous intéressent Donc, nous avons décidé d'établir des rapports de travail permanents entre les deux ministères, pour coopérer, pour voir ce que l'on peut faire en ce qui concerne les grands sujets internationaux.

Deuxième sujet : la France souhaite renforcer ses rapports économiques. Cela vaut naturellement pour le Mexique et l'Union européenne. Vous savez que, comme l'a dit tout à l'heure M. Angel Gurria, la France est à l'origine de ce rapprochement économique entre l'Union européenne et le Mexique. Bien entendu, je suis venu avec une délégation d'hommes d'affaires français qui souhaitent développer leur présence au Mexique, et éventuellement, leurs investissements au Mexique, dans le domaine des chemins de fer, de l'énergie, des transports, des travaux publics, des matériels de toutes sortes.

Et puis, troisième sujet : les relations culturelles entre les deux pays. Comme vous le savez, la France aime le Mexique, votre culture, votre civilisation, votre histoire. Et il y a probablement la même démarche du côté du Mexique vers la France.

Le ministre de l'Instruction publique a insisté pour que nous renforcions l'intervention de la France quant au rapprochement entre les universités mexicaines et françaises. C'est dire que ce sont trois thèmes sur lesquels nous avons beaucoup travaillé et qui manifestent que le champ est très large.

Canal 11 : (Sur le thème de l'accord avec l'Union européenne et la position de la France).

Hervé de Charrette : La France attache beaucoup d'importance à cela. Comme vous le savez, c'est en 1994, à l'occasion de la visite de mon prédécesseur, Alain Juppé, ici même à Mexico, qu'a été lancé par la France un rapprochement politique et économique entre le Mexique et l'Union européenne.

Ensuite, sous la présidence française de l'Union européenne, une Décoration commune a été souscrite en mai 1995. Nous devrions donc aller vers un accord de partenariat entre l'Union européenne et le Mexique.

Les discussions techniques ensuite ont été traitées au sein de l'Union européenne où, au départ, il n'y avait pas beaucoup de pays intéressés par cet accord. Maintenant que nous sommes arrivés à un accord sur ce que devrait être cette discussion et ce projet de relation entre l'Union européenne et le Mexique, nous allons rentrer vraiment dans le vif du sujet, et j'espère que très rapidement nous pouvons arriver à une conclusion qui soit bonne pour le Mexique et l'Union européenne. J'espère que cela est pour bientôt.

Canal 11 : Vous avez annoncé qu'à partir du 25 juin, les Mexicains n'auront plus besoin de visa pour se rendre en France pour des voyages courts. Quels sont les critères qui ont permis de faire ce pas en avant ?

Hervé de Charrette : Le principal critère a été d'être agréables aux Mexicains. En effet, depuis un certain temps déjà, les autorités mexicaines souhaitaient qu'on adapte ce système de visas de court séjour, c'est-à-dire pour les séjours inférieurs à trois mois. Cela concerne les touristes, les hommes d'affaires, les universitaires, les chercheurs, tous ceux qui veulent aller en France pour des raisons professionnelles ou personnelles.

Vous savez que nous avons, dans le passé, rétabli le système des visas pratiquement avec tous les pays du monde, parce que nous avions à traiter un problème très difficile d'immigration.

Avec l'expérience, dans le cas du Mexique, il nous a semblé possible, en raison des liens très étroits qui nous unissent, d'annuler cette obligation de visa. Je sais que les demandes étaient très fortes de la part des autorités mexicaines, et de la part de beaucoup de Mexicains qui voulaient pouvoir voyager facilement.

Je suis très content que nous ayons pu résoudre ce problème.

Canal 11 : Ce matin, vous avez déjeuné avec des hommes d'affaires mexicains et français. Quelle impression retirez-vous de cette rencontre ?

Hervé de Charrette : Je l'ai trouvée très positive. J'ai été très impressionné par la qualité et le nombre de chefs d'entreprise mexicains présents à cette rencontre, et je crois que nous avons pu faire passer mutuellement notre message.

Le message de la France est très simple : la France fait confiance au Mexique, qui est en train de récupérer, de manière remarquable, de la crise financière de 1994, et nous souhaitons établir des liens très étroits, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, dans le domaine politique naturellement, mais aussi dans le domaine économique.

