Déclaration de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, sur les priorités géographiques et sectorielles de la politique de coopération de la France dans le Pacifique sud, Paris le 23 mai 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque "La France et les Etats du Pacifique Sud" à l'Assemblée nationale le 23 mai 1996

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre du Commerce extérieur de Nouvelle-Zélande,
Monsieur l'Ambassadeur d'Australie,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

C'est pour moi un grand plaisir que de me trouver aujourd'hui parmi vous. Notre réunion, en ce lieu prestigieux, constitue un événement important pour les relations entre la France et le Pacifique sud.

Le cadre choisi témoigne de l'importance que la France porte à ces relations.

Le moment auquel intervient ce colloque, après les sérieuses turbulences qu'ont traversées nos relations au cours de l'almée écoulée, alors que quelques semaines seulement se sont écoulées depuis l'arrêt définitif de nos essais nucléaires et la ratification par notre pays de protocoles de Rarotonga, illustre bien également la solidité de ces relations. Qui aurait imaginé la possibilité d'une telle rencontre il y a six mois ? S'il en est ainsi, c'est 'que ce qui nous unit, à savoir notre attachement commun au destin de cette région du monde, est plus fort que nos clivages ou que nos querelles passées.

Permettez-moi, donc, en notre nom à tous, de remercier notre hôte et les organisateurs à l'origine de cette initiative.

Je laisserai à notre directeur "Asie Océanie" du ministère des Affaires étrangères et notre ambassadeur, secrétaire permanent pour le Pacifique sud, qui doivent intervenir au cours de la première table ronde, le soin de préciser les perspectives politiques de notre diplomatie dans cette région, ainsi que le détail de l'aide que nous lui apportons.

Je voudrais pour ma part souligner la force de l'ancrage de ln France dans le Pacifique sud, évoquer l'esprit dans lequel la France entend y conduire sa politique de coopération, et indiquer quelles en seront les priorités.

I. - La France n'entend pas se désengager de l'aide au développement du Pacifique sud

Depuis la fin de l'affrontement Est-Ouest, on assiste à un désengagement très marqué de certains des bailleurs de fonds traditionnels du Pacifique sud. Cette évolution et préoccupante car un grand nombre des États insulaires de la zone sont très dépendants de l'aide extérieure : l'Océanie est en effet la région du monde ou l'APD en pourcentage du PIB est la plus élevée (15 % contre 11,3 % pour l'Afrique sub-saharienne), et pour cinq des huit pays ACP de la zone, l'aide extérieure est supérieure à 20 % des recettes totales du budget des États, dont 43 % à Vanuatu.

La France, au contraire, s'inscrit à contre-courant de ce mouvement de repli.

1. La France est le 4ème bailleur de fonds bilatéral de la région.

Après l'Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande qui représentent 70 % du total de l'APD versée aux pays de la zone, la France arrive en quatrième position, avec une contribution d'environ 130 MF par an si l'on prend en compte sa part dans le financement de l'aide versée par le FED. Avec le Japon, elle est le seul pays donateur dont la part consacrée à l'Océanie dans le total de son APD a augmenté au cours des vingt-cinq dernières années et ce, dans des proportions considérables (+ 50 %). Cette région du monde est la troisième bénéficiaire de notre aide, après l'Afrique sub-saharienne et l'Afrique du Nord.

2. En tant qu'État riverain du Pacifique sud, la France est donc déterminée à assumer pleinement ses responsabilités dans la voie du développement économique de cette région et du renforcement de sa cohésion.

En mettant à part les deux géants de la zone que sont l'Australie et la Nouvelle-Zélande, l'ensemble démographique que constituent nos trois territoires du Pacifique équivaut à 7 % de la population de la sous-région, ce qui les place au troisième rang après la Papouasie-Nouvelle Guinée et les Îles Fidji. De même, la Nouvelle-Calédonie vient au troisième rang par l'importance de sa superficie terrestre après la Papouasie-Nouvelle Guinée et les Îles Salomon, et l'espace maritime exclusif de ces trois territoires correspond au quart du total des eaux environnantes.

Nos trois territoires ne sauraient s'isoler des autres archipels, leur prospérité est liée à celle des autres pays ACP ou non-ACP, du Pacifique. D'où l'effort que la France consent et entend maintenir en direction de ces pays au cours des années à venir.

3. L'importance économique de cette région est d'autre part appelée à connaître un grand essor.

Indépendamment des raisons historiques et politiques qui militent en faveur de notre contribution au développement économique régional, l'avenir économique auquel est promis le grand ensemble Pacifique justifie aussi que la France ne se désintéresse pas des évolutions décisives qui s'y produiront.