En face de moi, j’ai vu des entrepreneurs mexicains très intéressés et très ouverts à des partenariats, des associations, des entreprises jointes, pour travailler en commun et pour être présents non seulement sur le marché mexicain, mais aussi sur le marché européen et français et pourquoi pas, faire des choses en commun dans des pays tiers. Vous le voyez, nous avons beaucoup de choses à faire entre Mexicains et Français.

J'espère que cette réunion sera le point de départ d'une reprise très forte de la dynamique franco-mexicaine qui se fonde sur l'amitié entre les deux pays.


24 mai 1996 - Eco

Eco : Quelle est la différence la plus importante entre la France de François Mitterrand et la France du Président Jacques Chirac, surtout en ce qui concerne les relations avec l'Amérique latine ?

Hervé de Charrette : En termes de politique étrangère, de manière générale, ce qui caractérise la démarche du Président Chirac, c'est, dirais-je, le volontarisme. C'est l'idée que dans le domaine de la politique étrangère comme dans les autres domaines, on peut changer les choses, on le peut si on le veut, si on en prend les moyens, et surtout si on a l'esprit de la volonté. On peut changer les choses. Et je crois que c'est à cela que l'on verra la plus grande différence entre le septennat de Jacques Chirac et ceux qui l'ont précédé.

Eco : Quelle est votre impression sur la relation actuelle entre la France et le Mexique ?

Hervé de Charrette : Je crois que ce sont de bonnes relations, des relations qui n'ont pas d'ombre. Il n'y a pas de contentieux entre nos deux pays et il y a surtout une longue tradition de relations amicales entre la France et le Mexique, qui plongent leurs racines dans l'histoire du Mexique et dans l'histoire de la France.

Tout cela manquait aussi de dynamisme, de vigueur, de vitalité. Le Mexique est un pays qui est plein de vitalité. Ce que nous avons décidé, en effet, c'est de remuer un peu les choses, pour renforcer de façon vigoureuse et volontaire le niveau et l'intensité des relations, aussi bien sur le plan politique que sur le plan économique et culturel.

Eco : Pourquoi a-t-on dit que la France n'a pas soutenu à fond, au début, la possibilité de conclure un accord entre l'Union européenne et le Mexique ?

Hervé de Charrette : J'espère qu'on n'en parlera plus, et que ce sera la dernière fois que j'en parlerai avec vous. Je trouve que c'est parfaitement injuste. Vous savez que c'est la France qui a pris l'initiative, en 1994, à l'occasion du voyage de mon prédécesseur, M. Juppé, ici, au Mexique, avec le gouvernement mexicain, d'engager une démarche vers l'Europe, pour qu'il y ait quelque chose entre l'Europe et le Mexique, et qu'ils passent un accord ensemble.

C'est donc une initiative française, plus exactement une initiative franco-mexicaine. Cela s'est traduit au mois de mai 1995, sous la présidence française de l'Union européenne, par une déclaration Commune entre l'Europe et le Mexique, marquant notre intention commune de renforcer nos relations politiques, économiques et commerciales. C'était encore une initiative française.

Ensuite, il y a eu les discussions techniques au cours de l'année 95-96, ces derniers mois. Lors de ces discussions techniques, il ne faut pas se laisser trop impressionner par ce que les uns et les autres disent, parce que sur 15 États européens, beaucoup de pays, pour dire les choses franchement, n'étaient pas contre, mais n'étaient pas vraiment intéressés par l'idée de développer des relations avec le Mexique, parce qu'ils avaient peu de relations, et pas beaucoup de souvenirs.

Nous, nous étions intéressés. Mais il faut regarder ce que l'on dit avec un peu de prudence et de sagesse. L'essentiel, c'est que nous sommes arrivés à un mandat clair de négociation des 15 États européens, que la France a soutenu. Dans ces conditions, dans les mois qui viennent, les négociations vont pouvoir commencer avec deux idées : il faut renforcer les relations politiques entre le Mexique et l'Europe, et il faut renforcer les relations économiques, c'est-à-dire alléger les contraintes, les obstacles.

Nous allons avoir des négociations, forcément. Vous, les Mexicains, allez dire : "Il y a des difficultés pour faire rentrer tel type de produit en Europe" et ce sera vrai, et vous nous demanderez d'enlever ces freins. Nous, nous allons faire la même chose : les Européens vont dire : "Oui, mais, tels types de produits, peut-être les voitures, ne peuvent pas entrer librement au Mexique", et nous allons dire : "Il faut changer cela".