Longtemps handicapé par son éloignement de tous les grands pôles économiques mondiaux, le Pacifique sud est maintenant au seuil des zones les plus dynamiques en termes de développement économique mondial que sont l'Asie du Sud-Est, les deux rives du Pacifique nord et demain vraisemblablement l'Amérique latine.

Ce voisinage aura un effet d'entraînement certain sur son décollage économique.

4. Enfin, en dehors des considérations régionales, la France continuera de s'investir résolument dans le développement économique de cette région, comme le fait sur d'autres continents où elle n'est plus présente politiquement, parce que notre politique de coopération constitue un des axes stratégiques de notre diplomatie.

Certains pays confrontés à la montée du chômage et des déficits publics, el découragés par les performances à première vue médiocres de l'aide au développement, cèdent à la tentation du repli.

La France renoncerait à être elle-même en faisant de même. Certes, nous n'entendons pas, dans le monde global d'aujourd'hui, nous affranchir des indispensables disciplines budgétaires. Il ne faut donc pas s'attendre à un accroissement des volumes d'APD dans les années à venir : l'objectif de 0,7 % du PIB des pays de l'OCDE consacré au développement risque de demeurer encore longtemps hors de portée.

Mais, la France ne participe pas au scepticisme ambiant vis-à-vis de l'utilité de l'aide. C'est pourquoi elle s'est employée à obtenir le maintien en termes constants des montants alloués du VIIIème FED (13,3 Md Ecus) par rapport au précédent, ainsi que la reconstitution de l'AID de la Banque mondiale acquise récemment à Tokyo. L'aide au développement sera aussi au cœur du prochain G7 qui se tiendra à Lyon en juin.

II. - L'esprit qui guide notre politique de coopération

Maintenant que nos principaux motifs de désaccord avec certains ont disparu, je souhaiterais que cette politique s'engage sur des bases rénovées en méditant le geste d'un grand explorateur de cette zone, Lapérouse, qui en abordant au XVIIIème ces terres nouvelles pour l'Occident, refusa le premier comme c'était auparavant la tradition en pareil cas, d'en prendre possession au nom du roi de France.

1. Vis-à-vis des pays bénéficiaires avec lesquels nous menons cette politique de coopération, cela signifie donc rechercher un véritable partenariat, en ayant à cœur de définir conjointement les priorités d'intervention, en facilitant à nos partenaires l'appropriation de nos projets et en établissant avec eux un véritable échange, en considérant que la relation ne doit pas être à sens unique et que nous avons aussi à apprendre d'eux.

C'est une des raisons de l'importance que la France attache au "dialogue post forum" où j'ai eu le plaisir de la représenter l'an dernier à Port-Moresby. J'espère que notre retour au sein de ce club pourra intervenir prochainement, pour me permettre de reprendre contact avec mes partenaires lors de la prochaine réunion qui aura lieu en septembre aux Îles Marshall. C'est également pourquoi nous sommes candidats à l'adhésion à ce forum élargi qu'est le "Pacific Economic Cooperation Council (PECC)".

Je ne m'appesantirai cependant pas sur ce point, car il ne s'agit pas là d'une spécificité propre à notre coopération dans cette zone.

2. Avec les autres bailleurs de fonds, nous veillerons d'autre part à renforcer au maximum notre coordination. Au service de la cause du développement il ne saurait en effet y avoir entre eux de concurrence. Le contexte de stagnation au mieux de l'APD pour les années à venir nous fournit de plus une raison supplémentaire pour rechercher une efficacité accrue en ce domaine et veiller à éviter les opérations redondantes.

Là encore, il ne s'agit pas d'une orientation limitée à notre coopération dans cette zone. Mais le réflexe en est peut-être moins ancré qu'ailleurs du fait probablement des séquelles de certains préjugés passés, et doit donc être stimulé.

Il convient donc que nos ambassades sur place entretiennent des relations régulières sur ces questions avec les trois principaux autres bailleurs bilatéraux que sont l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon. Ce tour de table doit être aussi élargi aux bailleurs multilatéraux, l'Union européenne et la Banque Asiatique de Développement. L'Union européenne est en effet le 3ème bailleur de fonds de la région. Sur les 13,3 Md d'Ecus du VIIIème FED, 2,5 %, soit environ 400 MF/an, sont prévus pour les huit pays ACP du Pacifique sud. Il s'agit là de montants substantiels qui en font un partenaire incontournable. Or pour la programmation des enveloppes nationales du VIIIème FED, cette concertation s'est révélée souvent insuffisante. Il importe donc de rattraper ceci lorsque seront mis en œuvre ces financements.