Et l'on comprend très bien, dès aujourd'hui, tous ceux qui connaissent le dossier le comprennent bien, qu'on pourra aisément arriver à un arrangement dans lequel tout le monde sera content, parce que chacun aura obtenu des ouvertures plus larges du marché du partenaire, pour un certain nombre de produits.

Eco : N'y a-t-il pas en France des groupes qui s'opposent à ce genre d'accord avec le Mexique ?

Hervé de Charrette : Non. Au contraire. La démarche française est une démarche d'ouverture. Vous savez, il ne faut jamais oublier que la France est le quatrième exportateur du' monde en matière de biens. Dans le domaine des services, des banques, des assurances, nous sommes le deuxième exportateur du monde. Si on prend le niveau des exportations per capita, nous sommes les premiers au monde, c'est-à-dire qu'un Français exporte plus qu'un Américain ou un Japonais.

Aujourd'hui notre attitude, c'est de dire oui à la globalisation de l'économie mondiale, oui à l'ouverture des marchés, parce que nous avons tout à y gagner. Celui qui est déjà très fort, qui a déjà une place importante, a l'intention d'en gagner encore. Nous sommes preneurs, et nous désirons être, sur tous les marchés du monde, très ouverts.

Cela vaut naturellement pour le Mexique, puisque nous avons avec le Mexique des liens que je rappelais tout à l'heure, d'amitié, d'affection, de connaissance mutuelle. Je vois bien l'importante colonie française qui vit au Mexique, et qui a une passion pour votre pays. Beaucoup d'historiens, de chercheurs en France ont la passion de votre pays.

Donc il y a plus d'affection tournée vers le Mexique qu'autre chose.

Eco : Pour la partie politique, est-ce que l'opinion qu'on a en France du Mexique est celle d’une démocratie consolidée ?

Hervé de Charrette : En tout cas, moi, je suis très impressionné par les démarches, les décisions très audacieuses et très courageuses prises par le Président Zedillo, qui a fait très clairement, là aussi, des choix clairs, tournant son pays vers le pluralisme et vers la consolidation de démocratie. Je crois que ce sont de bonnes décisions. Je vous le dis franchement, parce que je crois que c'est comme cela que vient la prospérité.

Eco : Quelle est votre impression sur le Président Zedillo ?

Hervé de Charrette : Je l'ai vu longuement ce matin. J'ai trouvé que c'était un homme très déterminé, qui ne donnait pas l'impression de gouverner au jour le jour, parce qu'il avait une vue d'ensemble de ce qu'il voulait pour son pays. Je l'ai trouvé aussi très chaleureux, et en particulier pour la France. Cela m'a fait beaucoup plaisir.

Eco : Quelle est la vision qu'on a du Mexique en France ?

Hervé de Charrette : On voit le Mexique comme un pays de 100 millions d'habitants, c'est-à-dire un grand pays qui a fait durablement le choix de l'économie de marché et de la démocratie, et qui est destiné à jouer un grand rôle, parce qu'il y a aussi une grande vitalité chez vous, dans l'avenir.

Un grand rôle en Amérique Latine, dont le Mexique sera certainement l'un des pays les plus importants, l'un des pays leaders. Un grand rôle dans l'ensemble du continent américain, enfin il me semble qu'il y a dans le monde de demain une place importante pour une nation comme le Mexique.

Cela ne fait que renforcer notre désir d'établir avec votre pays un partenariat très étroit, et je vais vous donner un exemple : nous avons décidé, avec M. José Angel Gurria, qui est un très bon ministre des Affaires étrangères, de dialoguer sur les grands sujets de la politique internationale, pas seulement sur les relations bilatérales entre la France et le Mexique, mais aussi sur les grands sujets intéressant le Mexique et la France.

Par exemple, nous avons décidé de travailler ensemble sur la réforme de l'ONU, qui est un sujet très important pour l'avenir, parce que cela met en cause la survie de l'ONU. J'ai vu que nos idées, qui n'étaient peut-être pas tout à fait les mêmes, s'étaient rapprochées et nous allons donc travailler ensemble, parce que je pense que si la France et le Mexique rapprochent leur point de vue, cela aura des conséquences en Amérique, en Europe, et donc, finalement, pour la solution du problème.

Eco : En parlant des sujets internationaux, est-ce que vous considérez comme incroyable, qu'après 50 ans on trouve encore en Europe, ce continent réputé comme le plus civilisé, des camps d'extermination et des politiques d'épuration raciale ?