De même, la Banque Asiatique de Développement dont nous sommes membres, est pour ces pays un partenaire intéressant, car les fonds qu'elle peut mettre en œuvre à leur profit sont à des conditions concessionnelles, contrairement à ceux d'autres organismes, comme le groupe de la Banque Mondiale par exemple, qui exclut de ce type de financement les pays classés PRI, ce qui est le cas de la Papouasie-Nouvelle Guinée ou des îles Fidji. C'est peut-être par l'intermédiaire de la Caisse française de Développement dont le champ d'intervention a été élargi en 1991 à cette région, où elle dispose depuis d'une agence régionale à Port Vila, qu'une telle concertation pourrait se développer.

Enfin, avec le retrait des États-Unis et du Royaume-Uni de la zone, il y aurait peut-être intérêt à envisager l'élargissement de la composition de la Commission du Pacifique sud, aux pays du Pacifique nord qui sont de plus en plus actifs dans la zone.

3. De même, cet esprit constructif à avoir vaut aussi pour la promotion de la Francophonie qui est une de nos priorités dans cette zone, mais que nous entendons conduire de manière apaisée. D'abord, parce que la France a conscience de la place prépondérante du monde anglo-saxon dans cette région où les francophones ne représentent que 5,5 % de l'ensemble.

L'enjeu, ce n'est donc pas d'y détrôner l'anglais ou de le combattre, mais de favoriser la diffusion et la maîtrise de nos deux langues, comme vecteurs d'accès au monde "moderne", au sens où l'entend l'Occident dans son ethnocentrisme incorrigible.

Tournons une bonne fois pour toutes la page de l'affaire "Pritchard".

III. - Les priorités de notre politique de coopération

Celles-ci découlent des réalités de la zone, comme de ses atouts et besoins.

1. Nos priorités géographiques.

Elles se concentrent sur trois pays : Vanuatu bien sûr, ainsi que les îles Fidji qui jouent souvent un rôle moteur dans la région, mais aussi la Papouasie-Nouvelle Guinée en raison de son poids. Ce pays représente en effet 83 % des terres émergées, 72 % de la population totale et une part substantielle du PIB de la région. La France ne saurait donc ignorer un tel partenaire, qui requiert de notre pays plus d'attention que par le passé. La signature cette année d'un accord d'amitié et de coopération entre nos deux pays, à l'occasion de la visite que fera en France son Premier ministre, M. Julius Chan, permettra de donner une impulsion nouvelle à nos relations. L'ouverture d'un véritable service culturel auprès de notre ambassade dans ce pays mériterait également en ce sens d'être sérieusement étudiée.

2. Nos priorités sectorielles.

Pour mettre en œuvre une coopération profitable au développement économique de cette zone, celle-ci dispose d'un atout majeur : la situation dans l'ensemble relativement saine des contextes macro-économiques nationaux. Que ce soit du fait de l'existence du franc CFP ou de la gestion prudente des finances publiques de ces pays, ceux-ci bénéficient d'un environnement monétaire relativement stable et d'un faible niveau d'endettement. Cela permet de consacrer nos concours à la réalisation de vrais projets de développement, plutôt qu'à une aide plus coûteuse et peu structurante au financement des balances de paiement.

Nos concours se concentreront dans les secteurs suivants:

a) La mise en valeur des ressources halieutiques et marines du fabuleux capital du Pacifique qui représente le 1/3 de l'espace océanique mondial.

b) La mise en valeur de sa beauté légendaire, grâce au tourisme, qui y reste très embryonnaire, si on compare sa fréquentation aux millions de touristes qui visitent chaque année Guam ou les îles Hawaï.

c) La protection de son patrimoine environnemental, condition de la pérennisation de ses deux principales ressources. À cet égard, notre Parlement devrait ratifier incessamment la convention d'Apia qui a créé le Programme Régional Océanien pour l'Environnement (PROE).

d) L'amélioration de la couverture des besoins sociaux de base, que sont l'éducation et la santé, où les besoins restent considérables.

En effet, le taux d'alphabétisation dans plusieurs États de la région, notamment ceux de Mélanésie, est à peine supérieur à 50 % et dans l'ensemble le niveau général d'éducation ne dépasse pas le secondaire.

De même, et ceci est en partie une conséquence du handicap précédent, sur le plan de la santé, les infrastructures hospitalières souffrent de sous-équipement et les effectifs de personnels médicaux et paramédicaux qualifiés demeurent notoirement insuffisants.

Vous l'avez compris, je n'ai pas l'intention d'être seulement le ministre de l'Afrique, comme certains me présentent parfois trop rapidement. Je m'attacherai donc à une meilleure prise en compte des besoins du Pacifique sud par mes services des Affaires étrangères et de la Coopération.

Je souhaite à vos travaux de donner lieu à des échanges fructueux, dont je suis convaincu qu'ils pourront utilement contribuer à éclairer les orientations de mon gouvernement.