Hervé de Charrette : C'est en effet un événement tragique. Vous avez dit que l'Europe a souvent l'image d'être une sorte de champion de la civilisation. Mais vous savez, les peuples les plus avancés peuvent cacher des drames épouvantables.

S'agissant de l'ex-Yougoslavie, nous sommes nous-mêmes très éprouvés de voir la difficulté que nous avons, dans le cadre actuel du processus de paix, pour faire revenir les choses vers le calme, vers la paix, vers la reconstruction. C'est très préoccupant, et je crois que la situation de l'ex-Yougoslavie n'est pas bonne, parce qu'elle se dégrade.

Eco : Comment expliquer le besoin des États-Unis d'intervenir encore une fois en Europe ?

Hervé de Charrette : Il ne faut pas voir les choses comme cela. Les Américains souhaitaient participer, et il faut s'en féliciter. Je n'ai pas d'objection à ce que les Américains interviennent. Maintenant, ils ont pris des responsabilités avec nous.

Vous savez que les trois pays les plus engagés dans l'ex-Yougoslavie sont les États-Unis, la Grande Bretagne et la France, mais il y a aussi l'ensemble de l'Alliance atlantique, et d'autres pays, dont la Russie.

La présence de tous les pays du monde, ou du plus grand nombre d'entre eux, est un élément très positif pour convaincre les hommes politiques en Bosnie-Herzégovine de faire le choix de la paix. Mais je vous le redis : je suis inquiet, parce que la situation se dégrade.

Eco : Quel est votre avis sur la loi Helms-Burton ? Comment cette loi peut-elle affecter la France ?

Hervé de Charrette : Je le dis très clairement, c'est une très mauvaise loi. Que les Américains soient en campagne électorale, très bien. Qu'eux-mêmes aient fait des choix vis-à-vis de Cuba, c'est leur droit le plus strict. Le Mexique en a fait d'autres. Mais ce qui ne va pas,' c'est qu'on prenne chez soi des décisions qui ont des effets sur les autres, dans la vie internationale, sans la moindre discussion.

Or, dans le commerce international, les règles communes ont été fixées dans le cadre de l'Organisation mondiale du Commerce, jeune organisation qui a été créée il y a un peu plus d'un an, et au sein de laquelle ces questions doivent être débattues. Ce que nous contestons, ce n'est pas le choix des Américains vis-à-vis de Cuba, que nous respectons totalement. C'est le fait que le Congrès américain puisse prendre, de son propre chef, des dispositions qui non seulement intéressent les affaires internes des États-Unis, mais ont des effets sur le commerce mondial et sont contraires aux règles fixées par l'Organisation mondiale du Commerce.

C'est pourquoi nous avons décidé, avec le gouvernement mexicain, de constituer un groupe de travail franco-mexicain pour réfléchir sur les initiatives à prendre face à cette mauvaise loi.

Eco : Qu'est-ce qu'on peut apprendre de l'expérience mexicaine avec la crise qui a débuté en décembre 94 ?

Hervé de Charrette : Je suis impressionné. Votre pays, votre gouvernement, les autorités financières de votre pays ont fait face à une crise d'une très grande ampleur, et d'abord je constate maintenant que vous êtes en train d'en sortir.

En tout cas, les chiffres, les indicateurs économiques sont là, et ils sont assez encourageants. C'est le début de la sortie de la crise.

La leçon principale, c'est que votre pays a maintenu, dans cette période de crise, ses orientations d'ouverture sur un marché mondial de libre-échange et sans entraves. Je crois que c'est une très bonne décision. Il y avait certainement d'autres choix possibles que certains autres pays auraient peut-être fait : se replier sur eux-mêmes, élever des barrières économiques à ses frontières, mais je crois que cela n'aurait fait qu'aggraver la crise. Le choix fait par le gouvernement mexicain et par le Président est un choix courageux, qui va être couronné de succès.

Eco : Quelles sont les raisons qui ont poussé la France à changer d'avis à propos de l'OTAN ?

Hervé de Charrette : Ce n'est pas vraiment un changement d'avis d'ailleurs, mais il est vrai qu'il y a eu une nouvelle orientation. Pour des raisons simples. D'abord, l'Alliance atlantique a été inventée à un moment où nous étions dans une forte confrontation entre l'Occident et le bloc soviétique. Ceci est terminé, naturellement.

Le bloc soviétique a disparu, les pays d'Europe centrale et orientale sont devenus des pays partenaires ou amis. La Russie elle-même, qui traverse une période difficile, sera dans l'avenir un pays partenaire et ami. L'Alliance atlantique n'a donc plus la même vocation. Alors, fallait-il dissoudre l'Alliance, ce qui n'était pas une bonne idée, parce que nous souhaitons que les Américains continuent d'être nos partenaires pour la paix ?

Nous pensons qu'il faut à la fois changer les missions de l'Alliance, qui devra s'occuper de missions de maintien de la paix, de la sécurité à l'intérieur du continent, tout en gardant l'ancienne mission, c'est-à-dire assurer la sécurité de ses membres.

Et, dans ces conditions, nous avons dit : si on réorganise, avec de nouvelles missions, l'Alliance atlantique, en donnant plus de place à ce que nous appelons l'identité européenne, c'est-à-dire si nous rendons possible, par des réformes de structure, que la partie européenne de l'Alliance puisse agir de son côté, lorsque les Américains ne le veulent pas ou ne le peuvent pas, si on fait cela, alors nous sommes prêts à rentrer dans cette Alliance rénovée.

C'est donc parce qu'il y a un changement assez profond de la situation internationale, parce que nous avons ressenti aussi que nos partenaires, et notamment nos partenaires américains, étaient ouverts à nos idées, que nous avons fait les premiers pas. Nous avons commencé à rentrer à l'intérieur de l'Alliance de façon plus active, en disant : "Nous sommes prêts à aller très loin dans cette révision de nos positions sur l'Alliance, dès lors qu'il y a cette rénovation et cette réforme de l'Alliance.

Eco : Au sein de la Communauté européenne, la France et l'Allemagne sont présentées comme les membres les plus importants. Quelle est votre opinion ?

Hervé de Charrette : C'est une donnée de fait. L'Allemagne et la France sont à la fois les deux premières puissances européennes, ce sont deux nations amies, qui travaillent le plus souvent la main dans la main, et qui sont naturellement les partenaires de base de tout ce qui se fait en Europe.

Mais, là encore, il ne faut pas oublier que l'Europe, c'est quinze États membres, d'autres partenaires, très importants à nos yeux : l'Espagne, l'Italie, le Benelux, l'Autriche, les pays nordiques, sans compter la Grande-Bretagne.

Et, comme vous le savez, l'Europe va s'élargir aux pays d'Europe centrale et orientale. C'est une démarche maintenant décidée. Cela va prendre du temps, 10 ans, 15 ans... ce sera long, mais cela va changer complétement la physionomie du continent.

Songez qu'il y a encore 10 ans la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et d'autres, étaient occupées par J'armée russe, avaient des régimes communistes, et que dans moins de 18 mois, certainement, nous commencerons avec elles des négociations pour leur entrée dans l'Union européenne.

C'est un bouleversement de l’histoire.

Eco : (Sur les élections en Russie).

Hervé de Charrette : Ces élections sont évidemment une échéance très importante pour nous tous, et pour nous Européens. Je vous dis très clairement que nous souhaitons vraiment établir avec une Russie démocratique, ayant fait le choix de l'économie de marché, des relations chaleureuses, amicales. Il faut changer les esprits.

Moscou, était hier la capitale d'une espèce de conflit, fort, entre l'Est et l'Ouest. Mais cela est fini. Nous voulons faire de Moscou une ville amie, fraternelle. Et nous faisons beaucoup de choses pour que les relations euro-russes, entre l'Alliance atlantique et la Russie, soient des relations cordiales, chaleureuses, solides, de partenaires. Il faut aider la Russie à réussir cette mutation très difficile pour elle. C'est notre intérêt. C'est le sien. Demain, nous avons intérêt à ce que la Russie soit prospère, plutôt que malheureuse.

Eco : Existe-t-il un quota pour les programmes de télévision étrangère, en France ? Des restrictions ?

Hervé de Charrette : Je ne pense pas. Je peux vous l'annoncer. Nous avons aujourd'hui passé un accord qui va permettre à TV5, chaîne de télévision française pour l'étranger, d'être reçue à Mexico, et ainsi, non seulement la communauté française pourra en profiter, mais aussi tous ceux qui veulent écouter des programmes en langue française. Nous sommes là aussi ouverts au dialogue, ouverts à l'ouverture. C'est cela qui compte. Il faut faire tomber les barrières. Les barrières nuisent au progrès, elles nuisent à la prospérité, pour les uns et les autres.